On retrouve également le principe de prévention dans l’article 21 de la même Déclaration, exprimé en ces termes : « Conformément à la Charte des Nations-Unies et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environnement et de développement ; ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle, ne causent pas de dommages à l’environnement dans d’autres Etas ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale».
Le même principe est repris par l’article 2 en termes identiques, dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement.
C’est en 1941 , à propos de l’affaire dite « Fonderie du Trail » que la première expression du principe de prévention est évoquée dans une sentence arbitrale tranchant un conflit entre les Etats-Unis et le Canada, au sujet d’émissions polluantes en provenance du Canada, et dont les effets nuisibles vont s’étendre sur le territoire américain.
Aux termes de cette décision, «Aucun Etat n’a le droit d’user de son territoire et d’en permettre l’usage de manière que des fumées provoquent un préjudice sur le territoire d’un autre Etat ou aux propriétés des personnes qui s’y trouvent, s’il s’agit de conséquences sérieuses et si le préjudice est prouvé par des preuves claires et convaincantes » ce qui, à contrario, correspond à l’énoncé suivant : chaque Etat doit prendre préventivement toutes mesures concrètes, nécessaires et suffisantes pour protéger les Etats voisins et leurs populations contre les risques liés aux dégradations environnementales intervenues sur son territoire.
Le principe de prévention fera jurisprudence. En 2004, la Cour européenne des droits de l’homme entre en voie de condamnation contre la Turquie, déclarée responsable d’une explosion de méthane occasionnant l’affaissement d’une montagne d’ordures ensevelissant des dizaines de maisons, dont l’un des occupants, ayant porté plainte obtiendra que l’Etat de Turquie soit condamné à l’indemniser à concurrence de 154000 euros.
Toutefois, le Conseil Constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, va tempérer la rigueur de la jurisprudence Oneyrildiz c/ Turquie, en rappelant que la prévention des atteintes que toute personne est susceptible de porter à l’environnement, ne saurait être examinée qu’au regard de la loi, lorsque celle-ci prévoit la détermination des principes fondamentaux de la préservation de l’environnement et des conséquences qui découlent de son atteinte.(Conseil constitutionnel Décision n°2011-116 QPC 8 avril 2011).
Le Conseil d’Etat, dans sa décision de 2013 « Fédération nationale de la pêche en France » va abonder dans le même sens que le Conseil Constitutionnel, atténuant de la sorte la force du principe de prévention perçu à l’origine comme une obligation positive des Etats de prendre préventivement toutes mesures concrètes, nécessaires et suffisantes pour protéger les personnes contre les risques liées aux activités à caractère industriel dangereuses par nature.
Le principe de prévention ne saurait cependant être d’une grande utilité, en dehors d’évaluations environnementales permettant d’apprécier au préalable les impacts de tout projet qui pourrait se révéler source de pollution, pour en anticiper les incidences, et en rejeter la réalisation, si ses incidences devaient contribuer à la dégradation de l’environnement ou affecter la santé humaine.
C’est également dans la Déclaration de Rio, en son article 15 que l’on trouve les premières affirmations internationales d’un autre principe non moins essentiel que celui de prévention, s’agissant en l’espèce du principe de précaution présenté en ces termes : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leur capacité. En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ».
Le principe de précaution est essentiel en matière d’urbanisme, au vu de la jurisprudence du Conseil d’Etat (France) comme cela ressort de l’arrêt « Association du quartier Les Hauts de Choiseul » du 19 juillet 2010, mais également en matière sanitaire lorsque la Haute Assemblée dans un arrêt du 12 avril 2013 « Association coordination interrégionale Stop THT » juge « qu’il appartient à l’autorité compétente de l’Etat, saisie d’une demande tendant à ce qu’un projet soit déclaré d’utilité publique, de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques , l’application du principe de précaution ». Dans le cas examiné, les juges étaient appelés à statuer sur les risques sanitaires liés à l’exposition des populations avoisinantes aux champs électromagnétiques d’une ligne à haute tension.
Si les principes de prévention et de précaution se distinguent, le premier énonçant les mesures à prendre face à un événement prévisible, alors que le second a vocation à régir les situations à risques incertains, ils n’en sont pas moins complémentaires.
C’est dans la théorie économique des externalités négatives, formulée par l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou que l’on trouve le fondement du principe pollueur- payeur qui finira par s’intégrer dans tous le programmes d’action en matière d’environnement.
Aux termes de cette théorie, exposée dans son ouvrage « The Economics of Welfare » publié en 1920, et largement commentée en 1960 dans la revue britannique « Journal of Law and economics » n°3 , par le Nobel d’économie Ronald Coase, sous le titre « The problem of social cost », Arthur Cecil Pigou distingue le coût de production d’un bien supporté par l’entreprise, et son coût social composé de tous les coûts externes du bien qui eux, sont supportés par la société dans son ensemble, telles les dégradations, les pollutions inhérentes à l’activité de pollution.
Pour illustrer cette approche, il suffit de faire observer à titre d’exemple, que certaines activités minières entrainent de nombreux coûts sociaux liés aux maladies des travailleurs et aux pollutions générées ; or selon Arthur Cecil Pigou, le prix d’un bien devrait intégrer le coût des externalités négatives pour que ces coûts soient pris en charge par celui qui en est à l’origine, c’est-à-dire le pollueur.
L’objectif recherché est que l’entreprise, amenée de la sorte à supporter l’ensemble des coûts liés à sa production, se retrouve dans le même temps, incitée à encadrer strictement les coûts environnementaux, et donc à prévenir les pollutions liées à son activité.
On retrouve en filigrane le principe pollueur-payeur dans plusieurs conventions internationales, mais c’est l’Organisation de développement et de coopération économique (OCDE) qui, la première va en préconiser l’application, même si c’est de manière non-contraignante, à travers une recommandation du 26 mai 1972 sur « Les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l’environnement sur le plan international » puis une seconde du 14 novembre 1974 sur la mise en œuvre même du principe pollueur-payeur.
Au vu de ces deux recommandations, l’imputation aux entreprises des coûts des mesures de prévention et de lutte contre la pollution, est de nature à favoriser un emploi rationnel des ressources limitées de l’environnement, pourvu que les entreprises impliquées soient privées de toutes aides publiques pour supporter ces coûts, afin de ne pas fausser le jeu de la concurrence, ou d’entraver la liberté du commerce international.
L’OCDE ira plus loin dans sa recommandation du 7 juillet 1989, en préconisant la prise en charge par les entreprises concernées, des coûts inhérents liés aux accidents dus aux substances dangereuses, puis dans une autre recommandation du 31 janvier 1991 relative à l’utilisation des instruments économiques dans les politiques de l’environnement, en affirmant « qu’une gestion durable et économiquement efficace des ressources de l’environnement requiert notamment l’internalisation des coûts de prévention et de lutte contre la pollution ainsi que des coûts de dommages, et que cette internalisation doit être renforcée par une utilisation cohérente des mécanismes de marché. » (A suivre)
*Avocat à la Cour
*Ancien membre du Conseil de l’Ordre
Source : Maitre Taleb Khyar Mohamed