Mauritanie : Un officier de police judiciaire viole une mineure descendante d’esclave (Note d’Information)

Mauritanie : Un officier de police judiciaire viole une mineure descendante d’esclave (Note d'Information)Le 15 mai, le juge d’instruction et le ministère public de la ville d’Aïoun, chef-lieu de la région du Hodh occidental, inculpent, de « viol sur mineure » et « transgression des préceptes de Dieu », le Commandant de la gendarmerie de la localité de Twil.

Certes, les juges ont ignoré les délits flagrants d’exploitation de mineur(e), d’obstruction à la loi et les tentatives de subornation de témoin, mais ils viennent d’ordonner le dépôt du prévenu, en prison. Il est rare, en Mauritanie, que des agents de la force publique répondent de leurs excès de pouvoir.

Il convient de souligner l’importance de l’évènement, non sans en dérouler la genèse et les avatars, quand ils attestent des atteintes caractérisées à la dignité de la personne.

Le déclenchement

Le 12 mai 2020, la section Ira-M de la région du Hodh Elgharbi, à Aïoun, apprend que le commandant de la brigade de gendarmerie dans l’arrondissement de Twil, a été dénoncé par la mère et l’oncle d’une fillette de 12 ans, victime de sévices sexuels. L’enfant, Toutou Mint Kaber, est hartania, c’est à dire issue de la communauté des descendants d’esclaves que la terminologie pudique des gouvernements de Mauritanie, qualifie de « couche vulnérable » ; il s’agit du groupe social le moins exposé à l’instruction, aux services universels de base et sans doute le plus familier de la misère. Au lendemain de la nouvelle, le responsable local de d’Ira, Elhacen Ould Saleck et son adjoint Hamadi Ould Abeidallahi, se transportent vers Twil. La délégation, grâce à ses investigations sur le terrain et aux témoignages de proches, a pu recueillir, situer et corroborer les faits suivants :

1. L’ultime responsable de la sureté des lieux et de la police judiciaire à Twil, le commandant de la brigade de gendarmerie Ahmed Taleb Ould Elmokhtar Ould Cheikh, a loué la fillette Toutou, pour le ménage et les menues commodités de la maison, depuis le début de l’année 2020. Celle-ci œuvrait, chez lui, comme domestique, en contrepartie de subsides d’un montant indéfini, dont sa maman jouissait. Pauvre et démunie, la mère habitait une manière de galetas, parmi d’autres logement de fortune, à proximité de la demeure du protecteur. La maman, Arba Mint Kaber, dit avoir installé sa hutte près du domicile d’un représentant de l’Etat. Ainsi, elle bénéficierait de la sécurité et de la justice, souci en vertu duquel, elle plaçait sa fille chez un gradé de gendarmerie mais aussi afin de gagner une meilleure nourriture et améliorer l’ordinaire.

2. Or, au début du mois de mai 2020, la jeune employée de logis se sentait malade et se plaignait de douleurs et d’un mal-être diffus. Son employeur, l’officier de police judiciaire, l’emmène au centre médical où le personnel de santé informe, Ahmed Taleb Ould Elmokhtar Ould Cheikh, que sa servante se trouve en grossesse, de trois mois ou plus. Le gendarme aurait demandé, à ses interlocuteurs, de procéder à l’avortement mais ils se seraient abstenus de déférer à de telles instances. Le représentant de l’Etat décide, alors, de recourir à l’oncle maternel de la petite, le sieur Sghair Ould Kaber, auquel il promet 15 mille ouguiyas nouvelles, soit 340 euros, en compensation du silence des parents ; en « bon musulman », il promet de convoler avec la fillette grosse de ses œuvres, selon les prescriptions de la charia, dès qu’elle accoucherait. L’oncle décline la proposition et demande, d’abord au gendarme, d’avouer son forfait. Ce dernier élude la réponse, ajourne la discussion et accorde rendez-vous, à son contradicteur, chez les parents de la victime, en soirée du 11 mai 2020. À l’heure dite, le visiteur arrive, en compagnie d’une imposante députation de notables locaux, sous la conduite du maire de Twil. Devant témoins, il propose de remettre, aux parents 100 mille ouguiyas – 2400 euros – en guise de forfait, assorti de l’engagement définitif à clore le contentieux, ici et maintenant.

Le dérapage

3. La famille refuse l’offre d’arrangement. Le commandant de brigade, furieux de subir l’affront en assemblée, lance un défi, à la cantonade : « aucune autorité et aucune justice ne me fait peur ; allez, vous plaindre là où vous voulez ! » Aussi, le matin du 12 mai, la mère et l’oncle, accompagnés par la fillette, portent-ils plainte au chef d’arrondissement de Twil, qui relève de l’autorité administrative, en somme le Ministère de l’Intérieur. Selon les requérants, le fonctionnaire fut très ému par le récit et surtout le détail circonstancié de la contrainte à visée sexuelle. Aussitôt, il rédige une lettre adressée au Procureur de la république du tribunal du Hod Elgharbi. Il y stipule que la fillette Toutou confirme ses griefs contre le commandant de brigade de la gendarmerie de Twil et transmet l’affaire à la compétence du magistrat.

4. Le soir du 12 mai, la victime, sa mère et l’oncle, sont arrêtés et mis en cachot dans les locaux de la brigade de gendarmerie. Et jusqu’à la fin de la journée du 14 mai, les trois ont pris la place du bourreau, conformément à la jurisprudence factuelle de la république islamique de Mauritanie ; selon les témoignages concordants, les prisonniers subissent les intimidations et brimades, pour modifier leurs témoignages et imputer les faits délictueux à d’autres auteurs, notamment parmi la communauté d’ascendance servile. Les anciens maîtres maures, ne devant répondre du viol sur une mineure noire, la gendarmerie de Twil interpelle trois jeunes hratin du village et d’alentour ; deux d’entre eux restaient, en détention, le 14 mai. L’Apartheid empirique de Mauritanie commande la poursuite et la condamnation des coupables de substitution, de sorte que l’impunité, continue d’assurer, à une frange de la population, la garantie de sa prééminence.

Enseignements et recommandations

De facto, la Mauritanie ne protège, les mineurs, de l’asservissement par les adultes, malgré son empressement à signer les normales mondiales en faveur de l’enfance. Pour des raisons à la fois religieuses et anthropologiques, l’opinion accorde, aux parents, une souveraineté déliée sur leur progéniture. Ainsi, des milliers de fillettes et de garçonnets s’échinent-ils au labeur, à l’abri de la moindre assurance-santé ou protection contre l’abus, en particulier la maltraitance, l’usage de la correction corporelle, le mariage forcé et les mutilations génitales féminines ; le salaire, s’il y en, est souvent versé au tuteur. La pratique concerne, à une majorité écrasante, les rejetons de familles hratine, en bas-âge. La présence de ces ombres noires ponctue le quotidien de beaucoup de foyers arabo-berbères où elle perpétue la division raciale du travail, legs de siècles d’esclavage à sens unique ; néanmoins, la barbarie envers les mineurs, surtout les filles, n’épargne aucun milieu. La société tolère les pratiques de l’infériorité infantile et considère, avec méfiance et fanatisme, l’intervention de l’Etat ou du magistrat, au secours du mineur menacé par les siens.

En Mauritanie, le moment est venu de ratifier l’ensemble des instruments de droit international, protecteurs de la femme et de l’enfance – dont, en premier, le protocole de Maputo à la Charte africaine – et les inscrire dans le corpus juridique du pays, à l’occasion d’une loi spécifique. Alors que le Parlement examinera bientôt les termes du projet de pénalisation de la violence au genre, Ira Mauritanie propose, à ses alliés dans l’Assemblée nationale, de s’efforcer, en synergie, à l’éclosion d’une norme qui préserve, les non-majeurs, des outrances et de la débauche, infligés au sein de la parentèle et sous l’immunité des liens du sang. A cette fin, le Commissariat aux Droits de l’homme, à la lutte contre la Pauvreté et à l’insertion est tenu, statistiques à l’appui, de produire et réactualiser, pour les besoins de la comparaison et de la prévention, une cartographie de la vulnérabilité selon l’âge.

Initiative de résurgence abolitioniste en Mauritanie (Ira-M)

Nouakchott, le 15 mai 20120