Quelques 20.000 ménages à Nouakchott ont bénéficié de distribution de denrées alimentaires, une mission qui a été déclenchée dans la nuit du dimanche 12 avril 2020 par l’Armée nationale sur mandat de la Délégation générale de la solidarité nationale et de la lutte contre l’exclusion « Taazour ».
Déjà, des critiques fusent de toute part pour fustiger les critères d’éligibilité, certains dénonçant le clientélisme et le favoritisme qui se seraient glissés dans le choix des ménages cibles, laissant de côté plusieurs familles nécessiteuses et allouant des dons à des familles pas dans le besoin.
Tensweilim, quartier périphérique de Nouakchott, Dar-Naïm. Mouloumnie est furieuse. « Ils sont entrés dans toutes les maisons avoisinantes, et ils m’ont sauté, ces gars qui étaient chargés de recenser les familles, alors que je suis plus nécessiteuses que la plupart d’entre elles !!! » lance-t-elle du haut de sa rondeur à 160 centimètres du sol, la melafha à demi tombée et le visage convulsé par la rage.
Cette mère de six filles, avec un mari retraité, ne pouvait contenir sa colère.
« Je suis d’autant plus en colère que je les ai vus servir des familles nanties, une qui habite dans une maison de deux étages, alors qu’il y a une pauvre famille vivant à côté dans une baraque, une veuve sans revenus avec cinq enfants qu’ils n’ont même pas recensés !!! » harangua-t-elle de nouveau, entourée dans la demi-obscurité de la nuit par une ribambelle de femmes agglutinées autour de la voiture de distribution, une Toyoya blanche bâchée d’un filet de pêcheur.
Dans ce quartier aux rues tortueuses, le rang des mécontents ne cesse de grossir. Une des filles chargées du recensement à l’air vraiment désolé. Affolée face à toutes ces vociférations d’indigents laissés en rade, elle tente de calmer les esprits. « Il y aura un deuxième round de recensement, ne vous affolez pas ; il y a aussi le Hakem et le maire qui ont chacun sa liste ; vous pourrez y aller dès lundi. De toute façon, vous avez encore de la chance pour être recensés ! »
Ces scènes se répètent dans toutes les Moughataas de Nouakchott où des centaines, voire des milliers de voix s’élèvent pour fustiger une distribution de vivres que toutes les familles nécessiteuses de Nouakchott attendaient impatiemment depuis le discours du Chef de l’Etat, Mohamed Cheikh Ghazwani annonçant la distribution de vivres pour 30.000 familles en Mauritanie, dont 20.000 à Nouakchott. Les affres du confinement face au Covid-19 après plus de deux semaines d’état d’exception chauffent les esprits.
Si à l’intérieur du pays où 12.000 familles devront être servies, le problème du ciblage des familles pauvres semble ne pas se poser, l’Etat disposant d’un Registre Social Unique dans le cadre des filets sociaux, Nouakchott n’est pas couvert par le registre. Chaque Hakem, chaque maire, chaque ONG disposant de ses propres listes d’indigents.
« Mais au moment des grandes distributions, toutes ces listes disparaissent et les opérations ne sont plus conduites que selon les connaissances, les parentés, les amitiés. Beaucoup de pauvres passent à travers la trappe» commente un ancien garde qui a servi dans plusieurs régions du pays.
Quelque part, dans le secteur 18 de Dar-Naïm, où certains quartiers sont de véritables concentrés de la misère, aucun phare de voitures de distributions ne vient troubler le sommeil des populations endormies.
La vieille Fatimata Amadou Diallo, grand-mère qui a en charge quatre orphelins, les fils de sa fille Coumba emportée en 2017 par un cancer et dont le père est décédé des années auparavant, est encore éveillée. Aucun kilo de riz ni de sucre ni de lait, aucun litre d’huile ou morceau de pain, n’a été déposé chez elle pour soulager ses douleurs.
Le 13 avril 2020
Cheikh Aïdara
Source: L’Authentique (Mauritanie)