Coronavirus : « Un scénario catastrophe est de l’ordre du possible »

Coronavirus : « Un scénario catastrophe est de l’ordre du possible » En août, plus de 15 millions d’Africains de l’Ouest seront dans une situation alimentaire très critique, prévient Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest à l’OCDE.

Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, créé sous la houlette de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) étudie et appuie le développement des onze pays de la Cedeao, de la Mauritanie et du Tchad (450 millions d’habitants).

Au moment où le Covid-19 a infecté 49 pays africains et tué plus de 200 personnes sur le continent, Laurent Bossard, directeur du Club, demande qu’une petite partie des énormes plans de sauvetage annoncés dans les pays développés soit consacrée à l’Afrique, menacée par un scénario catastrophe et où la famine peut exploser.

Jeune Afrique : Que doivent faire les gouvernements africains pour surmonter la crise économique qui suivra l’épidémie ?

Laurent Bossard : Il faut distinguer ce qu’ils doivent et ce qu’ils peuvent faire. Ils devraient essayer de sauver leurs grandes entreprises aériennes, touristiques, énergétiques comme le font les gouvernements des pays riches en les mettant entre parenthèses pendant l’arrêt de leurs activités. Ils devraient aussi se préoccuper des 80 % ou 90 % de leur population qui vivent dans l’informel et qui se lèvent le matin pour trouver de quoi manger. Il sera compliqué de mettre en place des filets sociaux et des compensations financières pour ces populations difficiles à cibler.

Peuvent-ils le faire ? Non, ils n’en ont pas les moyens, comme l’a dit le Président béninois, Patrice Talon, avec beaucoup de lucidité. Ils sont fondamentalement pauvres et ne disposent pas de milliers de milliards pour intervenir sur leurs économies comme les pays développés. On risque d’assister à une cascade de faillites de leurs grandes entreprises. Quant au secteur informel qui est une éponge, il va se mettre en position de survie.

N’est-il pas temps de desserrer les règles financières qui handicapent l’Afrique ?

Desserrer les exigences des institutions internationales ne suffira pas. Les faibles moyens des gouvernements africains risquent de s’effondrer, compte tenu de la sévérité de la chute de leurs recettes en provenance des exportations de leurs matières premières.

Si on ne trouve pas un médicament, si on ne mobilise par des milliards pour les aider dans cette phase d’urgence, le monde croira être tiré d’affaire au moment où l’Afrique sera confinée avec des taux de mortalité extrêmement forts. En août, entre 15 et 17 millions de personnes se trouveront dans une situation alimentaire très critique dans la seule Afrique de l’Ouest. Les flux migratoires exploseront. Un scénario catastrophe est de l’ordre du possible.

Quelles sont les parades ?

La lutte contre une pandémie se traite au niveau mondial et ses conséquences économiques aussi. Personne n’a intérêt à laisser l’Afrique s’enfoncer alors qu’elle est le dernier marché à conquérir. Il est impératif qu’elle soit incluse parmi les bénéficiaires des « paquets » financiers décidés par les pays développés. Il faut l’intégrer dans tous les plans destinés à restaurer l’économie mondiale.

Par exemple, l’Europe a décidé de mobiliser 1 000 milliards d’euros pour contrer sa crise sanitaire et économique. Si elle consacrait à l’Afrique 0,7 % de cette somme pharaonique, soit 7 milliards d’euros, elle ne ferait que commencer à respecter la promesse faite à l’ONU par ses États membres de porter leur aide publique au développement à 0,7 % du revenu national brut.

Cette crise devrait aussi être l’occasion de remettre en chantier la diversification des économies africaines qui dépendent trop de l’exportation de matières premières non transformées. Pourquoi ne pas concevoir un système qui stabiliserait leurs ressources d’exportations pendant dix ans, en contrepartie d’une multiplication de leurs activités et d’un enrichissement en valeur de leurs produits ?

 

Le 01/04/2020

Par Alain Faujas

Source : Jeune Afrique