MAURITANIE: L’esclavage a la peau dure

Malgré son abolition formelle il y a vingt-huit ans et une loi répressive adoptée en 2007, cette pratique reste plus que jamais en usage, au grand dam de plusieurs ONG qui tentent d’y mettre fin.

“Des cas lourds d’esclavage, à la fois dans leur forme traditionnelle et moderne, persistent en Mauritanie”, a déclaré Mme Gulnara Shahinian, rapporteur spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les formes contemporaines d’esclavage. Ce constat figurera en lettres majuscules dans son rapport. D’où une série de recommandations adressées au gouvernement et à toute la société mauritanienne pour une élimination définitive du fléau, par une stricte application de la loi et des mesures d’accompagnement économiques et sociales. Au cours de ce voyage, Gulnara Shahinian a rencontré les autorités gouvernementales, la classe politique, la société civile et des universitaires. Dans ce document, de nombreux passages argumentés, véritables appels lancéss à la conscience de tous, viennent attester de l’ampleur et de la persistance du phénomène, vingt-huit ans après son abolition formelle et plus de deux ans après l’adoption d’une loi stigmatisant et criminalisant la pratique. Un entêtement social dont les résultats désastreux font que des hommes et des femmes continuent de vivre une condition humaine et une situation de “marginalisation inchangée depuis des centaines d’années” : travailleurs domestiques sans salaire privés de tous les droits, bergers, garçons et filles à tout faire, parfois victimes de sévices, descendance privée d’héritage… Une manière de dire que, même si “les chaînes du Moyen Age ont disparu, la pression subie produit actuellement les mêmes conséquences”.

Ainsi, en ce début de XXIe siècle, nous avons encore sur nos terres des hommes, des femmes et des enfants travailleurs “non libres et généralement non rémunérés, qui seraient juridiquement la propriété d’une autre personne”. Une pratique venue des profondeurs des temps, qui a certes fortement diminué dans les grandes villes mais qui persiste dans certaines contrées reculées. La responsabilité de cette situation est imputable à tous : aux autorités mais aussi à la classe politique, à la société civile, aux intellectuels et à la presse. D’où l’obligation légale et morale pour tous, d’apporter une contribution au combat en vue de l’éradication définitive de cet archaïsme.

Au-delà d’un tableau désolant, une lueur d’espoir

Pour vaincre ce déni de liberté venu de la nuit des temps – et pratiqué par quasiment toutes les sociétés hu­maines à des degrés divers –, le chapelet de recommandations soumis aux autorités mauritaniennes par le rapporteur spécial de l’ONU insiste sur la nécessité de traiter la question de manière transversale : judiciaire, économique et sociale. Les outils ? Rendre l’éducation obligatoire pour tous les enfants, en allant bien au-delà de l’adoption formelle d’une loi dont on ne se donne pas les moyens légaux et matériels d’application ; interdire le travail des enfants ; renforcer les programmes socio-économiques en faveur de la promotion des victimes avec l’appui de tous les partenaires pour le développement. Au-delà d’un désolant tableau, une petite lueur d’espoir. Gulnara Shahinian note avec satisfaction la volonté des autorités gouvernementales d’aller dans le sens d’une éradication définitive du phénomène. Ce qui expliquerait la venue de la mission en Mauritanie. Une thèse à la­quelle ne semblent pas adhérer les ONG de lutte contre l’esclavage, SOS Esclaves et Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA). Celles-ci relèvent notamment que, depuis l’adoption de la loi de 2007 et en dépit de nombreuses dénonciations de cas d’esclavage, “aucune jurisprudence con­damnant les contrevenants n’existe”. Ce qui pose le problème de l’impunité des présumés auteurs de ces pratiques. Estimant que les victimes sont “faibles et incapables de défendre leurs droits”, ces associations réclament en vain depuis plusieurs années – on se demande bien pourquoi on ne leur reconnaît pas ce droit – une législation leur ouvrant un droit à constitution de partie civile chaque fois qu’une présomption d’esclavage est portée devant une juridiction.

En fait, la divergence fondamentale entre les autorités et les ONG est d’ordre sémantique. Pendant que le gouvernement parle d’éradication des séquelles, les associations exigent la fin de l’esclavage. Reste alors à savoir si les séquelles et la pratique actuelle, telles que développées dans les deux thèses, donnent des résultats similaires dans le quotidien des victimes… En tout cas, l’argutie sémantique ne peut justifier la carence des tribunaux. La loi existe et c’est bien sa stricte ap­plication, fût-elle occasionnelle, qui prouvera la volonté politique. Pas les discours.

Amadou Seck

Source: lecalame.info