1) A.H.M.E.: Bonjour Brahim Ould
Bilal Ould Abeid. Les lecteurs de notre site www.haratine.com ne vous
connaissent peut-être pas assez. Si ce n'est à travers vos articles déjà
publiés. On sait que vous êtes professeur de Philosophie et vice président de
l’Association SOS-discriminés. Présentez vous à nos lecteurs ?
Brahim
Ould Bilal Ould Abeid : Je suis professeur de philosophie depuis 1987. Comme
preuve palpable de l’injustice que nous vivons, je tiens toujours la craie,
alors que mes élèves Maures, ou, du moins le peu qui en restent encore dans ce
secteur, viennent sans gêne m’inspecter dans mes salles de classe! J’appartiens
à El Hor, mais je ne suis pas à APP, malgré les bonnes relations que
j’entretienne avec ses différents cadres. Je précise, à l’occasion que El Hor
n’a jamais été une organisation ni une formation mais, une mouvance ou plus
exactement une conscience. J’avais commencé à approcher mes semblables dans
cette mouvance depuis les années 80.
J’ai servi le mouvement à Rosso,
Aleg, Boghé Noukchott et bien entendu à Boutilimit, ma ville natale. J’ai
assisté activement à la création de AC (Action pour le Changement) qui était
pour moi la première consécration de cette conscience devenue le cadre idéal
dans lequel les Hratines de tous bords pouvaient y voir leur image et trouver
leurs comptes. Je me disais, à l’époque désormais, personne ne pouvait rien
imposer aux Haratines, ni les exclure. Hélas très vite je suis tombé des nues.
Ce que je croyais impossible est devenu vrai. Et ironie du sort, C’est moi-même
qui l’ai subi. On m’a exclu purement et simplement par mes aînés lesquels me
reprochaient de porter la contradiction, sur des sujets d’ordre organisationnel
et stratégique. J’étais surpris. C’est normal, car pour la première fois je me
rendais à l’évidence que nos dirigeants sont allergiques aux critiques et
réfractaires au débat intellectuel et politique que requière l’implication de
l’intelligentsia, en général, et des cadres, en particulier. Ainsi peu à peu,
les intellectuels furent bannis les uns après les autres, à la suite de
plusieurs campagnes de chasse à la sorcière dont la plus illustre était celle de
1998 consacrée par la ferme décision de renvoyer tous les récalcitrants,
notamment, le groupe de cadres auquel j’appartenais. Ainsi avons-nous été
expulsés de AC par la simple volonté du boss, parait-il. C’était - dit-on - pour
faire plaisir à un de ses plus fidèles lieutenant et ce, face l’impuissance des
autres membres de la « qiyada).
C’est parce que nous avions la ferme
volonté de rester à l’opposition que nous avions rejoint l’UFD/EN qui deviendra,
peu après notre arrivée, le RFD. Par cette décision courageuse, nous
constitutions le premier groupe de cadres, dans l’histoire de la très jeune
démocratie mauritanienne qui quitte un parti de l’opposition pour aller vers un
autre de l’opposition. Ce parti constitue aujourd’hui le cadre auquel mon groupe
politique et moi appartenons et nous y représentons El Hor !
2) A.H.M.E. : Vous êtes membre fondateur de SOS-Discrimés.
Parlez-nous de ses buts et de ses activités.
B. O.B.A. : La naissance de
SOS DISCRIMINES dont l’objectif est de créer des références pour la jeunesse
mauritanienne se justifie essentiellement par deux raisons :
*
Une forte volonté de dépolitiser la Société Civile mauritanienne. Car il
faudrait absolument couper le cordon ombilical avec les partis politiques. D’où
notre cadre strictement apolitique qui a permis de fédérer plusieurs bonnes
volontés de différents horizons autour de cet ambitieux projet.
*
la
nécessité de mener des actions concrètes en faveur de ceux qui sont victimes de
discriminations. Ainsi, des centaines d’élèves en classe de terminale seront-ils
entièrement pris en charge pour lutter contre l’échec scolaire. D’autres actions
sont également entreprises, notamment, le renforcement des capacités des ONG
absentes dans les medias malgré leur travail énorme auprès des victimes
(formations, mise en place de sites Internet, médiatisation de leurs activités,
etc.). Un prix est décerné, chaque année, à l’homme ou à la femme qui se serait
illustré(e) dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Cette
initiative contribuera sans nul doute à faire sortir de l’anonymat ces milliers
de bénévoles, complètement méconnus du grand public
Je remarque, au
passage, que nos activités programmées pour l’année 2010 n’on pu être exécutées
pour des raisons internes, et indépendantes de notre volonté. Nous envisageons
de les reprendre d’ici peu et peut-être sous une nouvelle formule !
3) A.H.M.E. : Les Abid (sclaves) et les Haratine (Affranchis)
étaient et demeurent toujours exclus de l'enseignement traditionnel et dans une
large mesure de l'enseignement moderne. Certains Adwaba (Villages haratine) sont
plus peuplés que des grandes et des moyennes villes de Mauritanie. Et pourtant,
souvent ces villages sont dépourvus d'écoles, de collèges et de lycées.
Décrivez-nous la situation de l'enseignement dans les milieux haratine
qu'il s'agisse des Adwaba, des quartiers ou villes à prédominance haratine ou
les Kebba (bidonvilles), etc. ?
B. O.B.A.: L’enseignement dans ces zones
est un véritable laisser-aller et laisser-faire. Rien ne motive les enseignants
à vivre dans cette misère, lot quotidien des Haratines des Adwabas et autres
bidonvilles des banlieues où le niveau de déperdition atteint son apogée.
Certaines écoles sont sabotées par l’administration Beydane sous les auspices du
système dominant parce que ces nègres marron n’acceptent plus de suivre les
maîtres. Pour la petite histoire, en 2001, le village de Daghveg (Boghé) a
obtenu l’appui d’un volontaire du corps de la paix américain pour la
construction de leur école. Le Hakem de Boghé dont dépend le village ne s’est
pas gêné d’affecter l’enseignant, l’envoyant chez-lui à Male. Pourtant cet abus
de pouvoir est resté impuni !
Les problèmes qui affectent l’enseignement
tout comme la propriété terrienne et beaucoup d’autres domaines encore
persisteront parce que les commis d’Etat sont recrutés parmi les esclavagistes.
Ce sont les maîtres d’esclaves qui sont aujourd’hui promus walis, Hakem, chef
d’arrondissement, Cadi. Donc auprès de qui faut-il vraiment porter plainte ? Un
maître qui est à la fois juge et parti ? Où réside alors le salut !
4) A.H.M.E. : A partir du régime de Ould Taya, la thèse de tous
les pouvoirs réside dans la négation de l'esclavage et la reconnaissance des
séquelles de celui-ci. Quel jugement portez-vous sur cette attitude ?
B.
O.B.A.: C’est une fuite en avant qui ne convainc personne. Et pourtant on
revient toujours pour abolir de nouveau l’esclavage. Un mythe de Sisyphe aussi
usant qu’absurde et qui se révèle d’autant plus risible que baroque. Comptez
avec moi : Tout d’abord, la constitution de 1961qui avait timidement reconnu
l’égalité des hommes devant la loi, Puis l’ordonnance de 1981 abolissant
l’esclavage suite au fameux procès de Rosso ; ensuite, l’interdiction de la
vente des personnes en 1998 ; enfin, la loi criminalisant toute pratique
esclavagiste en 2007. Tout cela et on continue à dire, contre vents et marées,
qu’il n’y en a que des séquelles ! Quelle contradiction ? Mais, on n’a pas honte
!!! Non ! chez nous le ridicule ne tue pas. Demain encore, il y aura une autre
loi. Dieu sait comment ils la baptiseront !
Les cas d’esclavage avérés
présentés aujourd’hui (Oum el kheyr de Yaghref et son affaire avec Colonel
Viyyah, Mohamed de Bassiknou et ses dix enfants pris en otages par des maîtres
toujours en cavale, mais aussi le cas le plus récent (Octobre 2010), en
l’occurrence, celui de Aichetou et sa famille, esclaves de Ould El Veyjeh
(Rosso)) sont tout à fait frappants. S’il n’y a qu’un seul esclave, l’esclavage
existe encore. Qu’en est-il, cependant, quand il ne se passe deux à trois mois
sans qu’un nouveau cas d’esclavage avéré ne soit présenté à l’opinion. Il y a,
hélas, des centaines de milliers d’esclaves qui sont reclus, assujettis, à
travers la Mauritanie. Les esclaves existent partout : à l’intérieur du pays,
dans la Mauritanie profonde, à Nouakchott, notamment dans les luxueux palais des
Ministres, des hauts fonctionnaires de la République, des Maures. Quand vous
visitez n’importe quelle maison à Tevragh Zeina (quartier chic de Nouakchott),
la petite personne noire qui vous ouvrira la porte est une esclave amenée par la
femme. Le boy est un esclave asservi sous une autre forme. C’est le cas du
chauffeur, du cuisinier même les plantons qui sont aux bureaux ! Gare à celui
qui quitte ses anciens maîtres. On lui notifie que plus rien ne sera comme
avant, qu’il ne jouira plus de droits, que plus jamais on ne lui réglera un
problème, qu’il ne sera plus à l’abri de bavures policières ou autres. On lui
dit qu’esclave marron, il n’a plus le droit aux soins ni au travail, ni encore à
un lopin de terre. On lui crie dans le nez que ses enfants n’auront plus droit
au cas où ils auront décroché leurs baccalauréats une bourse en Libye ou en
Syrie, les seuls pays disponibles pour les bacheliers Haratines ; car les
bacheliers Maures n’en veulent pas.
Voila ce que j’appelle, moi,
séquelles de l’esclavage. Quand tous les gouverneurs sont des esclavagistes
ainsi que les Hakems et les Cadis, quand toutes les faveurs sont entre les mains
des esclavagistes on peut parler de séquelles. Et pour longtemps encore ! C’est
normal parce qu’en réalité l’Etat Mauritanien signifie un legs d’infamie qui a
pour nom des séquelles tarabiscotées sur fond d’esclavage.
5)
A.H.M.E. : Le régime de Ould Abdel Aziz se singularise par le fait d'ignorer la
communauté haratine dans ses discours et dans les programmes politiques.
Percevez-vous cette singularité et que vous inspire-t-elle ?
B. O.B.A. :
Pour moi, le régime actuel est le simple clonage du système de Taya,
particulièrement en ce qui concerne la question des Haratines. Voila comment ces
derniers se présentent sur l’échiquier de la hiérarchie administrative : 3
Ministres / 30, 1 wali / 13, 1Hakem sur 54, 1 et j’ai honte de continuer la
longue liste d’énumération insultante qui n’épargne aucun domaine
socioprofessionnelle, paramilitaire et même militaire. La nomination de mon
condisciple et camarade de promotion comme ambassadeur à Genève nous rappelle
exactement O. Taya qui avait nommé un Haratin à Washington pour desservir la
cause des esclaves et anciens. Ainsi, à chaque fois que Biram arrivera à Genève
il sera accueilli par la voix rouée de Zahav qui se plait dans son rôle de cache
sexe. Bref, Aziz est un vrai élève de Taya lequel a longtemps essayé de tromper
les Mauritaniens naïfs. Il ne daignera guère éradiquer l’esclavage parce qu’il
est investi de la mission de sauver le système dominant dont il se sert. C’est
son réservoir de grands électeurs accrochés à leurs privilèges indus et
ataviques lesquels tirent leur raison d’être de l’entretien et la pérennisation
des pratiques esclavagistes. En effet, sans un tel environnement, Kaba ne sera
plus notable disposant des clefs de Kankoussa, peuplée à 90% d’esclaves. Idem
pour Barkéole, Moudjeria, Rkiz, Tidjigja, Amourj et la liste est très longue !
Cette vieille nouvelle démarche prouve que Ould Abdel Aziz est, jusqu’à la
preuve du contraire, insensible à la question Haratine.
6)
A.H.M.E. : L’Assemblée Nationale a voté une loi en 2007 incriminant les
pratiques esclavagistes sur l’ensemble du territoire national. Cette loi
est-elle appliquée par les Autorités mauritaniennes ? Et quelles sont les causes
de son inapplication ?
B. O.B.A. : Cette loi n’est pas du tout appliquée
et ne le sera jamais tant que ceux qui sont choisis pour la mettre en œuvre
sont, eux-mêmes, des esclavagistes distingués. Comme je l’ai dit haut, et je ne
le dirai jamais assez , aussi longtemps que les hakems, les walis et les cadis
resteront exclusivement des maures comme maintenant, donc juges et parties, il y
a rien à espérer. La loi restera lettre morte.
Il n’y a aucune volonté
de changement. Le racisme d’Etat tel que nous le vivons aujourd’hui est de toute
évidence incompatible avec une quelconque reforme. L’Etat Mauritanien est un
état esclavagiste et la place qu’occupent les esclaves est la même qu’ils ont
toujours occupé dans la tribu et les fractions tribales. Et l’esclave-Zoulou, le
résigné qui dénonce les esclaves marron profite de la largesse de ses maîtres et
l’histoire le retient comme quelqu’un de «bon». Voila les rôles joués par les
grandes familles historiques, Chioukh edebaye, c’est-à-dire les secrétaires des
chefs des tribus. Ce sont ces outils auxquels s’identifie Bodiel Ould Houmeïtt
en parlant de Haratine n’ayant jamais vécu l’esclavage. Mais ce qu’il oublie est
que les Haratines de Tendgha étaient tous esclaves. Ils n’eurent leur liberté
qu’à la suite d’une scission où ils ont vaincu leurs maîtres avant de s’en aller
et peupler la côte maritime. Quant à Dina dont les fesses ne sont sorties de
l’eau qu’après avoir cassé la grève de 1990, contre le juteux poste de SG de
l’UTM. Son statut d’être libre et son rang de notable sont tributaires de faits
historiques que nous connaissons. Rien ne peut dire qu’il n’a jamais connu les
affres de l’esclavage. C’est le cas aussi d’Ehel Sbaghou et, surtout, Ehel
Hommoddy que Monsieur Boïdiel cite comme étant les prototypes de Haratine jamais
soumis à l’esclavage. Boïdiel ignore l’histoire des tribus et celle de
l’esclavage. Ni sa richesse ni le mariage de ses sœurs à des Beydhanes ne
pourront faire oublier son passé. Cela est d’autant plus que ces ex-maîtres
existent. Il y en a même qui le lui ont rappelé un jour lors d’une des
bouillantes campagnes d’implantation du PRDS. Il y a une minorité de Haratine
qu’on appelle Khadhara qui n’ont jamais été soumis, mais Boïdiel et ceux-là
qu’il a cités n’en font partie. Ces Khadhara ne représentent pas 1 % des
Haratines. C’est l’exception qui confirme la règle.
Aujourd’hui, les
Haratines qui refusent le statu quo se retrouvent sous embargo parfois même, du
fait de leurs semblables voire leurs cousins.
7) A.H.M.E. : Les
pouvoirs en Mauritanie, la Féodalité, les tendances nationalistes maures, les
partis politiques... défendent l'arabité des Haratine. Quel est votre point de
vue sur ce sujet ? L'arabité des Haratine peut-elle contribuer à leur
affranchissement et à leur émancipation ?
B. O.B.A.: Je ne peux pas
concevoir le fait que les Haratines soient toujours considérés des sujets, des
mineurs pour qui on doit décider. Les maures avaient œuvré à nous réduire à
l’esclavage et quant ils se sont rendus compte que nous n’acceptons plus
l’exploitation, ils s’orientent maintenant vers d’autres méthodes visant notre
instrumentalisation. Ils s’évertuent à décider à notre place ce que nous sommes.
Ce sont eux et pas nous qui décidons de notre arabité. C’est à eux de dire que
nous ne sommes pas nègre ni même mulâtre. Ils rejettent en bloc nos choix, nos
différences, nos particularités. Notre identité, ce sont eux, toujours comme
hier, qui doivent en décider. Mais, au nom de quoi ? Oublient-ils que nous ne
sommes plus les moutons de panurge que nous fûmes ? Arabes pour justifier leur
entreprise hégémoniste. Jamais ! Parce que cette arabité (li haajetin vi nefsi
ya’quba) est le fruit de manœuvres politiciennes visant notre phagocytose et la
minorisation des Négro-africains ! La vérité est que nous ne sommes ni arabes ni
négro-africains. Nous sommes Haratines, c'est-à-dire, un trait d’union entre les
arabes et les Negro mauritaniens. Un produit inédit. Nous sommes historiquement
Négro-africains, noirs de race et culturellement négro- arabo-berbère. Nous nous
assumons sans complexe aucun. Le Haratine n’est pas un affranchi tel que la
mémoire collective des maîtres tient à nous définir. C’est des hommes qui, à
travers le temps, ont su se distinguer par l’apprivoisement de la terre, par la
culture. Les Haratines sont partout, dans tous les pays voisins de la Mauritanie
: le Sénégal, le Mali, le Maroc, l’Algérie et le Niger... Nous avons des
parentés avec les Darfouri. Je lance un appel à tous les haratines de la zone,
ainsi qu’à tous les anciens esclaves dans les milieux négro-africains de s’unir
et créer le Sahel des Haratines.
Nous sommes un résultat historique de
la jahiliya, je veux dire, la période antéislamique, celle qui a duré des
siècles de domination anarchique et vandalle des arabo-berbères de la
Mauritanie... Pourquoi ceux qui tiennent à tout prix à nous coller l’étiquette
d’arabité ne se rappellent-ils pas qu’ils sont en quête de cette arabité et
(vaqidu ishshey ‘i la yu’tihi), celui qui n’a pas la chose ne peut pas la
donner.
8) A.H.M.E. : Les Haratine sont partagés entre les
tribus maures. Le système tribal assure leur isolement et empêche leur
solidarité. Peut-on arriver à la libération des Haratine sans déconstruire le
système tribal qui secrète leur asservissement ?
B. O.B.A. : Il faut
impérativement déconstruire le système tribal que les maîtres veulent utiliser
en guise d’instrumentalisation. Une nouvelle forme d’esclavage est en train de
s’instaurer. Elle réside dans les tentatives velléitaires des maîtres de jouer
le rôle d’intermédiaire entre les Haratines et l’Etat. Voila ce que nous
appelons le racisme d’Etat. Les Haratines n’ont pas droit à la propriété
terrienne. Du fait que celle-ci appartient à la tribu, seuls les nobles en
disposent. Pire, le foncier s’utilise comme moyen de chantage sur les Haratines
pour les maintenir dans la soumission. Nous, Haratines, nous n’avons pas besoin
de tribu mais d’un Etat républicain. Or cela demande une refonte générale de la
société et une reconstruction sur de nouvelles bases. Car l’Etat Mauritanien est
fondé sur l’esclavage, c’est un Etat esclavagiste !
9) A.H.M.E.
: Les Oulémas sont très remontés contre les abolitionnistes. Il y a eu des
prêches assez virulents à l'endroit des militants de l'IRA- Mauritanie. Quel est
le but de cette offensive des Imams ?
B. O.B.A. : Les Oulémas sont des
intouchables. Ils portent l’habit de la religion. Mais, l’état des lieux montre
qu’ils sont responsables de cet esclavage. Ce sont, en fait, eux qui l’on
légiféré, légitimé et perpétué des siècles durant par une jurisprudence issue de
falsification des textes. Plus grave encore, ils persévèrent. Nuls remords.
C’est dire qu’ils sont loin d’être prêts à rectifier le tir. Puisque tel est le
cas je me demande qu’est ce qu’ils peuvent attendre de nous. Le clergé est le
premier responsable de notre situation. Biram a parfaitement raison de toucher
cette fibre ! Je partage entièrement son point de vue ! Et j’appelle les
haratines à étudier la religion pour montrer les âneries de ces Oulemas et leur
hypocrisie, à l’exception du très vénéré Mohamed Ould Sidiya Yahya.
10) A.H.M.E. : A l'adresse des Haratine, le pouvoir en
Mauritanie est double. Il y a l'Etat et la Féodalité maure. Une solidarité
ethnique et politique existe entre ces deux pôles. Quelle stratégie adopter pour
aboutir à l'abolition de l'esclavage et du racisme ?
B. O.B.A.: Vous
avez tout dit, c’est une solidarité ethnique et politique entre l’Etat et la
féodalité maure qui existe. L’un et l’autre sont deux faces pour une monnaie.
Tous deux oeuvrent pour le maintien du statu quo. Voila comment l’Etat
mauritanien fut fondé. La stratégie à adopter pour abolir l’esclavage passe par
une lutte sans merci afin d’ébranler les fondements de cette solidarité. Il faut
remettre en cause la place de ces Oulémas faux dévots, dénoncer le partage
inégal des richesses de ce pays, combattre cette solidarité et la détruire
définitivement. Je pense qu’il y a des cadres Hartines qui ont pris leur destin
en main et ils sont déterminés à combattre ce système anachronique. Je lance un
vibrant appel à la jeunesse Haratine pour s’assumer et prendre le taureau par
les cornes : “Dieu ne changera pas le destin des gens tant qu’ils ne changent
eux même ce qui est dans leurs propres âmes” !
11) A.H.M.E. :
L'Etat mauritanien, la féodalité maure, les nationalistes arabo-berbére jouent
beaucoup sur la comparaison entre l'esclavage négro-mauritanien et le leur pour
conforter leur inertie face à l'abolition.
D'abord, donnez-nous votre
lecture de l'esclavage négro-mauritanien ? Ensuite est-il comparable avec
l'esclavage maure ?
B. O.B.A. : L’esclavage est un crime contre
l’humanité et il existe sous toutes les formes et dans tous les milieux y
compris celui des Négro- africains mauritaniens. Présentement, il y a une
affaire d’esclavage à Diaguily où une coopérative d’anciens esclaves s’est vue
refuser la réception d’un financement qui lui était destinée. La raison est que
les maîtres réclamaient la possession de la terre bien que c’étaient les
esclaves qui la mettaient en valeur. L’esclavage tel qu’il est pratiqué chez les
Négro-africains est certes archaïque et abject. Mais il ne saurait aucunement
cacher l’ampleur de l’esclavage chez les maures. Ne serait-ce qu’à cause du
poids démographique des haratines (esclaves de fait et de naissance) qui font à
eux seuls plus de 50% de la population nationale ; alors que les Négro-africains
mauritaniens, toutes castes confondues, en font 25%, à peu près, a égalité
inconfortable avec les maures, et je pèse mes mots !
12)
A.H.M.E. : Le fait que plusieurs ONG, Associations, Forces syndicales,
Mouvements et Partis politiques s'occupent de l'abolition de l'esclavage maure,
constitue, de notre point de vue, un progrès important. La tâche est immense et
les ennemis de notre cause sont nombreux et puissants (Etat, Féodalité, Partis
et Mouvements nationalistes arabo-berbéres ...)
La seule condition objective
est de ne pas être une création et une manipulation des ennemis de l'abolition
effective. Dites-nous votre approche sur ce sujet
B. O.B.A. : Cet
ensemble divers et multiples que vous évoquez qui prend à bras le corps nos
problèmes, c’est la somme des résultats palpables de notre lutte, à nous tous !
Même ceux qui sont contre nous, nous les servons. Ils en sont tous conscients.
Notre lutte a toujours été une occasion pour des Haratines résignés de profiter.
On peut en citer le combat de Messoud, Boubacar et les autres camarades contre
l’esclavage et l’exclusion qui a entraîné la promotion des noms tels que Sghair,
Med Ould Haymer, Boïdiel, Ould Merzoug, Ould Zahaf et bien d’autres.
Aujourd’hui, notre combat profite à une nouvelle génération de cadres Haratine,
caisse de résonance de la féodalité maure (les directeurs de l’habitat, de la
fonction publique…). Nous en sommes conscients. Mais, le chien aboie la caravane
passe !
On dit souvent que les cadres Haratines font de l’esclavage un
fond de commerce. Ce qui est totalement faux. La réalité est que c’est l’Etat
mauritanien qui fait de l’esclavage un fonds de commerce et, ce par la
distribution des postes et le simulacre de lutte contre la pauvreté et
l’ignorance exploitées auprès des bailleurs pour obtenir des subventions et des
financements au préjudice des haratines éternellement maintenus dans l’exclusion
et l’indigence !
13) A.H.M.E. : D'aucuns estiment que la
discrimination positive dans le cadre d'une abolition réelle de l'esclavage est
une solution à l'adresse des Esclaves et des Haratine. Que pensez-vous de cette
idée ?
B. O.B.A. : Pour éradiquer complètement l’esclavage et traiter
conséquemment ses séquelles il faut de mon point de vue trois choses
essentielles :
1- Une demande d’excuses présentée publiquement par le
Président de la République au nom de tout le peuple mauritanien pour l’ensemble
des crimes liés à l’esclavage perpétré en Mauritanie. Cela doit être au cours
d’une cérémonie officielle à laquelle assistent les faqihs, imams et autres
théologiens membres du clergé ayant, des siècles durant et pendant cinq
décennies d’indépendance, entretenu les pratiques de l’esclavage et leurs
corollaires, à travers la légalisation de cette barbarie séculaire loin de toute
condamnation éventuelle, ne serait-ce que des bouts des lèvres ;
2-
Conception et mise en œuvre d’une politique claire basée sur la discrimination
positive dans tous les domaines socioéconomiques et professionnels, à l’instar
de l’éducation, la santé, la fonction publique, le secteur informel
(agriculture, petite et moyenne entreprise). Ouvrir grandement la porte à cette
couche sociale et assurer rapidement son intégration dont le gage de bonne
volonté réside dans la révision systématique des critères de nomination
souscrits encore aux lois de l’hégémonie maure et dont les cadres Haratines sont
les seuls à en faire les frais.
3- Réparation des esclaves et anciens
esclaves contre plusieurs siècles d’exploitation inique, somme toute,
responsable de leur misère économique et leur retard intellectuel. Ce qui ne
saurait se faire sans la distribution d’enveloppes financières mais également,
et surtout, l’attribution à titre individuel des titres fonciers.
14) A.H.M.E. : La Constitution mauritanienne ignore la
communauté haratine. Cependant, elle évoque les Arabes et les
Négro-mauritaniens. Les Berbères se considèrent comme des Arabes. Les Haratine,
groupe prédominant au plan démographique et ayant ses spécificités historiques,
peuvent-il se libérer de l'esclavage et du racisme sans être pris en compte dans
la loi Suprême de la Nation, à savoir la Constitution ?
B. O.B.A. :
Notre lutte a pour fin de consacrer notre existence dont la condition sine qua
non est la reconnaissance officielle de notre identité. Tôt ou tard la
constitution reconnaîtra les Haratines comme étant une communauté qui a ses
spécificités propres. Pour cela il faudrait que nous, intellectuels, sachions
que notre combat n’est pas uniquement sur le plan politique ou des droits de
l’homme, mais aussi sur le front culturel. Voilà le devoir qui incombe à notre
intelligentsia : Professeurs, chercheurs, sociologues, linguistes… Pour cela
nous nous devons de transférer, comme vous l’avez exactement compris, le combat
sur le terrain médiatique et nous intéresser à la presse pour diffuser notre
discours et faire entendre nos exigences.
La loi dont vous parlez est
taillée sur mesure par ceux qui l’ont élaborée. Ils se considèrent arabes. C’est
leur choix. Il est de notre devoir de le respecter. En revanche il est de leur
devoir de respecter le notre. En effet, vouloir imposer nous leur propre
volonté, c’est inadmissible. C’est une absurdité monstrueuse que nous
combattons. Car il n’y a que nous-mêmes qui devions décider ce que nous sommes.
Pour le moment les efforts sont concentrés sur l’éradication totale et
conséquente de l’esclavage ; sur la lutte contre le racisme d’Etat qui menace
aujourd’hui l’unité ; sur la répartition juste et équitable des richesses
nationales dont une seule communauté en détient de façons indues le monopole.
C’est dire, qu’en dépit de notre impatience, force est d’être méthodique et
organisé. Nous avons une vision globale, mais pour plus d’efficacité et de
pragmatisme il va falloir souscrire à notre agenda et laisser de côté
l’improvisation.
Les mauritaniens se rappellent tous des conditions dans
lesquelles cette constitution a été préparée et votée. En effet, en 1991 le pays
pataugeait dans les méandres des conflits sur fonds de guerre de leadership
entre arabo-berbères et négro-africains. Tout le monde se rappelle, qu’à
l’époque, nous avions exigé que la constitution comporte un passage qui
reconnaît explicitement les Haratines comme une composante à part entière. Cette
revendication se pose aujourd’hui encore, avec plus d’acuité. La réalisation de
cette exigence est obligatoire et irréversible. Car on ne peut pas continuer
indéfiniment à ignorer le droit à la différence de plus de 50 % de la population
nationale ; surtout, parce temps où ils sont plus que jamais déterminés à aller
jusqu’au bout de leur combat. Toutes les forces vives haratines ne cachent pas
leur détermination quant à chercher de nouvelles formes et outils de lutte.
15) A.H.M.E. : Que pensez-vous des activités de l’Association
des Haratine de Mauritanie en Europe ?
B. O.B.A. : Je félicite tous les
camarades membres de l’association qui ne se sont jamais lassés de consacrer
tout leur temps et leurs efforts à ce grand et long combat dont les résultats
commencent à se faire sentir. En effet, le niveau considérable de prise de
conscience des cadres et intellectuels Haratines, de la jeunesse des centres
urbains tout comme celle des grandes localités rurales, tout cela est
significatif. Vous y êtes pour beaucoup.
Chapeau à Monsieur Mohamed
Yahya Ould Ciré et à Monsieur Diko Hennoune pour l’efficacité de leur travail.
Nous vous exhortons à initier une version arabe. Car le site intéresse tout le
monde, notamment, la jeune génération Haratine. Malheureusement, ces derniers
sont en général formés en arabe. Ils sont le fruit de l’éducation sectaire et
néo-fasciste ayant donné deux types citoyens mauritaniens qui ne communiquent
plus, ou, presque. Alors faut-il que vos activités puissent toucher le pays sur
le plan politique, social et économique. Et pour cela il va falloir avoir une
affiche à l’intérieur.
Nous vous prions de ne point verser dans les
querelles intestines qui nous desservent. Tous ceux qui s’opposent au système,
peu importe les divergences qui peuvent les opposer, servent de près ou de loin
notre cause. Les différences d’appréciations existeront toujours entre
intellectuels. Elles sont formelles mais point essentielles car elles
n’affectent pas le fond du combat, je veux dire son essence. A l’intérieur comme
à l’extérieur, nous nous devons de rester mobilisés, vigilants, et unis.
16) A.H.M.E. : Votre dernier mot à nos lecteurs ?
B.
O.B.A. : Que tout le monde sache que nous sommes plus que jamais déterminés à
aller jusqu’au bout dans notre lutte contre ce fléau qu’est l’esclavage et
l’esclavagisme. Les pratiques d’esclavage existent bel et bien en Mauritanie.
Elles persistent malheureusement parce qu’il y a une volonté claire de les
ignorer et de combattre ceux qui les dénoncent. C’est l’une des manifestations
vives du racisme d’Etat bien entretenu par le système dominant. Nous sommes
victimes d’un embargo qui vise à nous appauvrir davantage, nous imposant le
silence et la mort en douce ! Il faut que les haratines de la diaspora
s’organisent pour aider les Adwabas et les bidonvilles par la création
d’infrastructure de base, surtout, en matière de santé et d’éducation. Il faut
trouver des bourses pour les jeunes haratines afin qu’ils se forment dans de
bonnes écoles ! J’appelle nos frères Négro-africains de Mauritanie, à plus de
coopération ! Je lance un pareil appel fraternel à nos frères Maures. Car il y a
parmi eux aussi d’honnêtes gens. La porte leur reste ouverte. Largement ! Je
voudrais qu’ils profitent de cette occasion pour oeuvrer en faveur de l’unité
qui passe par le bannissement des pratiques odieuses de l’esclavage. Je tiens à
ce qu’ils sachent que les Haratines ne portent aucune rancune, mais ne tolèrent
plus qu’ils soient traités comme de petites gens, sous les auspices des forces
occultent parrainées par le racisme d’Etat.
Avec eux ou sans eux, le
changement est fatal. Il vaut mieux alors de contribuer à cette entreprise et
être au rendez-vous avec l’histoire. Je félicite au passage l’engagement et les
sacrifices consentis par Jemal O.Yessaa et Pr. Ely Mustapha, Mr. Ahmedou Ould
wadiaa, Cheikh Tidjane Bathily…Il sont nombreux qui ont opté pour le même choix…
Nos excuses de ne pouvoir citer tous les noms. Nous sommes sensibles à leurs
actions. Nous les remercions sans exceptions.
A.H.M.E. : Merci
Brahim Ould Bilal Ould ABEID d’avoir répondu à nos questions
Octobre
2010
Source: www.haratine.com