LE JOURNAL :
A.H.M.E.
LE CRI DU HARTANI N° 4 (juillet 2002)
La naissance du bulletin trimestriel dénommé "Le Cri du Hartani".
Poème en Hassania du poète Haratine Mohamed Deya ould M'Khaïtir "Si j'ai traversé vers le terre de Rome *(2) C'est parce que je veux me séparer des Arabes. Je ne suis pas les chiens qui n'apprécient Que ceux qui les étranglent".
"La lutte et la révolte impliquent toujours une certaine quantité d'espérance, tandis que le désespoir rend muet." Charles Baudelaire
Le "Cri de Hartani" est le bulletin de l'A.H.M.E. (Association des Haratine de Mauritanie en Europe) 3, allée Fernand Lindet - 93390 Clichy-sous-Bois. L'A.H.M.E. a été créée le 13 juillet 2001 et déclarée au Journal Officiel Français n°32 du 11 août 2001 sous le n° 2136. L'A.H.M.E. peut être consultée sur Internet : www.journal-officiel.gouv.fr.
Le "Cri du Hartani" répond à un besoin fondamental, celui d'évoquer les multiples problèmes que vivent les Haratine, c'est-à-dire les esclaves de Mauritanie. Qu'il s'agisse de la négation humaine (réduire la personne humaine à l'animal), en passant par la vente, le viol, le lynchage, la castration ou de supprimer la vie, tout ceci est vécu, au jour d'aujourd'hui par les Haratine (esclaves) de Mauritanie du fait des esclavagistes dont l'Etat est un des membres.
Quelle est la place des haratine ? Quels rôles jouent-ils dans la société arabo-berbère ? Que représentent-ils sur le plan démographique ? Que fait l'Etat mauritanien à leur adresse et quel rôle joue celui-ci dans le maintien de l'esclavage ? Que dit l'Islam et que fait-on en son nom ? Quelles sont les différences et les interactions entre l'esclavage arabo-berbère et l'esclavage dans la société négro-mauritanienne ?
LA SPECIFICITE HARATINE Les Haratine sont d’origine négro-africaine et de culture arabo-berbère. Par la couleur de la peau, ils se rapprochent de leur origine Négro-africaine. Par assimilation, ils ont adopté la culture arabo-berbère. Cela crée une affinité culturelle avec les Maures. Pour autant, les Haratine ne sont pas des Arabes.
L’élément culturel en soi ne constitue pas une preuve de l’arabité des Haratine. On peut être arabe et appartenir à une autre culture. Par exemple, les enfants des immigrés du Maghreb en France. Ils se considèrent souvent comme des Arabes. Or, ils ne parlent plus l’arabe ou très peu. La seule langue qu’ils connaissent est le français. Mais cette appartenance culturelle n’efface pas l’origine. Ainsi, l’origine négro-africaine des Haratine ne peut être effacée ou ignorée, malgré les multiples tentatives qui relèvent toutes de la falsification de l’Histoire.
L’Etat mauritanien considère que les Haratine sont des Arabes. Les nationalistes arabes (Baâsisme et Nasserisme) aussi. La position des dirigeants d’EL HOR (toutes tendances confondues) est plus étonnante ; car ceux-ci affirment que les Haratine sont des Arabes. Cette thèse n’est pas soutenable. Les Haratine n’ont pas choisi la culture arabe, qui leur a été imposée par la force, du fait de l’esclavage. Arrachés à leur milieu social d’origine (ethnie), les Haratine ont été contraints d’apprendre le hassania qui est différent de l’arabe. Aucun esclave, aucun Hartani ne parle l’arabe s’il ne l’a pas appris dans les écoles traditionnelles ou modernes. Or, les esclavagistes (Emirats, Imamats, chefs religieux, chefs coutumiers, Etat, …) maintenaient et maintiennent les Haratine en dehors de toute influence qui pourrait contribuer à une prise de conscience. Alors qu’un musulman doit connaître, au moins, la première sourate du Coran pour ses prières quotidiennes, les Marabouts interdisent à leurs esclaves de l’apprendre. C’est là une transgression de plus de l’Islam. Si la langue détermine l’arabité, alors tous ceux qui parlent l’arabe, seraient des Arabes. On sait qu’il n’en est pas ainsi. Que deviendraient les Haratine lorsque les Berbères de Mauritanie revendiqueraient leur berbérité (ce qui est une possibité) et obtiendraient gain de cause ? Dans cette hypothèse, les Haratine seraient des Arabes, des Berbères, ou les deux à la fois. Donc les Haratine sont Mauritaniens, mais ne sont pas Arabes. Une organisation (El Hor) qui ne revendique pas ses racines, perdrait sa personnalité, son originalité, sa fierté et par conséquent sa lutte politique contre les tenants de l’esclavage. L’Arabité des Haratine n’est qu’un moyen d’étouffer leurs revendications. Elle n’est pas une dimension de la liberté, mais une dimension de l’esclavage. Les Mouvements Noirs des Etats-Unis d’Amérique de lutte contre l’esclavage, la ségrégation raciale et les droits civiques, ont tous revendiqué leurs racines africaines. Il en est de même des Noirs Colombiens, ainsi de suite. Pour que les Haratine recouvrent leurs droits politiques, économiques et sociaux, El Hor, qui les représente, doit revendiquer leur identité propre : leur situation d’esclaves et leur origine. A ce sujet, on ne peut ne pas penser à ce que dit Jean-Paul Sartre : " L’important n’est pas ce que l’histoire fait de nous, mais ce que nous faisons de ce que l’histoire fait de nous ". Ce positionnement par rapport à l’origine et à la culture, ne veut pas dire que les Haratine doivent prendre parti pour les Arabo-Berbères ou les Négro-mauritaniens. Pour moi, les Haratine sont une composante à part, qui doit s’affranchir des uns et des autres. Une telle position de neutralité, leur permettra, à long terme, de recouvrir une autonomie de pensée et de comportement. En 1989, des haratine encadrés par des maures et des forces de l’ordre ont été lancés sur les Négro-mauritaniens en vue de leur extermination. Une telle opération peut avoir lieu y compris entre les haratine eux-mêmes si les démocrates de Mauritanie ne leur viennent pas en aide en vue de leur prise de conscience. Pourquoi les Haratine seraient-ils contraints de choisir entre les Négro-Mauritaniens et les Arabo-Berbères ? " C’est dans ce contexte que les Haratine sont sommés par les uns de se déclarer noirs et de rejoindre les " Négro-Mauritaniens opprimés " (puisque d’origine Bambara ou toute autre ethnie naguère razziée et asservie) et par les autres de s’affirmer blancs et Arabes (puisqu’ils parlent la langue des anciens maîtres. " D’abord, les composantes arabo-berbères et négro-africaines ont participé à la traite transatlantique et à la traite transsaharienne. Comment choisir entre les descendants des marchands d’esclaves ? Je rappelle que les aristocraties négro-africaines (rois, chefs coutumiers, chefs religieux) ont vendu leurs frères de sang aux Berbères, aux Arabes et aux Européens. Ensuite, le constat actuel est que les Arabo-Berbères pratiquent l’esclavage dans ses formes les plus inhumaines et maintiennent la moitié de la population mauritanienne sous leur domination. Les Négro-Mauritaniens aussi. Les affranchis de l’esclavage négro-mauritanien sont devenus une caste. Puis comme tous les " castés ", ils sont exclus de la gestion de la cité. C’est pourquoi, aucune de ses communautés ne méritent la confiance et la solidarité des Haratine. Jusqu’ici, l’histoire de la Mauritanie, ancienne ou récente, a été conduite par les aristocraties Arabo-Berbères et Négro-Mauritaniennes, qui se sont toujours alliées. Cette alliance a toujours été au détriment des esclaves des deux communautés. Enfin, aujourd’hui, les Haratine constituent une force politique du fait de leur poids démographique. " Quoi qu’il en soit, ils sont devenus le principal enjeu de la lutte entre les différents partis et mouvements politiques – au détriment de leurs revendications propres – car ils représentent démographiquement près de 45% de la population totale " Ce regain d’intérêt pour la communauté Haratine vise deux objectifs : 1. La division et l’affaiblissement des haratine 2. Leur utilisation dans la conservation et la prise du pouvoir. C’est classique, les tribus maures se faisaient et se font la guerre par leurs esclaves interposés. Il en est de même des ethnies Négro-mauritaniennes. Et ce, soit pour avoir des avantages, soit pour se neutraliser. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, ce travail est fait par des mouvements et partis politiques qui se réclament de la démocratie. Il s’agit du néo-esclavage politique.
Mohamed Yahya OULD CIRE, Président de l’A.H.M.E. |