A.H.M.E.
INTERVIEW 9:
Interview
de M. Abd El Kader Ould Yessa à Aline Angoustures
Entretien avec M.Abd El Kader
Ould Yessa
1.
Il semble ressortir de
différentes sources que les esclaves des Maures ne sont pas Tout à fait. Les esclaves des Maures sont des Haratines ou des Maures noirs. Ils se définissent eux-mêmes ainsi. Du fait de cette appartenance à la communauté maure, ils parlent le Hassanya ou l'arabe et portent un nom en Ould pour les hommes et Mint pour les femmes. Il n'y a pas de Peul ou Soninké esclave de Maure. Les Peuls ou les Soninlcés étaient esclaves de Peuls ou de Soninlcés. Sur le plan de l'origine ethnique, elles sont variées mais en majorité les esclaves proviennent du groupe Bambara, de l'actuel Mali.
2.
Il semble de même que
ce sont surtout les femmes qui se trouvent aujourd'hui Oui. Les femmes et les enfants représentent les trois quarts des cas existants.
3. Qu'est ce qui, d'après vous, caractérise un esclave en Mauritanie aujourd'hui ? Pour les esclaves des Maures, trois éléments :
Il n'y a plus d'esclaves dans les sociétés négro-mauritaniennes. Nous avons fait une enquête dans le Sud et nous n'avons pas trouvé un seul cas. Les anciens esclaves constituent par contre des castes discriminées. Ils ne peuvent se marier hors de leur groupe. Ce sont les femmes qui souffrent le plus de ces situations.
4.
Les esclaves sont-ils
marqués ?
5. Un esclave peut-il quitter son maître dans la Mauritanie actuelle ? Oui. Aujourd'hui l'esclave ne reste chez le maître que par consentement ou nécessité. Il n'y a plus de contrainte physique ou matérielle, c'est sûr. S'il fuit, on ne peut pas le ramener de force chez le maître, le maître ne peut pas le récupérer. La police n'interviendra pas en ce sens. On ne peut pas l'emprisonner pour ça. En revanche, son maître peut lui « pourrir la vie » et, s'il porte plainte aucune sanction ne sera prise contre le maître. Ce qui peut aussi se passer c'est que le maître porte plainte pour un délit comme le vol, réel ou imaginaire ; dans ce cas la police peut capturer l'ancien esclave et un arrangement sera recherché, souvent un dédommagement ; si c'est une femme la situation est plus dure parce que la femme doit laisser ses enfants derrière elle et sait qu'elle ne pourra les récupérer que moyennant une dure bataille, les maîtres étant souvent enclins à arguer de ce qu'ils sont les pères des enfants pour les conserver, voire arguer de ce qu'ils ont épousé cette esclave pour qualifier son départ de désertion du domicile conjugal ; concrètement, il y a deux façons de partir : partir de facto, sans demander un affranchissement écrit, mais beaucoup d'esclaves ne sentent pas mentalement libres s'ils n'ont pas un papier qui le dit ; s'il faut obtenir un affranchissement écrit qui n'a pas été obtenu jusque là, il faut en général payer, le payer au maître.
6. Un esclave peut-il obtenir gain de cause auprès de la justice ? Un esclave ne peut saisir la justice seul, sans l'ONG ni avocat. On ne l'écoutera pas. Mais une femme libre ne le peut pas non plus. La charia fait des femmes des mineures. S'il saisit la justice avec notre association, avec un avocat, il peut obtenir gain de cause dans des conflits l'opposant au maître mais pas faire condamner le maître pour faits d'esclavage, non. Ce n'est jamais arrivé.
7. Quelle est l'organisation de la justice de ce point de vue ?
Il y a des magistrats nommés pour
appliquer la loi écrite, mais les lois sont ambiguës du fait
de la Charia et cela pose des problèmes. Parmi ces magistrats, il
n'y a aucun Haratine et
aucune femme. Il y a quelques négro-mauritaniens.
8.
Y a-t-il encore des
lynchages d'esclaves ?
9.
Y-a-t-il encore des
ventes d'esclaves ?
10. Que fait votre association dans les conflits ? Notre politique c'est d'aider ceux qui le demandent, ceux qui veulent quitter leur servitude. Il faut qu'il y ait cette volonté. Il faut bien comprendre que les esclaves restent par loyauté, par peur d'aller en enfer ou par nécessité économique. Les affaires les plus fréquentes sont la captation d'héritage, la séquestration d'enfants et les conflits de propriétés.
11. Que va changer la légalisation de SOS Esclaves ? C'est une bonne chose et cela va changer beaucoup. Les tracasseries, les persécutions des militants vont se poursuivre mais ce qui va changer c'est que nous pourrons recevoir des subventions, donc aider les gens en fondant des dispensaires, en payant des avocats etc. Nous pouvons aussi accueillir des journalistes. Par ailleurs cela fait de nous un interlocuteur fiable.
12. Qu'a changé la loi de 2003 sur la traite ?
Rien du tout. Elle n'a aucun sens.
Il n'y a pas de vente en Mauritanie depuis les années 80, pas
de trafic d'organes. Les plaintes que nous avons déposées sur ce
fondement ont toujours
été classées sans suite.
En conclusion M.Ould Yessa revient sur les craintes en disant « J'exprime donc les plus extrêmes réserves sur l'actualité de la contrainte esclavagiste cependant il y a une indiscutable discrimination sociale : un ancien esclave reste un ancien esclave. » Aline ANGOUSTURES CIG Entretien du 22 juin 2005
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NB : Ce document figurait dans les annexes d'un dossier déjà plaidé. |