« Si malheureusement, le dialogue pouvait ne
pas se nouer le 20 Octobre, si l’on s’apercevait que le gouvernement en place
n’a pas du tout l’intention de s’orienter vers un retour à la légalité
constitutionnelle, la lettre même des engagements pris par la Mauritanie,
comme par tous les autres pays signataires des accords de Cotonou, ferait que
des sanctions seraient décidées immédiatement.»
Les réunions de concertation entre l’UE et la Mauritanie
seront entamées le 20 octobre. La
France assure actuellement la présidence de l’UE.
Pour prendre la mesure des enjeux de ces concertations, le Quotidien de Nouakchott
a rencontré Michel Vandepoorter, ambassadeur de France en Mauritanie.
Le Quotidien de Nouakchott : Excellence, on ne peut pas dire que vous entamez
votre séjour diplomatique en Mauritanie sous les meilleurs auspices. Vous êtes
accueilli, à votre arrivée, par une crise politique entre le président et le
Parlement. Une crise qui finalement a évolué avec le coup d’Etat du 6 août
2008.
Michel Vandepoorter : Je voudrais
d’abord dire que je suis très heureux d’être en Mauritanie ; que votre pays m’a
tout de suite séduit. C’est vrai que les circonstances pourraient êtres plus
détendues. Elles sont aujourd’hui difficiles mais cela fait aussi partie de ce
qui peut attendre un diplomate. Moi, ce qui m’intéresse, c’est appliquer les
programmes de coopération qu’on a vus apparaître au mois de décembre, lorsque
j’ai su que j’allais me rendre en Mauritanie, et alors que se
réunissait, à Paris, le Groupe Consultatif de la Banque Mondiale
pour la Mauritanie.
Il y a de belles perspectives de développement. Mais il
s’agit aussi d’aider la Mauritanie
dans des circonstances difficiles comme celles-ci. C’est comme cela que je
conçois mon métier.
Le
Quotidien de Nouakchott : La réaction de la France au coup d’Etat à Nouakchott a semblé
mitigée, confuse. Tantôt le ministre français de la coopération annonce que la France est prête à soutenir
une nouvelle transition en Mauritanie, tantôt c’est une position de
condamnation plus affirmée par l’Elysée.
M.V : Non, il n’y a pas de confusion. Il n’y a qu’une seule position
française.Cette position a été exprimée à plusieurs reprises dans des
communiqués. Elle condamne clairement le Coup d’Etat du 6 Août.
Le
Quotidien de Nouakchott : Toujours dans le cadre bilatéral, la France a unilatéralement,
par rapport au reste de la communauté Européenne, décidé, le 13 août, le gel de
son apport au développement symbolisé par le Document Cadre de Partenariat
(DCP) pour un montant de 100 millions d’euros. Or, ce DCP fixe comme axes
prioritaires l’eau, l’éducation, l’assainissement et la gestion des ressources
naturelles. Des programmes qui entrent en droite ligne dans l’amélioration des
conditions de vie des populations.
«Il faut pour que ce DCP soit bien appliqué qu’il exprime une relation de
confiance avec un gouvernement démocratique…»
M.V : L’application du Document Cadre de Partenariat, signé en décembre
à Paris, avec le gouvernement issu des élections de 2006 et 2007, fait partie
d’une relation d’ensemble tissée entre la France et la Mauritanie . Il
faut pour que ce DCP soit bien appliqué qu’il exprime une relation de
confiance avec un gouvernement démocratique qui représente pleinement la nation
Mauritanienne et avec lequel nous pouvons travailler. Comme vous le savez, nous
avons condamné le coup d’Etat et donc nous estimons que le gouvernement issu de
ce coup d’Etat n’est pas légitime.
C’est un gouvernement de fait .Il est vrai que nous avons annoncé le gel de
notre coopération. Malheureusement, ce gel fait que nous n’étudions pas de
nouveaux projets dans les secteurs que vous avez cités ; tout en mesurant bien
que ces secteurs sont essentiels pour le progrès, le bien-être de la population
mauritanienne. Mais, encore une fois, on ne peut travailler qu’avec un gouvernement
qui représente vraiment toute la
Mauritanie de manière démocratique. Je voudrais à
cette occasion préciser que ce qui est en cours se poursuit.
«Nous avons exclu des mesures de gel, tout ce qui relève de la sécurité
alimentaire.»
Nous continuons d’aider la Mauritanie
dans le domaine de l’éducation. Rien dans ce domaine n’a été arrêté. Nous avons
simplement dit que pour l’avenir nous n’envisagions pas l’exécution de nouveaux
projets. De la même manière, nous avons exclu des mesures de gel des programmes
qui ont un caractère humanitaire comme, par exemple, le programme du forfait
obstétrical, lancé par la France
en Mauritanie. C’est un grand succès qui est appelé, à mon avis, à
servir de modèle pour toute la région .
C’est un programme très simple de mutualisation qui permet à toute future maman
mauritanienne de bénéficier pour l’équivalent de cinq milles ouguiyas d’examens
prénataux, d’une couverture médicale, d’un accouchement médicalisé quelles que
soient les complications et les circonstances. Ce programme, on l’a vu, a
permis à la Mauritanie
de progresser rapidement vers deux objectifs du millénaire que sont la
réduction de la mortalité maternelle et la réduction de la mortalité infantile
.
C’est le genre de programme à caractère
humanitaire qui persistera. De même, nous avons exclu des mesures de gel, tout
ce qui relève de la sécurité alimentaire. La France a apporté une aide relativement
importante à la
Mauritanie lorsqu’il y a eu des craintes pour la sécurité
alimentaire. J’ai eu le plaisir de signer avec le commissariat à la sécurité
alimentaire, un accord, le 31 juillet dernier.
Le
Quotidien de Nouakchott : Au sujet de ces relations bilatérales, celles-ci ont
connu en 1999 un premier soubresaut avec l’arrestation en France d’un officier mauritanien.
Elles ont aussi été touchées par l’attentat qui a coûté la vie à quatre
touristes français en décembre 2007 ; un attentat à la suite duquel le Quai
d’Orsay en tout cas semble faire une « mauvaise publicité » à la Mauritanie en
déconseillant aux voyageurs français de s’y rendre. Et pour couronner le tout,
vous avez reçu la protestation officielle du ministère des affaires étrangères
mauritanien au sujet de l’invitation d’un membre de l’ancien gouvernement à une
rencontre au Luxembourg. Toutes ces questions créent-elles une suspicion entre la France et la Mauritanie ?
M.V : Nous avons eu, effectivement, la douleur de perdre quatre de nos
compatriotes dans un attentat à Aleg, le 24 décembre 2007. Mais
évidemment, nous n’en tenons pas la Mauritanie pour responsable. Nous y
avons vu malheureusement une nouvelle preuve que la Mauritanie était
une cible du terrorisme comme
d’autres pays voisins tels le Maroc, l’Algérie,
l’Egypte mais aussi la France
qui a connu des vagues d’attentats extrêmement meurtriers, il y a une vingtaine
d’années. Cela nous incite à nous rapprocher encore davantage de la Mauritanie en
vue de l’aider à combattre ce fléau qui touche beaucoup de pays à travers le
monde.
A partir de là, nous avons une responsabilité à l’égard de nos compatriotes qui
est de leur donner les bons conseils et de ne pas les laisser sans
information.Mais il ne faut pas dire que la France décourage les français à venir en
Mauritanie. Regardez bien la page conseils aux voyageurs sur le site de
l’ambassade de France ou celle sur celui du ministère des affaires étrangères
et vous verrez que nous conseillons la vigilance.
Ce qui est normal compte tenu du fait
qu’en Mauritanie, comme en France et tant d’autres pays, il faut vivre avec ce
risque terroriste ; Il faut donc prendre un certain nombre de précautions. En
France, nous avons un plan « Vigipirate » qui fait qu’il y a des
contraintes qui pèsent sur les français dans leur vie quotidienne en raison
justement du risque d’attentat.
C’est malheureusement la même chose ici. Mais notre souci est de donner les
conseils nécessaires aux voyageurs en faisant attention, par exemple, au
développement du tourisme en Mauritanie. Lorsque nous recommandons aux
français de voyager en groupe, c’est finalement les inciter à recourir aux
agences de tourisme locales. C’est une mesure de son sens. S’il n’y avait pas
le terrorisme l’amplitude du territoire mauritanien, l’isolement de certaines
régions ferait qu’il serait préférable de circuler en groupe. Mais encore une
fois, notre souci est de donner de bons conseils ; non de fermer des
destinations.
Le
Quotidien de Nouakchott : Il existe aujourd’hui, par rapport à la crise que
traverse notre pays, une situation de fait. L’Armée a pris le Pouvoir et elle
reste soutenue par une majorité d’élus du Peuple dont ceux de l’Opposition
démocratique. De l’autre côté, le FNDD refuse cet état de fait.
En votre qualité spécifique d’ambassadeur de France en Mauritanie,
vous qui avez rencontré tous les protagonistes de la crise politique, pensez-vous
que les avis des uns et des autres seraient conciliables ?
« Les sanctions sont lourdes parce que l’UE est le premier bailleur
multilatéral et parce qu’aussi les pays membres de l’UE sont les principaux
bailleurs bilatéraux. Il faut donc éviter que ces sanctions se mettent en place
parce qu’après il faudra des années pour rétablir les programmes de
coopération.»
M.V : J’ai effectivement eu le privilège de rencontrer, ces derniers
jours, un grand nombre de responsables politiques. Je souhaitais les rencontrer
pour, d’une certaine manière, préparer la réunion de concertation avec l’UE
qui se tiendra le 20 Octobre. C’est une réunion extrêmement importante parce
que ces consultations s’inscrivent dans le cadre de l’article 96 des accords de
Cotonou.Des accords que la
Mauritanie, comme une centaine d’autres pays, a signés et
ratifiés. C’est une offre de dialogue pour trouver le moyen de retourner
rapidement et définitivement, nous le souhaitons, à l’ordre constitutionnel.
Mais il y a aussi et cela est prévu dans les mêmes accords la menace de mesures
restrictives ; c'est-à-dire des sanctions pour le cas où la Mauritanie, en
l’occurrence, ne prendrait pas d’engagements pour rétablir dès que possible la
légalité constitutionnelle. Et compte tenu de l’importance de l’aide que l’UE
apporte à la Mauritanie
ainsi que celle apportée par les pays membres de l’Union, j’ai voulu souligner
auprès de tous les responsables politiques l’enjeu que représentent ces
consultations. Il faut que toute la classe politique considère bien que ce
n’est pas la junte militaire qui a fait le coup d’Etat qui va se présenter
devant l’Union Européenne.
C’est d’une certaine manière toute la Mauritanie qui est concernée. Il faut que votre
pays puisse véritablement s’engager, grâce à l’offre de dialogue faite par l’Union
Européenne, et qui se mettra en place dès le 20 Octobre, dans une voie de
retour à la légalité constitutionnelle pour échapper à ces sanctions.
Ces dernières sont lourdes parce que l’UE
est le premier bailleur multilatéral et parce qu’aussi les pays membres de l’UE
sont les principaux bailleurs bilatéraux. Il faut donc éviter que ces sanctions
se mettent en place parce qu’après il faudra des années pour rétablir les
programmes de coopération.Il faut rappeler, dans ce cadre, que le Togo est
resté isolé pendant quinze ans et que lorsqu’il est apparu que l’UE
pouvait renouer avec ce pays, il a fallu près de trois ans pour remettre les
choses en place.
Le
Quotidien de Nouakchott : Justement quelle est l’efficacité de ces sanctions si
leur impact est beaucoup plus ressenti par les populations que par les régimes
en place ?
M.V : C’est vrai. Mais c’est comme je disais tout à l’heure à propos du
document cadre de partenariat entre la France et la Mauritanie. L’aide
au développement est une relation de confiance. C’est pourquoi l’on parle
d’ailleurs de partenariat.C’est donc une relation de confiance entre deux
gouvernements ou entre un ensemble d’Etats comme l’UE et un
gouvernement. Il faut que cette relation de confiance puisse se nouer pour que
les programmes bénéficiant à la population puissent prendre tout leur sens. De
la même manière, tous les Etats y compris tous les gouvernements ont besoin
d’aide extérieure pour appliquer leurs propres programmes.
Le
Quotidien de Nouakchott : Il existe au plan interne plusieurs propositions
parmi lesquelles la feuille de route des parlementaires favorables au
renversement du président déchu ; mais il y a aussi une proposition récente du
président de l’assemblée nationale. Mais toutes achoppent sur le rôle et le
statut que l’on devrait accorder au président déchu ou encore au HCE. Dans son
entendement l’UE parle d’un retour à la légalité par le rétablissement du
président déchu dans ses fonctions. Pour la junte au pouvoir et la majorité des
parlementaires, il ne peut en être cas. C’est plutôt un positionnement
cornélien ?
«Les propositions de retour à la légalité constitutionnelle ne peuvent être
que mauritaniennes»
M.V : C’est bien qu’il y ait des propositions mauritaniennes. De toute façon,
les propositions de retour à la légalité constitutionnelle ne peuvent être que
mauritaniennes. Il n’y a que les mauritaniens qui peuvent voir entre eux
comment rétablir l’ordre constitutionnel. Je pense que –et c’est l’expérience
d’un vieux diplomate- qu’il faut commencer par ce qui unit tout le monde.
De toutes les conversations que j’ai eues, j’ai bien le
sentiment qu’il y a des éléments très importants sur lesquels toutes les
parties peuvent se retrouver. Sur la base d’un socle de principes, d’idées, de
préoccupations de voir la Mauritanie
dans une impasse depuis plusieurs semaines, les parties peuvent engager un
dialogue qui créera à un climat de confiance qui permettra, à son tour, de
régler les problèmes les plus difficiles.
Ce qui est important et que j’ai souhaité dire à tout le monde, c’est qu’il
faut que tous les responsables politiques soient associés à la recherche de
cette solution. Le président Sidi Ould Cheikh Abdellahi doit être libre
de ses mouvements, de sa parole. Il doit pouvoir apporter sa contribution à la
recherche d’une solution, comme le Général Abdel Aziz. Il faut que tout
le monde se mette ensemble pour trouver cette solution.
« Le président Sidi Ould Cheikh Abdellahi doit être libre de ses
mouvements, de sa parole. Il doit pouvoir apporter sa contribution à la
recherche d’une solution, comme le Général Abdel Aziz »
Le
Quotidien de Nouakchott : Vous évoquez cette nécessité de convergence pour une
recherche de solution. Le gouvernement se propose d’organiser des journées de
concertation. Si ces journées interviennent entre deux rounds de consultations
avec l’UE, vous y assisteriez ne serait-ce que pour contribuer à une éventuelle
sortie de crise ?
«Si les journées nationales de concertation sont organisées par le gouvernement
en place et les parlementaires qui le soutiennent, sans la participation du
reste de la classe politique, on reste dans
l’hypothèse d’une consolidation du
coup d’Etat»
M.V : L’idée de ces journées de concertation est en soi une bonne idée
parce qu’on voit bien qu’il y a une crise politique au- delà même du coup
d’Etat. Il y a donc de vrais sujets dont les citoyens ordinaires, les élus et
les partis doivent débattre entre eux. On voit bien qu’il y a des questions qui
n’ont pas véritablement été abordées en 2005 et 2007. Ce serait une bonne
occasion aussi d’en débattre. Il faut se fixer un certain nombre d’objectifs à
la reprise du processus démocratique. En soi, les journées de concertation sont
très utiles. Mais ça dépend du cadre dans lequel elles sont organisées.
Si elles sont organisées par le gouvernement en place et les parlementaires qui
le soutiennent, sans la participation du reste de la classe politique, on reste
dans l’hypothèse d’une consolidation du coup d’Etat. Pour nous, la condition de
légitimité, c’est comme je le disais, est que tous les responsables politiques
y compris le président Sidi Ould Cheikh Abdellahi et ses partisans mais
aussi le Général Abdel Aziz, les parlementaires qui le soutiennent,
l’opposition démocratique pourra donc participer à ce processus qui engage
toute la communauté politique mauritanienne aussi que les citoyens ordinaires.
Si ce processus peut s’enclencher au moment des concertations du 20 octobre, l’UE
serait désireuse d’aider à ce processus qui devrait ramener la Mauritanie plus
rapidement à l’ordre constitutionnel.
Les représentants Européens pourraient bien, pourquoi pas, y participer. Je
rappelle seulement que si c’est une initiative du Gouvernement actuel, sans les
autres, cela ne nous intéresse pas. Si par contre, c’est une initiative
engageant toute la classe politique, toute la nation mauritanienne pour le
retour à la légalité constitutionnelle et dans le cadre du dialogue qui va se
nouer le 20 octobre avec l’ UE, nous serons heureux de soutenir ce processus.
Le
Quotidien de Nouakchott : Pour ses relations historiques avec notre pays, la France qui préside le
conseil de l’Europe est-elle un peu embarrassée par le dossier « Mauritanie » ?
M.V : L’ UE était impliquée dans la transition 2005 – 2007.
Elle a aidé la Mauritanie
à prendre un certain nombre d’engagements et à organiser tous les scrutins qui
ont été menés avec succès. L’UE a observé ces scrutins. Sa réaction de
condamnation est donc à la mesure de la déception. Nous considérions la Mauritanie comme
un modèle de transition démocratique réussie dans la région.Tout a été remis en
question par le coup d’Etat du 6 Août.
C’est un souci de plus pour la présidence du Conseil Européen que la France exerce
jusqu’à la fin de
l’année. Mais si cette présidence et notre amitié profonde
pour la Mauritanie
peuvent aider l’ UE à faire en sorte qu’elle joue un rôle utile pour
rétablir la démocratie dans ce pays, nous en serons très heureux.
Le
Quotidien de Nouakchott : En cas d’impasse dans les consultations politiques
avec l’UE, la France
passerait – elle aussi par les sanctions?
M.V : Si malheureusement, le dialogue pouvait ne pas se nouer le 20
Octobre, si l’on s’apercevrait que le gouvernement en place n’a pas du tout
l’intention de s’orienter vers un retour à la légalité constitutionnelle, la
lettre même des engagements pris par la Mauritanie, comme par tous les autres pays
signataires des accords de Cotonou, ferait que des sanctions seraient
décidées immédiatement. Et si l’ UE décidait de ces sanctions, tous les
pays membres de l’ UE y compris la France, suivront. Mais nous souhaitons éviter
cette perspective qui serait catastrophique pour tout le monde.
LE 15/10/2008
Propos recueillies par Jedna Deida
Source : Le Quotidien de Nouakchott