Ladji
Traoré, secrétaire général de l'APP :
"Ce genre de chose qui se dessine, si
c'était vrai que le président Sidi est derrière ou devant, nous ne sommes pas
d'accord."
NOUAKCHOTT-INFO
Le meeting organisé le 2 septembre courant par l’APP n’est pas passé
inaperçu, notamment avec le discours du Président de cette formation politique
de la majorité présidentielle, Messaoud Ould Boulkheir. Pour nombre
d’observateurs et de politiques, cette première sortie du président Ould
Boulkheir depuis qu’il a été élu à la tête de l’Assemblée Nationale a été
fracassante en ce sens que l’APP aura donné l’impression d’être le seul parti
de la Majorité, refusant la constitution d’une autre majorité de soutiens au
Président Ould Cheikh Abdallahi et récupérant à son compte propre les avancées
des dossiers de l’esclavage, du retour des réfugiés, du passif humanitaire,
etc.
Pour y voir plus clair, Nouakchott Info s’est entretenu avec son
Secrétaire général Ladji Traoré.
N.I. : Votre parti vient d’organiser son premier meeting
depuis que son leader, Messaoud Ould Boulkheir est président de l’Assemblée
Nationale. Quel bilan intérieur au parti en tirez-vous ?
Ladji Traoré : Je dois dire que globalement, nous en sommes satisfaits en cette
période de calme plat politique, parce que c’est la fin des sessions
parlementaires et c’est pratiquement les vacances politiques aussi. Le fait
d’avoir mobilisé tant de monde comme vous l’avez vu vous-mêmes, la chaleur qui
s’en dégageait et la présence massive de l’ensemble de la classe politique du
pays, sachant que nous avons invité ce que l’on appelle les démembrements de la
classe politique, l’opposition comme la majorité présidentielle, les
personnalités politiques indépendantes, tous ont répondu présents et c’est un
grand plaisir. C’était donc une présence extraordinaire en cette période de
morte saison politique et nous nous en félicitons et il y a lieu de considérer que
notre parti est un parti rassembleur. Ce qui est important, c’est que nous
avons tenu un discours clair pour dire que nous saluons à leur juste valeur les
importantes mesures engagées par le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, à
savoir la loi sur l’esclavage qu’il a présenté au parlement et qui a été
adoptée et la procédure entamée pour le retour organisé des réfugiés et la
solution du passif humanitaire lesquelles sont pour nous, dans la conjoncture
actuelle, des questions importantes et incontournables pour avancer.
L’autre point que vous attendez sans doute, c’est la réaction du président
Messaoud par rapport à ce qui semble se dessiner aujourd’hui.
Notre position est très claire : nous sommes pour la solution de certains
problèmes comme ceux-là que je viens de dire mais aussi pour l’enracinement
d’une véritable démocratie civique, pas pour une démocratie de façade, ni pour
accompagner un parti-Etat, ou un gouvernement ou un régime. Nous ne savons pas
si le président Sidi est devant ou derrière cela et c’est pourquoi nous avons
rebondi sur le paysage politique actuel pour dire que ce qui se dessine ne nous
rassure pas, ne nous convient pas et que nous ne sommes pas d’accord.
N.I. : Ne mettons pas la charrue avant les bœufs, nous y arriverons à ce soit
disant "parti du président". Une certaine confusion voire
contradiction a dominé dans ce discours du président Messaoud qui donnait
l’impression de récupérer pour l’APP, tout ce qui a été jusque là fait que ce
soit la loi sur l’esclavage ou le retour des réfugiés qui sont des engagements
du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Est-ce que vous pensez sérieusement
que tout cela est le bilan de l’APP ?
L.T. : Vous savez l’APP est claire sur ses principes, sur ses engagements. Nous
pensons que des questions aussi importantes qui ont eu une consécration de la
majorité au Parlement, un peu moins au Sénat peut-être, telle la loi sur
l’esclavage ou le retour organisé des réfugiés, ne sont pas des questions
simples et que l’APP à elle seule ne peut pas assumer. Ce sont des questions
nationales mais sur lesquelles nous avons été aux premières lignes dans la
bataille et lorsqu’il fallait traverser les lignes rouges, nous les avons
traversé en son temps. Mais nous ne pensons pas que c’est l’apanage exclusif de
l’APP de lutter contre l’esclavage, ce ne serait pas juste ni vrai d’ailleurs,
ni non plus l’extensible problème des déportés et des réfugiés. Pas du tout
mais nous en avons fait des questions essentielles de notre programme électoral
et de nos accords avec le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi et nous nous
félicitons que ces engagements aient été tenus et nous ferons en sorte qu’ils
soient effectifs et réalisés mais nous ne tirons pas la couverture à nous
seuls, parce qu’elle est trop grande pour nous seuls mais pour toutes les
bonnes volontés politiques progressistes mauritaniennes, c’est leur victoire.
De même il ne suffit pas d’avoir une loi et tous doivent se battre pour
expliquer la portée pour encourager l’avènement d’une véritable société
égalitaire dans notre pays. C’est donc l’œuvre de l’opinion publique et du
peuple mauritanien dans ses différentes composantes. En ce qui concerne les
déportés et les réfugiés, c’est un problème d’unité nationale et l’APP, seule
ne peut pas garantir l’unité nationale mais nous pensons que si nous défendons
ces idées généreuses et courageuses, la seule ambition légitime qu’on puisse
avoir c’est de les faire partager par la majorité du peuple mauritanien.
N.I. : Pour en revenir au parti en gestation qui regrouperait les soutiens
du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, ne pensez-vous pas qu’il y a flagrante
contradiction dans votre position étant donné que l’APP est un parti de la
majorité présidentielle et qu’en même temps elle refuse aux autres de se
constituer en un seul parti politique et faire partie de cette même majorité ?
L.T. : Nous sommes entrain d’enraciner la démocratie pluraliste en Mauritanie.
Etre de la majorité présidentielle cela ne veut pas dire être dans un parti
unique, un courant uniforme. Nous sommes effectivement, APP, résolument dans la
majorité présidentielle aujourd’hui pour pousser ce pays en avant et pour
réaliser un certain nombre d’objectifs. Cela dit, nous pensons qu’il y a un
problème plus essentiel, c’est de préserver la démocratie pluraliste réelle
dans le pays. Le retour au Parti-Etat de près ou de loin que cela soit en haut
pour tirer les ficelles en bas, nous sommes contre et le Président Messaoud l’a
dit très clairement. Nous pensons que le plus grand bien pour ce pays, c’est
une démocratie réelle pluraliste et, nous l’avons dit haut et fort ce genre de
chose qui se dessine si c’était vrai que le président Sidi est derrière ou
devant, nous ne sommes pas d’accord. Nous pensons qu’il ne faut pas revenir au
parti-Etat d’une manière ou d’une autre. Nous ne sommes pas contre le fait que
cette majorité de fait qui existe au Parlement composée de députés indépendants
crée un parti, car seuls des députés qui n’ont aucun cadre, aucun lien entre
eux constituent un élément de crise dans la démocratie. Donc nous voulons bien
que ces députés indépendants s’organisent mais nous ne voulons pas qu’ils
s’agrippent à l’appareil de l’Etat, aux ressources de l’Etat, aux faveurs de
l’Etat, à l’influence de l’Etat pour s’organiser en tant que telle force. Ils
sont libres de s’organiser en tant que parti politique indépendant qui va
concourir à l’avenir à la concurrence politique et non pas se camoufler
derrière le Président qui a été élu par la majorité du peuple mauritanien dont
nous. Nous ne voulons pas de cette composante qui essaye d’empêcher de tourner
en rond et qui veut reprendre le chemin de retour en arrière vers le parti-Etat
du régime déchu ou vers le Parti-Etat antérieur au régime militaire. Nous ne
sommes pas d’accord sur cela.
N.I. : Mais il n’y a pas que les indépendants, il y a aussi ceux qui avaient
soutenu le Premier Ministre, M. Zein Ould Zeidane que vous condamnez ainsi et
qui continuent de faire le courant d’air ? Vous trouvez normal que l’APP soit
un parti unique de la majorité ?
L.T. : Nous ne connaissons pas les contours de ce parti en voie de création.
Est-ce que les amis de Zein y viendront ou pas ? Est-ce qu’ils vont créer un
autre parti, pourquoi pas ? Encore une fois, en démocratie on ne pas être pour
quelque chose et pour son contraire. Ils sont libres de se constituer en parti
politique mais nous ne voulons pas qu’ils utilisent l’influence du président
Sidi Ould Cheikh Abdallahi, son aréopage, son entourage, l’influence de l’Etat,
etc. pour se constituer en parti politique que vous dites majoritaire, ce qui
reste à prouver aux prochaines élections. Vous savez les majorités changent.
N.I. : On a l’impression que l’APP craint ce futur parti des soutiens du
Président, qu’elle craint d’être noyée dans un verre d’eau face à la quarantaine
de députés indépendants en plus de ceux des autres partis du Mithaq, sachant
qu’elle ne compte que cinq députés …
L.T. : Vous savez, le tout pour l’APP n’est pas d’être au perchoir de
l’Assemblée nationale, si c’est cela le sens de votre question. Nous avons une
majorité de mauritaniens qui a adhéré au programme électoral du Président Sidi
Ould Cheikh Abdallahi pour l’essentiel et s’ils s’en tenaient à leurs
engagements comme nous, nous ne pensons pas qu’ils vont se présenter demain
comme de simples concurrents. Concurrents relatifs, oui. Mais amis quand même
pour construire la Mauritanie, enraciner la démocratie ensemble, faire des
avancées politiques pour le pays, pendant un certain temps, une législature.
Par conséquent ce n’est pas parce que nous avons peur qu’ils se constituent en
majorité. Une majorité pourquoi faire ? Ils ont déjà voté pour nous comme
d’autres et nous avons été élus pratiquement à l’unanimité. Soyons sérieux, la
période que nous traversons est la véritable période de la transition
démocratique en Mauritanie et il va y avoir une recomposition des forces
politiques, du paysage politique et des rapports de forces nouveaux. Donc nous
n’avons pas peur de regroupements politiques nouveaux et les choses se feront
sur la base d’option, de programme et d’opportunités politiques. Par conséquent
ce regroupement politique s’il se fait, nous ne fait pas peur du tout mais ils
n’ont pas le droit de se constituer en parti car c’est cela la différence entre
créer un parti politique tout à fait démocratique comme tout le monde en a le
droit et s’agriffer au Chef de l’Etat pour créer un parti-Etat qui n’est pas
seulement un souvenir vain, chimérique mais plutôt un souvenir réel, proche. On
sort à peine du PRDS, on a connu le PPM parce que c’est la Mauritanie de
toujours et nous ne voulons pas du retour de quelque chose dans cet esprit-là
parce que c’est la négation, pour nous, de la démocratie, c’est tout. Mais à
priori nous n’en faisons pas adversaires à abattre mais plutôt que nous
partageons le programme politique du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi et
que nous voulons continuer à soutenir et faire aboutir dans la sérénité.
N.I. : L’opposition démocratique a vivement critiqué ou dénoncé les derniers
mouvements dans l’administration territoriale. Partagez-vous son avis ?
L.T. : Le concret de la politique, quelle que soient les conjonctures, c’est,
en définitive, la nomination des hommes. Et je dois dire que nous, l’APP, dans
nos accords avec le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, il n’ y a pas que des
objectifs de politique généraux mais aussi la cogestion de l’appareil de
l’Etat, des affaires de l’Etat. Sur ce plan-là, je pense que des amis de Sidi,
et pas des moindres, je peux en citer Ahmed Ould Sidi Baba et d’autres forces
politiques qui ne sont pas satisfaits. Nous ne voyons pas la visibilité des
critères de sélection et la volonté de changer quoi que ce soit à travers
certaines nominations. Il y a beaucoup d’insatisfaction et des choses pas très
claires pour nous mais ce n’est pas le moment d’en faire des problèmes. Je
pense qu’il faut améliorer pour aller dans le sens du changement qui veut aussi
que les hommes changent.
N.I. : D’aucuns pensent que l’opposition est en rupture d’actions depuis que
les thèmes de l’esclavage et des droits humains ont été récupérés par le
Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. L’APP considère-t-elle que l’opposition
joue véritablement son rôle ?
L.T. : Je me garderais bien de porter un jugement de valeur sur la mission et
les positions de l’opposition démocratique. Je pense que le rôle de
l’opposition est d’être un contre pouvoir mais pas n’importe comment. Il y a
des mesures concrètes, positives et conjoncturelles. Au nom de quoi
l’opposition démocratique va s’opposer à cela mais il y a un certain nombre de
questions comme par exemple l’avènement du parti-Etat, où l’opposition
démocratique comme certaines composantes de la majorité telle l’APP qui ne sont
pas d’accord. Il n’ y a pas un mur de Berlin entre la majorité et l’opposition
sur l’ensemble des questions nationales. Il y a des convergences, il peut avoir
des divergences parfois sérieuses, mais l’opposition joue son rôle et remporte
d’ailleurs des victoires partielles.
N.I. : Je voulais dire qu’il y a au sein de l’opposition démocratique des
voix qui se lèvent de plus en plus pour contester la loi sur le statut de
l’opposition et son chef de file …
L.T. : Je ne me prononcerai pas sur les querelles internes de l’opposition
démocratique mais je dirai une chose que je défends, c’est que traditionnellement
dans les pays où il y a le leader de l’opposition, c’est dans un réseau
parlementaire clair et c’est un député. C’est le cas en Angleterre, au Canada.
Chez nous, nous avons hérité d’une loi et d’un décret qui a nominé à partir de
majorité parlementaire et je pense que ce sont des querelles internes à
l’opposition démocratique entre elle. Mais pour l’histoire, en général, dans le
monde, il est issue de la majorité de l’opposition parlementaire et est député.
C’est à elle-même de revoir cette question, d’améliorer ce texte de décret, de
repréciser les expériences et le parcours pour l’avenir mais l’APP ne se mêle
pas de ces querelles internes à l’opposition démocratique.
N.I. : Quelle contribution apportera l’APP à l’application de la loi sur
l’esclavage et le retour des réfugiés.
L.T. : Nous avons des propositions claires issues de nos réflexions sur le
sujet faites en juillet dernier. D’abord l’esclavage n’est pas seulement
l’aspect juridique. Il faut un certain nombre de mesures d’accompagnement. Nous
prônons la création d’une agence nationale de réhabilitation des anciens
esclaves qui va gérer des projets clairs et nets sur le plan économique, sur le
plan structurel, idéologique, il faut éveiller les anciens esclaves, mais aussi
sur le plan social, sanitaire, etc. D’aucuns font la confusion entre la
pauvreté en général et l’esclavage en particulier et sur ce plan-là nous avons
des propositions concrètes et nous allons nous-mêmes nous lancer dans la
bataille, dans le rif pour participer à l’éveil de conscience des esclaves pour
les amener à se libérer. Pour les réfugiés, nous avons apporté une contribution
écrite au gouvernement. C’est une question que nous voulons régler dans la
justice. Il faut recenser les gens là où ils sont et je vous dis une chose : il
n’ y a jamais eu de recenser exhaustif des réfugiés mauritaniens au Mali et
c’est grave. Or nous ne voulons pas ramener en Mauritanie des non mauritaniens.
Nous voulons que la nationalité des gens soit rétablie. Pour ceux qui vont
revenir, il y a des mesures de reinsertion sociale. Il y a des gens qui vont à
la retraite, des paysans qui vont revenir et dont les villages ont été détruits
ou occupés par d’autres. Sur ce plan précis nous demandons à ce que les gens
reviennent chez eux et que des mesures de recasement soient trouvées pour ceux
qui avaient été incités à être là. Nous disons que c’est une occasion de
réconciliation nationale et non pas de frictions et les gens doivent reprendre
leurs terres, leurs champs, leurs maisons, etc. Pour les éleveurs, c’est plus
compliqué, parce qu’ils ont perdu leur bétail et il faut en reconstituer un
minimum par des programmes spécifiques. De même les Moussafarines doit être
réglé diplomatiquement par le Sénégal et la Mauritanie.
Propos recueillis par Mohamed Ould Khattatt
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