Bonjour Mohamed
Sneiba, vous êtes journaliste talentueux du journal
L’authentique
Quotidien, présentez-vous à nos lecteurs. Parlez-nous aussi du
quotidien des
journalistes d’ascendance haratine dans le milieu
de la presse Mauritanienne.
Mohamed
Sneïba :
Me présenter ? Que dire sinon que je suis professeur de
français de formation (Promotion 1988 de l’ENS de Nouakchott),
muté à sa sortie au lycée de Boghé, là où j’ai passé
moi-même mon bac en 84. Je suis arrivé au journalisme tout à fait
par hasard, en 1987, quand j’ai obtenu le 3ème
prix d’un concours organisé par le quotidien national CHAAB. J’ai
alors collaboré avec ce dernier, en écrivant essentiellement des
nouvelles « moralisatrices », telles, « A double
tranchant » (qui parlait déjà à l’époque des
détournements et du sort qui attend ceux qui sont pris la main dans
le sac), et « Le passé ne renaîtrait plus » qui était
plutôt centré sur le « mal du siècle » de la jeunesse
mauritanienne (la découverte des feuilletons latino-américains et
égyptiens). Après dix ans passés à l’intérieur du pays (Boghé
puis Aleg), j’ai été affecté à Nouakchott (Lycée National),
en 1998, ce qui m’a donné l’occasion d’exercer pleinement le
journalisme devenu pour moi une véritable passion.
Ma
première vraie expérience dans le domaine a été avec L’Essor,
premier magazine économique du pays. C’est Rassoul Ould Khal,
l’actuel Conseiller en Communication du président de la
République, qui m’a présenté à Cheiguer, le directeur de
publication qui fut surpris de m’entendre dire que je cherche un
journal pour écrire…sans rémunération. Il s’engagea tout de
même à me payer un salaire symbolique de 12.000 UM. Deux ans
après, j’étais nommé Rédacteur en chef de ce mensuel que je
devais quitter en 2001 pour la rédaction de Nouakchott Info. J’ai
alors commencé un long exode qui m’a mené tour à tour au
Méhariste, à L’Eveil Hebdo, au Journal du Jeudi, au Rénovateur
et, pour finir, à L’Authentique et à Afrimag, magazine
économique basé à Casablanca.
Pour
en venir à la seconde partie de votre question, je dirai que,
franchement, c’est des expériences vécues sans vraiment tenir
compte de la « tête » du chef. Bien sûr, qu’ils
n’ont pas été tous pareils dans leurs manières de traiter avec
un journaliste indépendant, qui n’avait pas de contrat, haratine
de surcroit, et donc obligé de se soumettre pour ne pas être mis à
la porte à la moindre protestation. J’ai tout de même gardé de
bonnes relations avec tous ces patrons de presse mais, pour être
juste, il faut reconnaitre que c’est véritablement à
L’Authentique Quotidien que je me suis épanoui. J’écris sans
contrainte, sur le sujet que je veux, en fonction de l’actualité
et des informations qu’il m’arrive d’avoir par mes propres
sources. C’est aussi dans ce journal particulièrement (et aussi
au Rénovateur) qu’il m’a été permis d’aborder des questions
sensibles comme celles liées à l’esclavage et aux relations
entre communautés nationales. Pour le reste, disons que l’ambigüité
de mon aventure tenait plus à mon « éparpillement »,
comme disait Cheikhna Ould Nenni, qu’à ma qualité de « nègre
de service » pour la plupart des journaux de la place.
Nous
avons constaté l’absence totale des journalistes haratine lors
de la rencontre médiatique avec le « peuple »
organisée par le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz le 05 Aout 2012
à Atar, fief de l’ancien dictateur Maouiya Ould Sid ’ahmed Taya.
Pourtant il existe dans la profession des journalistes
haratine capables de poser des bonnes questions dans l’intérêt
national, avez-vous une explication à cela ?
MS :
Oui, j’ai fait le même constat. Et j’avoue que, jusqu’au
dernier moment, je m’étais dit, que si les choses se passent
normalement, il y avait une chance que je sois coopté. Question de
compétences (excusez mon manque de modestie) mais aussi de
représentativité vue le contexte actuel où le pouvoir a tout
intérêt de montrer qu’il tend, autant que faire ce peut, vers
une redistribution équitable entre les différents groupes sociaux.
Cet oubli donc des journalistes haratine ne s’explique, à mon
sens, que par une seule chose : La peur qu’ils ne soient plus
portés à évoquer des questions que le pouvoir considère comme
« marginales » (esclavage, conditions de vie des hratin
dans les milieux urbains, représentativité, etc) et donc de
troubler l’ordre établi, la mise en scène, pour que la
« rencontre du président avec le peuple) ne soit autre chose
qu’une succession d’autosatisfactions et de louages programmés.
Heureusement que Dia Cheikh était là pour évoquer, au moins, le
cas de Biram et, par ricochet, celui de la question de l’esclavage
que le président Aziz a, une fois encore, occultée.
Justement,
le pouvoir de Nouakchott nie l’existence de l’esclavage, mais
soutient la thèse des séquelles de l’esclavage, aucun effort de
la part du pouvoir pour combattre même ces séquelles ni
l’application de la loi incriminant le phénomène en bonne et
due forme. Nous avons entendu plusieurs fois, le président Ould
Abdel Aziz en personne défendre : « n’est esclave que
celui qui veut l’être, il y a des lois qui condamnent
l’ esclavage », pourquoi la justice et les autorités
Mauritaniennes refusent d’appliquer les lois alors ?
M.S :
Ecoutez, je crois que c’est l’une des plus grandes erreurs du
président Ould Abdel Aziz que de vouloir suivre, à la lettre, la
stratégie négationniste de Taya. Dire que l’esclavage n’existe
plus en Mauritanie tient d’un entêtement dont les auteurs se
couvrent de ridicule aussi bien à l’intérieur du pays qu’à
l’extérieur. Il y a meilleure attitude à adopter : Celle
qui consiste à évoquer l’esprit de la loi criminalisant cette
pratique et, donc, à la présenter comme un crime dont les auteurs
s’exposent à des sanctions. Mais mêmes si l’on cherche au
pouvoir actuel des circonstances atténuantes, l’on voit qu’il
manque de volonté pour donner un gage de bonne foi, quand on entend
Ould Abdel Aziz nier lui-même l’existence du phénomène et
accuser ceux qui le combattent d’en faire un fond de commerce. Une
vieille rengaine qui a failli sous Taya et qui connaitra le même
sort avec Aziz. De sorte que, pour la plupart des haratine, le
pouvoir protège les esclavagistes par « instinct de
conservation » et par solidarité qui dépasse le niveau de
l’individu (victime ou coupable) pour déterminer le rapport (de
force) et d’intérêts entre communautés nationales. Je ne vois
pas d’autre explication à ce refus de lutter contre le phénomène,
même si l’on concède au pouvoir qu’il ne s’agit plus que de
séquelles.
Biram
Ould Dah Ould Abeid et ses codétenus sont en prison depuis le 28
Avril 2012 après l’acte de désespoir qui les a conduits à
incinérer des livres faisant l’apologie de l’esclavage. Le
juge chargé des affaires criminelles s’est dessaisi de leur
dossier faute de charges suffisantes et vice de procédure, ils
sont incarcérés en toute illégalité selon leurs avocats. Le
président Mohamed Ould Abdel Aziz avait promis publiquement le
châtiment des abolitionnistes, pensez-vous, comme les militants
des droits de l’homme, que Biram et ses codétenus sont des
détenus d’opinion ?
M.S :
Nul doute là-dessus. Biram et ses compagnons sont maintenus en
prison pour leurs opinions exprimées publiquement, ici et à
l’extérieur, contre l’esclavage et ceux qui nient son existence
en Mauritanie. C’est parce qu’il ose dire haut et fort ce que
beaucoup pensent en eux-mêmes sans oser l’exprimer ouvertement
que le président de l’Initiative pour la Résurgence d’un
Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA) est devenu l’ennemi
public n°1, l’homme à abattre par tous les moyens. L’acte
d’incinération de livres du rite malékite, aussi offusquant
soit-il pour les mauritaniens, n’a été suivi d’effets que
quand des marches suscitées se sont ébranlées vers le Palais
présidentiel et quand Ould Abdel Aziz, accueillant ces soi-disant
défenseurs du rite malékite – parce qu’on ne peut pas dire que
Biram a blasphémé – a pris les devants de la justice et promis
de punir l’homme. Et même quand la justice, pour une fois, n’a
pas suivi la volonté de l’Exécutif, Biram a tout de même était
maintenu en prison. Et l’on nous parle d’Etat de droit !
M.S :
Ecoutez, je n’ai jamais voulu personnaliser cette question, que ce
soit au niveau de l’enseignement, quand j’étais encore dans les
classes, ou dans l’exercice du journalisme. Le racisme, on le
subit tous les jours et, s’il n’y avait pas une volonté de
notre part de résister à cette oppression, plutôt d’ordre
moral, il y a longtemps qu’on aurait cherché à quitter ce pays.
Je ne reviendrai pas ici sur les torts subis au niveau de
l’enseignement (cela nécessite l’écriture d’un livre) mais
je dirai qu’au niveau de la presse même, il n’est pas donné à
n’importe qui de tirer son épingle du jeu. Etre journaliste et
haratine, c’est, dans le contexte actuel, être condamné à
travailler pour les autres. Dans un Etat où tout est régi par la
tribu, la région et le clan politique, les haratines, comme en
toutes autres choses, n’ont pas droit au chapitre. Parce que la
tribu, la région et le parti politique ont leurs priorités fixées
qui font du statu quo social leur règle d’or. Si vous voyez qu’un
journal comme L’Authentique, reconnu pourtant comme l’un des
plus lus, des plus sérieux médias de la place, éprouve des
difficultés énormes à maintenir le cap, c’est justement parce
qu’il est fiché comme l’organe d’une communauté, bien que
les cadres de cette dernière soient les premiers à ne pas lui
faire des faveurs, comme les autres le font pour certaines feuilles
de choux. C’est dans ce même ordre d’idées qu’il faut aussi
inscrire l’oubli des journalistes haratines, quand il s’agit de
rencontres ou de voyages avec le président ou tout simplement de
débats à la TVM. Si ce n’est pas du racisme, qu’est-ce que
c’est alors ?
Les
haratine sont souvent greffés d’appartenir à la communauté de
leurs maitres arabo-berbères intégralement alors que cela ne se
traduit pas sur les faits, selon vous sont-ils : des arabes,
négro-africains où une communauté à part différente des
autres qui doit être reconnue dans la constitution?
M.S :
Je vais vous raconter une anecdote. Au tout début de ce que j’ai
l’habitude d’appeler la « démogâchis » - et qui
continue encore, je crois – un ami professeur, beydane comme on
dit, de chez moi (Aleg) a voulu m’entrainer au PRDS, parce que,
disait-il, pratiquement « toute la tribu y va ». J’ai
répondu que moi je n’ai pas de tribu. Et pour dire vrai, je le
croyais sincèrement. Parce que, dans la terminologie même, on ne
dit pas « un hartani de la tribu telle », mais
« appartenant à » (Lehel vlan). Ensuite, parce que le
rapport de la tribu à l’Etat était établi par les chefs, les
marabouts et les hommes d’affaires de la tribu, rarement, pour ne
pas dire jamais par un cadre haratine qui ne doit son ascension
sociale – si cela arrive comme pour Messaoud, Merzoug ou Boidiel -
qu’au mérite ou à la lutte qu’il a menée pour se faire
reconnaître.
Pour
revenir à cette question de l’appartenance à la communauté
arabo-berbère ou à celle négro-africaine, je dirai que c’est un
faux problème. Il faut laisser les haratines être eux-mêmes. J’ai
même revendiqué, une fois, pour eux le statut de « tribu »
à part entière, eh oui, pour pouvoir rivaliser avec les autres,
tant que le partage du pouvoir se fait en fonction du poids
électoral. Je sais que la volonté de les maintenir dans ce dilemme
de « n’être pas deux », pour paraphraser un peu
Cheikh Hamidou Kane, évoquant le tiraillement que vit Samba Diallo
entre l’Occident et l’Afrique, arrange bien ceux qui veulent en
faire l’objet du conflit entre Arabo-berbères et Négro-africains
pour régler, une fois pour toutes, la question de la
représentativité démographique, mais les haratines doivent
refuser ce jeu malsain. Tout au plus, ils doivent être à
l’avant-garde de ce combat que mène une partie de l’élite du
pays : faire en sorte qu’il n’y ait plus qu’UN
mauritanien pour que cesse cette « compartimentation »
inadéquate avec la démocratie que nous revendiquons tous. Mais
cela ne veut pas dire que les haratines doivent cesser de
reconnaitre leur appartenance aux deux sphères (Négro-africaine,
comme origine, et Arabe, comme identité culturelle) et refuser
qu’on joue l’une contre l’autre dans un rapport de force qui,
sans eux, n’est pas si évident que ça.
Certains
sur la toile accusent les haratine d’être responsables des
tueries des événements de 1989, ils semblent même écarter les
autorités de l’époque de toute responsabilité de ce drame qui
s’est abattu sur les Noirs, donnez-nous votre sentiment sur la
tournure autour de ce dossier brûlant source de tous nos malaises
nationaux actuellement ?
M.S :
Responsables des tueries des évènements de 1989, c’est trop
dire. Instrumentaliser, peut-être. Avec tout de même des
circonstances atténuantes pour ces pauvres haratines, ignorants
dans leur écrasante majorité, qui ont été invités, dans les
villes et villages à servir d’instruments d’exécution pour la
basse besogne. Les vrais responsables de ces tueries sont connus.
C’est d’abord l’Etat raciste de l’époque et les élites qui
ont voulu s’en servir pour tenter de « dénégrifier »
le pays autrement qu’ils ne l’avaient déjà fait pour
l’administration, en arabisant à outrance le système éducatif.
Qu’on cherche maintenant, vingt ans après, à réécrire
l’histoire pour rendre les haratines responsables de ces tueries,
relève de la machination. Je dirai seulement que nos frères
Négro-africains ne doivent pas suivre cette voie qui cherche plutôt
à brouiller les pistes et à couvrir les vrais responsables.
Ensuite, il faut éviter d’évoquer une responsabilité
collective. Des associations négro-africaines ont réussi, je
crois, à dresser la liste de ceux qui sont directement impliqués
dans ces crimes. Il y a des bourreaux et des complicités dans
toutes les communautés, y compris celle des victimes. Si Aziz veut
vraiment régler la question du passif humanitaire, il doit refuser
l’impunité dont bénéficie toujours les auteurs connus de ces
exactions.
L’association
des haratine de Mauritanie en Europe (A.H.M.E) a été créée en
juillet 2001, comment jugez-vous les activités qu’elle mène
depuis l’étranger sur le plan médiatique de la problématique
sur l’esclavage ? Est-elle efficace dans les démarches
d’alertes et de pressions qu’elle exerce sur les autorités
mauritaniennes dans les affaires liées à l’esclavage ? Le
racisme est-il indissociable de l’ esclavage ?
M.S :
L’A.H.M.E est indispensable comme relai et comme complément à
l’action que d’autres mènent ici sur le terrain. N’eut été
son action, celle de son président Mohamed Yahya Ould Ciré, le
monde extérieur n’aurait pas eu l’image exacte de ce qui se
passe ici. Certes, les militants des droits de l’homme, notamment
ceux qui dénoncent l’esclavage, voyagent et portent la question
dans tous les forums mondiaux, mais c’est une action ponctuelle
qui a besoin d’être entretenue et valorisée pour maintenir la
pression sur le pouvoir et l’amener à aller dans le sens de la
mise en œuvre de l’arsenal juridique censé être élaboré pour
punir les esclavagistes, et non pas continuer à faire semblant.
Avez-vous
un message à adresser à nos lecteurs ?
M.S :
Oui, je leur souhaite bonne fin de Ramadan et qu’Allah les
préserve de tout mal pour qu’ils le revivent encore et encore. Je
les remercie pour l’attention qu’ils accordent à ce blog qui
est l’une des rares vitrines qui donne aux journalistes et
intellectuels haratines l’opportunité de parler de nos problèmes
et de ceux qui nous tiennent à cœur, en tant que mauritaniens
désireux de voir leur pays sortir de toutes ces pratiques (racisme
et esclavage) qui ternissent encore son image à l’extérieur. Je
vous remercie.
L’équipe
du Blog au secours des haratine : SOS abolition remercie
infiniment Mohamed Sneiba d’avoir accepté de répondre à nos
questions.