A.H.M.E.
INTERVIEW 6:
Interview de Oubeid Ould Imijine au site www.haratine.com
Interview
Oubeid Ould Imijine
A.H.M.E
: Nos lecteurs savent très peu de choses sur vous. Vous êtes
journaliste de formation et militant anti-esclavagiste engagé.
Je suis diplômé de l’université de Nouakchott, promotion 2006. En suivant mes convictions, j’ai versé très tôt dans la vie associative, j’ai monté plusieurs Activités Génératrices de Revenus dans la Moughataa de Dar Naim (Nouakchott) au profit des femmes hratines particulièrement. Ces activités continuent de faire vivre plusieurs familles dans cette commune. J’ai décidé de quitter ce domaine car j’ai découvert que la société civile en Mauritanie est basée sur la ségrégation, l’exclusion et le clientélisme. Depuis mon très jeune âge, je me suis intéressé à la presse, j’ai travaillé pour plusieurs journaux indépendants dans la rédaction avant de commencer à écrire. J’ai fait la connaissance du camarade Biram à travers mes écrits au journal Al-hourriya. Lui-même écrivait à Essiraje, et nos idées convergeaient, ce qui a fait que nous nous sommes découverts mutuellement autour de la problématique hratine. J’ai trouvé ses idées dans le domaine assez progressistes, vu mon appartenance antérieure à l’école du MND, j’ai appris à travers lui le militantisme historique d’Elhor. J’ai été l’objet de toutes sortes d’exclusion et de marginalisation et, très souvent, on me reprochait d’orienter mes écrits vers la cause hratine. Quand j’ai commencé après le coup d’Etat de 2005 à travailler à Radio Mauritanie, j’ai osé animer une émission sur l’esclavage à la « chaîne de la citoyenneté » où j’ai invité Boubakar Messoud et Biram Ould Dah Ould Abeid, considérés par mes chefs comme des gens non fréquentables. J’ai subi le même sort plus tard au niveau de l’AMI car le directeur de cette institution ne supportait pas le fait que je m’affiche dans mes écrits contre l’exclusion et la marginalisation des minorités. Il a donc mis fin à mes services a l’AMI. J’ai continué mon chemin, en âme et conscience, et j’ai un projet qui me tiens à cœur c’est de créer « club des journalistes des droits humains ». Cela dit, je suis plutôt intéressé par ce domaine, j’ai créé avec des camarades le site (www.ar.initi.net) dont je suis le webmaster de la version arabe.
A.H.M.E
: Dans votre carrière, avez-vous subi des pressions du fait de
l'Etat, la féodalité maure, etc. pour vous empêcher d'exercer
votre métier d'information ?
A.H.M.E : Les moyens d'information publics et privés en Mauritanie accordent-ils la place méritée au fléau de l'esclavage? Et qu'en est-il aussi au niveau du monde arabe ?
A.H.M.E
: La lutte contre l'esclavage
achoppe sur l'inapplication des textes juridiques par l'Etat. Que
pensez-vous de cette situation ?
A.H.M.E : Face à l'esclavage, quel est le rôle de l'Islam dans l'inertie de la société mauritanienne qui touche toutes les ethnies du pays ?
A.H.M.E
: Quelle est la place qu'occupe
la communauté haratine dans le domaine de l'information en
Mauritanie ?
Le seul journal dirigé par un Haratine ayant pu s’imposer c’est L’Authentique de (Oumar Ould Abdallahi). Quant au nombre des journalistes hratines, il est peu connu, en l’absence des statistiques viables. Néanmoins, je sais qu’il y en a un bon nombre et il ne cesse de grandir au fil des jours. (Mohamed Ould Sneiba) en est l’un des plus célèbres. Il a été lauréat, en 2001 et 2004 du Prix du Meilleur article de la presse décerné par la représentation du PNUD en Mauritanie. Malgré qu’il dispose de son propre récépissé de journal, il a longtemps fait les frais, comme beaucoup de ses congénères, de l’exploitation des organes de presse Baydhanes. Avant de travailler finalement à L’Authentique où il retrouve plus de liberté pour s’exprimer et moins de pression de la part son nouveau « patron » qui est plutôt un frère et un ami.
A.H.M.E : Les partis politiques tels qu’APP et les autres formations qui se veulent progressistes, jouent-ils pleinement le rôle sur la question de l'esclavage et du racisme ?
Ces partis doivent continuer à insister sur l’obligation du devoir qui consiste à appliquer la volonté du peuple et mettre fin à la discrimination qui vise les couches stigmatisées qui constituent la majorité de la population. On constate, par ailleurs, bien que le principal défi après l’esclavage soit le racisme, que les politiciens et la société civile évitent toujours de l’indexer. On refuse de le nommer. Si on en parle, c’est de façon très rhétorique, par détours. C’est incorrect.
A.H.M.E : La société civile maure se désintéresse, à quelques rares exceptions, de l'esclavage. Il en est de même de la société civile négro-mauritanienne. Pourquoi ?
Personne n’est responsable des forfaitures des aïeux. C’est pourquoi il faut se libérer des complexes que nos gouvernants ont toujours essayé de développer en faisant de l’évocation de ce fléau un tabou. Nous regrettons qu’il n’y ait pas de mobilisation contre les pratiques de l’esclavage, à l’instar du mouvement d’ensemble, cette agitation des intellectuels maures à chaque fois qu’il est question de la Palestine. On marche pour un oui ou un non dès que l’on parle d’Arabe, d’arabisation ou d’arabité. Jamais pour protester contre l’iniquité, les torts et les tares. L’esclavage existe dans toutes les communautés linguistiques et culturelles. Ce n’est pas l’affaire des seuls Hratines même s’ils en souffrent plus que quiconque. C’est un frein au développement. C’est un parjure par ce temps. Le combat contre lui doit être national. Mais il importe de savoir que l’absence des maures et des négro-africains n’empêchera pas les Hratines de poursuivre leur combat.
A.H.M.E : Relativement à l'esclavage, les intellectuels mauritaniens (toutes ethnies confondues) remplissent-ils leur rôle d'alerte et de dénonciation ?
Quelques soubresauts sont de temps en temps ressentis. Des initiatives par-ci, des initiatives par-là mais qui finissent souvent par céder à la pression et avorter. Elles sont circonstancielles ! Elles naissent au gré des événements. Au point que nous les considérons parfois comme suscitées par le système pour absorber la colère des Hratines. Ce genre d’intellectuels organiques, sont les ennemis de la cause et veulent noyer le poisson.
A.H.M.E : S'agissant de la liberté d'information en Mauritanie, quelle est la différence entre le régime de Ould Taya et celui de Ould Abdel Aziz ?
A ziz est un mauvais élève de Taya, qui n’arrive pas à suivre les pas de son maître surtout qu’il fait, aujourd’hui, un aveu d’impuissance indiscutable.
A.H.M.E : Au stade actuel de la lutte qui oppose l'Etat mauritanien et la féodalité maure aux anti-esclavagistes, quels sont les facteurs de blocage ?
Oubeid ould Imijine : Il y a plusieurs facteurs de blocage. D’abord la volonté des féodaux et le pouvoir à faire l’amalgame et faire diversion sur les pratiques de l’esclavage qu’ils tiennent à réduire à des faits d’exploitation des mineurs ou des domestiques, ce qui est inexact. Ensuite, on a le refus récurrent de la police, sur ordre des autorités, à ne pas mener des enquêtes sur les cas révélés de pratiques d’esclavage ; puis le blocage de la loi 0048-2007 sanctionnant et criminalisant ces pratiques odieuses ; enfin le refus de l’Etat de s’occuper ou à la rigueur d’assister tous les esclaves libérés malgré l’existence d’un budget voté chaque année dans le cadre d’une prétendue « lutte contre les séquelles de l’esclavage ».
A.H.M.E. : Le débat sur l'arabité et la non-arabité des Hratine se pose. Quel est votre point de vue ?
Le seul cadre partisan de l’arabité est apte à être président du Conseil constitutionnel, ambassadeur en Suisse, directeur de l’AMI. Celui qui s’assume et ose dire autrement se trouve au ban des accusés! La vérité est que nous ne sommes ni arabes ni négro- africains. Nous sommes Haratines, c’est-à-dire, un trait d’union entre les Arabes et les Négro-africains de la Mauritanie. Il est indéniable que notre culture est quasiment arabe, du fait des facteurs sociétaux et notamment linguistiques. Mais personne ne peut récuser le substrat culturel nègre qui teinte en filigrane la personnalité haratine. Ceci est d’autant plus vrai que nous sommes incontestablement d’origine Négro-africaine. En effet, et pour détailler mon point de vue, je dirai que je n’ai rien contre la culture arabe. J’y vois quelque peu mon image. Mais je refuse d’appartenir à une culture et une société qui stigmatisent le hartani et le marginalise, qui arabisent les Haratine contre vents et marées à des fins politiques, démagogiques et de propagande. Les Haratine sont destinés à une consommation démographique, à cause de leur poids qui en fait la plus grande composante nationale. Il ne sert qu’à justifier l’hégémonie et la part léonine des Arabo-berbère au sens étroit, c’est-à-dire le maures voire le blanc. Dans sa volonté d'arabisation, la télévision mauritanienne ne montre les Haratine que danseurs, ignorants, subalternes, Medah, éboueurs, domestiques… Ils ne sont bons que pour les stéréotypes et les clichés. Voilà tout. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas blancs. Ceci étant, ce sont des corps étrangers à l’arabité… Cependant si on creuse, on se rend compte qu’il n’y pas du tout d’arabes de souche en Mauritanie. Du moins, c’est une minorité. L’écrasante majorité est berbère. Et l’histoire le confirme, les noms des tribus et des lieux.
A.H.M.E. : Pour abolir l'esclavage en Mauritanie, l'Etat et la féodalité maure d'une part et les anti-esclavagistes d'autre part, se livrent une guerre. La guerre est faite de plusieurs batailles comme disait le général De Gaulle. Les
anti-esclavagistes ont remporté deux récentes batailles :
J’ajoute, enfin, que ce combat engagé par le mouvement abolitionniste est en train d’inaugurer de nouvelles méthodes de lutte pacifique qui donneront de grands résultats dans les tous prochains mois ! Je note au passage que le procureur de la République m'a confirmé que cette grève de la faim les a embarrassés plus que n’importe autre forme de militantisme et les a poussés à agir.
A.H.M.E. : Quelles sont vos impressions relatives aux activités de A.H.M.E. ?
En tant que journaliste, je suis conscient de l’ampleur du travail que vous faites. Car si nos actions à l’intérieur ont pu avoir un grand écho à l’extérieur du pays, c’est grâce a vos efforts. Cela nous l’avions su avec l’arrestation arbitraire de notre camarde Biram et ses compagnons ! Je tiens, ici, à réitérer la suggestion solennellement formulée par certains cadres, concernant la nécessité de lancer une version arabe du site www.haratine.com
A.H.M.E. : Votre dernier mot aux lecteurs du site www.haratine.com ?
Au nom de mes camarades dans IRA, J’appelle nos frères mauritaniens de tous les bords, à plus de coopération, de sacrifice et de dépassement pour mettre un terme à ces disparités injustes et anachroniques, en vue aussi de créer une Mauritanie de justice et d’égalité ! Il faut que nous puissions, tous et ensemble, oeuvrer en faveur de l’unité nationale qui passe par le bannissement des pratiques odieuses de l’esclavage et du racisme. Que tout le monde sache que les Haratines ne portent aucune haine, mais ne tolèrent plus qu’ils soient traités comme de petites gens, sous les auspices des forces occultent parrainées par le racisme d’Etat.
L'équipe du site www.haratine.com vous remercie d'avoir répondu à ses questions.
Le 22 mai 2011 |
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