Tunisie. « Ennahda prépare une république
islamique à l’iranienne »
Rédigé par Martine Gozlan le Dimanche
20 Janvier 2013
Alors que le verdict du scandaleux procès du doyen de la Faculté
de la Manouba a encore été repoussé, l’universitaire Habib
Mellakh raconte dans un livre saisissant le quotidien de
l’affrontement avec les salafistes et appelle à l’unité des
démocrates contre le projet théocratique et totalitaire islamiste.
Rencontre.
Dans la guerre d’usure qu’ont
livrée les salafistes à l’équipe pédagogique de la Manouba,
près de Tunis, depuis le 28 novembre 2011, Habib Mellakh a fait
office de scribe. Ce professeur de français, syndicaliste de
toujours, avait l’expérience des luttes dans une université qui,
sous la dictature, avait défendu les libertés académiques et
syndicales. Mellakh s’est tenu vaillamment aux côtés du doyen
Habib Kazdaghli
(victime d’un procès scandaleux,
toujours en attente d’un verdict repoussé à mars prochain) en
informant jour après jour l’opinion des faits gravissimes qui se
déroulaient à la faculté. Il publie aujourd’hui ses «
Chroniques du Manoubistan »*. Conçues au départ comme un bulletin
interne à l’université, ces notes tissent le récit d’une
résistance obstinée à l’obscurantisme. Elles posent aussi les
conditions d’une unité des démocrates comme Habib Mellakh nous
l’explique dans cette interview.
Vous êtes, avec le doyen
Kazdaghli, au cœur de la lutte contre le salafisme quotidien depuis
14 mois. Votre combat a dépassé les frontières et un éditorial du
Monde réclamait la semaine passée l’acquittement du doyen.
L’opposition tunisienne à l’islamisme existe fortement et fait
peur au pouvoir islamiste. A-t-elle une chance de l’emporter sur
Ennahda aux prochaines élections si elle parvient à s’unir ? — Habib Mellakh : Je
pose très clairement dans mes chroniques la question de l’unité
de l’opposition. J’ai régulièrement lancé des appels à
l’union de la société civile. C’est l’objectif de notre «
Association tunisienne de défense des valeurs universitaires » qui
regroupe toutes sortes de citoyens, bien au-delà de l’université.
Pour créer un Front solidaire, nous nous sommes aperçus qu’il
tenait autour du projet bourguibiste, héritage national. Seul le
Front des démocrates et des modernistes est capable de réaliser le
rêve caressé le 14 janvier 2011 lors de la révolution.
Comment les partisans de ce
sursaut peuvent-ils faire masse face aux islamistes ? — Habib Mellakh : La
conjoncture est favorable. En effet, les Tunisiens sont de plus en
plus nombreux à réaliser qu’Ennahda n’est pas un parti
démocrate musulman, mais bel et bien un parti religieux radical qui
endosse le costume de la démocratie pour rassurer l’Europe et
l’Amérique. Le pouvoir ne fait rien pour sanctionner les attaques
contre les universitaires, les artistes, les journalistes, les
femmes. Il s’agit d’une remise en cause du modernisme tunisien.
Les pseudo-Ligues de protection de la Révolution et les salafistes
utilisent la violence dans ce but : c’est le bras armé d’Ennahda.
Il y a beaucoup de haine de la part des extrémistes religieux.
Deux Tunisie s’affrontent ? — Habib Mellakh : Mais
nous ferons tout pour l’emporter. Sans doute, face à Ennahda, le
Front a-t-il encore du mal à se constituer. Il regroupe des forces
diverses, de l’extrême gauche aux libéraux. La formation de ce
bloc s’impose comme une urgence. Car ce que prépare Ennahda, ce
n’est pas un régime républicain civil, mais à un système
islamique à l’iranienne. Ils veulent marcher vers une république
théocratique !
Sait-on quand auront lieu les
élections ? — Habib Mellakh : Elles
ne pourront avoir lieu que si le climat politique le permet. Si les
agressions recommencent, comme ce fut le cas à Tatatouine (1 mort
parmi les opposants à Ennahda) et à Djerba (où la réunion
organisée par Caid Beji Essebsi, leader du parti d’opposition
Nidaa Tounes, fut attaquée par les islamistes), on ne pourra pas
faire campagne dans une atmosphère de respect et de sécurité. La
violence dictera sa loi à la démocratie.
* Les « Chroniques du Manoubistan
»sont parues aux éditions Cérès.
Source
: http://www.marianne.net/martinegozlan/Tunisie-Ennahda-prepare-une-republique- islamique-a-l-iranienne_a49.html
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