INTERVIEW
Me Fatimata
M’Baye, avocate, Présidente de l’AMDH et vice-présidente de la FIDH au CALAME :
" Tous ceux
qui se présentent, aujourd´hui, à la présidentielle ont. de près ou de
loin, flirté avec lui. C´est vraiment dommage que des négro-mauritaniens que je
ne nommerai pas, ici - je leur dois respect, ce sont mes frères - acceptent de
jouer ce jeu. Personne n´est dupe, dans ce pays, on connaît le rôle dévolu aux
Négro-mauritaniens et aux Hartanis. Aujourd´hui, qui veut-on tromper ? Quand
des Négro-mauritaniens, issus d´un certain milieu, que tout le monde connaît
viennent se présenter aux côtés du général qui avant même de
démissionner, a déjà finit sa campagne, c´est, vraiment, ridicule. Moi, je suis
tentée d´interroger : comment ces candidats se sont-ils acquittés de leur
caution ? "
Me Fatimata M’Baye est considérée comme une icône de
la lutte pour la défense des droits de l’Homme. Constante dans son combat,
cohérente dans ses idées, elle a eu à en payer le prix. Elle a été,
notamment, deux fois jetée en prison, sous le régime d’Ould Taya. Des femmes,
portant leur enfant sur le dos, viennent trouver, auprès de cette inlassable
avocate des pauvres, aide et assistance. Elle a réussi à s’imposer, dans un
milieu plutôt «machiste», ce qui lui a valu d’être portée à la tête de
l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH), et à la
vice-présidence de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH).
Elle fait partie de cette espèce d’avocats incapables de réclamer, à un nécessiteux,
des honoraires. Les femmes et autres ouvriers qui attendaient, dans la salle
d’attente, ne tarissent pas d’éloges sur cette dame, qui a choisi de consacrer
presque tout son temps aux autres. Dans cette interview exclusive au Calame,
elle livre une analyse, sans complaisance, sur le règlement partiel du
passif humanitaire, négocié entre le HCE et le COVIRE.
Le Calame : Même si l´incident date
de quelques jours, il n´a, certainement, pas manqué de retenir votre attention.
Comment avez-vous réagi à la brutalité perpétrée, par la police, contre les
femmes parlementaires venues protester, devant les Nations-Unies, contre
l´agenda des putschistes ?
Me Fatimata M´Baye : Je
vous remercie pour le travail d´information que vous réalisez et l´intérêt que
le Calame porte à ma modeste personne. Ceci étant, ce qui se passe dans ce pays
est, tout simplement, déplorable.Ailleurs, c´est par des manifestations
légales, sit-in, mouvements de rue, médiatisation, sensibilisation, etc. que
les citoyens, analphabètes ou cultivés, politisés ou syndiqués, protestent, si
nécessaire, contre le pouvoir du prince. Mais, chez nous, les gouvernants ont
toujours et de façon générale, surfé sur la passivité des populations. Je dis
"de façon générale", parce que. dans toutes les sphères, politiques
et sociales, ce sont les élites qui réagissent, chaque fois que les droits
élémentaires des citoyens sont bafoués par les maîtres des lieux. Or, dans
notre pays, je suis vraiment désolée de le relever, ce sont ces gens-là qui
encouragent une certaine passivité et s´y complaisent, eux-mêmes. C´est
pourquoi la moindre réaction du citoyen lambda est, souvent, mal accueillie par
le pouvoir en place. Considérées comme le maillon faible de la société, les
femmes ont relevé la tête, depuis 1989, pour dénoncer toutes les formes
d´exactions commises à l´égard des populations, pour dire non à l´arbitraire.
C´est dans cette logique qu´il faut inscrire leur protestation contre ce qui se
passe, actuellement, dans le pays. Et les pouvoirs publics en place n´ont pas
trouvé mieux que de charger ces femmes, des parlementaires, des mères, qui
exerçaient, par un simple sit-in pacifique, un droit pourtant garanti par notre
Constitution. La violence policière cessera d´être d´actualité, dans ce pays,
le jour où les pouvoirs publics auront, enfin, admis la normalité de
l´opposition à leur pouvoir. La mission de la police n´est pas que répressive,
elle est, aussi et avant tout, éducative. Mais, chez nous,
malheureusement, celle-ci s´est cantonnée dans la répression. Elle s´est
muée en bras armé du pouvoir. Elle impose le silence aux citoyens, à tous ceux
qui ne pensent pas comme le prince du moment. C´est pourquoi porte-t-elle une
lourde responsabilité , dans toutes lesexactions commises ici. D´où le
sentiment de rejet, que vous constatez un peu partout, des populations à son
égard. Dans la moindre famille, menacez un enfant de l´arrivée du policier, il
se tait, aussitôt. Voyez-vous l´image négative qu´on colle à la police ? La
police devrait rassurer, sécuriser les populations et leurs biens. Or, personne
n´est, aujourd´hui, à l´abri de ses brimades qui peuvent s´abattre sur
n´importe quel citoyen, à tout moment. Quand on voit une police passer à tabac
des élus, des personnalités responsables et respectables, on se demande le sort
qu´elle peut réserver à des citoyens quelconques, non-avertis, ignorant leurs
droits les plus élémentaires. On doit cesser d´utiliser la police contre des
citoyens non-armés.
Le Calame : Le général Ould Abdel
Aziz, alors chef de l´Etat en tournée dans la vallée, a annoncé, à Kaédi, le
règlement de l´épineux dossier du passif humanitaire, suite à un accord signé
avec des représentants des victimes, en l´occurrence le COVIRE. Comment la
militante des Droits de l´homme que vous êtes et qui se bat, toujours, pour une
solution à ce problème, a-t-elle accueilli cette annonce ?
ME FAATIMATA MBAAY :
Laissez-moi vous dire, d´emblée, que le COVIRE. en signant cet accord avec le
pouvoir, endosse l´entière responsabilité de ce qui pourrait en résulter. Et je
suis tentée de demander, au COVIRE. ce qui a changé, aujourd´hui, par rapport à
la proposition d´Ould Taya. Pourquoi ont-ils accepté ce qu´ils ont
refusé à celui-ci, qui leur avait proposé un règlement à l´amiable, assorti de
quelques postes, de terrains fonciers et de l´argent ? Qu´est-ce qui leur a
fait accepter, subitement, la proposition du HCE ? Qu´est-ce qui a changé ?
Qu´est-ce qui leur a fait abandonner toute logique juridique et sociale ?
Cela n´engage qu´eux, naturellement, parce qu´ils sont les premiers concernés,
mais cela nous regarde, aussi, en tant que société civile. Car ce qui nous
intéresse, nous, c´est que des exactions, ignobles, commises sur une composante
nationale, qu´elle soit négro-mauritanienne, bien que je n´aime pas ce mot,
beïdane ou hartani, soient bannies, à jamais, de notre pays. Toutes les
populations doivent bénéficier d´un même traitement. En tant qu´avocate, en
tant que juriste, je me différencie de beaucoup de mes pairs. A ce titre, je
reprendrais, tout simplement, les propos tenus par le ministre de la justice, à
la cérémonie de Kaédi, qui a dit : "les partisans de la
"justice transitionnelle" doivent se calmer". Je suis,
vraiment, désolée d´entendre ça, de la bouche d´un grand juriste, que j´estime
beaucoup, qui a une grande expérience sur la question, pour avoir parcouru
beaucoup de pays qui ont connu des crises au moins aussi profondes que celle
vécue par la Mauritanie, en 1989. Il a été au Burundi, il sait comment les
choses se sont passées, il était dans le système des Nations-Unies qui ont
imposé la "justice transitionnelle" . afin d´éviter que les
populations se fassent, elles-mêmes, justice. Je pense que si nos autorités
avaient bien saisi la quintessence de cette justice transitionnelle, les avantages
qu´elle offre à notre pays, elles n´y auraient pas renoncé, parce qu´il y va de
l´intérêt même de la Mauritanie et des Mauritaniens. Je suis, aussi, désolée de
constater que cette affaire a été réglée sur le dos des victimes ou des
ayant-droits. Certains y ont tiré profit, grâce à des dessous de table
inqualifiables. Comme on le dit, en Pulaar il s´est agi de
"belléré gadial" : autrement dit : de la graisse d´une
espèce de poisson qui se nourrit de sa propre graisse. Ceux qui ont cherché à
régler, à la va-vite, ce problème se sont servis, eux-mêmes, avant de penser
aux autres. Or, pour nous, il ne s´agit pas de tirer la couverture de notre
côté mais, plutôt, d´amener les Mauritaniens à se réconcilier avec eux-mêmes,
sans imposer ou décréter l´impunité pour les bourreaux, à travers un
moindre discours de pardon. C´est très grave et c´est, peut-être, parce
qu´ils sont aux commandes du pays qu´ils ne mesurent pas la gravité de l´acte
ainsi posé. L´histoire dira, un jour, si c´est eux qui ont raison ou nous. Aujourd´hui,
il ne devrait pas s´agir de couvrir le bourreau mais de faire de sorte que
celui-ci soit mis hors d´état de nuire, pour que de tels actes ne se
reproduisent pas, demain.
Le Calame : Que faudrait-il faire, à
votre avis, pour régler, définitivement, cette épineuse question du passif
humanitaire ?
ME FAATIMATA MBAAY : En
tout cas. ce problème est loin d´être définitivement réglé, comme on le
prétend, parce que. je le répète, la justice traditionnelle n´est pas,
seulement, liée à la disparition des personnes mais elle englobe
beaucoup d´autres aspects, telles que la cohabitation et la véritable place,
tout simplement, de populations mauritaniennes considérées comme des citoyens
de seconde zone. Aujourd´hui - demain, plus encore - des questions,
cruciales, se posent, elles sont liées à la terre, à l´état-civil, etc. Je
dirais qu´il s´agit là d´une véritable poudrière, pour la Mauritanie. Tant
qu´on n´aura pas décidé de régler, une fois pour toutes, ces problèmes, le
passif humanitaire demeurera entier. 11 faut que les pouvoirs publics et la
classe politique acceptent de se mettre autour d´une table. Quand je dis
"la classe politique", je fais allusion à notre élite intellectuelle,
parce que c´est celle-ci, il faut oser le dire, qui, voulant préserver,
seulement, ses intérêts égoïstes, refuse de reconnaître, aux citoyens de la
Mauritanie d´en bas, leurs droits les plus élémentaires.
Le Calame : Le
"monsieur-passif- humanitaire" du HCE a traité avec le COVI¬RE,
seulement, laissant, sur le carreau, toutes les organisations des droits de
´Homme, dont la vôtre. Pourquoi cette "ségrégation" ?
ME FAATIMATA MBAAY : Je
pense, comme je vous l´ai dit tantôt, que cette question a été tout simplement,
démarchée, et c´est le sens de ma question concernant le revirement du COVIRE.
Pourquoi les victimes et les ayant-droits n´ont aucune connaissance des termes
de l´accord ? Comme je vous l´ai dit, plus haut, il y a eu beaucoup de dessous
de table. Je suis désolée, une fois de plus, de vous dire que c´est le COVIRE
qui en endosse, seul, l´entière responsabilité ; en aucun cas ni d´aucune
manière, les organisations de défense des droits de l´Homme. Le HCE savait,
pertinemment, que celles-ci, bien au fait de la question, n´accepteraient,
jamais, un tel compromis ; en fait, une telle compromission. Voilà pourquoi
avons-nous été exclues de cette démarche.
Le Calame : Vous êtes avocate,
présidente de l´Association Mauritanienne des Droits de l´Homme (AMDH),
vice-présidente, aussi, de la FIDH, connaissez-vous, à ces divers titres, le
nombre, précis, des disparus de 1989? Un responsable de COVIRE nous a fait
savoir que son organisation ne disposait pas du chiffre exact.
ME FAATIMATA MBAAY : Nous
connaissons, très précisément, le nombre des disparus. Certes, des victimes
font partie du COVIRE mais il y en a ailleurs, et beaucoup de gens ont
travaillé, bien avant le COVIRE, au répertoire des doigts. Dans cette affaire,
il y a beaucoup de victimes laissées pour compte, certaines ont bu jusqu´à la
lie, c´est vous dire, très objectivement, que le dossier n´a pas été traité de
façon équitable. J´ai reçu beaucoup d´appels de l´extérieur, émanant de
victimes des exactions, me demandant si les avocats, constitués en parties
civiles pour les personnes disparues, avaient été associés au règlement du
dossier. Evidement. j´ai répondu que non, parce qu´aucun avocat - à ma
connaissance, du moins -n´a été impliqué dans ce règlement, et que les victimes
et ayants droits, qui ont choisi la voie du HCE, n´ont pas consulté leurs
avocats. C´est la raison pour laquelle, je le répète. COVIRE assume
l´entière responsabilité de la proposition de règlement du dossier. Nous avons
fait un travail sur l´identification des victimes, un travail sur
l´identification des bourreaux, et nous savons qui a fait quoi, nous détenons
des archives. C´est pourquoi j´ai dit, tantôt, que l´Histoire dira qui a
raison, dans cette affaire. Elle aura des pièces, objectives, pour juger. Par
ailleurs, les victimes civiles n´ont pas été prises en compte,
j´affirme, d´autant plus, que cette question n´a été "réglée", hélas,
que très partiellement - je ne trouve pas un autre mot à la place de
"réglée" - parce qu´à partir du moment où on fait un tri entre les
victimes, cela veut dire qu´il y a eu discrimination, et cette discrimination
fait redouter le réveil des vieux démons, la rééditions des exactions.
Le passif humanitaire est donc loin d´être "réglé", même si le
pouvoir cherche à faire accréditer le contraire, parce que, électoralement
parlant, il a besoin de cette frange de population. Ne dit-on pas, en Pulaar :
"yaadoubé niaworé mbadata tawtino-da", littéralement
: "ceux qui se sont intentés un procès ne s´invitent point autour d´un
plat" ? Puisque le pouvoir est juge et partie, l´affaire ne peut évoluer,
pour l´instant, que de cette façon bancale.
Le Calame : Pour vous, ce règlement
n´a que des visées électoralistes ?
ME FAATIMATA MBAAY : Je ne
suis pas la seule observatrice de la question, et beaucoup d´autres
observateurs sont du même avis que moi. Je ne détiens pas la vérité, je la cherche,
j´essaie de comprendre, d´analyser par analogie.Je sais que, dans d´autres
pays, des problèmes aussi gravissimes que ceux qui se sont produits, en
Mauritanie, ont connu des solutions différentes que celle qu´on prétend imposer
chez nous. Même si, par essence, on ne peut pas satisfaire la nature humaine,
il y a quand même un minimum, et le minimum c´est quoi ? C´est, au moins, la
reconnaissance, par le bourreau, du forfait qu´il a commis, de demander le
pardon, de s´engager, à travers serment, devant Dieu, de ne plus, jamais,
récidiver. Mais, dans cette affaire, les tenants du pouvoir sont,
malheureusement, juges et partie, ils n´ont pas su, ou voulu, opter pour un
véritable règlement, concerté et définitif, qui protégerait le pays contre
d´autres exactions de cette nature.
Le Calame : Dans cette recherche de
solution, vous pensez au cas sud-africain et marocain ? Ces solutions
sont-elles possibles, en Mauritanie ?
ME FAATIMATA MBAAY : Voilà
les deux solutions les plus connues, probablement, dans notre sous-région.
Mais, aujourd´hui, il y a l´exemple togolais, qui se met en place, il y a ceux,
peut-être, de la Centre-Afrique, du Libéria, du Congo, etc. Il n´est pas
demandé, à un pays souverain, de faire, systématiquement, du copié-collé, il
doit trouver sa propre solution, qui tienne compte de ses propres spécificités.
Mais, aujourd´hui, même le principe d´une commission "Vérité et
Réconciliation" n´est pas admis en Mauritanie. Parce que, tout simplement,
certains refusent d´être démasqués, ne veulent pas qu´on dise qui a fait quoi,
sur ordre de qui, accepter le devoir de vérité, encore moins celui de justice.
Alors, dans ces conditions,qu´ est-ce qui empêcherait, demain, n´importe qui de
se lever et décider de s´attaquer aux Noirs ? Les bourreaux ne veulent même pas
que les Maures découvrent la vérité et prennent connaissance de l´ampleur du
désastre. A cet égard, je récuse tout amalgame, visant à faire porter la
responsabilité des massacres, perpétrés contre les Négro-mauritaniens. à toute
la communauté maure, alors que, tout le monde le sait, cela fut
1´"oeuvre" de gens qui étaient au pouvoir et qui sont bien connus.
Leur félonie consiste, justement, à s´abriter au sein de leur communauté, en
lui cachant la réalité des faits.
Le Calame : Comment se porte la
Mauritanie, en matière de droits de l´Homme ? Ceux qui sont impliqués et
arrêtés dans le cadre du dossier d´Air Mauritanie sont-ils des prisonniers
d´opinion ou de droit commun ? Est-il facile de se battre pour les droits de
l´Homme, chez nous ?
ME FAATIMATA MBAAY : Sur ce
dossier, je vais vous décevoir, parce qu´étant avocat constitué, je suis tenu
au secret professionnel. Mais, en tant que militante des droits de l´Homme, je
pense que toutes ces campagnes de lutte contre la gabegie manquent de cohérence,
pour ne pas dire de crédibilité. Combien de gens détiennent, aujourd´hui, un
cheptel innombrable un patrimoine faramineux que même les cartels de la drogue
ne peuvent se permettre, des parcs autos ostentatoires, etc. ..? Les
Mauritaniens s´étonnent, tous, de l´écart qui ne cesse de se creuser, chaque
jour, entre une Mauritanie d´en bas et cette infime partie, constituée de ceux
qui se disent, aujourd´hui, les nababs du pays.
Le Calame : Vous êtes avocate, mais
citoyenne, avant tout, de ce pays, donc concernée par ce qui s´y passe, depuis
la "rectification du 6 août". A votre avis, pourquoi les hommes
politiques n´ont pas réussi à trouver un consensus, pour sortir notre pays de
l´impasse ? Que peut ou doit faire la société civile, pour contribuer à celui-là
?
ME FAATIMATA MBAAY :
J´aurais bien voulu trouver une réponse à cette importante question. Je la
trouve très pertinente. Malheureusement, la société civile, comme les partis
politiques et les syndicats sont très divisés, ce qui signifie que l´homme
mauritanien est encore en quête d´une identité, de ce qu´il veut faire et de ce
qu´il veut être. Est-il capable d´opérer une rupture avec certaines tares de la
tradition ? Certaines manières de faire de la politique ? Est-il disposé,
aujourd´hui, à faire preuve de discernement ? C´est seulement quand le
mauritanien acceptera de faire passer les intérêts du pays avant ses intérêts
égoïstes, que ce pays choisira des citoyens intègres, pour prendre en charge sa
destinée. La société civile pourra, alors jouer pleinement son rôle, les
autorités publiques s´attèleront à la mise en place d´un Etat qui garantisse, à
tous les citoyens, la liberté d´opinion, la liberté d´entreprendre, etc.
L´Etat se départira, alors, d´une attitude répressive, toujours prête à mater
la population. Mais, aujourd´hui, nous avons atteint un tel niveau de
musellement que les hommes politiques intègres ne savent plus où donner de la
tête ni comment cadrer leurs actions. La question qui se pose est de savoir à
qui faut-il faire confiance ? Qui croire ? Les Mauritaniens sont devenus
tellement instables, tellement imprévisibles que la culture des principes leur
est devenue, quasiment, inaccessible. ..
Le Calame : Nous sommes à un mois de
l´élection présidentielle du 6 juin. Quatre candidats dont deux
négro-mauritaniens, sont en lice. Ces dernières candidatures font couler
beaucoup d´encre. Que pensez-vous de ces deux postulants ?
ME FAATIMATA MBAAY : Comme
je vous l´ai déjà dit, je ne suis pas analyste politique, et je risquerais
d´être fort maladroite, en telle prétention. Je vais essayer, donc, d´apporter
le point de vue d´une simple citoyenne. C´est vraiment dommage qu´à chaque
quinze mois, on renvoie les Mauritaniens aux urnes pour élire quelqu´un, donner
un chèque en blanc à l´armée ou à une autre entité, pour perpétrer, bientôt, un
coup d´Etat. Il est, tout de même, dommage et regrettable que des personnes qui
se sont positionnées, sur l´échiquier politique, en tant que défenseurs des
sans-voix, acceptent de jouer un jeu qu´ils savent perdu d´avance. Ould Taya
est une référence, puisqu´il a dirigé ce pays, pendant 21 ans. Tout ce qui se
fait, aujourd´hui, résulte de son action. Il a façonné l´homme mauritanien, à
sa manière, il l´a sculpté et formaté, à son image. Tous ceux qui se
présentent, aujourd´hui, à la présidentielle ont. de près ou de loin,
flirté avec lui. C´est vraiment dommage que des négro-mauritaniens que je ne
nommerai pas, :ci -je leur dois respect, ce sont mes frères - acceptent de
jouer ce jeu. Personne n´est dupe, dans ce pays, on connaît le rôle dévolu aux
Négro-mauritaniens et aux Hartanis. On le sait suffisamment ; on sait
la place réservée aux pauvres, aux femmes, aux illettrés. Ce n´est un secret
pour personne. En 2003, on se le rappelle, Ould Taya avait "acheté" une
femme, pour qu´elle se présente contre lui, alors que les femmes peinent tant à
trouver place, rien que dans la magistrature. Comment cette dame pouvait-elle,
alors, prétendre exercer les plus hautes charges de l´Etat ? C´est, tout
simplement, une parodie de démocratie. Aujourd´hui, qui veut-on tromper
? Quand des Négro-mauritaniens, issus d´un certain milieu, que tout le monde
connaît viennent se présenter aux côtés du général qui avant même de
démissionner, a déjà finit sa campagne, c´est, vraiment, ridicule. Moi, je suis
tentée d´interroger : comment ces candidats se sont-ils acquittés de leur
caution ? Pourquoi n´a-t-on pas demandé, à tous les postulants, une déclaration
de leur patrimoine ? Si tant est qu´on veuille "jouer" la transparence,
il fallait exiger, de ceux-ci, qu´ils s´acquittent de celle-là.
Puisque l´heure est à la lutte contre la gabegie et la corruption, on serait
bien inspiré d´éclairer les électeurs sur les biens des hommes qui sollicitent
leur suffrage, sinon, c´est un leurre que même les citoyens lambda n´ont eu
aucun mal à déchiffrer.
PROPOS RECUEILLIS PAR DALAY LAM
Le Calame n° 687 du 12 mai 2009
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