Dr
Mohamed Mahmoud Ould Mah : «En ignorant le bilan du président de la
République, l’opposition risquerait de se décrédibiliser»
Autant
à Nouakchott qu’à Nouadhibou voire dans la sous-région, les
évènements se bousculent et se confondent pour nous faire perdre
dans mille et une interprétations jusqu’à ne plus savoir où
donner de la tête. Marche de l’opposition dans la capitale,
meeting du président de la république à Nouadhibou, flux massif
des populations maliennes fuyant la guerre au Mali, arrestation du
numéro un des renseignements libyens, Abdallah Senoussi, mais aussi
élections présidentielles en France, les sujets de l’actualité
qui préoccupe les mauritaniens sont chauds et demandent l’avis
d’expert qui ne fait pas dans la langue de bois.
Qui
mieux alors que le Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah, Secrétaire Général
de l’UPSD et personnalité incontournable de la vie politique dans
notre pays, pour nous situer dans tout cet imbroglio. Faut-il
rappeler qu’avant de créer l’Union Populaire Sociale Démocrate
(UPSD) dès les premières heures de la démocratisation de la vie
politique dans notre pays, avant de devenir depuis 1996, président
du Comité national olympique, le Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah,
Professeur d’économie à l’Université à Nouakchott, a occupé
les fonctions de Directeur du Budget, de Directeur du Trésor et de
la Comptabilité publique, de Directeur Général de la Sonimex, de
Contrôleur financier de la Mauritanie, de Contrôleur d’Etat.
Mieux, le Dr Ould Mah aura été le premier maire élu en 1986, de la
capitale Nouakchott. Entretien …
Nouakchott
Info : Deux grands événements ont animé la scène politique
nationale la semaine écoulée: la marche de la COD et la visite
d’information et de contact du président de la République dans la
région de Dakhlet Nouadhibou. Il apparaît que les relations entre
le pouvoir et l’opposition sont très tendues. Comment
expliquez-vous ce regain de tension?
Dr
Mohamed Mahmoud Ould Mah:
Il y a plusieurs raisons : - L’absence de projets de société
est pour beaucoup dans ce regain de tension qui se caractérise par
des écarts de langage inadmissibles surtout en ce qui concerne le
Chef de l’Etat, au demeurant protégé, ès-qualité, par la loi.
L’opposition doit être une opposition des idées, des programmes
et non une opposition des personnes. Ce vide idéologique, cette
absence d’idées de gauche ou de droite chez nous, en un mot, cette
absence de toute alternative est vite remplacée par des propos qui
s’apparentent davantage aux attaques personnelles. - La deuxième
raison remonte, à notre avis, à la division de l’opposition entre
les partisans du dialogue avec le gouvernement et ceux qui le
refusent. Cet écart de langage, ce regain de tension ne s’est-il
pas lui-même instauré entre les deux franges de l’opposition,
partisane ou non de ce dialogue avec le pouvoir. Cette tension n’est
pas faite pour nous rassurer sur l’avenir de notre future
Commission électorale nationale indépendante (CENI) et ce, quel que
soit le degré de transparence des futures élections présidentielles
notamment. Notre future CENI saura-t-elle éviter à notre pays le
syndrome ivoirien?
NI
: Que pensez de la présence de l’ancien Chef de l’Etat du temps
du CMJD et de la place qu’il a tenue aussi bien dans le meeting de
l’opposition que dans celui du président de la République à
Nouadhibou ?
Dr
MMOM :
J’avoue que j’étais très surpris aussi bien par sa présence
physique au meeting de l’opposition que par les propos qu’il a
tenus quant à la non légitimité de notre parlement et de celle du
président de la République. Le parlement et le président de la
République ont été élus à l’occasion d’élections qui ne
diffèrent en rien de toutes les élections parlementaires et
présidentielles qui ont eu lieu dans notre pays. S’agissant de
la place que l’ancien Chef de l’Etat a occupée dans le meeting
de Nouadhibou, je pense qu’elle a été à la mesure de celle que
sa présence et ses propos ont pris dans celui de l’opposition.
NI
: L’opposition a dressé, jeudi dernier, un tableau noir du bilan
du président Mohamed Ould Abdel Aziz dont elle demande le départ.
A-t-elle raison ?
Dr
MMOM :
Je respecte le point de vue de l’opposition, mais je ne le partage
pas pour un certain nombre de raisons. En ignorant le bilan du
président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, la nature des
nombreux projets qu’il a réalisés et qu’il est en train de
réaliser, les sources de financements de ces projets,
essentiellement sur fonds publics grâce à un dédoublement des
recettes douanières, l’opposition risquerait de se décrédibiliser
aux yeux des populations bénéficiaires et témoins de ces
réalisations. 1°) Les atouts du président de la République
sont, entre autres : - Contrairement à tous les anciens
présidents, Mohamed Ould Abdel Aziz, n’est pas l’instrument d’un
‘’homme fort’’ de son gouvernement ou d’un groupe de
pressions, familial ou autre ; ses ministres le craignent, et
contrairement à leurs collègues des anciens régimes, ils ont fini
par s’accommoder de manger de la vache maigre, ce qui limite
considérablement le gaspillage et le détournement des deniers de
l’Etat. - Cette politique d’austérité a permis de dégager
d’énormes sommes, essentiellement publiques, qui ont constitué un
marché national solvable, grâce à la mise à profit des grandes
entreprises de l’Etat et des établissements publics, notamment la
SNIM ; une politique qui prend le contrepied de celle des
institutions de Breton Woods (FMI, Banque mondiale) qui préconise la
désétatisation et la privatisation jusqu’ici aveuglement suivie
par les gouvernements précédents. - Sa politique de proximité,
aidée par un sens élevé de pragmatisme, lui permet d’être en
permanence à l’écoute des doléances des populations. - Les
projets, au lieu d’être une conception théorique, dictée de
l’extérieur à la faveur d’une ‘’expertise’’
administrative longue et coûteuse, et qui ne tient compte ni des
réalités du pays, ni non plus de la demande nationale, sont plutôt
en phase avec le quotidien des populations et financés
essentiellement sur fonds propres de l’Etat. - Dans un monde
incertain et dont on ne sait pas de quoi demain sera fait, ces
projets sont plutôt simples, leur circuit de réalisation est
relativement court, de quelques mois à un an ou plus ; et le coût,
quant à lui, est supportable : de quelques centaines de millions à
un milliard ou plus. - Cette approche pragmatique, encore une
fois, fait l’économie des études dont l’énorme coût est
déconnecté de celui du projet lui-même, grâce à l’utilisation
de l’expertise nationale, jusqu’ici marginalisée. 2°) La
nature des projets Les projets couvrent un ensemble de domaines et
de secteurs de très grande sensibilité et en parfaite adéquation
avec les désirs des populations : le soutien des prix de première
nécessité ; les routes ; les aménagements du territoire et les
regroupements des populations avec de nouvelles moughataa, notamment
Nbeikit Lahwach, dans le Dhar, Echami dans la région de Dakhlet
Nouadhibou ; les distributions de terrains ; l’électricité ; les
adductions d’eau ; l’énergie renouvelable ; les traitements de
l’eau de mer pour la rendre consommable ; les usines de fabrique de
glace pour la conservation du poisson frais ; des hôpitaux,
dispensaires et centres de santé ; les marchés ; les maisons de
jeunes ; l’enseignement technique et la formation professionnelle ;
l’extension de l’université de Nouakchott et la création d’une
université des études islamiques ; la reprise par l’Etat du
transport urbain qui a été privatisé, à tort, par la Banque
mondiale ; sans oublier une politique de décentralisation tendant à
renforcer les régions de l’intérieur, etc.
NI
: Quelle appréciation faites-vous de la reprise des hostilités
entre les touaregs et les autorités maliennes et leurs conséquences
sur notre pays et dans la sous-région?
Dr
MMOM :
Je pense que la reprise des hostilités est une conséquence
immédiate de l’intervention de l’OTAN en Libye et constitue un
drame dans la sous-région ; une sous-région déjà largement
perturbée par la présence de l’AQMI, qui semble s’acharner
seulement sur notre pays. En accueillant des milliers de réfugiés
maliens, victimes des hostilités, notre pays ne s’acquitte pas
seulement d’un devoir humanitaire, mais s’attire en même temps
la sympathie des populations touarègues qui s’opposeront, sans
doute, aux attaques de l’AQMI dirigées contre notre pays. Sans
nous réjouir de la reprise des hostilités, loin s’en faut, on
peut reprendre à notre profit l’adage «à quelque chose, malheur
est bon».
NI
: Notre pays vient d’arrêter l’ancien chef des renseignements
libyens, M. Senoussi dont l’extradition est demandée à la fois
par la France, la Libye et la Cour pénale internationale (CPI).
Selon vous, quelle doit être l’attitude de la Mauritanie?
Dr
MMOM :
Je pense que pour des raisons humanitaires, l’extradition de M.
Senoussi en Libye est exclue, quand on se rappelle le traitement
inhumain, que ces autorités avaient réservé au président libyen,
Mouammar El Kadhafi, à son fils et à son ministre de la défense,
rescapés des bombardements d’un drone américain et des mirages
français. Quant à Seïf Al Islam, il s’est vu couper le doigt,
parce qu’il menaçait les opposants en faisant agiter ce même
doigt. La Mauritanie n’est pas signataire du traité de Rome
relatif à la CPI, un instrument du nouvel ordre mondial, spécialisé
dans le seul jugement des Africains et de certains rescapés de
l’ex-Union soviétique. Quant à la demande française, on est en
droit de se demander, pourquoi M. Sarkozy n’avait-il pas exigé de
M. Kadhafi l’extradition de M. Senoussi au moment où il lui
déroulait le tapis rouge sur les marches de l’Elysée. D’ailleurs
l’arrestation de M. Senoussi risquerait de faire ressortir les
accusations de financement de la campagne présidentielle de M.
Sarkozy par la Libye en 2007.
NI
: Il n’est un secret pour personne que vous avez toujours suivi
avec intérêt les campagnes présidentielles françaises. Quelles
réflexions vous inspire l’actuelle campagne?
Dr
MMOM :
M. Sarkozy déclare, à l’occasion de sa visite au culte musulman
de Paris : «Nous voulons d’un Islam de France, mais pas de l’Islam
en France». Bien qu’aucun des candidats français à l’élection
présidentielle, n’est ni d’origine musulmane, ni issu de
l’immigration, cette campagne tourne essentiellement pour M.
Sarkozy et Mme Le Pen, autour de la viande hallal, de l’immigration,
de l’Islam, etc. Comme si le chômage, les crises économiques et
financières, le bilan d’un président sortant, ne sont plus
mobilisateurs dans une démocratie occidentale, qui s’essouffle, de
plus en plus délaissée au profit des taux d’abstention
élevés.
Propos
recueillis par Mohamed Ould Khattatt
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