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Interview avec le Professeur Lô
Gourmo : « Un signal de durcissement du régime qui rappelle ...
...étrangement
la sombre période des procès politiques de l’époque de Ould Taya
».
Professeur à l’Université de
Havre (France), M. Lô Gourmo
fait partie de ceux que les différents régimes successifs ont
refusé de réintégrer dans l’enseignement supérieur après en
avoir été chassé lors des évènements de 1989. Avocat à la Cour,
M. Lô a accepté de répondre à certaines
questions de L’Authentique.
L’Authentique
: récemment pendant une visite inopinée à Teyarett, le Président
de la République a dit que l’immolation par le feu de Dahoud n’a
rien avoir avec le sacrifice d’un pauvre désespéré parce
qu’étant un homme d’affaire riche. Qu’en pensez-vous ?
Lô
Gourmo : j’ai lu la déclaration et ça ma beaucoup
surpris. D’abord parce que, riche ou pauvre, c’est tout de même
un homme qui s’est immolé par le feu. Un homme riche quelque soit
l’importance de sa richesse qui en vient à s’immoler, ne peut
pas l’avoir fait par dilettantisme ou parce qu’il y’aurait une
soi-disant nouvelle conjoncture antigabégie.
Son geste est manifestement
l’expression d’un malaise social profond qui affecte la
quasi-totalité des classes et couches sociales actuellement. Avant
de commettre son geste fatal O. Dahoud s’est justifié. Il l’a
fait par désespoir vis-à-vis du système politique, économique et
social en vigueur en Mauritanie. Le fait qu’il soit « riche » et
éclairé ne fait que souligner le caractère aigu de son désespoir.
Je ne sache pas d’ailleurs que le fait d’être riche
empêche de ressentir, d’éprouver de la compassion pour son
peuple. Après tout le Président Aziz lui-même n’est pas pauvre,
mais se proclame Président des pauvres ! Je pense qu’il y a un
désespoir réel général en Mauritanie qui s’exprime et
s’exprimera de mille et une manières comme un peu partout en
Afrique et dans le monde arabe.
Le geste du jeune tunisien
comme celui de O. Dahoud, dans leur signification profonde,
témoignent de cette immense détresse face à l’absence de
perspectives viables qu’offrent à nos sociétés les régimes
usurpateurs qui y règnent. En Tunisie, le geste fatal a été
déclencheur de l’une des révolutions les plus profondes qu’un
pays africain et arabe ait connue. Il n’a donc pas été vain.
Il
a inspiré le peuple tunisien dans son ensemble puis de plus en plus
de peuples dans le monde arabe et ailleurs. L’immense et symbolique
Egypte est en mouvement. D’autres et d’autres encore suivront
cette voie de la révolution démocratique populaire que ce geste a
ainsi inaugurée.
Il n’a donc été ni anodin ni inutile
pour son peuple et pour les autres peuples. Ainsi tourne la roue de
l’Histoire !
L’Authentique :
le régime actuel s’apprête à organiser des états généraux de
l’éducation afin de résoudre « tous les maux » dans ce domaine.
Qu’en pensez- vous ?
Lô Gourmo :
Tout le monde attend une solution juste, rapide, consensuelle et
efficace à la crise qui affecte notre système d’éducation depuis
des lustres et qui a atteint maintenant un seuil réellement
critique. La question qui se pose n’est pas de savoir s’il est
opportun d’organiser de tels « Etats généraux » mais si le
pouvoir ne va pas nous sortir un de ces machins annoncés avec
beaucoup de bruit pour nourrir les images d’actualité d’une TVM
en mal de sujets de célébration du culte du Chef et qui aident aux
surfactures et aux perdiems des animateurs et des clients du Système
et de ses réseaux !
Le plus grave crime commis contre notre
peuple est le désastre dans lequel a été mis notre Education
nationale. C’est la catastrophe numéro 1. Je dis que s’il y a
une priorité absolue dans ce pays, c’est le redressement du
système éducatif. Tout le monde sent bien et sait bien que c’est
l’avenir du pays qui est en jeu. Il n’y a plus de système
d’éducation en Mauritanie.
Pourquoi le système éducatif
Mauritanien est-il dans un tel état ? Parce qu’il y a un
laisser-faire énorme. Parce qu’on a marchandisé et politisé à
un tel point le système, on a tellement joué avec le feu donc que,
finalement, le feu a brûlé la maison.
Moi je vous dis qu’il
n’y a pratiquement aucun diplôme crédible en Mauritanie
actuellement, sauf dans certaines filières à l’Université. Les
étudiants et les élèves sont à l’abandon parce que les
enseignants eux-mêmes sont les éternels laissés-pour-compte des
reformes régressives successives de l’enseignement ! Les régimes
qui se succèdent, en particulier celui sous lequel nous vivons
actuellement, ne font que proclamer d’année en année l’exigence
de sortir de cette crise. Mais personne n’y croit.
A
commencer par les tenants du système dont les enfants font leurs
classes dans les meilleures écoles privées (généralement
étrangères) que connaît le pays ou sont inscrits à
l’étranger…
Il faut bien sûr des « Etats généraux »
de notre malheureuse Education nationale. Mais qui va les organiser ?
Ceux là mêmes qui l’ont mis dans un tel état des décennies
durant ou qui en ont été les complices ? Qui va participer à ces
rencontres ? Qui va en définir la feuille de route et les thèmes
centraux ?
Il faut que l’ensemble de la classe politique et
les grands segments de la société civile y soient réellement
impliqués hors de toute instrumentalisation politicienne. Ils ne
doivent pas être un truc de plus dans la propagande du pouvoir mais
un réel point de départ pour un redressement et une renaissance
culturelle et scientifique de notre pays. Cela suppose un minimum de
confiance parmi les acteurs politiques et sociaux. Malheureusement
cette confiance n’existe pas actuellement. Donc s’ils se tiennent
dans ces conditions, ils échoueront comme d’autres « états
généraux » naguère…
L’Authentique
: D’après vous quels sont les problèmes saillants de
l’enseignement en Mauritanie ?
Lô
Gourmo : Ces problèmes sont nombreux et complexes et il est
difficile de les hiérarchiser. Mais ils sont connus de tous même
s’ils ne sont pas toujours explicités parfois pour des raisons de
« pudeur » déplacée. Il est clair que l’une des questions
centrales de l’éducation en Mauritanie est celle des langues.
Quelles langues d’enseignement ?
Cette question se pose
depuis l’indépendance et son traitement bureaucratique et
particulariste par les différents régimes n’a cessé d’enfoncer
le pays dans la division et le ressentiment entre ses composantes
nationales et sociales. Aujourd’hui, la tendance dans certains
milieux du régime est de dire que c’est un faux problème.
Comme
si, incapable de résoudre un problème on venait à en nier
l’existence ! Mais pourtant, d’évidence, c’est le problème
numero1.Aujourd’hui le problème est devenu grave car dans nos
Universités, lycées, écoles, etc.les gens ne parlent plus la même
chose. Dans une même classe, on ne se comprend tout simplement plus.
L’élite mauritanienne ne s’entend plus, ne se comprend plus
parce que les gens ne parlent plus les mêmes langues et finissent
par ne plus se rencontrer et échanger dans leur propre pays.
C’est
le résultat final de la légèreté des décideurs mauritaniens sur
cette question depuis plusieurs décennies. Un véritable Apartheid
linguistique a été instauré qui va tôt ou tard dévorer notre
unité nationale ! Le plus grave étant que désormais certains
cercles du pouvoir assument ouvertement cet apartheid.
L’histoire
du statut du français et des langues négro-africaines est devenue
l’histoire charnelle du chauvinisme en Mauritanie. Ceux des enfants
de ce pays qui sont éduqués dans ces langues sont devenus de
véritables parias. Prenons par exemple le français qui est une «
langue usuelle » pour reprendre la formule utilisée par la nouvelle
loi sur l’état civil.
Son caractère « usuel » vient du
fait qu’elle est très officiellement enseignée dans le système
éducatif et tout aussi officiellement employée au sein de
l’administration publique. Elle est donc de ce fait une langue «
officielle » du pays même si la constitution ne reconnaît ce
statut qu’à la langue arabe !
Cette confusion alimente les
pratiques les plus contradictoires de la part de l’Etat et les
pires provocations à l’encontre des francophones, poularophones,
soninkophones et wolofophones qui se sentent de plus en plus floués
et exclus. C’est un drame pour l’immense majorité des
négro-africains mais aussi des arabes éduqués en français dans ce
pays. C’est plus dramatique bien sûr chez les
négro-africains.
Pour beaucoup d’entre eux il n’y a pas
d’avenir simplement à cause de la langue qu’ils maîtrisent qui
n’est pas la bonne pour une poignée de bureaucrates ! Leurs
langues sont folkloriquement considérées comme « nationales » par
la constitution. Même l’enseignement de l’arabe est en grande
partie dévalorisé en raison encore de la restriction de certains de
ses débouchés scientifiques et financiers.
Savez-vous que
les arabisants sont obligés de se faire « francisant » pour avoir
des diplômes étrangers et pouvoir les faire valoir dans leur propre
pays alors qu’ils ont suivi un cursus scolaire entièrement arabe ?
Au bout du compte ce sont les arabisants et les françisants, les
fils de la Mauritanie, toutes ethnies confondues qui sont victimes de
ce système hypocrite et schizophrénique.
Il faut résoudre
ce problème dans le calme, dans la sérénité en voyant les
intérêts de la Mauritanie. Il ne faut plus qu’il y ait un
nationalisme vulgaire sur la question. Il ne faut plus que des vues
étroitement identitaires viennent parasiter et pervertir le débat
sur la question.
Il faut voir ce que nous possédons en propre
(toutes nos langues nationales), ce dont nous avons hérité et qui
désormais fait partie de notre patrimoine et qui nous est utile (en
l’occurrence le français) et voir comment valoriser tout ça pour
le meilleur de notre pays.
Le deuxième élément de fond,
c’est le contenu de notre enseignement. Le système éducatif est
tellement obsolète que ceux qui étaient formés il y a une dizaine
d’années ont plus de culture éducative et scientifique que ceux
qui sortent aujourd’hui de nos Ecoles et Universités. Aujourd’hui
quelqu’un qui a fait le lycée dans les années 70 à un niveau de
formation deux voire trois fois plus élevé que celui d’un lycéen
de même niveau de formation actuellement.
C’est bien sûr
le statut des enseignants, leur revenu, leur formation etc. qui
explique en grande partie cela. Aujourd’hui les enseignants sont
devenus presque la plus basse classe sociale en Mauritanie.
Leurs
propres élèves ne peuvent que difficilement les respecter dans ces
conditions, ce qui se répercute sur les résultats des classes. Il y
a aussi le système administratif, le système des cours, des
matières etc. qu’il faudrait revoir de fond en comble et oser
apporter les bouleversements nécessaires en s’en tenant aux justes
conclusions tirées par les spécialistes et les principaux acteurs
politiques, économiques et sociaux sans complaisance.
L’Authentique : Que vous
inspire l’évolution de la situation au Soudan ?
Lô
Gourmo : La révolution tunisienne puis égyptienne ont
éclipsé le referendum d’autodétermination et l’indépendance
probable du sud Soudan. Il s’agit pourtant d’un évènement
majeur en Afrique et dans le monde arabe où se pose, souvent avec
acuité, la question de la coexistence entre des communautés
distinctes dans un même Etat. Bien sûr chaque pays a ses
spécificités historiques et évolue suivant ses contraintes et
opportunités propres.
De ce point de vue la Mauritanie n’est
pas le Soudan. Mais, par delà ces différences, il existe des
constantes et des facteurs qui pèsent plus lourdement que d’autres
dans tous les pays et qui peuvent fournir des clés d’explication
de certaines évolutions « pathologiques » que peuvent subir les
Etats modernes. On doit donc y prêter la plus grande attention.
S’il faut se féliciter que les choses se passent pour
l’instant relativement pacifiquement quant au processus
d’autodétermination, on ne peut cependant que déplorer qu’on en
soit arrivé à cette extrémité qu’est une sécession, même
pacifique. S’unir est mieux que se séparer !
Mais à qui la
faute de cette séparation qui se profile? Voilà ce qui nous
interpelle et devrait nous faire réfléchir. Fondamentalement, c’est
une politique particulariste panarabiste matinée d’islamisme menée
par un gouvernement central non démocratique qui a été à
l’origine de cette tragédie soudanaise qui dure depuis plusieurs
décennies sous la forme d’une longue guerre civile.
Cette
guerre civile a installé dans les cœurs des uns et des autres,
ressentiment et rancœur et a affaibli l’autorité de l’Etat sur
de vastes parties du territoire, bien au delà du sud (Darfour etc.).
Le chauvinisme arabe plus une vision extrêmement étroite de
l’islam qui n’a rien voir avec l’islam tolérant a abouti au
fait que deux « nations » se sont ainsi constituées à l’intérieur
d’une même nation. Une nation arabe au Nord et une nation au Sud
avec d’ailleurs une multiplicité d’ethnies.
Toutes les
ethnies du sud se sont trouvées unifiées par le comportement des
régimes chauvins du Nord dont le comportement a débouché sur le
fait que les gens du Sud se sont sentis exclus du jeu politique et
économique. D’où la guerre puis le referendum. Les chauvins ont
voulu uniformiser le Soudan, ils se sont retrouvés avec une moitié
de Soudan en définitive !
Notre pays bien sûr n’est pas le
Soudan. Nous avons au moins une homogénéité sur le plan religieux,
nous avons aussi une imbrication ethnique trop forte mais des
politiques chauvines suivies depuis un certain nombre d’années
débouchent sur le fait que petit à petit ne serait qu’au niveau
de l’élite, on assiste à la constitution de deux « nations
».
Aujourd’hui il y a une élite maure et une élite noire
qui se distinguent de plus en plus clairement et qui se regardent de
plus en plus…bizarrement. Désormais, dans les débats, la simple
opération de traduction de l’arabe dans les langues que
comprennent les négro-africains est devenue un acte douloureux.
Comment se fait-il que désormais traduire d’une langue à une
autre soit devenu presque une honte ?
On sait que certains
parlent l’arabe mais pas d’autres mais on refuse de traduire.
Même un Premier Ministre de la République a revendiqué cette
attitude discriminatoire ! Des non chauvins sincères ne se posent
plus la question de savoir s’ils se font ou non comprendre par des
négro-africains !
C’est un peu la situation qui était
celle que l’élite arabe subissait à la fin de la colonisation
quand les francisants laissaient en rade les arabisants marginalisés
de la vie politique, économique etc. Il y a comme une sorte de
revanche de l’histoire mais il ne faut pas qu’on aille sur cette
sorte de jeu de bascule.
Parce que nous devrions tirer les
leçons de l’expérience du passé pour mieux nous corriger.
Aujourd’hui, il y’a beaucoup de raisons de s’inquiéter,
en plus des aspects culturels que je viens d’évoquer : il suffit
de voir comment sont traitées les questions foncières dans la
Vallée, les spoliations actuelles des paysans en faveur de certaines
puissances financières hégémonistes, les graves incertitudes
créées autour de la question de l’état-civil dues notamment à
la composition de l’organe de gestion anticonstitutionnel crée et
dont la composition est ouvertement discriminatoire vis-à-vis des
négro-africains, l’arrêt brutal des rapatriements des déportés
et le refus du règlement définitif du « passif humanitaire »
etc.etc.
On dirait que l’on assiste à une course effrénée
vers la dislocation de l’unité nationale alors que des progrès
remarquables avaient été réalisés ces dernières années depuis
le renversement du régime de O. Taya.
C’est dans ce sens
que je disais tout à l’heure que nous devrions nous inspirer de
l’expérience négative du Soudan et savoir que tout chauvinisme
officiel est nécessairement une programmation de sombres présages
pour l’avenir de l’unité nationale.
Quand je parle du
Soudan, je veux dire que nous n’échapperons pas au destin de la
séparation si nous ne prenons pas garde qu’une partie de notre
propre élite est en train de s’assoir sur notre unité
nationale.
C’est la virulence chauvine d’une partie de
notre élite (qui s’est incrustée très profondément dans le
pouvoir d’Etat par strates successives) qui est en train de créer
les conditions du séparatisme dans nos esprits avant de nous
l’imposer dans les faits. C’est la raison pour laquelle
aujourd’hui le devoir de dire la vérité est devenu impératif
pour que nous résistions, pour que dans 20 ans, 40ans ou 50 ans nous
ne soyons pas un nouveau Soudan.
Parce que la situation du
Soudan n’est pas sortie du néant mais d’une longue pratique
insidieuse. Et nous en Mauritanie nous devrons éviter cela. Nous ne
sommes pas meilleurs que les autres. Nous sommes comme les autres
peuples. Si nous ne prenons pas en charge certaines revendications ou
problèmes pour les résoudre dans le meilleur des intérêts de
l’immense majorité de notre peuple, nous aurions nous même creusé
la tombe de notre nation.
L’Authentique
: en tant juriste que pensez-vous de l’adoption de la nouvelle loi
sur l’état civil que beaucoup d’organismes de Droit de l’Homme
traitent de discriminatoire contre les négro-africains ?
Lô
Gourmo : La question de l’état civil est une question
très sensible un peu partout dans le monde. Sur le fond, la plupart
des dispositions de la loi nouvelle me semblent bonnes et
contribueront à la modernisation de notre état-civil. Mais, comme
l’ont fait remarquer les députés de l’opposition et des
organisations de la société civile, cette loi si importante a été
pour ainsi dire bâclée dans sa présentation en n’a fait l’objet
que d’une assez faible explication auprès des principaux
intéressés c’est à dire les citoyens eux-mêmes.
On ne
peut pas dans une question sensible comme celle là avoir une
approche autoritaire et verticale. Ici devaient primer la pédagogie
et l’esprit de large adhésion. D’autant plus qu’il y a dans la
loi des aspects inquiétants sur la procédure et les conditions de
son application. Il s’agit de l’organe que j’évoquais tout à
l’heure qui aura en charge de gérer l’ensemble du processus de
basculement de l’ancien état-civil au nouveau.
Et qui aura
donc, en définitive, la charge de dire qui est mauritanien et qui ne
l’est pas. Ses membres sont désignés dans le corps même de la
loi, ce qui ne rentre pas dans les compétences législatives mais
dans celles de l’exécutif. Cela souligne l’importance de leur
rôle certes. Mais justement cela devait imposer sa plus grande
représentativité auprès de l’ensemble des mauritaniens.
Au
lieu de cela, c’est une commission essentiellement « politique
» (au sens péjoratif du terme) qui a été mise sur pied.
Seule la clientèle du régime y figure et parmi celle-ci les
négro-africains sont quasiment absents. Or, au plan électoral, le
rôle de cet organe, en amont, sera décisif puisque c’est par
l’établissement de cet état-civil que débute la confection du
fichier électoral, des cartes d’électeurs etc.
A cette
non représentativité politique s’ajoute sa non représentativité
ethnique du fait de la quasi absence de l’élément négro-africain
alors qu’il sera procédé à un véritable inventaire de «
mauritanité » des gens. Que va-t-il se passer ?
Va-t-on, par
cette occasion, légaliser la pratique des tristement célèbres «
commissions noires » de 1989 chargées de façon occulte de dresser
les listes des « vrais mauritaniens » dans certaines
administrations, en déportant les « autres » ? Donc il faut
rassurer tout le monde. Les Mauritaniens aiment se reconnaître dans
leur diversité ethnique et sociale et c’est tout à fait normal.
Outre sa composition, l’opacité des conditions de travail
de cette commission laisse planer des doutes sérieux sur
l’exigibilité de la nouvelle pièce d’état-civil pour ceux qui
avaient l’ancienne. De même que la façon dont a été rédigée
la disposition qui abroge la validité des pièces d’état-cil
précédentes est juridiquement insolite pour le moins que l’on
puisse en dire…
L’inquiétude est grande et beaucoup de
gens se demandent ce qui va se passer d’autant plus que depuis
plusieurs mois c’est le black out total et la paralysie en matière
de pièces d’état-civil dans le pays avec des conséquences
extrêmement graves pour beaucoup de monde. Plus d’examens, plus de
voyages etc. pour beaucoup de gens pour cause d’indisponibilité
des pièces d’état-civil. A quand une normalisation sereine de la
situation ? Voilà la question qui se pose sur ce front aussi…
L’Authentique
: que pensez-vous de la condamnation récente des acteurs de droits
de l’homme dans notre pays ?
Lô
Gourmo : Vous évoquez le cas de O. Biram et ses compagnons.
Les conditions rocambolesques dans lesquelles a éclaté cette
affaire témoignent bien qu’il s’agissait surtout de tout faire
pour régler son compte à ce militant anti-esclavagiste tout en
donnant une bonne leçon aux autres. O. Biram a usé de son droit de
protestation en se rendant avec d’autres concitoyens dans un
commissariat de la République pour dénoncer un cas
d’esclavage.
Lors du procès qui a suivi, ses avocats ont
montré à profusion comment certaines autorités policières ont
voulu renverser l’ordre et la nature des évènements et comment la
condamnation de Biram et ses compagnons (pour « agression » contre
des autorités de police et appartenance à une association non
reconnue !) est contraire au droit. En même temps, la personne par
laquelle cette affaire a éclaté a été « condamnée » pour «
exploitation d’enfant mineur » et non pour esclavagisme!
Pour
qui connaît la culture dominante au sein de nos forces de l’ordre
et l’idéologie d’impunité qui y règne, l’accusation portée
contre O. Biram ne peut paraître pour le moins que comme insolite.
En fait, toute cette affaire est un vaste montage destiné à
discréditer tous les militants des droits de l’homme dans le pays.
Un signal de durcissement du régime qui rappelle étrangement la
sombre période des procès politiques de l’époque de Ould Taya.
Cela ne fait qu’alimenter le feu qui couve et qui risque de
provoquer un immense incendie si l’on n’y prend garde. Face à
certaines pratiques politiques et sociales désuètes, le droit de
protester et de résister est inaliénable. Face à des situations
comme celles que dénoncent les militants des droits de l’homme,
l’Etat doit faire prévaloir le droit et se défaire de ses
réflexes et préjugés hérités d’une longue période
d’obscurantisme et d’arrogance sociale des puissants sur les
faibles.
C’est la seule façon pour éviter de légitimer
l’esprit de confrontation sociale revancharde et l’extrémisme
qui gagne chaque jour du terrain dans notre pays.
L’Authentique
: les populations de la vallée connaissent en ce moment une
politique d’expropriation foncière de la part de l’Etat au
profit des investisseurs. Que pensez-vous de cela?
Lô
Gourmo : J’ai déjà évoqué plus haut cette question
extrêmement grave qui risque d’affecter durablement la paix et la
sécurité du pays. Un éleveur peut tout supporter sauf d’être
privé de son cheptel. Un paysan également peut tout accepter sauf à
être spolié de ses terres.
Aujourd’hui, l’administration
d’Etat, au mépris des intérêts des larges masses paysannes
décide de la façon la plus légère possible d’ouvrir
officiellement la chasse à la terre de la Vallée en méconnaissance
complète des enjeux qui sont en cause et des conséquences qui en
résulteront fatalement.
Des dizaines de milliers d’hectares
de terre sont de fait considérées comme « terres mortes » alors
que leurs propriétaires et ayant-droits sont vivants et attachés à
leur propriété comme à la prunelle de leurs yeux, pour satisfaire
des investisseurs étrangers mus par la nouvelle fièvre foncière
qui s’est emparée du monde de la finance internationale.
A
quelle logique économique nationale ces transactions obéissent-elles
? N’est-ce pas à un vaste mouvement de bradage de même type que
celui connu pour les « licences de pêche » et les « licences
minières » qui alimente cette économie rentière improductive qui
est la nôtre depuis des lustres et nous appauvrit chaque jour un peu
plus à mesure que s’accroît le processus ?
Bien sûr nos
terres ne doivent pas être perpétuellement laissées en jachère et
doivent être remises dans le circuit de l’économie moderne.
Personne ne conteste, au contraire, le droit de l’Etat d’inciter,
d’accompagner, d’organiser et d’orienter le mouvement des
capitaux dans le foncier. Mais tout cela doit se faire dans le
respect des droits légitimes des paysans et avec leur implication et
leur participation. Ce n’est pas le cas et c’est cela qui est
inquiétant et inacceptable.
Propos recueillis par Cheikh
Oumar N’Diaye
2 ) Une question à Maître Lô Gourmo
Abdoul, Avocat, cadre de l’Union des forces de Progrès (UFP):
Eveil
Hebdo
Selon vous, telle que
proclamé par le constitutionnel, y a-t-il vacance du poste de Président de la
République?
La décision prise par le Conseil constitutionnel,
de déclarer qu’il «y a bien vacance effective dans le poste du président de
la République» et que donc «le président du Sénat assure l’intérim du
président de la République pour l’expédition des affaires courantes»,
en réponse à une demande faite dans ce
sens par le «Premier Ministre» issu du Coup d’État du 6 août 2008,
restera dans les annales, comme «un chef d’œuvre de cocasserie juridique et
un monument universel de violation du droit constitutionnel par l’organe
suprême qui en assure la sauvegarde…», a commenté Maitre Lô Gourmo Abdoul,
avocat et Cadre de l’UFP.
Pour répondre à toute question
relative à l’une de ses missions, le conseil constitutionnel doit
obligatoirement et impérativement s’en tenir à son texte de référence: la Constitution.
Il s’agit, bien évidemment et
exclusivement, de la constitution du 20 juillet 1991 révisée le 25 juin 2006
par voie de referendum, pour la défense de laquelle ses membres ont prêté
serment au nom d’Allah et fait prêter serment, le Président de la République M.
Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi au moment de son investiture le 19 avril
2007.
Si les membres actuels du conseil
avaient voulu appliquer ce qui constitue l’objet et la raison d’être de leur
mission, en s’en tenant à leur serment devant ALLAH le Tout Puissant, ils
auraient purement et simplement déclaré irrecevable la demande qui leur a été
présentée par un « Premier Ministre » arrivé au pouvoir sur la base
d’une rupture illégale de l’ordre constitutionnel: le Coup d’État du 6 août
2008.
« Vacance » magique…
Non seulement le conseil n’aurait pas
appuyé sa décision en visant les «ordonnances constitutionnelles»
apocryphes des autorités putschistes du HCE mais les auraient déclarées
anticonstitutionnel les. Particulièrement l’article 2 de l’ordonnance du 13
août 2008 selon lequel «il est mis fin aux pouvoirs du président de la
République investi le 19 avril 2007. Les pouvoirs dévolus au président de la
République en vertu des dispositions de la constitution du 20 juillet 1991,
modifiée, sont exercés , en la forme collégiale, par le Haut Conseil d'État».
Ainsi, en application de l’article 41
de la Constitution qui détermine les autorités habilitées à le saisir pour
constater la vacance du poste de président de la république, le conseil aurait
fait remarquer n’avoir été saisi ni par le Président de la République, ni par
le Président de l’Assemblée Nationale, ni par le Premier Ministre, au sens
constitutionnel que recouvrent ces termes mais par une autorité inconnue au
bataillon et aurait donc conclu à son incompétence à procéder à la déclinaison
d’une telle «vacance».
S’il devait strictement s’en tenir à
dire le droit et non à le tordre au gré du rapport des forces politiques du
moment, pour le plus grand plaisir du despotisme, le conseil aurait, sur le
fond, refusé de se placer sous l’empire de la dernière ordonnance «constitutionnelle»
apocryphe n°001/2009 du HCE, mettant fin aux pouvoirs auto dévolus de cette
instance, afin de faire accepter par ce subterfuge, la «vacance»
magique.
Au contraire, s’en tenant à la seule
et stricte vérité, sur le fond, il aurait récusé toute référence à un autre «président
de la République» que le président de la république élu conformément à la
constitution et aurait alors, en toute conscience, constaté sa disponibilité
pleine et entière, par ses déclarations ininterrompues, son activité interne et
internationale, le témoignage de solidarité active à son égard, tant au plan
interne que de la communauté internationale… et conclu à la non vacance du
poste.
« Intérim » du Président ou
recel de pouvoir usurpé?
Les techniciens du droit des autorités
putschistes ont choisi, entre deux maux, le moindre. Pour faire passer la
«transition putschiste» comme une lettre à la poste et faire accepter l’auto
succession parodique sous le label constitutionnel du Général en Chef de la
junte, ils ont choisi non «l’empêchement définitif» mais la «vacance».
Le premier cas de figure aurait obligé
d’être bien plus qu’allusif sur le motif de l’empêchement. Le Président est
empêché : par qui, pourquoi et où? Voilà les questions redoutablement gênantes
et compromettantes auxquelles nos Six Sages auraient été contraints de
répondre.
Ils auraient été alors obligés de
ramener leur mémoire au 6 août 2008 pour juger au plan du droit, du sort que
des Généraux limogés par le Président de la république ont réservé à ce dernier
par la suite. Le recours à l’argument de la «vacance» est, en apparence,
plus pratique.
Le conseil, à première vue, pouvait
s’en tenir à l’effectivité de la situation pouvant résulter de la «démission»
du HCE comme autorité exerçant collégialement la fonction de Président de la
République, conformément à son ordonnance N°002 en date du 13 août 2008.
En s’en tenant au constat de la «vacance
effective» du poste de président de la République (formule inexistante dans
la Constitution comme le constate le Prof. Mohamed Saleh dans son excellent
article récent sur le sujet) le conseil constitutionnel croit pouvoir faire
l’économie de porter un jugement de valeur constitutionnel sur ce qu’il appelle
plaisamment (complaisamment ?) «Les conditions générales du pays depuis le 6
août 2006…qui ont un caractère exceptionnel», s’abstenir d’appeler un chat
un chat, un coup d’État, un coup d’État !
Ce qui permet, bien sûr, mine de rien,
de faire accepter aux gens l’inacceptable: la validation pure et simple de
l’acte anticonstitutionnel par excellence que constitue le putsch.
Pour ce faire, la démarche va
consister à opposer les règles du texte constitutionnel dans leur lecture
littérale, évidente et logique, à la Charia islamique comme source
d’inspiration de la constitution et dont les principes sont pourtant déjà,
acceptés comme inclus dans les termes mêmes de celle-ci.
Cet illusionnisme juridique, paré de
la toge de la «grande sagesse et responsabilité» permet non seulement de
justifier «l’urgence» mais, surtout , de faire appliquer la prétendue «règle
appelant à faire prévaloir les avantages et à éviter les méfaits» qui, de
ce fait permettrait désormais de légaliser tous les coups d’État et toutes les
violations des normes du droit positif, en particulier constitutionnelles, au
nom de l’hyper réalisme qu’elle recouvre…
Il est bien évident que la décision du
conseil aurait gagné en force persuasive si elle avait clairement indiqué quels
sont les avantages pour les musulmans mauritaniens de voir entériner un coup
d’Etat et quels sont les méfaits «à caractère public» qu’aurait pour
eux, éloigné la reconnaissance du fait que le président de la République refuse
toujours de se faire dépouiller de ses prérogatives, respectant ainsi
scrupuleusement son serment de fidélité à la constitution et à la République.
La prise de pouvoir illégale par les
autorités militaires le 6 août 2006 a entraîné non une «vacance» de
pouvoir, puisque le Président de la république n’a pas démissionné malgré
toutes les pressions internes et internationales des partisans de la junte,
mais un «empêchement».
Il ne s’agit pas de l’«empêchement
définitif» de l’article 41 de la Constitution mais d’un autre type
d’empêchement qui plaçait précisément le conseil constitutionnel devant ses
responsabilité s: un «empêchement provisoire», abusif qui requerrait de
sa part l’attitude inverse de celle qu’il a eu: exiger qu’il soit immédiatement
mis fin à la situation de fait qui empêche provisoirement le président de la
république d’exercer la plénitude de ses fonctions.
Si, constatant simultanément
l’empêchement provisoire du Président de la République légitime et la «démission»
du HCE de la fonction présidentielle qu’il s’était abusivement attribué en
conséquence, le conseil voulait agir en conformité avec la constitution du
pays, «en considérant ce qui doit être considéré juridiquement» et du
fait que «le poste de président de la République ne peut souffrir de
vacance, même pas un instant», il aurait réclamé la restauration de l’ordre
constitutionnel par la levée de l’empêchement abusif et le rétablissement du
président dans son office.
De ce fait, l’«intérim» exercé
un «instant» par le président du Sénat comme organe témoin d’une
passation des pouvoirs serait d’une toute autre nature que celui que l’agenda
des autorités militaires tentent d’imposer au pays.
Malheureusement, la décision du
Conseil constitutionnel, qui s’est délibérément et malencontreusement placé en
dehors de la légalité constitutionnelle, n’aura eu pour seul objectif que de
transformer le Président du Sénat en une nouvelle autorité de gestion des
affaires courantes des putschistes à côté d’un HCE relooké et avec pour mission
ultime de remettre le pouvoir qui lui aura été confié par des mains abusives à
celui-là même qui l’avait usurpé, sous la bénédiction de la CENI et du Conseil.
Il s’agirait alors non pas d’un
«intérim» mais, au sens fort, d’un recel en bonne et due forme, d’un pouvoir
usurpé…
Eveil Hebdo
Le 28/04/09
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