INTERVIEW:
Ould Limam Chafi ''le Général a consolidé les aspects les plus
négatifs de l’ère
Posté le 02 June 2011 à
20:00:00 CEST par redaction
Moustapha
Ould Limam Chafi "le Général a consolidé les aspects les plus
négatifs de l’ère Ould Taya'"
Notre
journal et le site d’informations en ligne Alakhbar.info ont
réalisé, ensemble, l’interview ci-dessous avec notre compatriote
qui vit en exil, Moustapha Ould Limam Chafi. On peut bien
s’interroger, à raison, sur ce qui a amené ces deux organes de
presse à travailler de cette manière. La réponse est simple :
c’est l’intéressé, lui-même, qui, face à deux demandes
d’interview, a proposé d’unir nos questions et nous avons
accepté son offre.
Biladi/Al
Akhbar : Moustapha Ould Limam
Chafi, on ne vous présente plus, en Afrique, et même dans le monde,
mais certains de vos compatriotes, mauritaniens, ne vous connaissent
pas très bien. Tandis que d’autres ne retiennent de vous qu’une
image paradoxale voire sulfureuse ; de celle d’un faiseur de coups
d’états et de rébellions, à celle d’ami des présidents et à
la fois d’opposants ? Comment vivez-vous un tel écart
?
Moustapha Ould Limam Chafi (MOLC) :
Pour ceux qui me connaissent, ils vous diront mon attachement à des
principes et quelques codes d’honneur, dont la loyauté, l’amitié,
et le respect des engagements consentis. Dans ces limites, je me
bats quoiqu’il m’en coûte. Ce que je hais le plus au monde,
c’est courtiser les hommes surtout quand ils n’ont pour seul
mérite que d’avoir usurpé un pouvoir par la force. Si j’étais
faiseur de coup d’état ou de rébellion, je pense que je ne
bénéficierais pas de toute la confiance et des relations dont je
jouis aujourd’hui. Les faiseurs de coup d’état sont connus et
s’accrochent au pouvoir, notamment chez nous en Mauritanie, malgré
les conséquences douloureuses et le prix incalculable pour toute la
nation. Notre pays a connu un retard quasi irrattrapable en matière
d’exemplarité démocratique, traversé une période d’instabilité,
d’incertitude, de délabrement, de recul à tous les niveaux, sous
les pouvoirs militaires successifs depuis 1978.
En 2007, avec
l’avènement d’un président civil élu, des libertés de presse
retrouvées et un pluralisme effectif, la Mauritanie est devenue, le
seul pays démocratique reconnu dans le monde arabe, un modèle
suscitant l’espoir au-delà de nos frontières.
Hélas, un
militaire, encore une fois, a fait irruption sur la scène politique.
Par sa prise en otage du pays, il l’a relégué au dernier rang.
Aujourd’hui où le vent des libertés et de réformes souffle sur
le monde arabe, la Mauritanie renoue avec les ténèbres de la
dictature, de l’injustice, du populisme, du favoritisme, du
mensonge. Le pays s’est retrouvé aux mains d’une bande de
copains et de coquins qui ne font plus illusion.
Je suis
certes ami de Présidents, également d’opposants mais je ne
fréquente que des leaders tolérants, respectueux des principes de
la différence, de la dignité humaine. Ils comprennent et acceptent
la contradiction. Ils savent apprécier les valeurs des uns et des
autres.
Biladi/Al Akhbar : Après
l’entretien que vous aviez accordé, en 2009, à un ou deux organes
de presse locale, vous n’avez jamais accepté d’accorder une
interview à la presse mauritanienne ; qu’est-ce qui motive votre
accord aujourd’hui ?
(MOLC) : Malgré mon
opposition au coup d’état du 6 août 2008 et mon scepticisme quant
à la capacité du général à gérer ce pays, je me suis résolu,
malgré tout, à accorder aux militaires une période de grâce, les
observer, n’oser aucun acte de subversion, n’encourager nulle
action contre eux, leur permettre de mener leur mission dans
l’espoir, qu’en dépit de leurs insuffisances et de leur
médiocrité, ils pouvaient s’entourer d’hommes et de femmes de
compétences et d’expériences qui les aideraient à obtenir des
succès, pour le bien de la Mauritanie.
Malheureusement, le
bilan est amer, la situation économique et sociale se détériore
avec une gravité inouïe, dira-je inédite depuis l’indépendance
du pays. Au moment où le navire mal gouverné tangue et menace
naufrage, il m’a semblé, de mon devoir, pour moi un devoir –
impératif- de lancer le signal d’alarme à mes
compatriotes.
Biladi/Al Akhbar : Vous
vivez en Afrique, que signifie la Mauritanie pour vous ?
MOLC
: Je réside en Afrique en même temps que je vis pleinement la
Mauritanie, chaque instant, devrais-je dire ! Je vis la peine et les
misères des Mauritaniens. Il n’y pas une seconde, pas une minute,
pas une heure, où mon cœur ne bat au rythme de la Mauritanie.
Ma
mère qui représente tout ce que j’ai connu de plus cher comme
affection et amour y est enterrée.
Chaque soir que Dieu fait,
avant de m’endormir, mes prières vont vers elle et tous ceux de
nos compatriotes qui nous ont quittés.
Mon père, très
affaibli vit en Mauritanie, mes frères, sœurs et tous ceux qui me
sont les plus proches au monde y sont également. La Mauritanie, je
la vis aussi, chaque jour, en Afrique, parce que je vis entouré de
mes compatriotes de passage, toutes communautés, tous milieux
sociaux confondus. Peu d’évènements nationaux, mêmes
confidentiels, ne m’échappent, pour peu qu’ils impliquent des
mauritaniens.
De Fassala néré à Nouadhibou et de Bababé
à Birmogrhen, je suis présent, à ma manière.
Biladi/Al
Akhbar : On dit que vous êtes riche ; que faites-vous de votre
fortune et d’où provient-elle ?
MOLC : Vous
m’apprenez que je suis riche, je ne sais pas dans quel sens vous
parlez de richesse. Je remercie Dieu de la richesse qu’il m’a
donné, qui est la plus importante et dont je suis le plus fier,
c’est la Foi en Lui. Ma Foi en Dieu est si forte que jamais,
ici-bas, rien ne m’a ébranlé. Un père et une mère m’ont
dispensé une éducation religieuse et appris le respect de tous et
l’amour des faibles. Je pense que tout cela constitue la plus
grande des richesses. Al Hamdoulillah, Al Hamdoulillah, Al
Hamdoulillah …
Le quelque bien matériel dont Dieu m’a
doté, j’essaie de le partager avec les autres, parce que je ne
l’emporterai pas avec moi dans la tombe. Je ne suis pas porté sur
l’accumulation de richesse, malgré mon appartenance à un milieu
de vaillants commerçants. Je n’ai jamais occupé de fonction me
permettant de gérer les fonds publics. Je n’ai jamais entrepris
une activité illicite.
J’ai commencé ma carrière dans la
philatélie, très jeune avec des partenaires Arméniens ; c’est un
métier très subtil et discret où j’ai pu, pendant de nombreuses
années, gagner suffisamment d’argent. J’ai ensuite évolué vers
d’autres activités, toujours honorables et rentables, que je garde
pour moi conformément à la recommandation du Prophète (Psl) qui
conseille de ‘’sceller le secret autour de vos affaires’’.
En
comparaison à la fortune du général Aziz, je ne possède pas un
seul sous qui ne soit plus licite et de loin !
Biladi/Al
Akhbar : Le bruit court également que vous menez des activités
séditieuses, en Mauritanie, avec le concours du banquier Mohamed
Ould Noueighed...
MOLC : Je vais vous raconter une
anecdote, assez cocasse, maintenant que vous me posiez cette question
: le 21 mai dernier, j’ai rencontré, à Yamoussoukro, pendant la
cérémonie d’investiture du Président Alassane Ouattara, un
richissime homme d’affaire de la sous région, banquier,
industriel, pétrolier…, l’une des fortunes les plus solides du
Continent, qui était en compagnie d’un Monsieur de type
Mauritanien avec une grande calvitie, vêtu d’un costume d’une
grande simplicité.
Mon ami, entrepreneur, que je connaissais
depuis très longtemps, a été surpris de constater que le Monsieur
en sa compagnie et moi ne nous connaissions pas et ne nous étions
jamais rencontrés ; c’est alors qu’il m’a présenté son
collègue, le banquier Mauritanien Mohamed Ould Nouegheid. Il m’a
présenté, aussi, à ce dernier qui, visiblement très gêné, n’a
pas daigné engager avec moi une quelconque conversation et je le
comprends.
Biladi/Al Akhbar : Le
Président mauritanien et vous étiez invités à l’investiture de
votre « grand frère » Ouattara. Avez-vous rencontré Mohamed Ould
Abdel Aziz ?
MOLC : Cela ne m’intéresse
pas.
Biladi/Al Akhbar : Comment et
pourquoi maintenez-vous, en Afrique des relations parfois excellentes
(et personnelles) avec les chefs d’états, des artistes, des
sportifs, hommes d’affaires et des personnalités de divers
horizons sans y parvenir en Mauritanie ?
MOLC :
Je maintiens d’excellentes et respectueuses relations en Mauritanie
avec beaucoup de personnalités comme Cheikh Mohamed El Hacen Ould
Dedew pour lequel j’ai une très grande admiration. Mes
rapports, depuis des années, sont excellents avec Messaoud Ould
Boulkheir, Ahmed Ould Daddah, Mohamed Maouloud, Saar Ibrahima, Saleh
Ould Hannena et tant d’autres. J’ai entretenu des liens
cordiaux avec Ely Ould Mohamed Vall, Sidi Ould Cheikh Abdallahi,
Mohamed Khouna Ould Haidalla...
Biladi/Al Akhbar : Et
autour du Président Aziz ?
MOLC : Je préfère ne
pas répondre, si vous le permettez.
Biladi/Al
Akhbar : Que pensez-vous du président Sidi Mohamed Ould Cheikh
Abdellahi ?
MOLC : Au-delà des
qualificatifs élogieux sur le patriotisme et la patience de l’homme,
il y a lieu de noter trois aspects de sa personnalité qui le
prédisposaient au gouvernement vertueux : Il se tenait toujours à
l’écart des dissentiments et des rivalités individuelles,
n’enquêtait jamais sur les défauts réels ou supposés des gens
et se désintéressait de l’argent, en soufi, élevé dans la quête
permanente de spiritualité.
Ainsi, s’abstenait-il, par
exemple, de s’ingérer dans le processus d’attribution des
marchés publics, des licences de pêche et laissait ses ministres
choisir leurs collaborateurs, sans interférence de la
Présidence.
Parce qu’il savait la valeur d’arbitrage des
institutions et les respectait, Sidi Ould Cheikh Abdellahi
appartient à l’école de Mokhtar Ould Daddah, avec son sens de
la dignité et son esprit pionnier, bien à l’abri de l’affairisme
et des tentations épicières. Par tempérament et modération
intellectuelle et sociale, il croyait à la progression, à la
graduation, dans le traitement des affaires de l’Etat.
Pendant
son mandat inachevé, des chantiers de reconstruction du pays ont été
engagés et un réel effort de transparence se manifestait par
l’autonomie réelle accordée à l’Inspection générale de
l’Etat (Ige) dont le dernier titulaire a été choisi, sur
instruction du Président qui ne le connaissait pas.
L’on
peut aussi, citer, dans ce bilan, somme toute satisfaisant, le retour
des réfugiés et la détermination à traiter, quand au fond, le
passif humanitaire et la réconciliation nationale dans un esprit de
vérité et de justice.
Hélas, à cause de son indépendance,
insoupçonnée par les militaires qui l’avaient soutenu au scrutin
présidentiel, Sidi a été écarté. Il voulait gouverner,
pleinement, au nom des mauritaniens, ses électeurs.
Sa
légitimité, de premier Président élu dans une compétition
pluraliste, lui conférait un sens élevé du devoir et il y a cru,
jusqu’au bout, sans faiblesse quand ses adversaires misaient sur
une défection. Pour l’histoire, Sidi n’a pas failli, loin de là
!
Biladi/Al Akhbar : Pourtant, les
militaires étaient ses alliés sûrs pour décrocher le pouvoir
?
MOLC : Le général Mohamed Ould Abdel
Aziz et sa coterie avaient échoué à convaincre les mauritaniens de
soutenir le candidat Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, pendant la
campagne. Cet appui encombrant suscitait même le rejet, au sein de
l’opinion, à cause du reproche, peu flatteur, d’ « homme des
militaires’’.
Certes, à l’époque, ils comptaient parmi
ses principaux protecteurs et l’auraient même résolu à se porter
candidat, mais, en dépit d’un concours aussi important, Sidi
Mohamed Ould Cheikh Abdellahi ne parvenait à passer au premier tour,
déjouant ainsi les pronostics sur la force et l’influence supposée
de la junte.
Sa victoire restait suspendue aux ralliements des
deux candidats arrivés en 3ème et quatrième position, c‘est-à-dire
Zein Ould Zeidane et le Président de l’Assemblée nationale,
Messaoud Ould Boulkheir.
Réputer, Aziz et ses affidés,
artisans de la victoire de Ould Cheikh Abdellahi, relèverait d’un
défaut de rigueur dans la perception et l’analyse du rapport des
forces électoral.
Biladi/Al
Akhbar : Comment vous jugez la situation actuelle du pays ?
MOLC
: Malheureusement, elle se caractérise par l’impasse globale et
une perte de crédit, à tous les niveaux : le chômage touche toutes
les catégories d’âge et le pays connait un blocage politique sans
précédent.
Les Mauritaniens ne sont pas restés longtemps
dupes des mirages aziziens. Il avait promis de faire baisser le prix
du gaz, du gasoil, des produits agro-alimentaire etc.
Le gaz
domestique, à ce jour, est 30% plus cher ; le gasoil a connu
plusieurs augmentations en quelques mois. Tous les tarifs des
produits agro-alimentaires ont flambé.
Pendant ce temps, lui
a pris en main les marchés publics qu’il s’auto-attribue, sous
des sociétés-écran, aux noms d’emprunts bien indentifiables ;
après tout, il est bien difficile pour un apprenti-tyran de
soumettre, en silence, un petit pays : nous sommes peu nombreux et
nous nous connaissons, les uns les autres.
A Nouadhibou, son
associé et lui possèdent, à ce jour, plus de 20 bateaux. La lutte
contre la gabegie, version Aziz, revient à sevrer tous les
mauritaniens, les appauvrir mais gaver, gaver encore et toujours, 5 à
6 personnes parmi ses obligés et paravents.
Biladi/Al
Akhbar : Et à quelles causes imputez-vous ce tableau sombre ?
MOLC
: Vous savez, au lendemain du coup d’état de 2005 et de la
transition conséquente, nous avions beaucoup espéré.
L’attente
d’une nouvelle ère a été énorme d’où l’intensité de la
déception. Le Général et son putsch de 2008 nous ont contraints à
abdiquer certains acquis, puis régresser, loin en fin de
peloton.
Il a rétabli le système que nous avons tous
vigoureusement combattu : démagogie, aventures, mensonges,
incertitudes, instabilité administrative, promotion de
l’inexpérience, le Général a consolidé les aspects les plus
négatifs de l’ère Ould Taya.
A titre d’exemple, le plus
flagrant, il choisit, parmi ses collaborateurs, les hommes les plus
médiocres, les plus faibles et les plus incompétents.
Le
Général Aziz, ne dispose pas de facultés politiques et de qualités
de commandement que requiert la direction d’un pays aussi
vulnérable que la Mauritanie. Sa présence à la tête de l’Etat
est une erreur de casting comme l’histoire en produit souvent et de
manière tragique.
L’homme, je le crains, n’a pas encore
livré le pire de lui-même.
Biladi/Al
Akhbar : Vous qui en côtoyez beaucoup et depuis longtemps, comment
évaluez-vous l’homme d’Etat Mohamed Ould Abdel Aziz ?
MOLC
: De tous ceux qui ont présidé le pays, depuis l’incomparable
Moctar Ould Daddah, Aziz est le seul dépourvu de toute aptitude à
conduire la communauté de destin et dont le niveau scolaire s’avère
le moins performant.
En tant que militaire, il reste l’un
des rares officiers à n’avoir subi aucune formation digne des
fonctions qu’il a occupées.
Malheureusement, en pur produit
du système érigé depuis juillet 1978, il a cumulé les promotions
fulgurantes, lesquelles, à aucun moment, ne tenaient compte de son
cursus dans le rang. Aziz a été propulsé sur le devant de
l’histoire, envers et contre toutes les règles et procédures
d’avancement.
Sa mission essentielle, aux yeux de ses
employeurs successifs, se résumait à celle d’un garde-chiourme,
commis à la sûreté de son maître car sa loyauté était
acquise.
Imaginez une multinationale, florissante, qui décide
de doter son premier responsable à la sécurité de tous les moyens
d’assumer pleinement sa mission, avec la possibilité de choisir,
lui-même, ses éléments à sa convenance et selon ses seuls
critères.
Fort de son dispositif, ce responsable de sécurité
décide, un jour, de destituer le PDG de l’entreprise, d’user de
la signature et de s’autoproclamer désormais seul et unique
responsable de celle-ci.
La société, ne peut être vouée,
dès ce moment qu’à la faillite retentissante.
C’est
exactement ce qui arrive à la Mauritanie, depuis le 6 août 2008,
surtout que notre général n’est doté d’aucun savoir-faire, ni
de savoir-vivre qui auraient pu compenser ses carences.
Il
prétend diriger le pays, conduire une nation vers des lendemains
meilleurs, alors qu’il ne manifeste de respect, d’égard, de
considération encore moins d’empathie, à aucun de ses concitoyens
; ses collaborateurs proches ploient sous le mépris, l’arrogance
et la suffisance du personnage.
Biladi/Al
Akhbar : Pour résumer, que reprochez-vous le plus aux militaires qui
ont repris le pouvoir en Mauritanie ?
MOLC :
Notre pays a connu un retard quasi irrattrapable en matière
d’exemplarité démocratique, traversé une période d’instabilité,
d’incertitude, de délabrement, de recul à tous les niveaux, sous
les pouvoirs militaires successifs depuis 1978.
En 2007, avec
l’avènement d’un président civil élu, des libertés de presse
retrouvées et un pluralisme effectif, la Mauritanie est devenue, le
seul pays démocratique reconnu dans le monde arabe, un modèle
suscitant l’espoir au-delà de nos frontières.
Hélas, un
militaire, encore une fois, a fait irruption sur la scène politique.
Par sa prise en otage du pays, il l’a relégué au dernier
rang.
Aujourd’hui, où le vent des libertés et de réformes
souffle sur le monde arabe, la Mauritanie renoue avec les ténèbres
de la dictature, de l’injustice, du populisme, du favoritisme, du
mensonge. Le pays s’est retrouvé livré à une bande de copains et
de coquins qui ne font plus illusion.
Biladi/Al
Akhbar : Vous avez contribué à la chute de O. Taya, assisté à la
fin du règne de Sidi et vous dites actuellement que le pays est
instable. Comment voyez-vous son avenir ?
MOLC
: Ould Taya n’est plus aux affaires, je ne souhaite donc pas parler
de lui. Je ne suis pas de ceux qui l’ont servi et ne lui dois ni
carrière, ni promotion, contrairement au Général Aziz.
Mon
éducation et mon savoir-vivre m’imposent de ne pas le dénigrer.
Je constate qu’Aziz, l’a courtisé. Il fayotait pour lui et se
servait d’alliances matrimoniales pour se faire accepter dans son
cercle.
Il est sa création, lui doit toute sa carrière et sa
fortune mais s’est donné la mission de le vilipender, de
l’humilier sa famille et lui, et de le traiter de tous les noms.
C’est ainsi que le genre Aziz exprime sa reconnaissance.
Quant
à mon opposition au président déchu Ould Taya, elle relevait d’un
combat contre un système de clientélisme tribal, de népotisme, de
gabegie, d’impunité des violations graves des droits de l’Homme,
de passe-droit, de déni de liberté, d’élections tronquées,
d’opposition muselée, etc.
Aujourd’hui, le système se
reproduit et aucun de ses acteurs principaux n’a subi la sanction
méritée parce que Aziz est leur protecteur, l’un des leurs et
sans doute le meilleur gardien des privilèges dont il canalise juste
le cours, à son avantage et au profit des siens.
Bref, je ne
puis disserter sur l’avenir politique du pouvoir de Aziz parce qu’à
mes yeux, il ne possède aucune faculté de s’enraciner. Les
fondements immoraux de son édifice tremblent d’où son
instabilité, c’est un constat clinique, devrais-je dire.
Tout
au plus, pourra-t-il négocier des périodes de répit, plus ou moins
brèves, qui ne sauraient permettre la moindre perspective ni
d’ailleurs cette nécessaire projection au-delà de 6 mois sans
quoi toute politique dérive dans le bricolage ; Aziz est un
dilettante, coincé dans un rouage de l’histoire. Je ne suis certes
par fort en mécanique mais l’expérience enseigne que ce genre
d’attelage ne va jamais très loin.
Biladi/Al
Akhbar : Un mot sur les événements actuels en Mauritanie,
particulièrement le mouvement des jeunes ?
MOLC
: La jeunesse mauritanienne est consciente, civilisée et en phase
avec la mondialisation techno-médiatique. Les diverses formes de
marginalisation et de chômage qu’elle subit exacerbent ses
facultés critiques.
Tôt ou tard, malgré le rappel et la
mise en œuvre de toutes les instances de démobilisation, notamment
par la tribu, cette jeunesse, sans avenir viable, imposera son
empreinte sur le devenir de la Mauritanie.
Des pouvoirs bien
plus puissants et ancrés dans l’histoire que celui de Aziz
tombent, un à un, autour de nous. Le régime actuel a acquis une
popularité imaginaire au cours de la dernière élection
présidentielle, par l’usage d’un discours populiste qui insulte
l’intelligence et se résume au credo vide "je suis le
président des pauvres" ; avec le temps, toute la vacuité du
slogan se dévoile et sa puissance d’hypnose s’érode.
Le
pouvoir de Aziz récolte les fruits de ses fausses promesses. Le
peuple sait, désormais, que la lutte contre la gabegie n’est qu’un
slogan de campagne ; le "président des pauvres" exige une
commission, dans les principaux marchés publics, au demeurant
distribués entre une poignée de membres de sa tribu et quelques
rares autres prête-noms…
Ce népotisme est le vecteur de la
colère chez la jeunesse arabe, à la source de ses révoltes en
Egypte, Tunisie, Libye, Syrie et au Yémen. Il me semble bien naïf
de croire que la fameuse "spécificité" de notre pays le
ferait échapper à la dynamique de son environnement.
Biladi/Al
Akhbar : Sur la base de votre expérience dans le domaine, comment
trouvez-vous la politique engagée par le régime contre le
terrorisme ?
MOLC : La sécurité aux
frontières relève autant de l’enjeu de politique étrangère que
de la police domestique. Or, avec un pouvoir qui n’a pas de
stratégie, ni d’initiative politique, économique ni même
diplomatique, la décision se conçoit au moment de sa prise.
Du
jour au lendemain, la Mauritanie s’affiche tantôt l’amie de
l’Occident démocratique et s’aligne, l’instant d’après, sur
l’Iran. L’on tente même le diable au Venezuela, sans calcul ou
raison que puissent motiver nos intérêts objectifs. Depuis son
avènement, le Général a toujours navigué à vue et c’est l’une
des raisons de son échec.
Un homme d’Etat doit se
confronter à ses insuffisances non pas les fuir. Baltazar Gracian,
le grand moraliste, prédisait à l’usage du prince espagnol qu’il
conseillait par la vertu, bien à l’inverse du cynique Machiavel :
« qui se sera maître de soi-même, le sera bientôt des autres ».
Or, cette maîtrise salutaire suppose d’apprendre, d’écouter, de
chercher conseil, de fouiller ses défauts pour mieux s’en
prémunir.
Permettez moi donc de dire que la conduite à
l’égard des groupes salafistes – je veux dire la politique
sécuritaire - s’est beaucoup détériorée. Le Président Sidi
Mohamed Ould Cheikh Abdellahi avait chargé Aziz de s’occuper du
dossier, au lendemain de son accession, ô combien controversée, au
grade de général.
Après cette promotion indue, il y eut
l’assassinat des ressortissants français en décembre 2007 et les
incidents du genre se multipliaient, résultats d’un défaut de
prévention.
La Mauritanie ne dispose pas de stratégie en la
matière parce que la stratégie requiert des compétences et une
vision, au plein sens du mot, avec la conjugaison de la connaissance
du terrain à un brin d’audace.
Or, Aziz en est démuni,
cruellement, handicap qu’il compense par le silence mais ce genre
de cache-misère ne tient pas en temps d’épreuve.
Le
Général prématuré justifia son putsch, contre Ould Cheikh
Abdellahi, le 6 août 2008, par l’absence de sécurité ; il tenta
même de créditer l’idée farfelue, que ce dernier était
salafiste, le poussant à construire une mosquée à la Présidence
et y inaugurer, la prière du vendredi.
Or, à l’époque des
premiers attentats, Aziz était le seul responsable de ce dossier et
s’avéra, bien vite, dans l’incapacité d’accomplir la
mission.
Le pouvoir mauritanien estime qu’il a doté l’armée
de moyens sophistiqués et œuvré afin qu’elle soit opérationnelle
pour affronter les groupuscules mais la population réclame la
sécurité réelle, de proximité.
Des voitures piégées sont
arrivées jusqu’aux faubourgs de Nouakchott et, pour la première
fois, des étrangers avaient été également kidnappés, sur le
principal tronçon routier qui relie les capitales politique et
économique.
Quelle est donc l’utilité des dépenses
militaires, si ce n’est la captation de marchés suspects qui
enrichissent l’entourage présidentiel ?
Biladi/Al
Akhbar : Certains vous accusent d’être en contact avec AQMI, de
l’aider à localiser les ressortissants étrangers avant de
négocier leur libération contre le versement de rançons ?
MOLC
: C’est de bonne guerre, voyez-vous : Il s’agit d’une
propagande vulgaire, ventilée par la sécurité de Ould Abdel Aziz
pour couvrir ses échecs par le transfert de culpabilité.
Des
sites électroniques, des gens spécialisés dans le commérage de
salon ne ratent d’occasion, pour me faire porter la responsabilité
de la faillite de Aziz. Très souvent, je me retrouve cité dans des
scandales et des montages dont j’ignorai les noms des
protagonistes.
Au sujet des négociations pour la libération
des otages, je ne travaille pas de manière individuelle mais en
partenariat avec différents services de sécurité, occidentaux et
africains – parmi lesquels les renseignements espagnols et
canadiens ; ces instances sont les mieux informées sur ce qui
s’était passé et il est inconcevable qu’elles acceptent
d’interagir avec un complice du rapt de leurs ressortissants.
Je
me suis impliqué, dans des conditions pénibles et non dépourvues
de risque, en réponse à une demande de médiation, adressée au
Burkina Faso, dans le cadre d’une coopération sous régionale et
internationale au bénéfice des otages occidentaux. Notre objectif
consistait à obtenir le retour des victimes, en bonne santé et
c’est ce que nous avons réussi, toujours de manière officielle,
sans détour.
Biladi/Al Akhbar :
Quelle approche idéale, selon vous, pour combattre le terrorisme
?
MOLC : Le plus important, dans ce domaine,
c’est de savoir profiter des expériences, tirer les conclusions
qui s’imposent afin de propager la sécurité en Mauritanie et de
ramener notre jeunesse à sa vocation de moteur du
développement.
L’on est obligé de chercher des solutions
globales pour faire face à ce phénomène, foncièrement étranger à
nos sociétés saharo-sahéliennes, plus festives, spirituelles et
tolérantes que dogmatiques.
L’imagination et la souplesse
devraient prévaloir pour résoudre un conflit qui se déroule dans
un environnement islamique où siègent de grands érudits.
Cette
approche, pour aboutir, sera globale et acceptable, loin de toute
pression étrangère qui fait de la Mauritanie une machine militaire
entre les mains d’autres parties.
Biladi/Al
Akhbar : Vous avez de bons rapports avec différents chefs d’états
du continent dont certains furent des opposants persécutés ou des
chefs de guerre. Quel est le secret dans cette réussite et est-ce
que les gouvernements de Nouakchott s’appuient sur vous pour
profiter d’une telle aura ?
MOLC :
Sincèrement, je suis fier de ces relations qui m’honorent. Elles
sont bâties sur le respect réciproque et le soutien à des
populations opprimés, qui se battent pour recouvrer leurs droits…
Elles prospèrent sur le sens de l’honneur, à l’abri de toute
flagornerie.
Par rapport à la deuxième partie de votre
question, je vous assure et vous confirme que je suis fils de la
Mauritanie et continuerai à la servir, toujours, y compris par mes
amis.
Biladi/Al Akhbar : Enfin, un
mot sur Kadhafi et sur la Libye...
MOLC : Je
crois que ce qui est en train de se passer en Libye est une
"vengeance divine" à cause des agissements de Kadhafi
contre le peuple mauritanien.
Après le putsch de Aziz,
Kadhafi avait choisi de prendre partie pour les militaires en
proclamant, devant le public, son soutien à la tenue d’élections
unilatérales, le 6/6/2009, avant l’accord de Dakar.
Les
putschistes avaient bénéficié, en outre, de l’appui politique et
financier de la Libye qui jouait un grand rôle pour infléchir la
position de plusieurs états….c’est ce que nous appelons
‘’tazaboutt’’.
Propos recueillis par Biladi/Al
Akhbar
Biladi (Mauritanie)
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