A.H.M.E.
INTERVIEW 43:
Interview de Dr Khalil Ould Khalifa à la Tribune
A propos de l'esclavage, la parole du Dr. Khalil Ould Khalifa
Ingénieur Principal en électricité et Docteur en Technologie industrielle, Dr. Khalil Ould Khalifa est professeur à l’Université de Nouakchott. Connu pour ses idées novatrices dans le domaine scientifique et des énergies renouvelables, il a publié plusieurs analyses dans la Presse et est l’auteur de plusieurs communications. Ce qui n’en fait pas moins un intellectuel averti sur les questions politiques, économiques et sociales. Aujourd’hui, interpellé sur une question d’actualité, il aborde le thème de l’esclavage en Mauritanie.. La Tribune : Dr. Khali Ould Khalifa, vous êtes un intellectuel de ce pays. Au-delà de votre spécialité de scientifique, on peut supposer que vous n’êtes pas indifférents aux questions sociales. Alors quel analyse faites vous des derniers développements sur la question de l’esclavage ? Pour la première fois des personnes sont en prison pour pratiques esclavagistes… Dr. Khalil Khalifa : La société mauritanienne telle qu’elle existe aujourd’hui a à peu près 11 siècles sur cette terre. Elle avait un mode de vie particulier présentant beaucoup d’inconvénients. Après l’indépendance, l’avènement de l’Etat Nation, il fallait adapter notre mode de vie à cette nouvelle situation. Chose pas facile car dans le quartier le plus chic de la capitale qu’est Tevragh Zeina, nous avons transposé les mêmes pratiques d’antan. A savoir, la vie sous la Khaima, l’adoption des bétails et l’exploitation des personnes…A la seule différence que ces personnes sont rémunérées. Ces personnes constituent les séquelles de la pratique ancienne de l’esclavage en Mauritanie. Heureusement aujourd’hui, l’Etat dispose fortement d’une loi criminalisant l’esclavage. C’est une loi comme toutes les autres adoptées en Mauritanie et qui souffrira de l’absence de décrets d’application. Elle n’est pas singulière. Sauf que des ONG veulent se l’approprier à des desseins inavoués. Les raisons sont imputables à la faiblesse de l’Etat et au manque d’information et de sensibilisation sur cette loi dont on parle beaucoup sous l’influence de l’Organisation IRA de Birame Ould Abeid qui cherche à protéger des jeunes filles mineures en envoyant en prison leurs employeurs. Mais l’Etat mauritanien a ratifié la convention sur la protection des l’enfant qui fait force de loi plus que celle relative à l’esclavage en Mauritanie en ce qui concerne les enfants. Cette convention, si elle avait été appliquée aucun enfant ne devrait être exploité ni par ses propres parents ni par un tiers. On n’aurait pas dû voir des jeunes charretiers, des petites vendeuses de menthe, de beignets dans les coins des rues ; encore moins de petits apprentis mécaniciens ou encaisseurs dans les minibus et dans les rues… On n’aurait pas accepté de voir de petits cireurs de chaussures ou des almudo, ni de petits employés des épiceries, ni des ramasseurs d’ordures, , ni même de petits bergers et cultivateurs dans les zones rurales…Tout ce petit monde aurait dû être protégé, éduqué afin de jouir de sa jeunesse avec toute la plénitude que cela requiert…. En conséquence, je suis contre la pratique de l’esclavage ; je suis pour l’application de toutes les lois et conventions ratifiées par notre pays. Notamment celles relatives à l’exploitation des mineurs et à l’esclavage.
La Tribune : Ne trouvez-vous pas que Biram Ould Abeid et les autres militants anti-esclavagistes se sont montrés beaucoup plus dynamiques que toutes les autres bonnes volontés ? Sachant surtout que SOS-esclaves avait fait un travail de lobbying en amont du vote de la loi sur l’esclavage en 2007 et que par ailleurs, l’esclavage constitue une question existentielle dans cette Mauritanie ? Dr. Khalil Khalifa : Je partage entièrement l travail colossal qu’ont abattu SOS-esclaves et l’ONG de Biram Ould Abeid. Pour ce qui est du lobbying et de l’action sur l terrain. Mais j’invite la Société Civile et les pouvoirs publics à travailler dans un cadre plus général qui protégera tous nos enfants. Quitte à mettre en prison le plus grand nombre de gens, parents et tierces personnes. Les résultats s’obtiennent par de actions dynamiques sur le terrain tel que nous l’avons vu avec SOS-esclaves et l’ONG de Biram Ould Abeid. Il y a lieu de se mobiliser pour retirer de la voie publique tous ces enfants mineurs qui subissent une forme d’exploitation voisine de l’esclavage. Mon souhait est de ne plus voir devant les épiceries et boulangeries des vendeuses de menthe, de légumes ; de ne plus voir un enfant sur un âne, de petits bergers et de petits cultivateurs, etc. Toute forme d’exploitation, dis-je devra être combattue. En premier lieu par l’Etat et en son absence par la Société civile. Pour ce faire, l’Etat devrait saisir la gendarmerie en milieu rural, la police en milieu urbain, pour mener des campagnes dans le but de retirer toute cette jeunesse exploitée et envoyer en prison leurs exploitants fussent-ils leurs parents. L’exploitation est certes liée à la pauvreté. Un enfant envoyé dans une famille par ses parents pour y travailler en contrepartie d’un revenu ou un petit vendeur du coin quelle différence ? La Tribune : Il ya à côté des lois qui à votre avis ont un problème en Mauritanie le statut des autorités religieuses. On en a vu qui ont fait des fatwas pour soutenir le président soudanais El Béchir contre un verdict international mais pas une fatwa condamnant ouvertement l’esclavagisme. C’est quoi le vrai problème à votre avis ? Dr. Khalil Khalifa : Cette question renvoie à deux idées à la fois. La première concerne les lois en Mauritanie. Celles-ci souffrent réellement d’un manque d’application effective. En général leur décrets d’application sont rarement adoptés. A titre d’exemple, la loi sur l’eau et sur l’électricité dont les décrets d’application ne sont pas encore entrés en vigueur. Si certains décrets ont été élaborés, dans la pratique ils ne sont pas appliqués. Il y a un autre inconvénient majeur à ce niveau, c’est que les structures compétentes en la matière ne suivent pas et abrogent parfois et même souvent des lois en les remplaçant par d’autres lois, sans tenir compte des délais. Par exemple, le code de l’électricité a été adopté le 21 janvier 2001 et s’est vu abroger par la signature d’un contrat-programme entre la SOMELEC et l’Etat cinq jours après. Ce qui veut dite que mêmes les législateurs sont pris de court. La loi sur l’esclavage est exposée à la même situation. A présent pour le deuxième volet de votre question, c'est-à-dire celui sur les ulémas et autorités religieuses, je dirai que l’Islam est souvent assujetti à l’interprétation qu’en ont nos ulémas. Si les droits liés à l’esclave étaient bien respectés par nos érudits, on serait tous tentés d’être esclaves. Particulièrement par ces temps difficiles qui courent. Malheureusement au fil des siècles sur cette terre bénie nos érudits ont eu d’autres interprétations du droit de l’esclave qui ont laissé libre cours à la société de faire des pratiques contraires à l’Islam. Par l’absence de prise en charge réel sur le plan économique, éducatif et moral. Pour l’occasion, je vous donne un exemple de l’interprétation qu’ a faite un érudit de chez moi sur une question scientifique simple. Relativement à la pluie, je lui ai expliqué le phénomène physique ordinaire qui est à base de la tombée de la pluie. Ceci m’a valu d’être traité de mécréant par cet uléma de chez moi. C’est dire que ces érudits sont partagés en deux catégories. Il ya ceux qui vivent dans le dogmatisme obscurantiste et ceux qi aujourd’hui ont compris l’Islam dans toute ses valeurs en termes d’apports positifs pour le monde moderne. L’islam n’est nullement contre tout ce qui valorise l’homme. Encore moins contre la science. C’est une religion qui opte pour le mieux être de l’être humain. En cela, on ne saurait justifier l’esclavage par l’Islam. Par rapport au cas du soudanais, je dit simplement que nos mufti ont plus intérêt à se concentrer sur nos problèmes locaux et à y chercher des solutions au lieu de se consacrer aux question des autres. Un ancien président de chez nous m’a dit une fois qu’il ne comprenait pas la propension de nos enfants à casser nos voitures dans nos rues et nos bureaux à chaque fois qu’un problème se passait en Palestine tout en préférant laisser de côté leurs propres difficultés.
Recueillis par Kissima La Tribune N°545 du 11 avril 2011 |
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