Chef de service de la Solde,
directeur du Budget et des Comptes, contrôleur d’Etat, directeur du Trésor et
de la comptabilité publique, de la SMCP, commissaire à la sécurité alimentaire,
ministre du commerce et de l’artisanat et du tourisme, du développement
rural, des pêches et de l’économie maritime, de la santé et des affaires
sociales, des finances, DG de la CNAM, qu’il a portée sur les fonts baptismaux,
et enfin, ministre secrétaire général à la Présidence de la République.
Boydiel est l’un des rares à n’avoir pas craché sur le bilan d’Ould
Taya, contrairement aux nombreux opportunistes qui ont, vite, enterré
leur maître, hier tant adulé, comme l’ont fait beaucoup de ceux qui ne
respiraient que par celui-ci. Connu pour son franc-parler, l’homme est resté
très pondéré, depuis le coup d’Etat du 6 août. Son passage à la télé, quelques
jours avant la tenue des EGD, fut très remarqué des deux protagonistes de la
crise mauritanienne. Qualifié de «pachyderme», par un ancien journal de la
place, Boydiel, ce grand leader haratine est, aujourd’hui, dans la ligne de
mire du HCE. Cherche-t-on à le faire taire, en l’accusant de détournement ? Ou,
tout simplement, le sortir de l’arène, en l’expédiant, comme d’autres déjà, en
prison. Dans une déclaration de presse – voir encadré - et dans cette interview
exclusive accordée au Calame, l’homme révèle, serein et confiant,
les dessous de cette affaire et sa lecture de l’actualité politique de notre
pays.
Le Calame : Commençons, si vous le voulez bien, cet entretien, par
cette histoire de 102 millions imputés à votre gestion de la CNAM. Qu’en est-il
au juste ? Est-ce une affaire classée ? Ne craignez-vous pas, au vu des
déclarations du général, à Akjoujt, d’être l’objet de poursuites judiciaires ?
Boydiel Ould Houmeid : Je vous remercie de me donner
l'occasion de clarifier cette affaire. Je vais vous remettre une déclaration de presse
que j'ai, justement, préparée à ce sujet. Elle aborde tous les aspects de la
question.
L'Inspection Générale d'Etat (IGE) peut considérer l'affaire classée, après la
délivrance d'une mise en demeure qui a été exécutée. Mais, pour moi, c’est loin
d'être le cas : j'ai requis quatre avocats qui vont, non seulement intenter une
action devant les juridictions compétentes, pour le remboursement des sommes
illégalement encaissées, mais, aussi, ester en justice contre l'IGE pour abus
de pouvoir.
Que vous inspire justement cette sortie musclée du général à Akjoujt :
"Tous des voleurs, sauf moi" ? Que pensez-vous des chiffres avancés ?
Je n'ai pas suivi les déclarations du général, mais je dois dire, comme je l'ai
toujours dit, que les Mauritaniens ne sont pas nombreux et se connaissent,
généralement; les voleurs, les saoulards, les trafiquants de drogue et de chair
humaine sont connus de tout le monde. Avez-vous jamais entendu quelqu'un dire,
de soi, qu'il est voleur, démagogue malhonnête ou menteur? Bien sûr que non.
Dire le contraire est parfois nécessaire, le prouver, c’est encore mieux. Aussi
souhaitons-nous, vivement, que le général appelle une commission d'enquête,
indépendante, pour contrôler sa propre gestion à la Présidence, au BASEP,
publier les noms de tous ses fournisseurs, justifier les numéraires retirés du
Trésor public et de la BCM, l'utilisation des 50 millions de dollars – plus de
treize milliards d'ouguiyas – accordés, par l'Arabie saoudite, à la Mauritanie,
pour l'acquisition d'armement, montant que le président Sidi Ould Cheikh
Abdallahi avait décidé de ne dépenser qu'après son inscription au budget de
l'Etat. Le général et ses services doivent expliquer au peuple mauritanien
comment cette grosse somme a été dépensée. Ils n'ont qu'à nous expliquer
l'octroi en bail des locaux de la SONADER de Rosso, le loyer d'un terrain, km10
de Rosso, aux services du développement rural, pour un montant inimaginable,
ainsi que la location de la CAPEC de Rosso.
Du reste, le gaspillage et la corruption ne sont pas seulement d’ordre matériel,
mais aussi d'ordre moral. Regardez dans quel état se trouve l'administration
mauritanienne! Nous avons, théoriquement, une Fonction publique, mais, dans la
pratique, on fait comme si l’on était dans une fonction privée. Voyez les
nominations, chaque semaine : c'est, véritablement, le clientélisme à outrance,
on nomme, aux plus hauts postes de l’Administration – SG, Directeur, Chargé de
mission – des marins, des hommes d'affaires, des chômeurs, bref des gens qui
n'ont aucun lien avec la Fonction publique. Tout ce qu'ils ont, c'est un lien
de parenté ou de belle-parenté avec tel député, tel maire ou tel autre
pourvoyeur potentiel d’électorat. C'est lamentable, du point de vue du
rendement, et c'est, aussi, une grande humiliation, pour ceux qui ont choisi
d'être fonctionnaires de l'Etat, qui ont passé, pour cela, des concours et
suivi des formations spécialisées. Ceux-ci voient non seulement leur horizon de
promotion bouché, mais se trouvent, en plus, commandés par des personnes
n'ayant aucune compétence ni expérience administrative, des gens, sans position
statutaire, engagés et payés par l'Etat, ce qui va coûter extrêmement cher au
budget. Ça, ça a un nom : de la gabegie, ni plus, ni moins. C'est comme si l’on
prenait des gens, sans aucune relation avec l'armée, pour leur confier la
responsabilité de commander des militaires gradés. Ne l'oublions pas : le
statut de nos fonctionnaires est copié sur celui des militaires de Napoléon,
c'est pourquoi avons-nous les mêmes appellations de classe, grade, échelon,
etc.
Le FNDD a disqualifié le guide libyen, président en exercice de l’UA,
pour avoir pris fait et cause pour les militaires. Le même Kadhafi vient d’être
désavoué par le CPS de l’UA. Ne craignez-vous pas que les sanctions, que vous
appelez de vos vœux, aient plus d’impact sur les populations que sur les
dirigeants ?
Nous n'avons jamais demandé des sanctions contre le peuple mauritanien, ni
contre une quelconque catégorie de mauritaniens, mais nous avons dit que nous
ne devons pas, comme dit le proverbe de chez nous, "nsou'ou ezzerga we
nkhalou ezerrag" – courir après le projectile et laisser le lanceur. On
doit se poser la question de savoir pourquoi y aurait-il des sanctions et la
réponse est simple : c'est parce qu'il y a eu un coup d'Etat. Qui a commis ce
coup d'Etat? Ce n'est, en tout cas pas, le FNDD. Si l'Union africaine, l'Union
européenne, la Banque mondiale, le FMI et les autres optent pour des sanctions,
ils ne font qu'appliquer ce que prévoient leurs réglementations, en cas de
changement anti-constitutionne l. Pour éviter les sanctions contre le pays et
contre leurs personnes, les auteurs du changement anti-constitutionne l doivent
revenir sur leur décision de prendre le pouvoir par la force.
Dans le cadre d’une solution consensuelle qui éliminerait les deux
principaux protagonistes de la crise, le FNDD serait-il prêt à lâcher Sidi ?
Pour le FNDD, il ne s'agit
pas d'une affaire de personnes, ni d'un choix entre deux hommes, mais d'une
question liée au respect d'une Constitution que le peuple mauritanien a
adoptée, à plus de 90%.
Le FNDD et le RFD ont scellé une espèce d’entente pour mener ensemble le
combat contre le HCE. Quelle stratégie mettront les deux parties, pour
affronter ou contrecarrer un HCE désormais engagé dans une campagne électorale
anticipée ?
La stratégie que nous envisageons de mettre en œuvre, pour revenir à l'ordre
constitutionnel, vous la saurez, le moment venu. En attendant, nous ne
participerons pas à cette fuite en avant, dont l'objectif n'est autre que de
légaliser le coup d'Etat.
Du côté de la majorité, les parlementaires ont lancé une
initiative, au lendemain du départ du guide libyen, consistant en la mise
en place d’un gouvernement d’union nationale, d’une CENI indépendante, évoquant
la démission du général 45 jours avant le scrutin du 6 juin. Que pensez-vous de
cette démarche ?
Cette démarche ne concerne que ceux qui l'ont initiée. Cela ne nous fait ni
chaud ni froid.
Comment votre parti, ADIL, a-t-il accueilli la naissance de partis politiques,
l’UPR et le RDPM, issus, tous deux, de la majorité présidentielle ?
Vous savez, il y a six mois, tout ce beau monde appartenait au parti Adil. Je
souhaite à tous bonne chance et j'espère que les raisons qui les ont poussés à
quitter Adil ne les amèneront pas, bientôt, à quitter leur nouveau
parti.
Vous étiez ministre
secrétaire général de la Présidence jusqu’au coup d’Etat du 6 août. Pouvez-vous
nous raconter le film de cette matinée, à la présidence? Quel était l’état des
relations entre Sidi et son chef d’état-major particulier depuis le début de la
fronde?
Le film de cette matinée-là a été raconté par les
intéressés eux-mêmes. Je n'ai rien à y ajouter. Quant aux relations entre le
président de la République et son chef d'état-major particulier, elles me
paraissaient normales, du moins pour ce que j'en percevais. En tout cas, il
était le premier qu'il recevait chaque matin entre 9H et 10H, avant le Ministre
secrétaire général de la Présidence, premier collaborateur du président et le
directeur de cabinet.
Comment avez-vous accueilli le discours du chef de l’Etat à Kaédi, sur
le règlement du passif humanitaire ?
Je n'ai pas eu, là encore, à écouter le discours du général, mais je sais, en
revanche, que la question du passif humanitaire est trop sérieuse pour être
traitée en une matinée et dans la perspective de ce qui semble être une campagne
présidentielle, solitaire, orpheline et qui ne dit pas son nom. En somme, une
finale avant la lettre, comme diraient les sportifs.
Propos recueillis par Dalay Lam
Le Calame n°682, du Mardi 7 avril 2009