Interview du Quotidien El Emel El Jedid avec SEM. Dennis
Hankins,...
...Chargé d’Affaires de l’Ambassade des Etats-Unis
d’Amérique à Nouakchott.
El Emel El Jedid: Quelle est la
position exacte des Etats-Unis d’Amérique par rapport au coup d’Etat du 6 août?
Dennis Hankins: Je pense que
depuis le début la position de notre gouvernement était assez claire et n’a pas
changé durant les quatre derniers mois. On n’accepte pas les coups d’Etat, car
on n’accepte jamais les changements, par la force, des gouvernements librement
élus. Donc pour nous, il est nécessaire de souligner que le président c’est
Ould Cheikh Abdallahi, comme il n’y a qu’un seul président légitime qui est le
président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, c’est tout. C’est lui qui était élu, et
c’est lui qui représente la voix et le choix du peuple mauritanien.
A cet effet, pour nous, tout retour aux
institutions constitutionnelles passe, nécessairement, par le retour de
l’institution du Président de la
République qui est l’une des institutions principales de la Constitution. Quant
au retour de toutes les institutions constitutionnelles, c’est aux Mauritaniens
de trouver la solution aux problèmes politiques.
El Emel El Jedid: Que compte
faire votre gouvernement pour aider au rétablissement du Sidi Ould Cheikh
Abdallahi à son poste et au retour à l’ordre constitutionnel ?
Dennis Hankins: Dans un certain sens, nous voyons ce coup d’Etat comme
une action de certains individus, c'est pour cela qu'il y a eu les sanctions
ciblées des Etats-Unis, et nous voulons voir les sanctions des autres pays et
des autres organisations cibler essentiellement les individus et pas les
populations. Nous espérons qu’avec ces sanctions, les auteurs du coup d'Etat,
vont se rendre compte que leur acte n’est pas dans leur intérêt et que les
militaires doivent quitter, et qu’il faut un retour aux institutions légitimes.
El Emel El Jedid: Si vous échouez dans cette démarche, que compteriez-vous
faire ?
Dennis Hankins: Certes, on a toujours à l'esprit que les Etats-Unis sont
cette grande puissance, mais dans un certain sens, l'influence des Etats-Unis
est limitée en Mauritanie. Nos investissements sont très limités, tout comme la
présence des citoyens américains sur le sol mauritanien. Cependant, notre rôle
c’est de continuer à être très critique envers les autorités. Si l'on considère
notre position au Zimbabwe ou en Birmanie, on peut imaginer que c'est à cela
que peut s'acheminer la
Mauritanie, mais je doute qu’on puisse accepter un changement
militaire.
El
Emel El Jedid: Cela veut dire que vous n’allez jamais reconnaitre le régime en
place avant le retour de Sidi Ould Cheikh Abdallahi?
Dennis Hankins: Nous soutenons les efforts de l'Union Africaine. Bon,
s’il y a une solution acceptée par le président Abdallahi et par la communauté
africaine, et que tout le monde peut accepter, ce n’est pas à nous de dire
qu’il faut telle ou telle solution. Mais en dehors de la possibilité de quelque
chose de négociable par l’Union Africaine et par nos autres partenaires et que
toutes les forces politiques peuvent accepter, je ne vois pas la possibilité
d’accepter la situation actuelle.
El
Emel El Jedid: La France
a exclu l’idée de l’embargo contre le peuple mauritanien, elle a dit qu’elle
privilégie les sanctions individuelles, elle a aussi exclu avec un certain ton
une opération militaire. Est-ce que les Américains ont la même position?
Dennis Hankins: Pour ce qui est de l’embargo, on n’y a jamais pensé. Même avec
la poursuite des projets européens, comme celui des Accords de pêche, on n’a
pas vu de problème dans cette question. On a même vu que les exportations du
fer et les exportations du pétrole continuent sans problèmes vers la Communauté
internationale. Cependant, nous souhaiterions voir une transparence qu’on n’a
pas vue depuis le coup d’Etat dans les opérations fiscales, mais en principe
notre objectif n’est pas de faire un embargo qui peut affecter les populations
mais plutôt des mesures contre les individus.
En termes de force militaire, pour nous,
l’utilisation de la force pour rectifier un coup de force n'est pas appropriée.
Nous sommes très loin de commencer à penser à une telle idée parce qu’il y a
encore assez de temps pour les mesures diplomatiques et pour le dialogue
politique aussi.
El
Emel El Jedid: Le contact téléphonique fait récemment par Mr. John Negroponte
au Mr Sidi Ould Cheikh Abdallahi, comment vous l’expliquez en termes
politiques?
Dennis Hankins: Bon ça c’était pour réaffirmer l’attachement des
Etats-Unis à la légitimité du président élu. Il faut noter que notre Secrétaire
d’état adjoint, la seule fois qu’il a voyage à l’extérieur pour reconnaître des
élections, c’était en Mauritanie, et il y a un certain attachement personnel de
notre Secrétaire d’état adjoint a la Mauritanie. C'est
pour cela qu’il a contacte le président Abdallahi dès cela a été possible.
El
Emel El Jedid: Certains attribuent le durcissement de la position américaine,
d’une part, à votre Ambassade, et d'autre part, au pouvoir des Républicains qui
va changer dès le 20 janvier, et que probablement, la position américaine
vis-à-vis de la Mauritanie
va changer à partir de cette date, qu’est-ce que vous en pensez?
Dennis Hankins: Je doute qu’un gouvernement démocrate va changer une
politique républicaine basée sur les principes. Puisque notre principe ici,
c’est l’attachement à la démocratie pas seulement en Mauritanie, mais dans
toute la région d’Afrique et du Monde arabe. Alors je ne vois pas comment on
pourrait s’attendre à ce qu’Obama change cette politique. Probablement, elle
sera plus dure que par le passé.
On a souvent noté dans la presse mauritanienne cette idée que dans un certain
sens, la position américaine a quelque chose de personnel. Bien sûr que depuis
le coup d’Etat, on fait des rapports chaque jour pour Washington. C’est
peut-être à cause des bonnes actions dans le domaine des relations publiques du
président Ould Cheikh Abdallahi et de son staff, mais aussi parce que nous nous
servons de la Mauritanie
comme modèle pour le reste de la région.
A cause de tout cela, notre réaction a été un peu plus sévère que ce qui était
prévu. Mais cette idée qu’il y a quelque chose de personnel entre l’ambassadeur
et quelqu’un d’autre ou que ce soit entre les Etats-Unis et une autre
chancellerie, tout cela est faux. La réaction de la Communauté
internationale est connue pour chaque pays. La position prononcée par notre ambassadeur
est donc celle de Washington, ce n’est pas une position personnelle. Le travail
de l’ambassadeur va dans le sens du renforcement de la position de Washington
qui, je le pense, ne va pas changer avec l'arrivée de la nouvelle
Administration américaine.
El Emel El Jedid: Certains estiment que les Etats-Unis sont attachés à la Mauritanie, parce
qu’ils comptent installer une base militaire dans le pays. Est-ce vrai ?
Dennis Hankins: Non cela est faux. Il existait une coopération dans le
domaine de la formation de troupes mauritaniennes. Alors c’est vrai que nous
suivons avec beaucoup d'intérêt la recrudescence des actions terroristes en
Mauritanie, surtout avec la triste attaque de Tourine. Il y a certaines menaces
terroristes dans votre pays, mais notre plan depuis le commencement était de
renforcer votre capacité, les capacités des forces de sécurité mauritaniennes
pour affronter cette menace extérieure en même temps que le programme de
développement. Notre attachement à un gouvernement élu
vise à renforcer la qualité de bonne gouvernance dans le pays, pour faire face
au problème du radicalisme au sein de la population mauritanienne, car dans un
certain sens, la menace du terrorisme est pire que les menaces d’attaques
venant de l’extérieur
El Emel El Jedid: Vous ne reconnaissez pas le régime militaire mais par contre
est-ce que vous reconnaissez ce que fait la majorité parlementaire qui soutient
les militaires?
Dennis Hankins: La session extraordinaire s’était déroulée en dehors des
procédures et des procédés constitutionnels, alors nous avons des problèmes à
ce niveau. Par ailleurs, et concernant les élus, même s’il y a ce débat au
sujet de l’influence ou non des militaires durant les élections, nous devons
accepter le rôle indépendant de chaque élu. Nous ne pouvons pas dire que nous
sommes exclusivement en faveur de l’institution présidentielle, ou que nous
respectons les mandats plus que d’autres ; nous sommes pour le respect de
chaque institution. Mais, il est regrettable qu’on utilise les organes
parlementaires à des fins politiques.
Le général Aziz a dit depuis le premier jour, que ce coup d’Etat ne touche que
l’Exécutif, où il y avait un problème. Mais il parait assez clair qu’il y a
l'influence des militaires sur le pouvoir législatif et aussi sur le pouvoir
judiciaire. Alors pour nous, ça prouve que ce ne sont pas les blocages de
l’Exécutif qui ont conduit à cette situation, mais il s'agit d'un coup d’Etat
dans le sens propre du terme.
El Emel El Jedid: Vous avez visité Sidi Ould Cheikh Abdallahi à Lemden, vous
avez aussi rencontré ses soutiens nationaux et vos partenaires internationaux,
est-ce que vous pensez vraiment que Sidi peut revenir comme président, cette
possibilité est-elle encore envisageable?
Dennis Hankins: Je pense que cette possibilité existe, alors, même que
les mauritaniens notent que ce coup d’état est différent des précédents. Le
plus éloquent est qu’il y a une opposition hostile au coup d’Etat, et au sein
de cette coalition certaines parties ne sont pas des partenaires traditionnels
du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, mais il s’agit de gens qui veulent le
respect de la
Constitution et qui veulent préserver le progrès démocratique
qui exige déjà a travers le rétablissement du président qui a été élu, quel
qu'il soit d'ailleurs.Sans cette opposition interne, je doute qu’il y ait eu
aucune possibilité de retour pour le président, mais cette opposition-là
existe.
A un autre niveau, il y avait une grande coalition internationale, peut-être
avec de petites divergences de point de vue, mais sur les questions de base,
tous les organismes internationaux condamnent le coup d’Etat, tout le monde
reconnaît le président comme président élu. La combinaison de cette action
externe avec l’opposition interne, je pense que cela donne toujours la
possibilité à ce retour. Avec 30%, 50% ou 60% de chance, je ne sais pas.
El
Emel El Jedid: Les mauritaniens ont relevé notamment la présence de certains
ambassadeurs européens et un représentant de l’ambassade des Etats-Unis
d’Amérique aux festivités du 28 novembre, s’agit-il, d’une reconnaissance des
nouvelles autorités issues du coup d’Etat?
Dennis Hankins: Non. Je sais qu’avec mes collègues européens, et pour
toutes les ambassades, la fête nationale c’est pour le peuple mauritanien,
alors il faut donc respecter la date qui est l’indépendance de votre pays. Nous
pouvons être en faveur et en communion avec le peuple mauritanien, sans
toutefois être en faveur des autorités. Nous avons donc participé à la
cérémonie commémorant cette date, mais nous avons quitté la Présidence
immédiatement après, pour éviter de mauvaises interprétations. C’était donc une
mesure de respect pour le peuple mauritanien en lui donnant une reconnaissance,
sans donner une légitimité au pouvoir du Général.
El Emel El Jedid: La France
a sa propre initiative de sortie de crise, dissociée de celle de la Communauté
internationale, pourquoi les Américains ne fournissent-ils pas un tel effort?
Dennis Hankins: Ce n’est pas utile d’avoir plusieurs initiatives. Mais dès
le départ, on a fait des contacts étroits avec les Français en particulier avec
l’Elysée. Entre l’Elysée et Washington, il n’y a pas de grandes divergences de
points de vue. Nous pensons que probablement les Français sont mieux placés que
les Américains pour s’engager directement.
Par ailleurs, avec la transition entre les gouvernements américains, si
quelqu’un du gouvernement américain veut commencer dès maintenant, il va
quitter dans un mois, alors ce n’est pas utile. Entre Washington et Paris le
contact est permanent au sujet de la situation en Mauritanie.
El
Emel El Jedid: Que pensez-vous du Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD) et
que pensez-vous de l’opposition démocratique d’Ahmed Ould Daddah?
Dennis Hankins: Ce que j’ai noté c’est que l’un des leaders du FNDD a
dit depuis le début ceux qui sont au FNDD ont montré clairement leur hostilité
au coup d’Etat. Pendant que s’effectuent toutes ces manifestations en faveur
des militaires, c’était toujours un peu difficile de savoir est-ce qu’ils sont
là par leur volonté ou s’ils étaient contraints, même avec ces fameuses listes
des maires favorables au coup d’Etat. Alors, quand nous avons remis les chèques
de financements de projets municipaux à certains de ces maires, ils ont dit
qu’ils sont contre le coup d’Etat.
En ce qui concerne le FNDD, j’ai pensé que c’était utile depuis le commencement
de l’opposition au coup d’Etat, bien que je voie qu’au sein du FNDD, il y a de
grandes divergences du point de vue politique. Mais ils se sont tous retrouvés
sur la base des questions de légitimité du président d’où la nécessité du
retour de celui-ci. En d’autres termes au-delà de l’épreuve du retour du
président, bien sûr qu’il y a des divergences. Concernant le rôle du leader de
l’opposition, pour nous il est très important dans ce débat.
Depuis le commencement nous avons fait l’effort de parler avec Mr Ould Daddah
qui d’une certaine façon continue à avoir une certaine audience dans le pays.
Alors nous espérons qu’au bout du compte, il pourra jouer un rôle positif pour
le retour à la démocratie. Je sais que de son point de vue, il faut organiser
des élections anticipées, peut être que cela est nécessaire et, pour nous, ça
peut arriver mais seulement après le retour au point de départ de la
démocratie. Donc, s'il est vraiment nécessaire d’organiser des élections, et
que tout le monde est d’accord sur cette question, bien sûr cela devient à ce
moment là une possibilité.
El Emel El Jedid: Certains mauritaniens disent que l’aide américaine au
peuple mauritanien n’est pas aussi volumineuse en comparaison avec son
engagement contre le coup d’Etat et que l’interruption de cette aide ne peut
pas influencer le développement mauritanien est-ce que cela est vrai?
Dennis Hankins: Dans un certain sens, ce que vous dites est vrai, même
le président Abdallahi la première fois que je l’ai rencontré quand je suis
arrivé, il a noté qu’il y avait déjà une croissance de l’assistance en terme de
formation des militaires, en terme d’assistance dans le domaine de sécurité, il
a noté qu’il n’y avait pas une grande présence américaine dans le domaine de
l'assistance. Au début, il y avait toujours une grande présence en termes
d’assistance humanitaire.
En termes d’assistance directe, c’est plus ou moins 12 à 13 millions de dollars
par an. Il faudra aussi noter qu’il y a plus d’un tiers du budget de toutes les
institutions de l’ONU qui est accorde par le peuple américain. Notre présence
dans l’économie mauritanienne en termes d’assistance est la plus importante,
Mais le fait que la plupart de cette assistance se fait a travers le
multilatéral, il n’est pas donne a tous les mauritaniens de se faire une idée
réelle de l’importance de l’aide américaine a la Mauritanie.
L’une des priorités de notre gouvernement pendant la première
année du mandat du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi était de faire de la Mauritanie l’un des
partenaires bilatéraux les plus importants en terme de développement. On a déjà
commencé avec le programme de MCC. Avec l’avant-programme, le gouvernement de
Ould Cheikh Abdallahi a déjà transmis à Washington les dernières retouches de
l’application pour un projet de 30 millions de dollars, dans les domaines de
l’éducation, de la santé et de l’environnement. Le projet était presque
accepté. Il s’agit la d’un programme préliminaire a un autre grand programme
MCC.
Notre plan était d’avoir l’aval de la Mauritanie pour ces projets avant la fin de 2010.
On n'avait pas encore commencé les discussions avec le gouvernement, mais on
peut noter par exemple qu’au Mali, il y a un an, on a fait un programmesimilaire pour plus ou moins 450 millions de dollars dans le domaine des
infrastructures, mais il était bien probable qu’avant la fin du mandat du
président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, il était prévu d’avoir un programme de 300
à 400 millions de dollars.
Propos recueillis par El Houssein Ould Mahand
Le 07/12/08
Source : El Emel El Jedid (Mauritanie)
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