E. Domota : Nous
ignorons à quoi servent les Etats Généraux
Interview au quotidien Le
Monde
La mise en place d’"ateliers locaux", sous la
responsabilité d’un préfet ad hoc, Richard Samuel, marquera le lancement des
Etats généraux de l’outre-mer, début avril. Nicolas Sarkozy devrait se rendre
aux Antilles dans la troisième semaine d’avril. Une synthèse des travaux aura
lieu à Paris fin mai ou début juin. Durant cette période, le chef de l’Etat
présidera un conseil interministériel sur l’outre-mer.
Le porte-parole du LKP (Collectif contre l’exploitation),
Elie Domota, qui a porté le plus long mouvement social de la Guadeloupe, du
20 janvier au 4 mars, se montre sceptique vis-à-vis des Etats généraux, qui
perdront beaucoup de sens si le LKP n’y participe pas.
Le LKP participera-t-il aux Etats généraux de l’outre-mer ?
Pour le moment, je ne sais pas ce que c’est. Les
Guadeloupéens posent le problème de la ségrégation sociale et le gouvernement
leur répond évolution statutaire. Au problème de la domination d’une
communauté sur toute la population, il répond atelier sur la formation des
prix. Face au racisme à l’embauche, il propose une réunion sur le dialogue
social.
Quand on veut noyer un problème, on crée une commission. On est dans une
tradition bien française. On ne répond pas aux questions. Ce sont les
Guadeloupéens eux-mêmes qui doivent trouver les voies et les moyens de leur développement
et de leur avenir.
La politique de la chaise vide, n’est-ce pas
manquer une occasion de mettre à plat tous les problèmes qui minent l’outre-mer ?
Les thèmes choisis ne correspondent en rien aux
revendications posées. La question ce n’est pas la formation des prix mais le
monopole et l’abus de position qu’exercent un certain nombre de familles
depuis des décennies. Nous ne savons pas à quoi servent les Etats généraux. S’il
s’agit une fois de plus de prendre les mêmes avec costume et cravate et de
les mettre dans un bureau pour décider en quelques semaines de notre avenir à
vingt ou vingt-cinq ans, ce n’est pas la peine. Qu’on nous fournisse une
explication claire et on donnera une réponse !
Yves Jégo n’a-t-il pas promis de s’atteler au
problème de la mémoire ?
Cela fait des mois que nous avons écrit à M. Jégo
sur le problème de la tuerie de mai 1967 [où plusieurs dizaines d’ouvriers en
grève avaient été tués par des CRS]. La seule réponse, c’est un courrier d’accusé
de réception. Des historiens guadeloupéens travaillent depuis des décennies
sur cette question. Jusqu’à présent, ils ont été totalement occultés. Ce
dossier doit être traité par les Guadeloupéens pour les Guadeloupéens et porté
par ses historiens.
Les entreprises appliquent- elles l’accord Bino
qui promet 200 euros d’augmentation aux très bas salaires ?
La grande distribution, l’hôtellerie, le BTP ont signé
cet accord. Les Hayot, Despointes, Lemetayer, Aubery, toutes
les grandes fortunes de la place ont fini par le signer et le travail a
repris. Donc il n’y a aucune raison pour que le Medef continue à faire
opposition à l’application de cet accord, ou plutôt à son extension.
Demandez-vous le paiement des jours de grève,
comme dans la canne ?
Ce
sont des choses qui doivent être discutées dans chaque entreprise. Dans la
canne, la baisse du prix du carburant obtenue grâce au mouvement social va
permettre des économies immenses. Ceux qui étaient dans la rue veulent en bénéficier.
En souhaitant que les patrons blancs s’en
aillent, vous vous êtes exposé à l’accusation de racisme.
On n’a jamais dit cela ! C’est une déformation
volontaire des propos, entretenue par l’UMP. Un accord a été signé pour
augmenter les salaires et le pouvoir d’achat. Curieusement, les plus riches
ont refusé de l’appliquer. On leur a simplement dit : si vous aimez la
Guadeloupe et les Guadeloupéens, signez l’accord Bino, sinon
nous resterons en grève et nous inviterons la population à n’acheter ni un
clou, ni un bonbon à la menthe chez vous. C’est quand même fort : nous
subissons l’exclusion au travail, la discrimination à l’embauche, dans les boîtes
de nuit, on nous traite comme des "ultra-périphériques" et quand
nous demandons l’égalité sociale, on nous qualifie de racistes.
Pourtant, à aucun moment dans notre histoire nous n’avons
cherché à dominer qui que ce soit. Rien n’a changé en termes de rapport de
classes et de races. Quelle commune en métropole accepterait qu’une
entreprise s’installe et que les locaux ne puissent pas y travailler ?
Nous serions bons pour la musique, pour le foot, et même pour le concours de
Miss France, mais dès qu’il s’agit d’accéder à des postes d’encadrement, il y
a un problème. On demande un peu de respect.
Propos recueillis par Béatrice Gurrey
Le
Monde
23.03.2009
Publié par Ibuka
le mardi 24 mars 2009
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