A.H.M.E.
INTERVIEW 26:
Interviews de Malek Chebel
Entretien avec Malek Chebel Propos
recueillis par Dominique Mataillet - "Jeune Afrique" - 18 novembre
2007
Jeune Afrique : Pourquoi ce livre, et pourquoi maintenant ?
Avez-vous eu vent de réactions hostiles ?
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Malek Chebel, auteur de "l'Esclavage en terre d'Islam" paru chez Fayard en septembre 2007 explique pourquoi il a décidé de porter une cravate noire, en signe de deuil :
“L’islam est victime de sa culture esclavagiste” entretien avec Malek Chebel
« L’Esclavage en terre d’islam » (Fayard, 496 pages, 24 euros) Propos recueillis par Catherine Golliau - "le Point" du 13 septembre 2007 Malek Chebel, défenseur de l’esprit des Lumières en Islam, engage un nouveau combat : éradiquer la culture esclavagiste, toujours vivante selon lui dans le monde musulman. Un cri de guerre. L’esclavage existe toujours en terre d’islam. Au pire, on le nie, au mieux, on le tait : telle est la thèse de "l’Eslavage en terre d’islam", le dernier livre de l’anthropologue Malek Chebel, publié cette semaine chez Fayard. Cet ancien psychanalyste s’est fait une habitude d’attaquer la société musulmane là où elle a mal, dans son rapport à la raison et à la liberté de conscience, au plaisir et au sexe. Son dernier opus est encore plus dérangeant : plus qu’une étude scientifique, c’est un brûlot. L’Islam qu’il décrit est celui des négriers et des trafiquants, des enfants exploités et des femmes violées. Le fond comme la forme de ce pamphlet peuvent déranger. L’auteur a choisi de se mettre en scène et de livrer sans contrainte ses impressions, au risque d’altérer la rigueur de son propos. Qu’importe ! ll ose ce que d’autres amoureux de l’Islam n’ont jamais oser faire : clamer haut et fort son indignation face à la culture de l’esclavage en Islam. Le Point : L’esclavage dans les pays musulmans est un fait connu : nous avons tous en tête des visions de harem où les eunuques et les concubines sont au service du sultan. De nombreux auteurs comme Bernard Lewis, Robert C. Davis et Olivier Pétré-Grenouilleau, pour n’en citer que quelques-uns, ont travaillé sur ce thème. Qu’apportez-vous de neuf sur le sujet ? Malek Chebel : Le fait que ces auteurs, tout à fait estimables, ne soient pas musulmans pèse sur la lecture que l’on fait de leurs travaux en terre d’islam. Je les cite d’ailleurs abondamment. Mais en Islam, le sujet est tabou. L’esclavage y est tellement intériorisé que les esclavagistes eux-mêmes refusent d’admettre qu’ils le sont. Même des islamologues occidentaux comme Vincent Monteil, Jacques Berque ou Louis Massignon, qui comptent parmi ceux qui ont le mieux connu l’Islam et qui disposaient des informations pour faire taire ce scandale ont préféré se concentrer sur la hauteur mystique des grands théosophes plutôt que de faire la lumière sur les réalités scandaleuses des marchands de chair humaine. Moi, je suis musulman. Ma parole a un poids différent. Mon étude est une enquête de terrain. J’ai visité tous les pays dont je présente la culture esclavagiste. Je suis allé sur place, à Zanzibar, en Mauritanie, au Maroc, en Egypte… J’ai rencontré les victimes de l’esclavage. Mais en touchant aussi violemment à l’islam et à ses pratiques, vous ne craignez pas d’être frappé d’une fatwa ? Je pourrais craindre une fatwa si j’insultais l’islam. Mais
justement, je le défends. L’esclavage est en contradiction avec les fondements
de la religion musulmane. Nous pouvons dire que Le Coran est pourtant très ambigu sur l’esclavage. Le Coran, qui est le texte sacré de l’islam, évoque la question
de l’esclavage dans vingt-cinq versets distincts répartis sur quinze sourates.
Si certains versets peuvent paraître ambigus, la tonalité d’ensemble penche en
faveur de l’esclave. « Délivrez vos frères des chaînes de Tous les hommes ne sont pas pourtant égaux dans l’islam ? C’est vrai, et le Livre précise que Dieu « a élevé les uns au-dessus des autres, en degrés, afin que les premiers prennent les autres à leur service, tels des serviteurs ». C’est sur un verset comme celui-ci que se fondent aussi les musulmans wahhabites d’Arabie saoudite et ceux du Golfe pour réduire leurs domestiques en servitude, en leur enlevant leur passeport et en les traitant comme des esclaves. Celui qui est converti ne peut être réduit en esclavage,
c’est un principe fondamental de L’empire avait besoin de bras, et comme justement l’esclave ne
pouvait être musulman, on est parti le chercher ailleurs, en Asie, en Turquie,
en Afrique. En échange du paiement d’une taxe, le monothéiste, juif ou
chrétien, était protégé par l’islam, d’où son nom de dhimmi . Mais il y a le
texte et la réalité, et il est vrai que nombre de Slaves de confession
orthodoxe ont été réduits en esclavage, notamment sous le califat turc, pour
remplir les harems et peupler De Zanzibar à Socotra, vous énumérez tous les comptoirs de traite qu’a connus l’Afrique. Des villes comme Le Caire ont fondé une partie de leur richesse sur le trafic d’esclaves. Si la traite atlantique organisée par les Européens du XVIIe au XIXe siècle est inexcusable, les musulmans n’ont pas vraiment de leçon à donner : ils ont organisé la traite des Noirs pendant près de dix siècles en toute bonne conscience. C’est vrai, et j’ai même découvert un ensemble de documents qui correspondent au Code noir en vigueur dans les Antilles françaises à l’époque de la traite : des préceptes et des règles qui expliquent comment acheter, vendre et traiter l’esclave. Mais si les conditions de vie pendant le transport sont tout aussi odieuses, le statut de l’esclave en Islam était très différent de celui qui lui a été imposé par les Européens dans les plantations d’Amérique. Les témoignages montrent quand même qu’un eunuque ou un serviteur ne valait pas grand-chose… Il est difficile de résumer dix siècles d’esclavage. Je vous donnerai seulement trois exemples. Le premier est celui des femmes enlevées pour peupler les harems. Si elles avaient un enfant du maître, elles étaient affranchies et leur enfant était reconnu. On connaît plusieurs cas de sultans ou de califes qui étaient fils d’esclave. Deuxième exemple : les esclaves qui grimpent dans l’administration ou dans l’armée. Les mamelouks ont ainsi dirigé l’Egypte du XIIIe au XVIe siècle : ils étaient à l’origine des esclaves utilisés comme soldats, qui un jour ont pris le pouvoir. Troisième exemple : les « sultans-esclaves » de l’Inde moghole, au XIIIe siècle. D’une manière générale, l’esclave peut se convertir, il ne peut prétendre qu’à une demi-part d’un héritage, mais rien ne l’empêche de devenir suffisamment riche pour racheter sa liberté, et ensuite de détenir lui-même des esclaves ! Vous assurez que l’esclavage existe dans de nombreux pays, particulièrement en Mauritanie, en Arabie saoudite, dans les pays du Golfe, mais aussi au Maroc et en Inde, où vous citez les intouchables. De quel esclavage parlez-vous ? Peut-on mettre au même niveau la petite fille placée ad vitam aeternam comme bonne dans une famille marocaine, l’enfant indien asservi sur un chantier parce que ses parents sont endettés et le descendant d’esclave devenu métayer sur le domaine d’un grand propriétaire mauritanien ? Il y a plusieurs niveaux d’esclavage, certes. Et je ne parle pas des femmes qui, en Iran ou ailleurs, sont utilisées comme des objets, par le biais notamment des mariages de convenance : on se marie le matin, on consomme et on divorce le soir, le bénéficiaire de ce tour de passe-passe étant bien sûr l’homme. Le lien entre toutes les situations, c’est la servitude, physique, économique et psychologique. Nombre des exemples que je donne relèvent de l’esclavage de traîne : l’homme reste asservi parce qu’il n’a pas les moyens de quitter ses liens, même s’il est en théorie affranchi. Ce n’est pas un hasard si la Mauritanie en est à sa troisième loi d’affranchissement, la dernière ayant été promulguée en août 2007. Il faut une grande volonté pour lutter contre la servitude. Depuis trop longtemps, les musulmans sont imprégnés d’une culture de l’asservissement. Ils doivent s’en affranchir. Source : Le Point, journal français
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