La
Mauritanie : Le devoir de révolte du
négro-mauritanien
MOHAMED
YAHYA Ould CIRE: Ancien diplomate mauritanien, diplômé de l’ENA de Mauritanie en
1976 (section diplomatie).
De 1976 à 1979
fonctionnaire au Ministère des Affaires Etrangères
de 1979 à 1980,
conseiller à l’Ambassade de Mauritanie à Kinshasa (Zaïre), de 1980 à 1986,
conseiller à l’Ambassade de Mauritanie à Paris, de 1986 à 1992, consul
première classe au Consulat général de Mauritanie à Paris, de 1992 à 1998,
consul général de Mauritanie en Guinée Bissau. Membre fondateur d’El HOR
(Organisation pour la libération et l’émancipation des Haratine), et président
de AHME (Association des Haratine de Mauritanie en Europe). En 2006,
soutenance d’une thèse en science politique à Paris II intitulée : L’abolition
de l’esclavage en Mauritanie et les difficultés de son application. Vous avez
été admis au grade de docteur en science politique avec mention très
honorable.
1. OCVIDH. Comment
définissez-vous la communauté Haratine, si on considère la diaspora sénégalaise
qui a rejoint la Mauritanie dont beaucoup ne parlent ni la langue arabe et ne
possède pas la culture arabo-berbère.
Ould Ciré : La communauté
haratine se définit ainsi qu’il suit : elle est d’origine négro-africaine, de
culture arabo-berbère, même si une partie de sa diaspora ne parle pas le
hassania (langue dérivée de l’arabe que parlent les maures). Ce qui unit les
membres de la communauté haratine, c’est le fait d’avoir vécu l’esclavage maure,
soit directement, soit par ascendance.
Les sévices qui
accompagnent l’esclavage ont conduit beaucoup d’esclaves à fuir leurs maîtres et
se sont réfugiés soit au Sud de la Mauritanie, au Sénégal, au Mali, etc. Ces
groupes ont adopté la culture des ethnies négro-africaines dans lesquelles ils
vivaient ou vivent encore. La rupture avec sa communauté d’origine, à savoir
négro-africaine, où la personne ne sait plus à quelle ethnie elle appartient
constitue un élément aussi important. Le groupe haratine se compose
d’Affranchis (Haratine) et d’Abid (esclaves). Ce qui caractérise cette
communauté dans son ensemble est le fait d’être sous la domination de la
communauté maure. Pour accéder à la liberté et à l’égalité, le combat contre
l’esclavage et le racisme devient un élément dans la conduite des Haratine
L’issue de ce combat sera déterminante dans le futur de cette communauté et de
la Mauritanie.
2. OCVIDH. Qu’est-ce que
le mouvement EL HOR ?, Pourquoi aviez-vous besoin de fonder AHME, cela ne
cacherait-il pas un peu la vocation du mouvement fondateur de libération, ou y
aurait-il des contradictions entre les prises de positions personnelles des
fondateurs du mouvement EL HOR ?
Ould Ciré : EL HOR est
une organisation de libération et d’Emancipation des Haratine, je suis un
membre fondateur en 1974 du premier noyau de cette organisation. Dans ce noyau,
il y avait Bilal ould Werzeg, Abdarahmane ould Mahmoud, Ahmed Salem Ould Demba,
Amar Ould Deina etc.
La restructuration de
1978 a été faite à partir de ce premier noyau. Toute autre version de la
naissance d’El Hor est fausse.
L’objectif principal
était et reste la libération de la communauté haratine.
Malheureusement, cette
organisation n’a pas pu remplir cette tache car elle a été infiltrée par l’Etat
mauritanien qui l’a scindée en plusieurs fractions en 1986, 1991, etc. Depuis
1980, cette organisation ne fonctionne plus. Il y a beaucoup de militants qui
travaillent, qui font vivre l’esprit d’El Hor, mais la direction n’existe plus,
et les activités politiques sont suspendues. Par conséquent l’idée survit, mais
il n’y aucune structure qui prenne en charge la problématique posée à
l’origine.
Cet échec a suscité la
création de SOS-Esclaves en 1995 qui est basée en Mauritanie, et qui lutte sur
le front interne.
Au front extérieur, j’ai créé
avec d’autres, l’Association des Haratine de Mauritanie en Europe (AHME) qui
possède un journal dénommé « Le Cri du Hartani », un site www.haratine.com et un forum (haratine.yahoogroupes). AHME contribue comme d’autres
organisations à faire connaître la question de l’esclavage et à exercer des
pressions en vue de l’abolition de ce phénomène social.
Dès l’instant où l’Etat
mauritanien a pu récupérer certains dirigeants d’El Hor, de première heure ou de
seconde heure, on est placé devant un choix, soit renoncer à la libération des
Haratine, soit contourner les obstacles et créer d’autres structures qui vont
continuer le combat.
3. OCVIDH. A vous
entendre, les conditions que vous dénoncez et qui ont motivé votre départ de la
Mauritanie sont terriblement d’actualité, et diversement prises en charge par
les différents partis et associations. La dispersion des organisations ne
faiblit-il pas l’ensemble du mouvement de revendication et de lutte des
Négro-mauritaniens ?
Ould Ciré : J’ai réglé
trois questions liées à l’esclavage en Guinée-Bissau, en vertu de l’ordonnance
du 9 novembre 1981, et ce, en faveur des victimes. Suite au règlement de la
première affaire en 1994, le secrétaire général Khattry ould Jiddou m’avait
demandé, de renoncer à cette libération. J’ai continué à régler les problèmes
suivant leur arrivée. Ce sont là les premiers problèmes que j’ai eus avec le
ministère des Affaires étrangères et de la coopération de
Mauritanie.
Voyant que je ne
renonçais pas à mes convictions et à l’application de l’ordonnance abolissant
l’esclavage, le Ministère a cherché à me discréditer en m’impliquant dans une
affaire de détournement de deniers publics. La question de Sidi Fall avait déjà
débuté et m’a alerté sur la volonté de l’Etat maure et de la féodalité de
frapper sur tout hartani qui ne respecterait pas l’ordre
établi.
L’abolition de
l’esclavage est notre objectif principal. Tant que cet objectif n’a pas été
atteint, la lutte doit continuer afin d’y parvenir.
La multiplicité des
organisations prenant en charge la question de l’esclavage et du racisme ne me
choque pas, elle est même positive si toutes les forces convergent vers le même
but, à savoir l’abolition effective et de l’esclavage et du racisme. On peut
prendre en exemple l’Inde où plusieurs partis politiques dirigés par les
victimes de l’esclavage, ont pris en charge la question des « intouchables »
(esclaves), et qui ont abouti à une discrimination positive à leur faveur et à
une participation importante sur le plan politique.
Par contre le problème se
pose lorsque certaines organisations s’inscrivent dans une autre optique qui est
celle de retarder ou d’empêcher l’aboutissement de la lutte. Dans ce cas, il
nous revient de les débusquer et de les dénoncer.
4. OCVIDH. En réalité, en
parlant de dispersion, nous pensions que d’une certaine manière que l’esclavage
des Haratine converge avec la discrimination de l’ensemble des Noirs. Si on
observe le paysage politique et associatif où les Haratine occupent des postes
dans les différents échelons politiques et sociaux, et n’ont plus rien à envier
aux autres composantes noires de la Mauritanie.
Ould Ciré : Toutes les
composantes négro-africaines de Mauritanie sont victimes du racisme. Cependant,
je ne partage l’idée qu’elles soient toutes logées à la même enseigne par
rapport à l’esclavage. D’abord, les esclaves (Abid) sont réduits à la servitude
et n’ont aucun droit, ni politique, ni juridique, ni social, etc. Ensuite, les
Haratine sont aussi une autre forme de gestion de l’esclavage par les Maures qui
leur coûte moins cher et qui leur rapporte beaucoup. En effet, les Haratine
bénéficient d’une relative « liberté » par rapport à leurs anciens maîtres, mais
ils continuent à être exploités à distance, et privés de leurs droits politiques
et juridiques. Ils peuvent être déshérités, votent selon les instructions de
leurs anciens maîtres, et vivent donc une soumission qui n’est en rien
différente de celle des Esclaves.
Enfin, les esclaves et
les Haratine forment une communauté importante en Mauritanie (45% de la
population) qui est à la fois victime et de l’esclavage et du racisme. Abraham
Lincoln dit : « Si l’esclavage n’est pas mauvais, rien au monde n’est mauvais ».
Christian Delacampagne définit le racisme comme « la haine de l’Autre ». Aucune
communauté en Mauritanie n’est, à la fois, victime dans sa totalité et de
l’esclavage et du racisme.
Les postes octroyés aux
Haratine aujourd’hui, s’inscrivent dans une stratégie de continuité de
l’esclavage.
Une grande partie des
négro-mauritaniens n’est pas victime de l’esclavage. Ceci les différencie avec
l’ensemble de la communauté haratine qui est effectivement victime de
l’esclavage.
Prenons l’instruction
comme second exemple. Les Haratine sont dans leur grande majorité ignorants,
alors que l’instruction est plus répandue dans la communauté
négro-mauritanienne. Les premières écoles françaises ouvertes en Mauritanie
étaient celle de Kaédi en 1905 et celle de Boghé en 1912. Or, sauf exception,
l’école était interdite aux esclaves et Haratine jusqu’en
1946.
5. OCVIDH. Sur la
question précise de l’esclavage, le discours officiel parle de séquelles de
l’esclavage et n’hésite pas à faire le parallèle avec le système de castes chez
les communautés noires, puisque vous êtes parfaitement averti de la réaction
d’une franche de la communauté Soninké contre la nomination de M. Timéra Boubou
par Maawiyya, et M. Diarra Idriss par le général ould Abdel Aziz, pour le fait
vraisemblable que ces deux personnages étaient des esclaves selon le système de
caste historique chez les soninkés.
Ould Ciré : La thèse des
séquelles de l’esclavage est une forme de camouflage politique. Elle est une
négation de l’esclavage. Elle permet de l’évoquer, tout en s’abstenant de
lutter contre les conséquences qui en découlent.
Dans la communauté
négro-mauritanienne, il y a à la fois l’esclavage et le système des castes. Les
castés ne sont pas des esclaves, mais privés d’un certain nombre de droits. Or,
les esclaves sont réellement asservis même si l’esclavage dans la communauté
négro-mauritanienne diffère sur plusieurs points de l’esclavage maure (par
l’ampleur, l’exploitation et les sévices). Ce qui rapproche l’esclave
négro-mauritanien de l’esclave maure, c’est la question du statut. Il s’agit de
l’inégalité de fait entre les maîtres et les esclaves qui repose sur des statuts
différents. Le maître n’est pas l’égal de l’esclave, il est supérieur à
celui-ci. L’esclave appartient au maître (Aristote).
Pour une question de
cohérence, on ne peut pas lutter contre l’esclavage maure sans lutter contre
l’esclavage négro-mauritanien. L’efficacité de la lutte contre l’esclavage nous
incite à prendre en compte les deux formes d’esclavage, maure et
négro-mauritanien. Les deux féodalités, maures et négro-mauritanienne, sont des
alliées politiques. Elles votent pour le même camp politique, et défendent des
intérêts politiques, économiques communs.
Le cas de Timéra Boubou
est un cas éloquent. La féodalité soninké s’est opposée à sa nomination auprès
de ould Taya qui a accédé à sa requête. Par conséquent-, si on arrive à abolir
l’esclavage maure sans s’attaquer à l’esclavage négro-mauritanien, le problème
reste entier.
Les castés ressemblent
beaucoup aux haratine. Ils ne sont plus esclaves, mais restent exclus de la
propriété terrienne, de postes politiques traditionnels (chefferies), et des
postes politiques au niveau de l’Etat.
6. OCVIDH. Ce qui nous
semble la pire affaire est le reproche fait par certains négro-mauritaniens de
la participation des Haratines aux massacres et déportations des autres noirs
lors des évènements de 1989. Qu’en pensez-vous ?
Ould Ciré : Les
événements de 1989 sont regrettables. Ils ont causé beaucoup de tort à la
communauté négro-africaine de Mauritanie (négro-mauritaniens et
Haratine).
Depuis 1983, création des
FLAM, l’Etat mauritanien avait comme ennemi principal la communauté
négro-mauritanienne. Les nationalistes arabes et berbères voulaient par le
biais de l’Etat régler leur compte à cette communauté. Comme 1966, 1979, une
partie des haratine a été utilisée par les Maures dans leur combat politique
contre la communauté négro-mauritanienne. Pour mobiliser la communauté haratine,
plusieurs arguments ont été mis en relief. D’abord, on leur a fait croire que
les haratine au Sénégal ont été attaqués et massacrés par des sénégalais et des
négro-mauritaniens. Ce discours a pu convaincre une partie des haratine.
Ensuite, la domination par l’esclavage a joué un rôle important. Les esclaves
sont soumis à leurs maîtres et exécutent leurs ordres. Aucune communauté en
Mauritanie n’est aussi vulnérable que la communauté haratine. Ceci s’explique
par l’esclavage et ses conséquences qui sont la pauvreté, l’aliénation mentale,
la dépendance psychologique, etc.
Le climat était tel qu’on
obligeait n’importe quel individu, qu’il s’agisse des haratine ou des
négro-mauritaniens à participer au lynchage et aux massacres en vue de prouver
sa « mauritanité ».
Croire que les haratine
sont allés massacrer les autres noirs de leur propre chef, c’est méconnaître la
réalité de leur conditionnement, leur asservissement, et les différentes
manipulations dont ils sont l’objet.
L’Etat a affrété des
camions en vue d’aller ramasser les haratine, y compris à l’intérieur du pays,
dans le but d’exécuter cette sale besogne. Les nationalistes arabes, (baathistes
et nasséristes) encadraient des groupes de haratine pour les lancer sur leurs
frères négro-mauritaniens, et même leur indiquaient les maisons à attaquer et à
piller.
La participation des
Haratine aux massacres est un fait. Des militaires haratine ont participé aux
tortures. Nous connaissons le Colonel Mohamed Ould Boilil, le capitaine Ely
Ould Dah. Les Flam, l’Ocvidh ... possèdent une documentation en la
matière.
Des fonctionnaires civils
ont eu leur part de responsabilité. Il s’agit de Oumar Ould Awbeck (dit Oumar
Fall) ancien secrétaire général du Ministère de l’Intérieur, Alioune Ould
Awbeck, ancien maire de Tekane. Ces deux personnes ont terrorisé les
négro-mauritaniens de la commune de Tékane en 1989-90. Ils ont déporté, expulsé
beaucoup de Hal pular en pillant leurs biens et en confisquant leur bétail. Ces
exactions étaient commises contre des gens connus par les auteurs des faits et
souvent choisis parce que détenteurs de biens. Ces faits sont connus à Tékane et
dans la communauté Oulad Aïd.
Malgré cette situation,
les haratine structurés au plan politique ne sont pas restés inactifs. Les nuits
de massacre en avril, des éléments d’El Hor ont formé des comités qui allaient
devant les groupes de haratine, encadrés par les forces de l’ordre et par les
nationalistes maures, pour les arrêter, et les convaincre de cesser les
massacres. Certains membres d’El Hor ont été blessés au cours de ces opérations
parce que les nationalistes arabes et berbères ont pu facilement retourner les
haratine contre eux, en leur disant que leurs interlocuteurs étaient des
négro-mauritaniens qui maîtrisaient le hassania.
En 1989, certains de ces
blessés ont été soignés à Paris. J’en étais témoin oculaire car je me trouvais
au consulat de Mauritanie à Paris. Un des parents de Boïdiel ould Houmeid,
ancien ministre et membre d’El Hor, en faisait partie.
Des peulhs expulsés au
Sénégal de Keur Macéne (région du Trarza), ont été ramenés en Mauritanie sur
intervention de Boïdiel ould Houmeid. Aussi, certains dirigeants d’El Hor ont
dénoncé publiquement ces massacres. Les actions individuelles des Haratine
sont nombreuses. On peut citer le cas du lieutenant de gendarmerie, Abdallahi
ould Youssouf, membre de la tribu Oulad Aïd du Trarza : « Ensuite, le
Commandant de la Compagnie de Gendarmerie, M. Ahmed Ould Youssouf de la Commune
de Tekane qui devait être décoré par les ONG des droits de l’homme m’a aidé à
envoyer ces gens en pleine nuit à Cheikh Oulb Beid pour les mettre sous mandat
de dépôt afin de les surveiller et c’était tout un plan pour éviter à ces gens
innocents, la mort. » Témoignage n°119 (www.haratine.com) de Isselmou ould Abdel
Khader, ancien gouverneur et ancien ministre.
L’écrasante majorité des
Haratine n’a pas participé aux massacres, soit par acquis de conscience ou pour
d’autres raisons. L’histoire des événements de 1989 est à écrire du côté de
la Mauritanie, du Sénégal et du Mali
Les Haratine ont été
quintuplement victimes du conflit de 1989.
Premièrement, ils ont été
utilisés en Mauritanie par les Maures, dans l’unique intérêt des Maures
(dénégrification de la Mauritanie). Ensuite, les biens récupérés (maisons,
bétail, terres… ) reviennent aux Maures.
Deuxièmement, certains
haratine ont été déporté avec les négro-mauritaniens.Il fallait pour les forces
de l’ordre, justifier leurs appartenances tribales maures ou maitriser le
Hassania. Sinon les victimes étaient expulsées.
Troisièmement, le retour
du balancier au Sénégal contre les Haratine a été redoutable. En effet, une
partie des sénégalais et des négro-mauritaniens s’est bien vengée au Sénégal.
Beaucoup de Haratine ont été tués. Un sénégalais m’a affirmé que l’avenue
Bourguiba à Dakar (Sénégal ) était rouge du sang des Haratine et jonchée de
cadavres. Un autre sénégalais m’a dit qu’il a appartenu à des groupes formés au
bord du fleuve Sénégal (côté sénégalais) où on attendait les Maures et les
Haratine en fuite vers la Mauritanie. Ils étaient ainsi dépouillés de leurs
biens et tués. Il a utilisé l’expression suivante « Nous étions fatigués de tuer
et beaucoup d’entre nous se sont enrichis ».
Quatrièmement, les
Négro-mauritaniens qui ont perdu leurs biens en Mauritanie ne sont pas restés
les bras croisés. Pendant plusieurs mois de l’année 1989 voire plus, ils ont
attaqué des villages, des campements en vue de récupérer leurs biens et de se
venger.
Qui étaient l’objet des
attaques ? Ce sont des Haratine parce que ce sont eux, qui traditionnellement,
cultivent les champs maures dans la vallée du fleuve. Ce sont également eux qui
ont été mis par l’Etat et les Maures dans les villages appartenant aux
Négro-mauritaniens et desquels ils ont été chassés. Je signale la mort en 1989
de Hmeïd Ould Babacar (tribu Oulad Aïd) tué par trois peulhs qui ont pris les 50
bovins qu’il surveillait.
Cinquièmement, les
haratine qui ont fui l’esclavage au XIXème et XXème siècle pour se réfugier au
Sénégal, devenus sénégalais, ont été dépossédés de leurs biens, parfois tués et
reconduits en Mauritanie. Ils ont ainsi retrouvé leur anciens maîtres qu’ils
avaient quittés. De nouveau, ils sont réduits à
l’esclavage.
D’où l’expression de Fall
Moctar : « Départ du fait de l’esclavage et retour du fait de l’esclavage ».
Fall Moctar est né au Sénégal ainsi que sa famille qui avait la nationalité
sénégalaise.
Sa famille a été contrainte à
revenir en Mauritanie (Article n°11 in site www.haratine.com
).
7. OCVIDH.
Nous ne pouvons pas faire table rase de tant d’horreurs commises par les Maures
à l’endroit des Noirs mauritaniens, toutefois la junte militaire putschiste au
pouvoir voudrait clore trop de dossiers avec la fin déclarée du rapatriement
des réfugiés fin décembre 2009, alors que des expulsés à l’intérieur des villes
du Sénégal et du Mali, des réfugiés à travers le monde revendiquent leur retour
en Mauritanie.
Ould Ciré : Tant que le
système esclavagiste et d’apartheid persiste, les négro-africains de Mauritanie
sont tous des réfugiés, qu’il s’agisse des déportés de 1989 et suites, ou des
réfugiés politiques qui sont à l’extérieur, ou des haratine réduits à
l’esclavage à l’intérieur du pays.
La question des déportés
n’est pas seulement le retour au pays, elle est plutôt comment avoir ses droits
une fois de retour ? Ont-ils eu leurs terres de cultures, leurs villages, leurs
maisons, leurs biens et animaux spoliés ? Cela suppose une concession importante
de la part de l’Etat et de la féodalité maure, ce qui est loin d’être une
réalité.
Par rapport aux réfugiés
politiques, leur combat est l’abolition effective de l’esclavage et du racisme.
Or, cet objectif ne peut être atteint qu’avec la défaite de l’Etat et la
féodalité maures. La recherche de cet objectif nous conduit à rester des
réfugiés.
Concernant les Haratine,
tant que l’esclavage n’a pas été aboli d’une manière effective et réelle, ils
sont pires que les réfugiés parce qu’ils sont exclus de
tout.
S’agissant des
négro-mauritaniens qui sont à l’intérieur, ils sont victimes du racisme, et le
demeureront tant que le système en vigueur perdurera.
L’intérêt politique de la
junte est de clore le dossier du passif humanitaire pour sa crédibilité
extérieure et pour s’attirer la sympathie d’une partie de la communauté
négro-mauritanienne. Mais les dossiers de fond ne seront jamais abordés : le
jugement des criminels, les nombreux charniers attestés y compris par des
maures, le partage du pouvoir entre les différentes
communautés…
8. OCVIDH.
Reconnaissez-vous la légitimité de l’actuel pouvoir en Mauritanie ?
Ould Ciré : Je ne
reconnais pas la légitimité de l’actuel pouvoir, non pas tant par rapport aux
élections décriées et qui sont contestables, mais par le système qu’il
représente, à savoir la domination maure sur la communauté négro-africaine de
Mauritanie. Cette domination à elle seule délégitime tout pouvoir basé sur le
racisme et l’esclavage. Il y a une continuité entre tous les régimes depuis 1960
qui repose sur l’asservissement et l’exclusion des Haratine, et sur la
marginalisation de la communauté négro-mauritanienne.
9. OCVIDH. S’il vous le
demandait, dialogueriez-vous avec lui pour la résolution des problèmes liés à
l’esclavage et au passif humanitaire ?
Ould Ciré : Le système
politique en Mauritanie n’est ni républicain, ni démocratique. Les valeurs
républicaines supposent l’égalité en droit entre les citoyens. Or, les Haratine
ne sont pas des citoyens. L’esclave n’est pas l’égal du maître, le Hartani
aussi.
La démocratie est un
système où tous les citoyens participent à la gestion du pays et au choix de
leurs représentants. Les Abid et les Haratine sont exclus de la participation
aux élections et de la gestion du pays. Leur participation aux élections est
acceptée uniquement lorsqu’elle est au bénéfice des
Maures.
Le système mauritanien
est une théocratie, à caractère esclavagiste, tribaliste et raciste.
Aujourd’hui, les Maures ne sont pas acculés au point de faire des
concessions politiques en vue d’un partage du pouvoir.
Par conséquent, l’idée
même du dialogue avec le système en place, compte tenu de nos objectifs,
abolition de l’esclavage et du racisme, me paraît
absurde.
Enfants allaités, femmes
gavées, tentes dressées, puits, maisons et palmeraies entretenus, champs
cultivés, bétail gardé, la traite et la cuisine assurées, caravanes conduites,
thé servi, mendiants, fous et marabouts nourris, marchandises chargées et
déchargées, commerces florissants, élus reconduits dans leur circonscription,
cimetières surveillés et morts enterrés, tout ceci est fait aujourd’hui par les
Abid et les Haratine au bénéfice des Maures. Pourquoi voulez-vous que les Maures
fassent des concessions majeures ?
Une personne, un groupe,
une société… ne renonce à un acquis que lorsque les pertes subies sont plus
importantes que le gain. Tel n’est pas le cas.
Je rappelle que l’ANC en
Afrique du Sud a été créé en 1912 et a lutté pendant 82 ans (1994). El Hor a
été crée en 1974 soit depuis 36 ans. La lutte doit continuer.
10. OCVIDH. Votre
dernier mot aux internautes du site : www.ocvidh.org
Ould Ciré. Mon dernier
mot s’adresse d’abord aux internautes de votre site et ensuite à ceux du nôtre
ainsi qu’à toutes les victimes du système politique en
Mauritanie.
Je veux leur affirmer que
je fonde beaucoup d’espoir dans l’unité des négro-africains de Mauritanie
(Négro-mauritaniens et Haratine). L’issue de notre combat contre le racisme et
l’esclavage en dépend. Dans ce domaine, ils peuvent constituer une avant-garde
de ce combat.
L’affaire Biram Ould Dah
Ould Abeid m’a révélé la direction de l’OCVIDH. Leur réaction a été rapide et
efficace. Je remercie l’ensemble de la direction et à travers elle, tous les
membres et sympathisants de l’OCVIDH.
Entretien réalisé par
FALL Moctar Porte parole
OCVIDH.
LEXIQUE :
Haratine :
terme générique qui désigne les esclaves et les affranchis du système
esclavagiste maure.
Négro-mauritaniens : Les
ethnies peulh, soninké et wolof en Mauritanie.
Négro-africains : Les
noirs du monde (en Afrique et dans la diaspora).
Février 2010
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