La
Mauritanie saignée par le dernier Rapport du comité des droits de
l’homme des Nations-Unies (Genève)
Comité
des droits de l’homme 109e session -14 octobre -1 novembre 2013-
Point
6 de l’ordre du jour Examen des rapports soumis par les États
parties conformément à l’article 40 du Pacte
Observations
finales concernant le rapport initial de la Mauritanie 1. Le
Comité a examiné le rapport initial de la Mauritanie (CCPR/C/MRT/1)
à ses 3018e et 3019e séances (CCPR/C/SR.3018 et
3019), les 21 et 22 octobre 2013. À sa 3031----e séance
(CCPR/C/SR. 3031 ), le 30 octobre 2013, il a adopté les observations
finales ci après.
A. Introduction 2. Le Comité
accueille avec satisfaction le rapport initial de la Mauritanie et
les renseignements qui y sont présentés mais regrette qu’il ait
été soumis avec un retard important. Il apprécie l’occasion qui
lui a été offerte de nouer un dialogue avec la délégation de haut
niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la
période considérée pour mettre en œuvre les dispositions du
Pacte. Le Comité remercie l’État partie des réponses
écrites (CCPR/C/MRT/Q//Add.1) qu’il a apportées à la liste de
points à traiter, qui ont été complétées oralement par la
délégation.
B.
Aspects positifs 3. Le Comité accueille avec
satisfaction la ratification par l’Etat partie des principaux
instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme,
notamment : a) La Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille, le 22 janvier 2007; b)
Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de
l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des
enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 23 avril
2007; c) La Convention relative aux droits
des personnes handicapées, le 3 avril 2012; d)
Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux
droits des personnes handicapées, le 3 avril 2012; e)
La Convention internationale pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées, le 3 octobre 2012; f)
Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, le 3 octobre 2012. 4. Le Comité prend
note avec satisfaction des efforts entrepris par l’État partie
pour réviser sa législation, notamment l’adoption de: a)
L’ordonnance n° 2005-015 du 5 décembre 2005 portant
protection pénale de l’enfant; b)
L’ordonnance n° 2007/36 du 17 avril 2007 portant Code de
procédure pénale; c)
La loi no 2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de
l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes ;
d) Les révisions
constitutionnelles de 2005 et de 2012 ; e)
La loi du 22 janvier 2010 relative au trafic illicite des
migrants.
C. Principaux sujets de préoccupation et
recommandations 5. Le Comité relève avec préoccupation
que le Pacte n’a pas été invoqué ou appliqué
par les tribunaux nationaux, du fait de la non-publication au Journal
Officiel des lois ratifiant les traités et conventions en
matière des droits de l’homme ainsi que des textes eux-mêmes.
(art. 2). > L’État partie devrait publier de manière
systématique les lois de ratification des traités et textes de
conventions des droits de l’homme notamment le Pacte, au Journal
Officiel. Il devrait également faire mieux connaître le Pacte
auprès des juges, des avocats et des procureurs afin de garantir que
ses dispositions soient prises en compte par les tribunaux
nationaux. 6. Le Comité note les craints que
la référence à l’islam dans le préambule de la Constitution de
l’Etat partie en tant que seule source puisse conduire à des
dispositions législatives qui empêchent une pleine jouissance de
certains droits prévus dans le Pacte. Le Comité relève avec
préoccupation que l’Etat partie a formulé une réserve
à l’article 18 malgré son caractère indérogeable ainsi qu’à
l’article 23, paragraphe 4 du Pacte et regrette
la position de l’Etat partie consistant à maintenir
ces réserves. (art. 2, 18, 23). L’État partie
devrait s’assurer que la référence à l’islam n’empêche pas
la pleine application dans son ordre juridique des dispositions du
Pacte et qu’elle ne constitue pas une justification pour l’Etat
partie de ne pas mettre en œuvre les obligations contractées en
vertu du Pacte. Le Comité encourage l’Etat partie, par
conséquent, à envisager de retirer ses réserves formulées aux
articles 18 et 23, paragraphe du Pacte. 7.
Le Comité regrette que l’Etat partie dénie l’existence de la
discrimination raciale sur son territoire. Il est par ailleurs
préoccupé par l’absence d’une définition et une incrimination
de la discrimination raciale dans sa législation et regrette
que l’Etat partie n’ait pas fourni des données sur l’ampleur
de ce phénomène, les groupes les plus concernées et sur les
mesures prises afin de le combattre. Il note avec préoccupation que
la discrimination raciale fondée sur l’appartenance ethnique
empêche la jouissance des droits de l’homme par certains
groupes ethniques, y compris l’accès des femmes Haratine aux
affaires publiques. Le Comité s’inquiète de ce que l’Etat
partie n’ait toujours pas adopté le projet de plan d’action
national contre la discrimination raciale, la xénophobie et
l’intolérance qui y est associée. (art. 2, 26,
27). L’État partie devrait adopter une définition de la
discrimination raciale dans sa législation et la prohiber en
conformité avec le Pacte. Il devrait également combattre la
discrimination fondée sur l’appartenance ethnique dans tous les
domaines et accélérer la rédaction, la validation et l’adoption
du projet de Plan d’action national de lutte contre la
discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est
associée, le mettre en œuvre et le vulgariser. > 8.
Le Comité relève avec préoccupation que l’homosexualité
est criminalisée et punie de la peine de mort, en violation avec les
dispositions du Pacte (art. 2, 6, 17, 26). Le
Comité respecte la diversité des cultures et des principes moraux
de tous les pays, mais rappelle que ceux-ci demeurent toujours
subordonnés aux principes de l’universalité des droits de l’homme
et de la non-discrimination (Observation générale no 34 (2011)
relative à l’article 19: Liberté d’opinion et liberté
d’expression, par. 32). Par conséquent, l’État partie
devrait dépénaliser l’homosexualité et prendre les mesures
nécessaires afin de protéger la liberté et la vie privée de
la personne. 9. Le Comité constate avec
préoccupation que l’inégalité entre hommes et femmes
dans certains domaines des affaires publiques, notamment dans la
magistrature, la diplomatie et dans les hautes fonctions de
l’administration publique. Le Comité est préoccupé par la
persistance d’une discrimination à l’égard des femmes par
rapport aux hommes concernant la transmission de la nationalité, (
l’article 16 de la Loi No. 1961-112, modifiée); les
discriminations qui existent à l’égard de la femme dans le Code
du statut personnel de 2001(articles 9-13) concernant la mise sous
tutelle de la femme non mariée; ainsi que celles qui touchent aux
droits successoraux et aux droits des époux pendant et à la
dissolution du mariage. (art. 2, 3, 23, 26). L’État
partie devrait poursuivre ses efforts en vue d’améliorer le taux
de représentation des femmes dans les affaires politiques et
publiques, poursuivre des campagnes visant à vulgariser et informer
les femmes de leurs droits. L’Etat partie devrait réviser
son Code de la nationalité afin de permettre aux femmes
mauritaniennes de transmettre leur nationalité à égalité avec les
hommes et le Code du Statut personnel de 2001 afin d’en
retirer les dispositions discriminatoires à l’égard des
femmes. 10. Le Comité note avec préoccupation que
les violences domestiques, en particulier, les violences à l’égard
des femmes, y compris le viol, persistent dans l’Etat partie. Le
Comité s’inquiète également de ce que ces violences ne sont pas
toujours poursuivies et sanctionnées ; qu’en outre, pour que
le viol soit puni, la victime doit faire comparaitre un témoin. Le
Comité est, en outre, préoccupé par la stigmatisation des femmes
victimes de viol et par le fait qu’elles peuvent s’exposer à des
poursuites pénales. Le Comité est préoccupé enfin par
l’absence d’informations sur l’impact des mesures de protection
prises par l’Etat partie, l’insuffisance des centres
d’accueil pour les femmes victimes de violence ainsi que par
l’absence d’informations sur les campagnes menées contre la
violence à l’égard des femmes (art. 3, 7, 23).. L’État
partie devrait s’assurer que les femmes victimes de violences, y
compris de viol, peuvent facilement porter plainte, et dans ce sens,
devrait revoir l’exigence de comparution d’un témoin pour les
plaintes de viol. Il devrait également renforcer les mesures
de protection à l’égard des victimes et s’abstenir de
poursuites pénales. L’Etat partie devrait enfin renforcer
ses campagnes de sensibilisation notamment dans le cadre du plan
d’action national de lutte contre les violences faites aux femmes
et aux filles et former les agents d’application de la loi sur les
violences faites aux femmes. L’Etat partie devrait faire
figurer dans son prochain rapport au Comité les résultats de
l’enquête réalisée par l’Office national de la statistique sur
toutes les formes de violences à l’égard des femmes et des
fillettes et fournir des données statistiques sur les enquêtes,
poursuites, condamnations et sanctions prises à l’égard des
auteurs de violences à l’égard des femmes . 11. Le Comité
prend note des renseignements fournis par l’État partie sur
les mesures prises pour lutter contre les mutilations génitales
féminines. Néanmoins, le Comité reste préoccupé par la
persistance de .cette pratique dans l’Etat partie. Le Comité
regrette l’absence d’informations sur les données statistiques
sur les sanctions prises contre les auteurs de mutilations génitales
féminines et sur l’absence d’une loi spécifique à ce sujet
(art. 3, 7, 24). L’État partie devrait veiller à
l’application effective de l’article 12 de l’ordonnance de
protection pénale de l’enfant et adopter le projet de loi
criminalisant de manière spécifique les mutilations génitales
féminines. L’Etat partie devrait également renforcer et
poursuivre ses campagnes et autres mesures de sensibilisation et de
lutte contre les mutilations génitales féminines auprès des
populations, y compris dans les zones rurales. 12. Le
Comité prend note avec reconnaissance que l’Etat partie
observe un moratoire sur l’exécution de la peine de mort depuis
2007. Néanmoins, le Comité reste préoccupé par le fait que
la peine de mort est encore prévue dans le Code pénal et appliquée
par les juridictions internes, y compris à l’égard des crimes
commis par des mineurs. Le Comité est, en outre, préoccupé
par le fait que la peine de mort n’est pas limitée aux crimes les
plus graves et est imposée en contravention avec les dispositions de
l’article 6 du Pacte ainsi que par les
allégations sur l’imposition de la peine de mort suite à des
condamnations fondées sur des aveux obtenus sous la torture ou suite
à des procès ne respectant pas toutes les garanties prévues à
l’article 14 du Pacte. (art. 6, 14). L’Etat partie
devrait envisager d’abolir la peine de mort et de ratifier le
Deuxième protocole se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques visant à l’abolition de la peine de
mort. L’Etat partie devrait s’assurer qu’en aucune
circonstance, la peine de mort n’est imposée en violation aux
garanties prévues à l’article 6 du Pacte. 13. Le Comité
est préoccupé par les informations faisant état de personnes tuées
suite à la répression par les forces de sécurité, lors
de différentes manifestations organisées dans le pays, notamment
dans la localité de Magahama, le 27 septembre 2011 et
lors de la grève des employés de la société Mines de cuivre de
Mauritanie, en juillet 2012. Le Comité est également préoccupé de
l’absence d’informations concrètes et détaillées sur les
enquêtes menées sur ces faits. (art. 6). L’État
partie devrait mener systématiquement des enquêtes approfondies sur
ces actes, poursuivre les responsables présumés en justice et,
s’ils sont reconnus coupables, les punir en proportion de la
gravité des faits, accorder une indemnisation appropriée aux
victimes et à leur famille. Il devrait développer et étoffer
les programmes d’enseignement des droits de l’homme, et en
particulier des dispositions du Pacte, destinés aux membres des
forces de sécurité. L’Etat partie devrait informer le Comité
dans son prochain rapport sur les suites de l’enquête menée par
le Parquet de Kadéi et ses suites concernant la mort du jeune Lamine
Manghane. 14. Le Comité note avec inquiétude que ni la
Constitution (art. 13), ni le Code pénal, ni le Code de procédure
pénale (art. 58) ne définissent la torture et ne
l’incriminent comme un crime spécifique ; ce qui
empêche la torture d’être suffisamment réprimée. Il
est également préoccupé par les allégations faisant état de la
pratique systématique de torture et de mauvais traitements ou
d’usage excessif de la force par des membres de la police ou des
forces de sécurité lors des manifestations, d’arrestations ou
d’interrogatoires, y compris de suspects de terrorisme et des
migrants, dans des lieux de détention notamment celles de Dair
Naim. Le Comité est préoccupé, en outre, qu’aucune
autorité indépendante spécifique ne soit établie pour examiner
les plaintes contre les forces de police et de sécurité.
(art. 7 et 10). L’État partie devrait adopter une
définition de la torture et incriminer clairement la torture
dans le Code pénal en conformité avec l’article 1 de la
Convention sur la torture et les normes internationales pertinentes.
Il devrait également veiller à ce que toute enquête sur des
actes de torture, de mauvais traitements ou d’usage excessif de la
force imputés à des membres de la police ou des forces de sécurité
soit menée par une autorité indépendante. L’Etat partie
devrait, en outre, s’assurer que les membres des forces de l’ordre
soient formés à prévenir la torture et les mauvais traitements et
à enquêter sur ces infractions en veillant à ce que le Manuel pour
enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) soit
intégré dans tous les programmes de formation qui leur sont
destinés. Il devrait par ailleurs garantir que les allégations de
torture et de mauvais traitements donnent lieu à des enquêtes
approfondies et impartiales, à ce que les auteurs présumés soient
traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à
des peines proportionnées à la gravité de leurs actes et à ce que
les victimes reçoivent une indemnisation adéquate. L’Etat partie
devrait garantir un accès régulier à tous les lieux de privation
de liberté et mettre en place le Mécanisme national de
prévention contre la torture suite à sa ratification du Protocole
facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. 15.
Tout en notant les explications fournies par l’Etat partie, le
Comité demeure préoccupé par les allégations selon
lesquelles la torture est pratiquée pour extorquer des aveux qui
sont ensuite admis par les tribunaux pour établir la culpabilité
des détenus (art. 7, 14). L’État partie devrait
s’assurer que des aveux obtenus sous la contrainte ne soient pas
utilisés ou admis par les tribunaux comme preuve de la culpabilité
des suspects. En ce sens, l’Etat partie devrait assurer une
application effective de son Code de procédure pénale qui
dispose que « l’aveu obtenu par la torture, la violence ou la
contrainte, n’a pas de valeur ». 16. Tout en
notant l’adoption par l’Etat partie de l’ordonnance No.
2005-015 du 5 décembre 2005, portant protection pénale de l’enfant,
le Comité est préoccupé par le fait que les châtiments corporels
des enfants persistent dans l’Etat partie et ne sont pas
explicitement interdits par la loi. (art. 7, 24). L’État
partie devrait prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la
pratique des châtiments corporels en toutes circonstances. Il
devrait encourager l’utilisation des méthodes disciplinaires non
violentes pour remplacer les châtiments corporels et mener des
campagnes d’information afin de sensibiliser le public aux
conséquences préjudiciables de ce type de violence. 17. Le
Comité est préoccupé par le fait que, malgré les multiples
initiatives législatives ayant commencé par l’abolition formelle
de l’esclavage aussi tardivement qu’en 1981 et plus récemment en
2012, la pratique de l’esclavage persiste dans l’Etat partie.
Le Comité regrette ainsi l’absence de données statistiques
concrètes et détaillées sur la pratique de l’esclavage ainsi que
sur les enquêtes menées, les poursuites, les condamnations etc.
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