El-Béchir plus fort que l’ONU ?
Par
Bernard Schalscha, secrétaire général du collectif Urgence Darfour.
www.urgencedarfour.com
Le maréchal-président El-Béchir, dictateur islamiste dont le régime est
engraissé par les pétro-dollars, va-t-il faire plier la communauté
internationale ? On est en droit de se poser la question depuis que la Chine et la Russie, membres permanents
du Conseil de sécurité de l’ONU ont laissé entendre que ledit Conseil pourrait
adopter une résolution suspendant provisoirement l’enquête de la CPI menée par le procureur
Luis Moreno-Ocampo.
On sait en effet que celui-ci doit annoncer ce lundi 14 juillet une
demande de poursuites contre de très hauts responsables du gouvernement
soudanais, dont très certainement El-Béchir lui-même qui pourrait être accusé
de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, voire de généocide. Depuis que
l’information a été révélée, Khartoum a lancé des menaces à peine voilées
contre tout ce que la communauté internationale compte de représentants sur le
terrain.
Sont ainsi ciblés les troupes de la MINUAD, les humanitaires, les représentants de
l’ONU et, pour faire bonne mesure, les ambassades de plusieurs pays occidentaux.
Preuve que la réputation d’El-Béchir n’est plus à faire, les consignes de
prudence ont aussitôt fusé : la
MINUAD est en état d’alerte, les membres des ONG ont reçu
consigne de faire « profil bas » (ceux de nationalité américaine ont même été en
partie rapatriés), les agences onusiennes ont procédé à des exercices
d'évacuation et pourraient retirer tous les personnels qui ne sont pas
essentiels, les autres se devant d’éviter les déplacements inutiles et de faire
provision de vivres. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ali
al-Sadiq, a déclaré : « Nous avons assuré (la sécurité) de toutes les missions
diplomatiques et des bureaux de l'ONU. Tous sont sous la protection du
gouvernement, y compris les soldats de la paix (de l'ONU). Le gouvernement va
faire son maximum pour les protéger". Il a précisé que les autorités
soudanaises renforçaient la sécurité, notamment autour des ambassades de
France, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis à Khartoum. Ce qui en termes
clairs signifie : « Les gars, vous allez avoir de gros ennuis, et il ne dépend
que de nous qu’ils ne soient plus gros encore. Alors dites à Ocampo d’arrêter
de nous emmerder. » Se passant d’ailleurs des habituelles précautions
diplomatiques, ce brave Ali al-Sadiq a carrément prédit le « chaos » au cas où
son patron se verrait mis en accusation.
La communauté internationale est donc prévenue : si elle laisse faire la CPI (mandatée par l’ONU,
rappelons-le), personne au Soudan ne sera à l’abri des représailles. Le régime
militaro-islamiste de Khartoum se lance ainsi dans un défi frontal à l’ONU. De
bonnes âmes ont cru devoir dénoncer la démarche du procureur Moreno-Ocampo qui
risquerait, selon elles, de miner le processus de paix au Darfour – argument
qu’utilise également le ministre des Affaires étrangères soudanais. Mais il
faut être sourd, aveugle et sans mémoire pour croire Khartoum sincèrement
engagé dans un quelconque « processus de paix », sauf en vue de la paix des
cimetières darfouris. Faut-il rappeler les attaques continuelles contre les
civils, les sept morts de la
MINUAD, le 8 juillet, dans un secteur sous contrôle
gouvernemental, l’impunité des milices janjawids et autres bandes manipulées
par le régime qui agressent régulièrement les humanitaires ?
Si le Conseil de sécurité devait suivre les recommandations russes et
chinoises et voter le gel des poursuites par la CPI, ce serait apporter le plus formidable
encouragement à toutes les dictatures criminelles de la planète. Ce serait leur
fournire la preuve qu’un régime d’assassins peut à lui tout seul faire céder la
communauté internationale. Non, l’ONU ne doit pas lâcher le procureur
Moreno-Ocampo !
Paris,
Le 13 juillet 2008
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