A.H.M.E.
COMMUNIQUE 103 :
"Je suis fermement décidé à lutter pour faire échouer ce coup d'Etat" : Sidi Ould Abdallahi, président déchu de MauritanieLE MONDE | 20.12.08 | LEMDEN ENVOYÉE SPÉCIALE Propos recueillis par Florence Beaugé Votre assignation à résidence dans votre village de Lemden devrait être levée d'un jour à l'autre. Que comptez-vous faire de votre nouvelle marge de manoeuvre ?
Je
compte me comporter comme un président légitime, démocratiquement élu, qui n'a
pas les moyens d'exercer ses fonctions. Sans pouvoir retourner au palais
présidentiel, ni donner des instructions à l'administration, je peux parler,
entrer en contact avec qui je veux, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays,
rencontrer des hommes politiques et des chefs d'Etat, et suivre de très près la
lutte que mène le FNDD (Front national pour la défense de la
démocratie), qui est l'expression du refus des Mauritaniens du coup de
force militaire du 6 août. J'userai de ma liberté jusqu'aux limites qu'y
mettront les putschistes. Je suis fermement décidé à lutter pour faire échouer
ce coup d'Etat. Il est, par exemple, tout à fait possible que je me rende au
sommet des chefs d'Etat de l'Union africaine, fin janvier, à Addis-Abeba.
Vous semblez avoir le soutien d'une bonne partie de l'élite intellectuelle, mais pas de la population Il faut se méfier des apparences. La stratégie du général Aziz aujourd'hui, c'est d'aller dans les quartiers populaires et de dire aux gens : "Tous vos problèmes vont pouvoir être réglés vite et bien. Le pays en a les moyens. Et si ça n'a pas été fait par l'ancien régime, c'est parce qu'il volait et pillait nos ressources !" Aziz tente de faire croire que lui, au pouvoir, aurait fait des miracles en un rien de temps. Et il m'accuse de vouloir affamer les Mauritaniens en appelant aux sanctions internationales pour son coup de force, ce qui est tout de même extraordinaire !
Quelle solution pour sortir de la crise ? Un régime démocratique, dont la mise en place a été suivie, épaulée et approuvée par la communauté internationale, a été renversé. Pour moi, cela exclut certaines hypothèses de sortie de crise. Quand on me dit "Acceptez donc de participer, le 27 décembre, aux journées de concertation" organisées par la junte, je dis catégoriquement non ! Répondre oui, ce serait légitimer le coup d'Etat et s'incliner devant le fait accompli.
Certains vous suggèrent d'accepter de démissionner, quitte à participer à de prochaines élections qui pourraient avoir lieu dans six ou huit mois... J'ai été élu pour cinq ans, or le coup d'Etat a eu lieu quinze mois après ma prise de fonctions. Seul, le peuple mauritanien pourra me faire partir, et en s'exprimant de la même façon qu'il m'a fait venir. Il est quand même invraisemblable de prendre un président démocratiquement élu, qui n'a commis aucune infraction, de le bouter dehors et de lui dire "Accepte le sacrifice, pour le bien du pays, de dégager et de cautionner le coup d'Etat !"
Connaissez-vous les intentions du général Abdel Aziz ? Je ne l'ai pas rencontré depuis le coup d'Etat, mais tout indique qu'il démissionnera de ses fonctions deux mois avant la date des élections qu'il aura lui-même fixées. La Constitution interdit, en effet, à un militaire en activité de se présenter. Mais il ira ensuite à la présidentielle avec une administration qu'il aura mise en place, et la quasi-certitude de gagner.
Est-ce que vous n'avez pas, d'une certaine façon, provoqué le coup d'Etat militaire en décidant de le limoger, le 5 août, ainsi que trois autres hauts responsables des forces de sécurité ? Ce n'est pas exact, et si j'ai un regret, c'est d'avoir trop attendu pour les limoger tous les quatre. A partir d'avril, le général Abdel Aziz s'est mis à faire de la politique, et de plus en plus ouvertement, malgré mes rappels à l'ordre. En prenant la décision de son limogeage, j'avais tout à fait conscience du risque que je prenais : soit il se soumettait, soit il faisait un putsch. Mais je ne pouvais plus appliquer le programme pour lequel j'avais été élu. Il me fallait donc clarifier la situation par son départ ou par le mien.
Avec le recul, y a-t-il des reproches que vous vous faites ? J'ai peut-être trop négligé la communication pendant mes quinze mois de pouvoir. J'avais tellement peur du culte de la personnalité, traditionnel dans tous les pays de la région, que j'avais demandé qu'on parle très peu du président et du gouvernement. Nous avons réalisé beaucoup de choses, notamment la mise sur pied de tout un arsenal de textes qui permettent de fonder un Etat moderne, mais ça, les citoyens ne le savent pas. C'est l'un de mes principaux regrets. |