A.H.M.E.

ARTICLE 97 :

 

 

 

L’identité haratine

     

    Le mot Haratine, en Hassania (dialecte arabo-berbère), signifie affranchis de l’esclavage maure. Mais dans les faits, il y a très peu d’esclaves réellement affranchis. L’affranchissement, chez  les Maures, ne se traduit pas par une rupture avec l’esclavage mais sa continuation sous d’autres formes. C’est ainsi que, dans les faits et les représentations, les Haratine demeurent esclaves[1].

    Le mot Haratine a pris avec le temps une connotation politique. Il a été, pour la première fois, en 1974,  utilisé par l’organisation de libération et d’émancipation des Haratine ( EL Hor) pour désigner les affranchis et les esclaves maures. Depuis lors,  cet usage du mot s’est répandu.

     

     La question de l’appartenance des Harratine fait l’objet de débats en Mauritanie.

    Les Haratines sont-ils des négro-africains, berbères, arabes ou autres choses ?

    Il convient de rappeler qu’en Mauritanie, l’élément maure est un mélange de Berbères et
    d’Arabes. C’est pour cette raison qu’on les désigne aussi par le terme d’Arabo-berbères.
     

    Pour asseoir leur domination politique, militaire, les Béni Hassan (arabes) ont investi le champ culturel et interdit l’usage de la langue berbère (zanaga). En Mauritanie, pour  ces raisons historiques, les Berbères ne luttent pas encore suffisamment pour affirmer leur identité.

    Parmi, les Maures, il y a une infime minorité d’origine arabe. La majorité des Maures est
    d’origine berbère même si l’aliénation culturelle les empêche de revendiquer leur culture. Les propos suivants expriment cette situation dans laquelle se trouvent les Berbères mauritaniens aujourd’hui :

    « Nous ne tenons en fait de nos appartenances Sanhaja[2] que ce qui prouve que nous étions autre chose que des arabes: les noms de nos tribus et parfois nos familles-essayez seulement d´être assez superficiel pour convaincre les gens de l´origine arabe des Lemtouna,Tendgha ou Techouncha, rien qu´à titre d´exemple. Ces noms nous rappellent trop la défaite, et à défaut de l´essuyer, nous la renions, et du coup nous nous renions. »[3]

     

    I- Les Haratine sont-ils des  Berbères ?

    Qui sont les Berbères ?

    « Les Berbères sont une ethnie autochtone d'Afrique du Nord. Ils sont répartis sur près de cinq millions de kilomètres carrés — depuis le Maroc jusqu'à l'Ouest de l'Égypte ('Siwa) — en différents groupes de culture et de langue commune (le berbère ou tamazight), quoique déclinée en dialectes locaux. À l'exception des Touaregs, la plupart des Berbères sont sédentaires. »[4]

    Ces berbères, habitants l’Afrique du Nord, sont les premiers, bien avant l’arrivée des Arabes, à asservir les communautés noires. Dans le cadre de la traite négrière saharienne, les Berbères ne réduisaient pas des personnes de leur propre communauté à l’esclavage. Ils allaient chercher des noirs, loin de leur communauté. Les Berbères se servaient d’une partie de leurs captures d’esclaves pour leur propre usage. Un pourcentage non négligeable de Haratine est issu de cet esclavage.  L’autre partie était destinée à l’exportation en direction du Moyen Orient et de l’Europe. Cet esclavage berbère a laissé ses traces palpables en Afrique du Nord par la présence de fortes communautés noires d’origine esclave. On voit donc que les Haratine ne sont pas issus de la communauté berbère. Ils sont venus comme esclaves au sein de cette communauté et demeurent, encore aujourd’hui, victimes de l’esclavage et du racisme du fait de leur couleur de peau.

    II- Les Haratine sont-ils des Arabes ?

    Qui sont les Arabes ?

    « Une personne peut se qualifier ou être qualifiée d'arabe selon :

      le groupe ethnique : est arabe une personne issue d'un groupe ethnique considéré comme arabe. Cette définition dépend de l'établissement de l'arabité de ce groupe.

      La langue : est arabe une personne dont la langue maternelle est l'arabe (ou l'une de ses variantes). Cette définition rassemble plus de 280 millions[réf. nécessaire] de personnes à travers le monde.

      La généalogie : est arabe une personne affiliée à des habitants de la Péninsule arabique. »[5]

    En ce qui concerne l’appartenance ethnique, les Haratine sont issus d’ethnies noires et africaines, donc, ethniquement, les Haratine ne sont pas arabes

    Pour ce qui est de la langue.

    1. Les Haratine sont des noirs pris comme esclaves par les Maures. De ce fait, ces noirs ont été contraints de partager avec leurs Maîtres une part de leur culture. Par assimilation, ils ont adopté la culture arabo-berbère. Cela crée une affinité avec les Maures, notamment au niveau de l’utilisation du Hassania (dialecte arabo-berbère). Ce hassania est certes largement influencé par la langue arabe, mais il est aussi le fruit d’autres influences : la langue berbère (zanaga) et les langues négro-africaines : hal pulaâr, soninké, ouolof,  bambara, etc.

    2. Les Haratine, qui ont fui l’esclavage arabo-berbère et qui se sont installés, en partie, au sud de la Mauritanie, majoritairement habitée par les Négro Mauritaniens, ne parlent pas tous le hassania. Ils s’expriment, soit en soninké, en hal pulaâr ou wolof. Par exemple, les Haratine de Oulad Benioug à Rosso, parlent plutôt le wolof que le hassania.

    3. Les Maures eux-mêmes ne sont pas convaincus que les Haratine parlent correctement le Hassania. Comme esclaves, les Haratine n’ont jamais eu le temps matériel pour parler un hassania soutenu. Ils vivent entre eux, sans contact avec leurs maîtres. Ils sont ainsi réduits à parler un hassania altéré. Il s’agit, en fait, d’un " créole haratine. Dans leurs moments de détente, les Maures se moquent du parler des Haratine en évoquant leur mauvaise prononciation ou articulation,  oubliant les causes qui ont produit cette situation, à savoir leur ghettoïsation et le fait que leurs maîtres leur interdisent, d’une manière générale,
    l’apprentissage de l’arabe et l’accès au savoir coranique.

    On peut déduire de tout cela que les Haratine ne peuvent être considérés comme faisant partie du groupe linguistique arabe du fait que l’arabe n’est pas leur langue maternelle et
    qu’elle n’est parlée que par ceux, parmi eux ayant étudié l’arabe.

    Pour ce qui est de la généalogie. Comme nous l’avons déjà dit, les Haratine sont originaires
    d’Afrique noire. Ils ne sont pas affiliés aux habitants de
      la Péninsule arabique.

    Sur les trois éléments  retenus par cet  auteur, aucun des critères ne milite  en faveur de
    l’arabité Haratine.

     

    III-  Les Haratine sont-ils des Négro-mauritaniens ?

     

    Les Haratine se distinguent des négro-mauritaniens par différents éléments :

    1. Les Négro-mauritaniens sont un ensemble d’ethnies négro-africaines ( Wolofs, Pulaar, Soninké et bambara). Or, les Haratine sont issus de ces ethnies mais aussi d’autres ethnies noires qui ne se trouvent pas en Mauritanie. En effet, la traite négrière maure a touché une bonne partie de l’Afrique.

     2. les Haratine ignorent leurs ethnies d’origine. Les Négro-mauritaniens, par contre, connaissent leur appartenance ethnique et la revendiquent.

    3. Les Négro-mauritaniens ne sont pas esclaves des Maures et ne sont donc pas victimes comme les  Haratine d’une acculturation. Ils parlent leur propre langue et gardent leur originalité culturelle.

    4. Les habitudes vestimentaires pour la majorité des Haratine ( voiles et boubous maures) même si les haratine du Sud de la Mauritanie, du Sénégal, etc. peuvent constituer en partie une exception.

    5. Au- delà de l’Islam, les Haratine ont des références culturelles différentes de celles des Négro-mauritaniens. L’idéologie de domination, constituée de proverbes, de dictons,
    d’adages, de poésies, de proses, de chansons, …véhicule un ensemble d’idées de supériorité du Maure qui reste ancrée dans l’esprit du Hartani. Cette sous-culture, qui exclut le Coran et les Hadith authentiques, mais inclut leurs mauvaises interprétations, est la seule consommation culturelle des Haratine.

     

    IV-  Les Haratine constituent une communauté spécifique.

    - L’identité haratine se définit par rapport à leur statut d’esclaves maures. Ce statut  fait d’eux des biens des Maures qui en disposent à leur guise. Les esclaves travaillent sans être payés. Ils sont vendus, loués, échangés, légués, partagés, etc.

    Même affranchis, les anciens esclaves maures font l’objet d’une exploitation de la part des anciens maîtres. Ils ne peuvent témoigner devant la justice régie par la Charia
    (loi islamique). Ils peuvent être dépossédés de leurs biens et peuvent être ramenés au statut
    d’esclave si telle est la volonté du maître.

    - Aucune des trois communautés du pays ( arabe, berbère, négro-mauritanienne) n’accepte
    l’égalité entre elle et les Haratine . En effet, toutes les communautés mauritaniennes nourrissent un complexe de supériorité à l’adresse des Haratine. Auprès des Arabes et des Berbères, les Haratine ne peuvent faire partie de la Assabiya ( filiation d’origine). Ils ne sont intégrés qu’à titre d’esclaves, d’où le statut social et juridique qui leur est réservé.

    Auprès des Négro-mauritaniens, leur intégration est tout aussi impossible, parce que le système de caste crée une inégalité de fait. Les Haratine, dans les milieux négro-mauritaniens (parlant la langue de l’ethnie considérée, portant les mêmes noms, etc), sont moins considérés que les esclaves des Négro-mauritaniens. Hiérarchiquement, ils viennent après les maccudo (esclaves pulaar), les Kamo (esclaves soninké) et les Djam ( esclave wolof), lesquels occupent une place peu enviable dans la société négro-mauritanienne.

    Aucune des trois Féodalités (arabe, berbère et négro-mauritanienne) ne souhaite la libération et l’émancipation des Haratine.

    * Les Arabes et les Berbères y perdraient leurs sources de revenu que procurent l’esclavage et les différentes formes d’exploitation religieuse ou traditionnelle (Zëkatt, Saddagha, Hëdiya, tributs  dus aux guerriers hassan (Arabes), etc)

    * Aussi la survie politique ne serait pas garantie car les Arabes et les Berbères pourraient perdre la majorité au nom de laquelle ils gouvernent la Mauritanie.

    Les Arabes et les Berbères affirment être majoritaires en Mauritanie. Or, cette majorité ne peut être obtenue sans l’apport numérique des Haratine.

    Le fait de compter les Haratine parmi les Maures est la résultante d’une logique esclavagiste selon laquelle l’esclave dépend de son  maître.

    Sur le plan politique, cette sujétion se traduit par le vote orienté des Haratine en faveur de leurs maîtres. La masse des Haratine est une réserve électorale au bénéfice des maîtres
    d’esclaves.

    * Les Arabes et les Berbères, avec la fin de l’esclavage, n’auront plus à leur disposition une force de frappe  contre leurs ennemis éternels que sont les Négro-mauritaniens et les Négro-africains de la région. Rappelons-nous des conflits ethniques de 1966, 1979, 1989 et  suivants.

    S’agissant des Négro-mauritaniens, ceux-ci, perdraient dans le partage du pouvoir politique, économique, etc. parce que la répartition ne serait plus la même. Les Haratine, par leur nombre, pourraient gagner une part importante dans le nouveau partage.

    L’autre risque est que la Féodalité négro-mauritanienne perde la mainmise sur les esclaves de sa propre communauté. Une libération et une émancipation des Haratine pourraient montrer le chemin à suivre aux esclaves des autres communautés.

                Dans la communauté négro-mauritanienne, les Haratine sont victimes de mépris et
    d’exploitation. Ils sont considérés comme des êtres inférieurs. Ceux, parmi eux qui
    s’établissent au sein des communautés négro-mauritaniennes rencontrent les mêmes difficultés que
      les esclaves négro-mauritaniens. Ils sont obligés de louer des terres auprès des Féodaux négro-mauritaniens pour leur survie. Ils payent  pour cela une redevance et peuvent être exploités de différentes manières.

                La libération et l’émancipation des Haratine ne peuvent se réaliser qu’en bravant les intérêts des différentes féodalités mauritaniennes. D’où la nécessité de constituer un front contre celles-ci avec l’appui des forces progressistes.

    Pour arriver à leur libération et émancipation, les Haratine doivent créer une solidarité de groupe pour la défense de leurs intérêts vitaux à savoir leur libération et leur émancipation effectives qui ne peuvent se réaliser que par l’obtention de leurs droits, économiques, politiques, sociaux. Ce qui nécessite une lutte politique qui mobiliserait l’ensemble des victimes de l’esclavage. Les Haratine ne peuvent être libérés que par eux-mêmes. Le cas des Intouchables (basse caste) en Inde peut servir d’exemple. Ils sont aujourd’hui bénéficiaires
    d’une discrimination positive qui leur assure des positions importantes au niveau administratif et politique. Aussi, leur dynamisme politique leur procure une place non négligeable dans la démocratie indienne : « Après une longue période de blocage, ces basses castes se sont mobilisées à partir des années 1980. Elles ont aussi formé des partis politiques pour les défendre. Dès lors, la loi du nombre joue pour elles.»
    [6]

     

    Mohamed Yahya Ould Ciré et Oumar Diagne

     

    [1] Pour plus de détails, lire le Cri du Hartani n°1 et n°4 in www.haratine.com

    [2] Sanhaja sont des berbères

    [3] Lire l’article de Hindou Mint Aïnina - Rédactrice en chef du Calame - Nouakchott-Mauritanie in http://www.haratine.com/article43.htm

    [6] Jaffrelot (Christophe).  « Inde : l’avènement politique de la caste », in http://66.249.93.104/search  ?q=cache:zPCrxdo12dAJ:www.seri-sciencepo.com/publica/c…

 

 

 

 

 

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