L’Organisation
des Nations Unies a décerné à notre compatriote Biram Ould Abeïd
Ould Dah, président de l’IRA – Mauritanie, son prestigieux Prix
des droits de l’homme, récompensant ses efforts dans la lutte
pour l’éradication de l’esclavage dans notre pays.
Á
cette occasion, SOS – Esclaves exprime à l’heureux
récipiendaire et à l’organisation qu’il dirige ses très
sincères félicitations et sa solidarité. Une aussi haute
distinction accordée à un compatriote devrait réjouir l’ensemble
du peuple mauritanien.
La remise d’un aussi prestigieux
prix à un militant des droits de l’homme aurait dû faire la
fierté de toute la communauté des défenseurs des droits
humains.
En l’occurrence, c’est avec beaucoup de peine
que SOS –Esclaves constate que cela n’est pas le cas. Autant,
nous comprenons que les esclavagistes, les conservateurs
irréductibles et autres partisans de l’ordre social dominant
soient affligés par cette distinction, autant nous sommes étonnés
de voir des organisations et instances officiellement dédiées à
la défense des droits de l’homme s’offusquer et s’indigner
d’une telle distinction.
Depuis quelques jours, certaines
organisations de lutte pour les droits humains, ou qui se prétendent
telles, et avec elles, la Commission nationale des Droits de l’homme
(CNDH), ont engagé une campagne de propagande de grande ampleur
(conférence de presse, mobilisation de médias, lobbying
international, etc.) contre l’attribution à Biram Ould Abeïd
Ould Dah du Prix des Nations Unies.
Cette campagne ne fait
pas honneur aux organisations qui l’ont initiée. En particulier,
elle ne grandit pas la CNDH dont la présidente a cru utile de
prendre la parole à la tribune des Nations Unies pour discréditer
l’IRA, et semer le doute sur l’engagement et l’action de Biram
Ould Abeïd Ould Dah.
Tout en déplorant et dénonçant ces
agissements, SOS – Esclaves est loin d’en être surpris. Nous
connaissons assez les armes et les subterfuges de forces
esclavagistes et des courants négationnistes de la réalité de
l’esclavage pour ne pas nous en étonner. Nous sommes cependant
peinés de voir des organisations «indépendantes » et des
instances gouvernementales s’affirmant au service des droits de
l’homme s’approprier les arguments et les méthodes des pires
ennemis de ces droits.
La tactique de ces derniers emprunte
principalement deux voies :
Rompre l’unité et la
solidarité des organisations les plus résolues dans la lutte
contre l’esclavage, en jouant sur d’éventuelles ambitions
personnelles ou rivalités organisationnelles. Par exemple, selon
les animateurs de la campagne contre Biram, celui-ci ne mériterait
pas le Prix décerné par l’ONU, qui aurait dû revenir à Cheikh
Saad Bouh Kamara, ou à Boubacar Ould Messaoud, ou Me Fatimata
M’Baye ou Aminetou Mint Ely ou Mamadou Sarr. Ni l’une ou
l’autres ces personnes ni l’organisation SOS – Esclaves, n’est
dupe d’une telle hypocrisie, et tous sont trop éloignés de
telles mesquineries.
Chacun a la liberté de partager ou pas
le sens du combat dans lequel l’IRA et Biram sont engagés, d’être
en accord ou pas avec leur conviction et leurs actions. Nul,
cependant, ne peut contester la qualité de leur engagement et les
sacrifices qu’ils consentent dans le combat pour l’éradication
de l’esclavage dans notre pays.
L’autre axe de la
contre-offensive pro-esclavagiste est la sauvegarde de l’unité
nationale. Toute dénonciation de l’esclavage est perçue comme
une action de sape contre l’unité nationale, devenue l’objectif
absolu devant lequel doivent s’effacer tous les principes et les
exigences de liberté, d’égalité et de justice et de progrès
social.
Á SOS – Esclaves, nous demeurons convaincus qu’une
unité nationale fondée sur l’asservissement, la domination et
l’humiliation est un objectif vain et dangereux. En fondant leurs
réactions et leurs attitudes sur des arguments aussi pernicieux,
nombre d’organisations de « défense » des droits de l’homme
s’alignent, consciemment ou non, sur les positions des forces
esclavagistes et négationnistes.
Pour sa part, SOS –
Esclaves regrette profondément une telle orientation, et en appelle
au sens des responsabilités de chacun, comme elle réitère à
l’IRA et à Biram Ould Abeïd Ould Dah ses félicitations et ses
encouragements.
Nouachott, le 17 décembre
2013 Le bureau Exécutif de SOS-Esclaves
Boubacar Ould Messaoud,
Président
A propos de l’esclavage
Sous la pression de certains partis politiques et de
la société civile, une loi criminalisant l’esclavage a été votée par
l’Assemblée nationale et le Sénat. Quelques mois après sa promulgation dans le
journal officiel, son application effective et réelle pose encore problème
comme en témoigne les plaintes que reçoivent les Organisations de Défense des
Droits de l’Homme.
Pourquoi ? Où en est-on aujourd’hui avec cette loi sur le plan de la
sensibilisation ?
Loi n°048-2007 : une reconnaissance de fait
Pour les Organisations de Défense des Droits de l’Homme, la loi n° 048-2007
n’est qu’un pas par rapport à la question de l’esclavage. Elles estiment que
l’une des actions à mener d’abord contre cette pratique, c’est de faire cesser
l’impunité des crimes et délits de l’esclavage. Cette loi est un outil qu’elles
ont toujours jugé indispensable.
Mais, selon Boubacar Messaoud, président de SOS
Esclaves, ce n’est pas encore le moment de crier victoire. «C’est juste
une première chose, pense-t-il. Maintenant, par rapport à la loi, nous estimons
que c’est un acte positif même si elle a des insuffisances.
Nous pensons qu’elle n’est pas en soi-même une solution : elle demande des
mesures d’accompagnement importantes pour qu’elles puissent produire l’effet
escompté. En ce qui concerne la loi elle-même, nous disons qu’elle est
intéressante. C’est la preuve que l’opinion nationale et ceux qui nous
gouvernent reconnaissent aujourd’hui - avec beaucoup d’hésitations du bout des
lèvres - qu’il y a des pratiques esclavagistes dans ce pays. L’esclavage a été
toujours nié et occulté.
Avec cette loi, c’est un élément d’une reconnaissance de fait qu’il y a un
problème d’esclavage. Dorénavant, on peut attaquer devant la justice quelqu’un
qui pratique l’esclavagisme. Mais la plus grande insuffisance dans la loi,
c’est le refus de donner aux organisations de la société civile notamment
celles de défense des droits de l’homme de se porter partie civile. »
Du refus de poursuivre et de sanctionner Ce refus s’explique par le fait que
ceux qui ont voté la loi ne veulent pas que les gens qui pratiquent l’esclavage
soient poursuivis et sanctionnés. Aux yeux de Boubacar Messaoud, c’est
une position grave de conséquences.
«Aujourd’hui, fait-il remarquer, la loi a été votée, promulguée et publiée,
mais nous avons soumis plusieurs cas devant les juridictions mais les victimes
ont chaque fois déclaré qu’elles ne veulent pas se plaindre. Ce refus de se
plaindre a été souvent suscité parce que l’esclave n’étant pas habitué à se
plaindre. La plainte devrait aller jusqu’au bout pour faire comprendre à tout
un chacun que l’esclavage n’est plus tolérer. S’il n’y a pas de plainte, la loi
n’aura jamais un début d’application et elle va tomber en désuétude comme les
lois qui l’ont précédé. »
La loi n° 048-2007 n’a pas un effet dissuasif La loi n° 048-2007 n’a pas
véritablement réussi à circonscrire le phénomène de l’esclavage. Par exemple,
depuis que cette loi a été votée, on n’a pas constaté de sanctions alors que de
jour en jour les Organisations de défense des droits de l’homme, comme SOS
Esclaves, sont régulièrement saisies par des victimes de l’esclavage.
Actuellement, les Organisations de Défense des Droits de l’Homme sont en train
de se battre pour qu’elles puissent déposer une plainte au cas où le plaignant
voudrait se retirer ou ne pas se plaindre à cause de la pression. «A ce
moment, nous aurions déjà les effets escomptés sur les poursuites »
souligne Boubacar Messaoud, pour qui la pratique de l’esclavage est une
normalité dans notre société. Ainsi donc, la loi n° 048-2007 devait être faite
pour punir cet acte anormal.
Pour lui, pour que cette loi puisse circonscrire l’esclavage ou avoir un effet
dissuasif réel, il faut qu’elle puisse être appliquée aux contrevenants. En
plus de cela, les autorités demandent à ce que l’esclave prouve lui-même qu’il
est esclave.
«La loi ne porte pas d’effet parce qu’il y a eu une campagne de
sensibilisation extrêmement faible et derrière cette campagne, il y a une autre
campagne opérée par certaines administrations et par certaines autorités
civiles et politiques qui font dire à tout le monde que l’esclavage n’existe
pas. Nous avons une société civile et des organisations de défense des droits
de l’homme qui sont là pour faire des enquêtes, suivre le problème et aider à
faire ressortir le monstre. Nous sommes dans une société où la remise en cause
de l’esclavage sur le plan des principes n’est pas encore réellement
suffisante. Les gens ne sont pas éduqués contre l’esclavage : ils estiment
que c’est une normalité. Déjà, le fait de quitter son maître sans son
affranchissement et son consentement est grave pour eux. Aller se plaindre
contre leurs maîtres est encore beaucoup plus grave», explique-t-il tout en
soutenant que la loi n° 048-2007 devait être modifiée et donner aux
Organisations de Défense des Droits de l’Homme la capacité de se porter partie
civile(accordée par la loi).
Beaucoup d’insuffisances ont été relevées dans cette loi qui n’accorde que
l’assistance aux Organisations de Défense des Droits de l’Homme. Cette capacité
de se porter civile aurait permit qu’on ait des cas d’esclavage devant les
juridictions. La loi seulement ne suffit pas En outre, les Organisations
de Défense des Droits de l’Homme demandent qu’il y ait des structures, une
politique et un ensemble d’actions et de mesures susceptibles de permettre aux
esclaves de s’insérer dans la vie économique et sociale. C’est une demande
incontournable et objective, selon Boubacar Messaoud.
«Aujourd’hui, les esclaves qui ont quitté leurs maîtres ont des difficultés
de s’insérer sans l’aide de leurs maîtres. Les autorités n’ont pas mis en place
un système qui puisse prendre en charge ces gens-là directement. Je pense que
cela fait partie des choses que le comité va engager. Il devrait y avoir une
structure vers laquelle l’esclave qui veut se plaindre puisse venir se plaindre
auprès des autorités.
Il y a dans la loi un article qui stipule que les autorités et les responsables
qui refuseront de prendre en considération la plainte et la démarche de
l’esclave doivent être poursuivis. Mais qui est habilité à les poursuivre et à
les dénoncer à part une autorité légale, compétente et reconnue comme telle ? »,
s’interroge Boubacar Messaoud. Cette situation, dont il fait allusion,
n’est supplée que par la Commission Nationale des Droits de
l’Homme.
Les Organisations de Défense des Droits de l’Homme sont en train de mener une
bataille pour qu’il y ait une autorité spécifique à l’esclavage. Sur le plan
économique, ce qu’il faut faire selon Boubacar Messaoud, est que ceux
qui sont dans la campagne puissent bénéficier de subventions. «Nous pensons
qu’il est nécessaire que les terres cultivables réputées appartenir à l’Etat
mais qui sont sous la coupe et la houlette des tribus soient redistribuées et
que la réforme foncière de 1983 soit réellement mise en application»
préconise-t-il en faisant savoir que cela est aussi valable dans le domaine de
l’éducation où les esclaves sont laissés-pour-compte depuis toujours.
«Ceux qui arrivent à accéder à l’école sont toujours des exceptions. Le
retard de ce coté est immense. Comment combler ce retard ? Pour le
réussir, il est nécessaire qu’une politique de développement des écoles dans
les ‘Adouabas’ (villages de haratines) soit réelle. Il faudrait que des mesures
d’accompagnement constituant des discriminations positives soient appliquées
également à ce monde-là qui vient de l’esclavage aussi bien pour la préférence
au travail et l’accès à des emplois sollicités par tout le monde»
conclut-il.
Kréôn
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Recommandations relatives au suivi de l’application de la loi Les Organisations
de Défense des Droits de l’Homme, notamment l’Association Mauritanienne des
Droits de l’Homme et SOS Esclaves, ont demandé à ce que des décrets
d’application de cette loi soient adoptés rapidement afin que les meilleures
conditions d’application de la loi soient réunies et que des mesures
d’accompagnement de la loi soient mises en place.
Elles sollicitent que ces décrets d’application instaurent notamment :
1. Une commission d’enquête indépendante chargée d’enquêter sur l’ampleur des
pratiques esclavagistes en Mauritanie.
2. Une institution gouvernementale spécialisée ayant compétence pour coordonner
la lutte pour l’éradication de l’esclavage, des pratiques analogues à
l’esclavage et leurs séquelles, vers laquelle toute victime et ses descendants
auraient la possibilité de se tourner.
3. Des pratiques de réinsertion sociale et économique pour les victimes de
l’esclavage ou de pratiques analogues dont l’action serait coordonnée par une Agence
Nationale pour l’Eradication de l’Esclavage et ses Séquelles.
4. Une publication et une diffusion par les médias les plus accessibles
au public au frais du condamné de toutes les décisions judiciaires définitives
et exécutoires rendues conformément à la présente loi.
5. Des foyers d’accueil pour les victimes de l’esclavage venant de se
libérer.
6. Des campagnes de sensibilisation mobilisant les acteurs de la Société Civile dont
notamment les Oulémas et les Imams. Ces derniers doivent transmettre l’esprit
de cette loi au travers de leurs prêches dans toutes les Mosquées du
pays.
7. L’éducation aux droits de l’homme et à la lutte contre l’esclavage dans les
programmes scolaires.
Le 08/06/08 Boubacar
ould Messaoud Source : La Tribune
(Mauritanie)
L’émancipation
des Haratine, clef de l’unité nationale
Sentiment d’appartenance à une communauté humaine
solidaire et achevée dans l’espace, l’unité nationale suppose une adhésion,
par volonté, de la part de groupes, sur la foi d’une reconnaissance
mutuelle de la distinction, ensuite de leur part respective à la mémoire.
A ce titre, elle ne saurait se présumer, ni s’imposer
par le seul effet du temps, la durée ne suffisant guère à pallier les ratés
de l’histoire, surtout quand ils découlent de la discrimination.
En Mauritanie, le débat sur le devenir commun et les conditions de sa
permanence a toujours été différé, voire franchement maintenu sous la
censure du soupçon. Jusque là, oser douter de l’évidence du vivre ensemble,
relevait de velléités de racisme, si ce n’est de sécession. Le système de
domination dressait tellement ses victimes à la hantise de la singularité,
qu’elles intériorisaient l’interdit, donc la honte de devoir élever la voix
de leurs doléances.
Malgré des liens multiples entre communautés - souvent conçus dans les
strates de l’oppression – la cohésion minimale se retrouve remise en cause
à plusieurs niveaux. Au-delà de la dimension «ethnique », qui vient, naturellement à l’esprit, eu
égard aux événements de 1989-1991, le tissu social souffre de fractures
profondes et bien plus anciennes ; elles en compromettent l’harmonie.
La récurrence des incidents isolés, auxquels n’échappe cependant aucune
parcelle du territoire, nous rappellent l’urgence de combler le fossé
potentiel entre les composantes de ce pays. Ils constituent des signes d’un
malaise profond, en particulier au sein de la société arabophone, entre
anciens esclaves et ex – maîtres. Ne s’exprimant pas toujours de manière
ouverte, faute d’espaces de thérapie appropriés, le ressentiment des
Hratine gagne en vivacité, sous un cumul de vecteurs, tels la montée
exponentielle des frustrations, la persistance des pratiques esclavagistes,
l’accès problématique à la terre et aux opportunités économiques, les
inégalités flagrantes dans la redistribution des richesses…
Dans le contexte de chute de la dictature suite au coup d’état du 3 août
2005, les forces de l’inertie semblent l’emporter sur celles du changement
; l’espérance de paix et de mieux-être dans l’équité s’estompe ; deux
sociétés parallèles se côtoient toujours sans se connaître, ni se croiser,
au risque d’entretenir les germes de leur propre confrontation. Loin de
cultiver une nouvelle communauté de destin sur la base de l’égalité, de la
vérité en commun et du respect, elles se cantonnent, de plus en plus, dans
une attitude de ghetto et de méfiance réciproque. Aussi, le pays va t –il
au – devant de graves risques que seule conjureraient des mesures concrètes
de réhabilitation et de partage.
Sans être institutionnalisée, l’exclusion des Hratines résulte d’un
verrouillage systématique et de l’accaparement des ressources et
opportunités au profit des réseaux de pouvoir. Les ressources de la Mauritanie appartiennent à qui s’appuie
sur les notables tribaux, eux qui n’ont presque jamais rien gagné à la
sueur du front.
Il en résulte une logique de reproduction des rapports de préséance par la
caste et leur transposition sur le terrain de l’apport des richesses, à
partir de capitaux très souvent acquis selon les modes de prédation
traditionnels que sont la rapine, le détournement et l’échange d’influence
; la composition de la Confédération
Nationale des Employeurs de Mauritanie (CNEM, patronat)
atteste à quel degré de banalisation parvient le constat. Les banques
privées, les sociétés de service, les hôtels, les licences de pêche et
d’importation, les meilleurs terres de culture, bref l’armature même de
l’économie se confond avec le privilège de naissance ; ici, ceux qui ne disposent
pas de relais, se situent trop au bas de l’échelle ou ploient sous le faix
des inégalités, subissent, sans pitié ni recours. Là, la République sonne
comme une promesse lointaine et la démocratie une utopie inaccessible…Nous
ne souhaitons et ne pensons que tant d’iniquité dure.
La Loi votée
récemment, annonce des lendemains plus justes, même s’il reste à
l’accompagner par une stratégie conséquente d’éradication des comportements
serviles et de leurs conséquences. Au demeurant, le texte ne déroge pas au
caractère formel des tentatives de rupture, en dépit de sa forte charge
symbolique. Oui, dans les faits, le refus systématique de sanctionner les
abus persiste, au détriment de la portée pédagogique du droit ; l’attitude
se traduit par la réticence des autorités à l’appliquer dans toute sa
rigueur ; la seule évocation du contentieux leur tient lieu de solution,
point besoin d’aller outre.
Comme d’usage, la culture de l’impunité convoque, toujours, notre « religion de tolérance », nos « coutumes d’hospitalité et de paix »
et tant d’autres ruses du langage où se dissolvent la responsabilité et la
réparation. En matière d’esclavage, de torture, de racisme homicide, de
corruption et de privatisation du bien public l’on pardonne sans cesse,
l’on pardonne sans même demander son avis à la victime, sans même savoir
quoi pardonner. Muni de son certificat, l’auteur du crime recommence, le
lendemain. Il sait que le fonctionnement du système lui garantira, encore,
l’immunité.
Oui, voyez-vous, avant de discuter de l’abolition, des décisions pratiques
de la réconciliation et d’un nouveau départ, l’unité nationale requiert,
d’abord, le langage de la réalité; sachons parler des défis sur les média
audiovisuels, croisons les arguments à tous les échelons de la vie civile,
dans les quartiers, les communes rurales, les écoles, les casernes, les
commissariats de police !
Ce préalable acquis, la redistribution des ressources du pays et des
opportunités d’enrichissement découlera de la pression inévitable et
excèdera le périmètre étroit de la cooptation des élites au sommet.
L’émancipation des descendants d’esclaves appartient aux certitudes de
l’histoire ; s’il nous importe de maitriser l’évolution dans le sens de la
cohésion nationale, il revient, aux autorités publiques, de désamorcer les
potentiels de conflit, notamment par la redistribution définitive des
terres, à l’abri de la tenure traditionnelle, selon le principe de
l’appropriation en vertu de l’effort.
Egalement, veilleront-elles au regain de la citoyenneté, par l’exploration
des approches de promotion préférentielle, dans l’accès aux services de
base et investissements facteurs de valeur ajoutée. Parce nous ne
quémandons rien mais exigeons des droits bafoués, la quête de solutions
novatrices, dans le recrutement à tous les échelons, s’appuiera, sur le
double critère de la probité et de la compétence, avant l’expérience et la
notoriété.
L’approche permettrait la compensation graduelle des inégalités ;
petit-à-petit, la société intégrerait les exclus, tant il est vrai, en Mauritanie comme ailleurs, que
l’unité se réalise mieux autour de l’intérêt général.
L’urgence, pour l’instant, consiste à ouvrir, partout, des espaces de
dialogue et libérer les forces de la société civile, ciment du
vivre-ensemble. Celles – ci porteraient un double message : d’abord
informer et convaincre les anciens esclaves de la crédibilité de la réforme
entreprise pour l’éradication de l’esclavage. Il convient de nous persuader
les uns et les autres combien le dialogue franc demeure l’unique chemin
pour se prémunir des périls de l’incompréhension et de la violence.
Je vous remercie
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