M.Doudou Diène, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes
contemporaines de Racisme, de Discrimination raciale, de Xénophobie et de
l’Intolérance qui y est associée, a organisé jeudi 24 janvier dernier à l’ hôtel
Mercure de Nouakchott, une conférence de presse
au cours de laquelle, il a livré ses observations et recommandation
préliminaires, à la fin de sa mission en Mauritanie
durant laquelle il a rencontré le gouvernement, la société civile et les
communautés. Compte-rendu.
A la fin de sa visite sur invitation du
gouvernement mauritanien, du 20 au 24 janvier dernier, M.Doudou Diène, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes de
racisme, discrimination raciale, xénophobie et intolérance, affiliée au Haut
Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a tenu à partager avec
l’opinion ses observations préliminaires sur ces problèmes dans notre pays.
M.Doudoud Diène déclare
avoir rencontré les membres de l’Exécutif, les présidents des deux Chambres du
parlement, les autorités administratives, judiciaires et communales à Rosso et à El Mina, la société civile et les
communautés. A ses interlocuteurs, M.Diène
posait les mêmes questions : «est-ce que selon vous, il y a des formes de discriminations en Mauritanie ?
Si oui, quelles sont les communautés qui en
sont victimes ? Quelles sont les manifestations et expressions de ces
discriminations ? Quelles solutions préconisez-vous pour éradiquer ces
formes de discriminations dans le pays ? »
A la fin de cette première phase de collecte d’informations, un rapport
provisoire sera rédigé, expliquera-t-il, qui sera retourné au Gouvernement pour
remarques, suggestions, corrections. Le rapport final sera par la suite traduit
dans toutes les langues de l’ONU
et présenté au Conseil des droits de l’Homme à Genève. Il fera l’objet d’une discussion en plénière en
présence des représentants du gouvernement mauritanien et des organisations de
la société civile. M.Doudou Diène
avancera comme raison pertinente de sa visite, le climat et la dynamique
démocratique en cours en Mauritanie.
Observations préliminaires
Le Rapporteur spécial a
tenu à partager ses observations préliminaires avec l’opinion publique, afin
qu’elle soit au même niveau d’information que ses dirigeants. M.Diène exprimera d’abord sa
satisfaction de constater qu’il n’y a pas de racisme d’Etat, institutionnalisé,
en Mauritanie, malgré
la profondeur des discriminations résiduelles, nées de l’héritage historique et
culturel, qui a traversé la société mauritanienne.
Il remarquera aussi que malgré l’absence de manifestation raciste au niveau
légal, certains phénomènes continuent d’imprégner les mentalités, comme celui
de l’esclavage qui est née d’une pratique de longue durée et qui a des
difficultés à se résorber, relève-t-il. M.Doudou Diène constatera que tout système esclavagiste
est toujours accompagné d’une idéologie d’infériorisation qui a de la peine à
s’effacer, car diffus dans le subconscient collectif.
Troisième remarque, l’existence d’un système de castes, comme dans plusieurs
autres pays du monde, en Afrique
comme ailleurs, avec comme soubassement un système de domination de nature
matérielle, fondée sur une idéologie d’hiérarchisation culturelle et sociale.
Quatrième remarque avancée par le rapporteur, l’existence à travers l’histoire
récente de pratiques politiques qui ont pour conséquences de diviser les
communautés en vue de conquérir ou de se maintenir au pouvoir. La combinaison
de tous ces facteurs explique, selon lui, l’existence en profondeur des germes
de discrimination.
Enjeux majeurs
Parmi les enjeux majeurs, M.Doudou Diène cite la construction
d’un «Vivre ensemble » dans un contexte de société multiculturelle qui
dicte un combat continu et permanent contre toutes les formes de
discrimination. Il ne s’agit pas là, selon lui, d’une fin en soi, mais d’une
simple étape vers la construction d’un avenir commun dans lequel d’autres éléments
doivent entrer en compte, comme la promotion de l’idéal démocratique, le
progrès économique et social.
Facteurs favorables
Pour résoudre les problèmes de discrimination
dans la société mauritanienne, le Rapporteur spécial citera comme facteur favorable
à exploiter, la révolution démocratique en cours en Mauritanie, car selon lui, ce n’est
que dans un tel contexte politique, marqué par le pluralisme et la garantie des
libertés fondamentales entre autres, qu’un tel combat peut aboutir.
Il a cité également l’existence d’une forte volonté politique pour gommer les
différences, volonté qu’il dit personnellement avoir ressenti au cours de ses
entretiens avec le Chef de l’Etat et le Premier ministre. Pour lui cette
volonté n’est pas abstraite car elle s’est manifestée d’une façon concrète avec
le dossier des déportés et réfugiés ainsi que la criminalisation de
l’esclavage.
Autre facteur favorable pour M.Diène,
la vitalité, l’engagement et le courage de la société civile mauritanienne dont
le combat de longue haleine, malgré les tourmentes rencontrées et les
exactions, a abouti aux transformations actuelles. Volonté politique et
vitalité de la société civile, voilà selon l’émissaire onusien, les deux
piliers indispensables pour résoudre toutes les formes de discrimination,
d’injustice et d’inégalité dans un pays. Comme facteur favorable de lutte
contre ces problématiques, il a aussi mentionné l’élaboration d’un vaste
arsenal légal, juridique et institutionnel à travers la loi, le droit et la
justice. Il citera comme exemple, la loi de septembre 2007 sur la
criminalisation de
l’esclavage, la création d’une Commission nationale des
droits de l’homme.
Autre facteur fondamental selon lui, l’existence d’un sentiment d’appartenance
à la même nation mauritanienne. «Toutes les
communautés que j’ai rencontrées l’ont fortement affirmée »
reconnaît-il. Ce sentiment d’appartenance à une même nation et à une même
communauté de destin est capital, soulignera M.Diène, «et ce n’est
pas toujours évident d’après ma longue expérience et les nombreux pays que j’ai
visités » ajoutera-t-il. Sans ce sentiment, mentionnera-t-il,
les communautés restent fracturées et aucune perspective n’est dès lors offerte
pour aborder les questions de discrimination.
Points critiques
Parmi les points critiques mentionnés par le
Rapporteur spécial, un problème permanent qu’il trouve dans la société
mauritanienne, celui de la construction identitaire. Selon lui, la société
mauritanienne est écartelée entre son identité arabe et son identité africaine,
une bipolarité souvent instrumentalisée par des groupes politiques extrêmes qui
remettent en cause la nature multiculturelle et sociale de la Mauritanie.
Il relève d’autre part, la profondeur, la lourdeur et la complexité des
héritages historiques qui ont façonné et structuré la société mauritanienne,
système esclavagiste de longue durée, existence de castes, pratiques politiques
allant du parti unique aux pouvoirs militaires non démocratiques qui ont
souvent abouti à la longue silence et à l’invisibilité des victimes, d’où signe
de discrimination.
M.Diène trouve par
ailleurs que l’invisibilité de certaines communautés dans les sphères
politiques, économiques et judiciaires n’est pas un signe de bonne santé
sociale dans une nation multiculturelle, tout comme l’absence dans les annales
judiciaires d’affaires ou de dossiers relatifs à des litiges inter-ethniques ou
inter-communautaires n’est pas un bon indicateur, dans la mesure où elle
reflète soit l’incapacité des victimes à avoir accès aux tribunaux, soit leur
grande capacité à intérioriser les injustices qu’ils subissent.
Il s’est aussi étonné du manque de données statistiques sur les différentes
communautés qui composent le pays, y percevant une source de discrimination. Il
dira également que la juxtaposition des deux cartes, la carte des
discriminations ethniques et celle des discriminations économiques et sociales
dans un pays est un autre signe qui indique la profondeur de ces phénomènes.
Il a aussi relevé l’absence d’une stratégie intellectuelle pour transformer les
mentalités et remettre à niveau les échelles sociales de lecture, car selon
lui, la loi seule ne suffit pas pour combattre les formes de discriminations.
C’est tout un travail qu’il faut mener en profondeur, trouve-t-il, pour dé-construire
les anciens schémas culturels, sociaux et religieux et reconstruire à leur
place d’autres plus conformes à l’idéal d’une société débarrassée de toutes ses
pesanteurs.
Comme point critique à la résurgence de la discrimination, M.Doudou Diène a mentionné la
résistance de certaines structures traditionnelles au niveau de la société
comme au niveau de l’appareil d’Etat qui restent réfractaires à l’éradication
des formes de discrimination, citant comme exemple le comportement de certaines
autorités politiques et judiciaires dans le traitement de quelques cas
d’esclavage qui leur ont été soumis. Il appellera dans ce sens à l’élaboration
d’un travail de mémoire collectif.
Recommandations temporaires
Dans ses recommandations provisoires et
temporaires, le Rapporteur spécial avance la nécessité de mentionner dans la
Constitution mauritanienne, le caractère multiculturel du pays, en précisant
les différentes communautés concernées. Ce serait là, dira-t-il, un gage de
confiance pour l’ensemble de ces communautés et un message politique fort,
citant le Canada, comme
pays ayant adopté cette démarche. Dans le prolongement de la Conférence de Durban au cours de
laquelle tous les pays furent invités à élaborer une législation nationale
contre toute forme de discrimination, il invite la Mauritanie à
s’inscrire dans cette
dynamique.
Autre recommandation, l’élaboration d’une matrice des différentes formes de
discrimination existant dans le pays qui servira de tableau bord aussi bien
pour les autorités que pour la société civile. Il a suggéré dans ce cadre, la
mise sur pied d’une commission ad hoc indépendante et autonome, dotée de tous
les moyens, qui sera chargée d’éditer périodiquement un livre blanc sur l’état,
les causes profonde et les manifestations de toutes les formes de
discrimination au niveau national. Cette commission sera créée sur une base
consensuelle et collégiale.
Elle aura pour mandat également de présenter un programme d’action avec pour
référentiel, un meilleur «Vivre ensemble »,
avec s’il le faut, l’adoption d’une forme de discrimination positive en faveur
des couches les plus marginalisées jusque-là. Elle aura également pour tâche
d’élaborer des principes de valeur, réécrire l’histoire sur la base du respect
de la mémoire collective, orienter l’Etat et la société civile sur les
questions liées aux formes de discrimination.
La question des langues constitue aussi pour le Rapporteur, un aspect que les
Mauritaniens devront résoudre rapidement, car les conflits entre les langues
dans une société multiculturelles constituent aussi une source de
discrimination, le multilinguisme étant une richesse pour toute nation.
Le 26/01/2008
Cheikh Aïdara
source : L'Authentique (Mauritanie)