A.H.M.E.
ARTICLE 76 :
Les noirs victimes du racisme au Maroc
Les Marocains racistes des Noirs. Au Maroc, comme dans le reste du Maghreb, le peuple noir est depuis toujours victime de discriminations. Persécutions, agressions, insultes, injures... sont le lot quotidien des hommes de couleur. Pour mieux comprendre ce phénomène, Afrik.com a recueilli le témoignage d’associations, d’étudiants africains et de citoyens marocains. Un comportement raciste différent Selon Pierre Vermeren, historien spécialiste des sociétés maghrébines, il faut différencier le degré de racisme envers un Noir marocain et un Noir étranger. " Il existe différentes catégories de Noirs au Maroc. La première concerne les populations noires endogènes qui sont mélangées à la population marocaine et qui descendent tout droit des esclaves. La deuxième, est celle des populations noires du Sud. Elles se concentrent dans des oasis entièrement peuplées d’Africains noirs, mais qui ne sont, en aucun cas, mélangées aux Berbères ou aux Arabes. La troisième, touche les Africains du Sénégal majoritairement, qui venaient faire leur pèlerinage dans la médina de Fès. Enfin, la dernière catégorie, les étudiants et les migrants est celle qui est la plus touchée par le racisme. " Pour la plupart des Marocains,
le jugement anti-négritude se répercute à travers leurs comportements face aux
étrangers noirs non intégrés à la population d’une part, et (ou) non musulmans
d’autre part. Il s’agirait d’un profond sentiment de supériorité qui
remonterait à Aujourd’hui, " l’esclavage n’a jamais été aboli officiellement. Le protectorat français, au début du 20e siècle, en a simplement interdit la pratique. Mais l’initiative n’est jamais venue de la société marocaine elle-même ", rapporte l’historien qui nous renvoie à l’ouvrage de Mohammed Ennaji, Soldats, esclaves et concubines qui, selon lui, illustre parfaitement cette période. "Il est rare qu’une Marocaine épouse un Noir" Pour Nadia, une Marocaine
âgée de cinquante ans, il ne s’agit pas simplement d’un problème racial. "
C’est plus profond que ça. C’est un sentiment qui s’est perpétué de génération
en génération. Il est extrêmement rare, par exemple, qu’une Marocaine épouse un
Noir, même musulman. Cela ne se fait pas. Le seul cas qui soit, à la rigueur,
‘toléré’, est lorsque l’homme n’a pas les traits trop négroïdes. On craint le
fameux ‘qu’en dira-t-on’ de la famille et/ou de Selon les dires de Nadia, ce sentiment serait monnaie courante au Maroc, et partout ailleurs au Maghreb. " Même pour un homme, qui en générale est plus ‘libre’ puisque c’est lui qui transmet son nom et sa religion à ses enfants, épouser une femme de couleur,n’est pas accepté par son entourage. Et c’est encore plus difficile quand il ne s’agit pas d’un ou d’une non musulman. Les mariages mixtes sont déjà très rares dans notre culture, alors avec des Noirs non marocains, non musulmans, ça n’est jamais accepté. Que ce soit pour ma génération, la génération de mon père ou celle de mes enfants. " Etre Noirs au Maroc : le cauchemar des étudiants et des immigrants " Le racisme le plus violent s’exprime à l’égard des étudiants noirs. A la cité Internationale Universitaire de Rabat, c’est assez visible. Les étudiants qui viennent de part et d’autre du continent africain pour suivre leurs études, sont regroupés entre eux, voir isolés. Ils ne partagent pas les mêmes locaux que les étudiants ‘blancs’ marocains. C’est très communautaire ", rapporte Hervé Baldagai, Secrétaire Général de la CESAM (Confédération des élèves, étudiants et stagiaires africains étrangers au Maroc). " Les conditions pour les Noirs sont très difficiles, les insultes sont régulières. On nous traite en arabe de ‘sales nègres’, on nous ordonne de quitter le pays, on nous traite de ‘porteurs du Sida’, on nous lance des pierres. C’est invivable. Nous rencontrons des difficultés dans les administrations, comme pour l’obtention de la carte étudiante ou encore pour la Bourse. Les étudiants noirs retournent dans leur pays après leurs études " Au Maroc, nous ne pouvons pas trop en parler. Récemment, la chaîne 2M a organisé un débat sur le sujet. Le problème, c’est qu’à la diffusion, certains passages avaient été censurés, notamment les passages où il y a eu des plaintes. Nous parlons entre nous des agressions dans les rues mais c’est tout. De toute manière, que voulez-vous qu’il se passe ? En général, à la fin de leurs études, les étudiants noirs retournent dans leur pays d’origine. Sauf ceux qui viennent de pays en guerre comme la Sierra Leone, le Togo, la Côte d’Ivoire, qui sont contraints de rester au Maroc. " En général, nous ne
nous expliquons pas l’attitude de certains Marocains. Je trouve pour ma part
que certains facteurs doivent être pris en considération. Le premier est
religieux. Les Noirs musulmans sont moins persécutés que les Noirs chrétiens ou
animistes. Le deuxième facteur est dû à une méconnaissance culturelle. Les
média marocains montrent toujours des aspects négatifs de l’Afrique
subsaharienne (le Sida, les guerres...), et les Marocains finissent par avoir
peur de nous et donc nous rejettent. Troisième mise en cause : l’éducation. Il
est courant aussi d’entendre des enfants ou des adultes traiter ces personnes
de " hartani " (homme de second rang) ou de aazi (nègre). Les jeunes
enfants nous insultent devant leurs parents sans que ces derniers ne les corrigent
ou ne les grondent. Enfin, il existe, à mon avis, une dernière raison. Elle est
politique. Depuis 1984, le Maroc ne fait plus parti de l’Union africaine. Ce
retrait s’explique du fait que certains pays africains, comme le Cameroun ou
"Un Noir non musulman est regardé différemment d’un Noir musulman" Etudiant Congolais à l’ESM de
Rabat (Ecole Supérieur de Management), Parfait M’Benzé Mouanou suit
actuellement un Master en management logistique et ingénierie des transports.
Cela fait déjà un an et demi qu’il étudie au Maroc. Aujourd’hui, il témoigne.
" Les Congolais Une timide prise de conscience Aujourd’hui les langues se délient. Le sujet reste cependant très tabou au Maroc, pays qui fait de l’hospitalité un atout culturel. Depuis la parution de l’article de Maria Daif, dans le journal marocain Telquel, il y a une légère prise de conscience. Amel Abou El Aazm, est une des fondatrices de la jeune association Lawnouna (" Nos couleurs "), créée en 2004 et située à Rabat. Le but de cette association est de faire le pont entre les Marocains et les Noirs ou les personnes venant d’horizons diverses. Selon elle, " la discrimination dont sont victimes les Subsahariens et les Noirs est un fait. C’est assez dur pour eux. Personne ne peut nier qu’il existe du racisme au Maroc, ceux qui le nient font preuve de mauvaise fois. Mais il faut tout de même admettre qu’il existe dans notre pays des Subsahariens qui vivent très bien. Ils ont compris qu’il fallait avoir une certaine attitude à adopter pour s’intégrer, notamment se mêler à la population. Il y a un premier pas à faire, pour s’adapter et découvrir la culture de l’autre et la société dans laquelle on vit. Il s’agit peut être d’un petit nombre, mais ça prouve qu’il y a un moyen pour que cela se développe. Et c’est le but de notre association. Elle peut aider les personnes noires à franchir les barrières qu’elles peuvent rencontrer. S’il faut, par exemple, 4 à 5 ans à un étudiant pour s’intégrer au Maroc, Lawnouna, veut, au travers diverses activités, accélérer cette intégration ". " Le racisme est plus visible dans la rue. Je ne pense pas qu’il y ait un seul Noirs au Maroc, qui puissent sortir sans qu’on lui rappelle justement qu’il est Noir. Les clichés et les préjugés ont été nombreux sur le peuple noir. Il fut un temps où certains les prenaient pour des cannibales, des mangeurs d’hommes. Il y a aussi le fait qu’il soit des descendants d’esclaves. Mais vous savez, j’ai moi-même passé quelque temps au Congo, j’ai aussi déjà séjourné au Mali. J’ai dû là-bas dépasser les clichés et les préjugés qui m’étaient attribués. En tant que Franco-marocaine, au Mali comme au Congo, je passais inévitablement par l’expérience du ‘blanc en Afrique’. Ce sont des sentiments ancrés dans les moeurs, comme au Maroc, ajoute la jeune femme. " Officiellement, rien n’est fait pour lutter contre ce racisme, même si le Roi affiche un discours pro-africain et rappelle toujours l’unité africaine dans ses allocutions. Il faut se féliciter tout de même de voir que, de plus en plus de festivals africains réunissant des Peuls, des Maliens ont lieu dans le pays. Nous avons notamment eu la visite de Youssou Ndour (artiste sénégalais, ndlr) ", conclut Amel Abou El Aazm. Le débat est ouvert. Et nous espérons que notre modeste contribution participera à faire avancer les choses...
Par Smahane Bouyahia
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