De l'esclavage domestique à l'esclavage agricole
Les mauritaniens sont tous témoins qu'une loi criminalisant l'esclavage a été
voté par nos parlementaires et approuvée par tous les citoyens épris d'un
esprit de justice et d'égalité. Les organisations nationales des droits de
l'homme entre autre l'ONG "S.O.S Esclaves" ne
cessent de tirer la sonnette d'alarme avec des preuves tangibles mais hélas,
rares sont ceux qui leur prêtent oreille.
Et pourtant l'esclavage est toujours présent parmi nous mais sous une forme
différente de celle qu'a connu l'humanité toute entière. A ce titre, il nous
rappelle le VIH qui une fois menacé se transforme et continue à détruire
jusqu'à la mort.
Le jeudi 1er novembre dernier, Birame Ould Abeid activiste des
droits de l'homme invite à son domicile au nom de "S.O.S Esclaves"
et son président Boubacar Ould Messaoud, des journalistes à un
dîner au cours duquel ces derniers ont rencontré des victimes de l'esclavage
agricole qui racontaient des atrocités inimaginables dans un pays dit de droit.
Ainsi, nous avons rencontré deux groupes de victimes qui viennent de l'Assaba
au moment où nos confrères ont rencontré d'autres victimes qui viennent du Trarza,
du Brakna mais aussi du Gorgol.
Le premier groupe rencontré est constitué de deux frères Abida Ould
Abdallahi et Brahim Ould Abdallahi le premier est né
en 1945 et le second en 1947 dans la localité de El Ghayira du
département de Guérou et Med Ould Brahim qui
raconte :
« Voilà plus de 150 ans que nos aïeux (7 générations avant la notre) ont
construit le barrage de Hiyad dans l’oued de Djowk
de la commune de El Ghayira du département de Guérou.
Nous avons toujours été les seuls habitants de la zone.
Les sécheresses qui ont sévi dans le pays, la famine, les constructions des
différentes routes et bien d’autres fléaux ne nous ont chassé de ce coin qui
fait partie intégrante de nous même. Nos parents, grands parents et arrières
grands parents ont de tout temps été assujettis à l’esclavage car leurs maîtres
s’accaparaient de la plus grande partie de leurs récoltes sans qu’il y ait la
moindre résistance.
En 1976, au moment de nos récoltes, nos maîtres se présentent non seulement
pour prendre nos récoltes mais aussi nous signifier que nous devions quitter
ces terres qui sont leurs propriétés. Ce fut le début de notre mésentente.
En 1979, donc trois ans plus tard certains de nos maîtres sont venus
s’installer avec nous dans la zone tout en nous mettant à l’écart des zones
fertiles mais aussi en proférant des menaces. L’étau va se resserrer autour de
nos cous quand en 1991, nous nous sommes rangés du coté de l’opposition dont Messaoud
était l’un des principaux dirigeants. Alors nos maîtres nous considèrent comme
des rebelles et exercent toutes sortes de pressions pour nous chasser
définitivement de la localité. Alors un bras de fer nous opposera jusqu’en 1999
où ils ont tenté sans succès de nous diviser.
A la construction du barrage par nos aïeux, le chef de nos maîtres à
l’époque Elemine Ould Med Ahmed n’a pas fait de
partage de la terre entre ses sujets, la terre se cultivait globalement. A la
récolte les maîtres prenaient la part du lion et les esclaves le reste. Mais
après sa mort son fils Ahmed Vall Ould Addou a tout
simplement réparti ces terres entre les maîtres à l’insu de nos parents qui
cultivaient sans le savoir des terres attribuées arbitrairement à leurs
maîtres.
A la mort de Ould Addou, Elemine Ould Med Ahmed junior
prend la relève et exige notre départ de la zone. Abida Ould
Abdallahi a osé dire que la terre appartenait aux siens et que nul
ne pouvait les chasser de ces terres. Pour toute réponse, Elemine soutient
que les esclaves n’héritent pas de leurs parents et organise une expédition
punitive ».
Ainsi, avec un groupe des siens, il trouve Abida et son frère Brahim
au champ pour les battre à mort. Bilan : Abida s’en sort avec
une mâchoire brisée et des traumatismes crâniens provoquant une diminution de
la vue. Tandis que son frère Brahim aura les côtes et les deux
bras brisés. Informée, la gendarmerie se rend sur les lieux et évacue les
blessés au poste de santé de El Gayira avant d’être admis à
l’hôpital de Guérou.
L’affaire a été traduite devant la justice en septembre 1999 à Kiffa.
Là, Abida soutient avec force que le procureur, le directeur
de l’hôpital et le juge d’instruction ont tous comploté avec les assaillants et
c’est ainsi qu’il va se retrouver (lui l’agressé) avec 3 de ses agresseurs en
prison pendant plus de 15 jours. Ayant perdu beaucoup de sang Abida
deviendra aveugle et incapable désormais de travailler pour survivre. Brahim
s’en sort avec une hémiplégie du côté droit.
A la suite de cet incident, le barrage litigieux restera plusieurs années sans
être cultivé. En 2005, les maîtres ont tenté de refaire le barrage mais les
esclaves portent plainte, la gendarmerie arrête les travaux. Mais le hakem de
Guérou ordonne à la gendarmerie de laisser faire et chaque fois que
les esclaves se présentent à lui pour faire des réclamations, il leur dit que
la zone en question ne dépend pas de son département. Quelle sottise !
Alerté, le wali ordonne l’arrêt des travaux mais pour peu de temps car suite à
multiples pressions il ordonnera aux protagonistes de cultiver dans le barrage
en question. Situation délicate pour les esclaves qui se voient obligé de
partager leur propre terre avec ceux qui les ont toujours maltraité. Le tout
nouveau wali qui a été mis dans le bain demande à ce qu’une solution à l’amiable
soit trouvée.
Le second groupe que nous avons rencontré est celui des femmes de M’Seylit
Lehbech de la commune de Kouroudiel toujours de la
wilaya de l’Assaba. M’rayem et Fatimetou
mnat Meouloud y cultivaient des terres que leur père leur a
légué après sa mort. Leurs voisins les plus proches sont Ehl Homod
et Ehl Lek hal.
Ehl Abdellatif qui venait de s’installer près d’eux ont
voulu creuser un puits, mais leurs anciens voisins ne sont pas de cet avis et
demandent aux pauvres femmes de s’opposer. Ces dernières refusent de se
prononcer.
Ce refus va leur coûter cher car malgré qu’elles possèdent des permis d’occuper
en bonne et due forme, leurs anciens voisins tentent par tous les moyens
illégaux y compris des agressions physiques (les pauvres dames ont été
attaquées en pleine nuit par des hommes sur ordre de Tiyib Ould Mahmoud,
un maître qui se veut au dessus de la loi) avec la complicité de
l’administration de les déposséder de leur terre. Un procédé qui leur a réussi
avec la pauvre esclave Nessra mint Soueidi qui a été
dépossédée de son bétail par son maître Yahya Ould Taleb.
Le 7 novembre 2007
JIDDOU HAMOUD DERDECHE
source : http://www.cridem.org
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