Les Haratines (s)ont-ils une
tribu ? C’est la question, essentielle, à laquelle j’essaie de répondre
ici, non pas du point de vue sociologique mais purement politique.
La question Haratine relève aujourd’hui d’un mythe qui est en train de
s’éfondrer de lui-même ! Non pas qu’il n’y a plus des « abid »
- esclaves – à libérer ou des séquelles à effacer mais parce que l’exploitation
outrancière de l’esclavage en Mauritanie a fini par révéler le
caractère opportuniste de cette question. Donnez-moi le nom d’un seul leader de
cette communauté qui soit devenu « quelque chose » (aad
chi), au sens populaire du terme, sans que le label « Haratine »
n’est constitué un tremplin pour sa promotion !
Cette voie royale a été empruntée fréquement du temps de Ould Taya
par ceux qui ont joué la carte négationniste du pouvoir contre ceux qu’on
accusait de surenchère. D’un côté, Boîdeil Ould Houmeid, Sghair Ould
M’bareck, Mohamed Ould Haïmer, Achour Ould Samba, rejoint plus tard
par de jeunes loup comme Mohamed Salem Ould Merzoug et Cheikh Ahmed
Ould Zahav, de l’autre Messaoud Ould Boulkheïr, Boubacar Ould Messaoud, Oumar
Ould Yali !
Il s’agissait souvent, sans qu’on le dise vraiment, de deux visions
opposées des rapports intra-communautaires maures blancs-maures noirs pour
arriver au même résultat :
l’implication des intellectuels de cette
communauté dans la prise de décision sous couvert de
l’émancipation des
habitants des adwabas (bourgs d’esclaves affranchis) et des bidonvilles des
grandes villes. Ainsi, le caractère sociale de la question Haratine a fini par
être inhibé par son exploitation politique.
Les leaders Haratines cités plus haut ont réussi à devenir ministres de la
République alors que le Combat est loin d’être fini ! En trois décennies
de « lutte », la politique a pris le dessus sur le social
pour transformer les Haratines, partie intégrante de la communauté arabe de Mauritanie,
en une tribu qui réclame, comme toute autre, sa part du gâteau !
Malheusement, ce sont ceux qui parlent en son nom qui récolte les dividendes de
l’exploitation de la question, au grand dam des laissés-pour-compte qui ne
comprennent rien à ce qui se passent autour
d’eux.
Le nouveau pouvoir vient de répondre à une vieille exigence des militants
anti-esclavagistes en proposant au Parlement un texte réprimant cette pratique
en Mauritanie. Je crois que ce
n’est pas là le plus essentiel car le texte en
question n’est pas la meilleure façon de venir en aide aux centaines de
milliers de hartanis se débattant chaque jour dans la misère !
Le traitement politico-juridique de la question coupe certes l’herbe sous les
pieds des militants anti-esclavagistes mais il n’apporte aucune réponse à la
marginalisation économique de la communauté haratine. Plutôt que de continuer à
tirer sur la fibre esclavagiste dont l’intérêt, je le répète, se confond avec
la promotion aux plus hauts postes de responsabilité des leaders de la nouvelle
« tribu » Haratine, Messaoud, Sghaïr, Boïdiel
et les autres auraient dû œuvrer, maintenant que le climat politique est
apaisé, pour une meilleure redistribution des ressources entre les citoyens de
ce pays.
Les programmes de lutte contre la pauvreté, au sein des
défunts CDHLCPI (Commissariat aux Droits de l’Homme, à la
Lutte contre la Pauvreté et à l’Insertion) et du CSA
(Commissariat à la Sécurité Alimentaire) n’ont jamais fait preuve d’efficacité
dans ce domaine parce qu’on avait le regard ailleurs. L’exploitation politique
de la cause Haratine était criante par le fait que c’est uniquement dans les
centres urbains que la mobilisation apportait un semblant de résultat.
Dans les villes et villages de l’intérieur, les masses haratines restaient
encore attachées à la tribu qui les a vu naître et grandir. Cette donne a toujours
pésé dans le rapport de forces entre les différents segments de cette
communauté nationale. C’est d’autant plus vrai que, la chute de Ould
Taya a libéré les esprits, permettant à un Messaoud Ould
Boulkheir, diabolisé à
l’extrême par ses adversaires politiques au
pouvoir, de faire entendre sa voix.
La suite est connue : alliance avec Ould Daddah aux
élections municipales et législatives mais volte-face à la Présidentielle qui
lui a permis d’occuper aujourd’hui le fauteuil tant convoité de président de
l’Assemblée Nationale. Au nom de sa tribu, il est arrivé, enfin, à récupérer sa
part du pouvoir.
LE 27/11/2007
Sneiba Mohamed
Directeur de Publication du journal "Les Nouvelles"