A.H.M.E.
ARTICLE 66 :
Lettre à mon frère hartani
Lettre à mon frère hartani Dans
cette lettre, la première d’une série adressée à nos différents concitoyens, ne
Tu comprendras le mépris souverain que j’affiche en tout temps et en tout lieu pour ces objecteurs de conscience prompts à disserter de « pédagogie politique » mal maîtrisée et à déverser des objurgations toujours étiques, pour ces censeurs moraux qui ne créent jamais mais qui opinent du bonnet à la moindre des déclarations, pour cette masse de condescendants crétinisés par leur incapacité à accepter l’autre et leur myopie face à la variété des couleurs qui fondent la beauté du tapis Mauritanie. En
t’écrivant, je mesure la puissance de la canonnade que je déclencherai mais tu
vaux ce sacrifice. D’ailleurs, j’impute la responsabilité de notre stagnation,
qu’aucune gloriole ou jactance ne pourra dissimuler, au déficit de courage
faisant des uns et des autres des couards, des irresponsables se rangeant
derrière l’ethnie, la tribu ou le clan dès la moindre montée de lave
particulariste. Ceux qui m’approuveront, comme Je veux que tu saches que je t’écris sans m’adresser particulièrement à toi. Dans un espace où tout se tient, où tout doit tendre vers une osmose véritable, on ne peut pas user d’ostracisme, encore moins de discours particulariste. A mes yeux, tu deviens un prétexte, un beau prétexte pour jeter un pont avec les autres, ces autres qui te côtoient au quotidien et avec lesquels tu as en partage un passé surchargé de cruelles expériences. Hartani,
mon frère ! Sans abuser d’un « diachronisme »
très en vogue, je ferai quelques incursions dans ton passé. Ce retour m’est
nécessaire pour éclaircir la lanterne de quelques « monstres »
de notre microcosme politique oublieux d’un passé riche Tu es né d’une douleur, de cette douleur qui t’arracha de l’amour des tiens pour te transplanter dans une contrée étrangère. Ton corps porte encore les stigmates de cette violence initiale qui t’arracha des lisières du walo, du Fouta et du Guidimakha, jadis cibles des razzias, des rezzous, des traîtrises de toutes natures. Tu es né également des expéditions punitives lancées contre les agresseurs prompts à se fondre dans la nature pour réapparaître plus loin et commettre d’autres actes délictueux. De
cette rencontre heurtée, est né un type d’homme amarré à une nouvelle culture
devenue la sienne et nostalgique d’une origine diluée dans la nuit des temps.
Ce véritable métis, assemblage de toutes les diversités, c’est toi. Nous n’en
voulons pas Je
n’évoque point cette origine pour te rapprocher d’un milieu quelconque ou pour
fouetter une fibre morte en toi depuis belle lurette. Je ne l’évoque pas pour te
monter contre ceux qui t’ont dépossédé de père et de mère pour devenir les
maîtres de Mon
cher frère, s’il faut trouver un homme qui a connu la suprême humiliation, nous
ne devons pas chercher très loin : notre pays possède en toi ce prototype.
L’esclavage que nous connûmes lors de la traite négrière a continué de se
prolonger en toi nonobstant la modernisation des états et la sortie de l’empire
de la barbarie. Tu as souffert de voir des hommes, tes semblables, revendiquer
une supériorité infondée sur toi ; Une
fois libre, tu pleurais le sort des tiens restés dans les chaînes, tu pleurais
le sort de ta fratrie écartelée entre le Sud et le Nord, tu pleurais une
indépendance muette et indifférente au drame des damnés de l’époque
contemporaine, tu pleurais une femme vendue là-bas au marché d’Atar ou cet
autre don quichotte brutalisé par les forces de Libre, tu intégras l’école comme nombre de mauritaniens. D’elle, tu espérais réussir ta quête du graal et gagner un statut conforme à ta nouvelle liberté. Petit à petit, une élite émergea de tes flancs et promit de libérer les autres des serres de l’esclavage. Mon
frère haratine, quel bilan peut-on tirer de cette lutte ? Ton élite peut
aujourd’hui Mon
frère, décréter la fin de l’esclavage ne doit pas t’endormir. Les politiciens sont
passés maîtres dans l’art d’innover pour laisser passer les orages. Tes frères
encore dans les chaînes, penses-tu un peu à leur sort ? Que vaut une
liberté qui ne s’articule pas sur des préalables censés la protéger, la
conforter et l’éterniser ? A-t-on pris une quelconque mesure pour
effaroucher ceux qui n’entendent pas suivre la marche de Mon frère, des résistances seront observées partout dans le pays. Les anciens maîtres, forts du pouvoir économique et du parapluie tribalo clanique, obstrueront la mesure étatique sans qu’âme ne bronche. A ce moment-là, tu comprendras l’état de déliquescence du système qui nous organise et tu te mettras à désespérer. Te prémunir contre le renoncement, le découragement et le désespoir, voilà une des tâches que j’assigne à cette lettre inaugurale. Il
n’y a pas lieu de désarmer. Comme la plupart d’entre nous, tu dois te
convaincre que nous sommes membres d’une génération « maudite »,
celle des Mandela qui ont fait don de leur vie à une cause supérieure, qui
n’ont goûté aux délices de l’harmonie Mon frère, nous sommes enfin entrés dans la danse démocratique. La parole a été libérée. Des mesures fortes ont été prises et l’espoir est permis en dépit de l’hostilité à ouvrir des dossiers incontournables. Te voilà, dans cette course aux majorités fondant la démocratie, sollicité de toutes parts. Nos compatriotes se déchirent et c’est comme une lutte fratricide qui est engagée pour t’affrioler à l’une des écuries en présence. J’espère que tu comprends les raisons de ceux qui invoquent votre culture commune, comme celles de ceux qui s’échinent à raviver vos origines perdues sur le sentier escarpé d’une vieille histoire. A toi, je veux confier un secret : La culture arabe n’a pas amélioré ton triste sort et si on l’invoque aujourd’hui, c’est dans le seul dessein de te barber, de conjurer des périls n’existant que dans les chimères des auteurs et des théoriciens d’une majorité arabe sur les rotules. Ton arabité n’a pas réduit l’esclavage des tiens ; ton arabité ne t’a pas tiré du labyrinthe de la sous citoyenneté ; ton arabité n’a pas effacé de notre glossaire national les termes de « abd », de « khoueydma » que l’on ressort à chaque fois que tu manifestes des velléités d’indépendance. L’origine
négro africaine est servie pour te gruger, pour t’affrioler, pour inverser une
tendance défavorable aux tenants de cette thèse. Si la justesse du combat est
évidente, il n’en demeure pas moins que ces derniers maintiennent aussi des
hommes dans la servitude. Dans l’univers négro africain, tu possèdes des frères
de condition moins voyants mais tout aussi assujettis aux humeurs de maîtres
cruels et exploitant éhontément la sueur des innocents. Au lieu de répondre à ces appels, tu dois te frayer un chemin et assumer ton propre destin. C’est aussi l’un des objectifs de cette lettre. Reconnais que les appels qui te sont lancés préparent la haine, la confrontation, le retour dans la pénombre. Ta station de métis naturel te dicte d’être sourd à toutes ces sollicitations. En lieu et place d’un camp à intégrer, choisis plutôt de créer ton propre camp dans lequel toutes les diversités que tu portes viendront se fondre et cohabiter. Tu seras cette soupape de sécurité qui prémunira de tout débordement. Chaque pique contre une nationalité sera une atteinte contre une partie de toi-même. Dans cette posture, tu nous aideras à déplacer des montagnes, à guérir les maux qui nous paralysent et à créer une Mauritanie tolérante et accrochée à ses segments pluriels.
De ton frère qui souffre mais qui espère… SOULEYMANE BA
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