Le
complot permanent
Depuis le début de prise de conscience des Haratines de leur conditions
déplorables dans le système politique mauritanien discriminatoire et
excluant, une politique systématique visant à les maintenir dans leurs
conditions de citoyens de second rang a été élaborée et mise en œuvre par
tous les régimes qui se sont succédés au pouvoir depuis l’indépendance.
Du régime du feu Moctar Ould Dadah à partir de 1960, en
passant par tous les pouvoirs d’exception, jusqu’à celui de
Sidoca aujourd’hui, la position envers les Haratines reste sans
appel : marginalisation et exclusion systématiques. Laissant de côté
l’histoire politique antérieure à l’ère des régimes d’exception à partir
de 1978, nous allons axer notre analyse sur la période commençant à
partir du processus de démocratisation en 1991.
Au cours de cette période, le régime de Ould Taya s’est
fixé comme objectif principal la lutte contre l’émergence de toute « force
politique » haratine. Les stratégies de marginalisation des leaders
Haratines qui portent le flambeau de l’émancipation de cette communauté
s’accompagnent d’autres stratégies de récupération de certaines figures
pour casser toute tentative de renforcement d’un front uni haratin.
Ainsi, les principaux leaders politiques et syndicaux tels que Messaoud,
Boubacar, Samouri… sont diabolisés s’ils ne sont pas jetés tout
simplement en prison.
Les autres se sont laissés guidés par leurs propres intérêts personnels
égoïs-tes en cautionnant une politique injuste et discriminatoire fondée
sur la marginalisation, l’exclusion et le dosage ethno-communautaire dont
ils sont les seuls bénéficiaires. Ces prétendus "représentants"
de la communauté haratine se sont d’ailleurs révélés plus dangereux pour
les Haratines que ne le sont leurs anciens maîtres. Pire, ils sont
devenus des remparts contre toute possibilité d'alternance pour cette
"représentativité" contrairement aux autres
communautés où elle est la règle.
Parallèlement à ces stratégies de marginalisation et d’exclusion, la
question des négro-mauritaniens a créé un consensus réel chez les maures
: il s’agit de faire front contre l’émergence de force politique haratine
autonome pour se focaliser sur la question négro-africaine qui nuit déjà
fortement aux rapports extérieurs du pays. Le régime Taya
a pu ainsi créé un consensus beidan au-tour de lui. La propagande dans
les salons et les cercles restreints du pouvoir croit savoir que le
pouvoir beidan, et par ricochet le système maure, est menacé par les
périls « Kwar » et Haratin d’où la nécessité d’un sursaut « patriotique
» pour sauvegarder la prédominance beidane.
Telle était la première étape du complot ourdi par les forces
obscurantistes Beidane pour étouffer dans l’œuf toute velléité
d’émancipation des Haratine. Un complot dans lequel toutes les forces
politiques maures, même les plus radicales et gauchisantes s’y sont
trempées.
A la suite de la disparition du régime tyrannique et raciste de
Ould Taya le 3 août 2005, les Haratines, comme tous les
marginaux, ont accueilli favorablement le nouveau « changement » de
pouvoir dont les auteurs s'engagent à faire régner la « justice
» et la « démocratie » dans le pays. Ils formulent beaucoup
d'espoir pour la mise en œuvre rapide de mesures appropriées afin de
recouvrer leurs droits spoliés depuis l'indépendance du pays. Toutefois,
la composition de la nouvelle équipe gouvernementale de transition avait
fait disparaître tout espoir de changement.
Le vieux réflexe des citoyens de second rang dont les Haratines sont les
éternelles victimes a refait surface. D’ailleurs, l’on pourra ne pas
fonder beaucoup d’espoir dans la nouvelle junte militaire dont les
principaux auteurs représentaient les piliers du pouvoir déchu et, quand
bien même ils façonnaient les stratégies politiques et sociales dont les
principales victimes sont les Haratines. C’est dans cadre qu’après la
mise en place de la nouvelle administration les Haratines n’ont eu droit
qu’à 2 ministres sur une trentaine, un wali sur 13, 2 préfets sur 52, un
secrétaire général et moins de 5 directeurs centraux ou d’établissements
publics et parapublics.
Avec la campagne référendaire sur la constitution, le chef du
CMJD n’a pas caché son mépris pour les Haratines, ce qui
d’ailleurs n’est pas étonnant pour un homme qui a dirigé pendant vingt ans
la sécurité du régime déchu et qui était un acteur principal dans toutes
les dérives autoritaires connues durant cette période noire de l’histoire
politique du pays. Deux grands moments dans son périple référendaire
révèlent la position intransigeante du chef du CMJD par
rapport à la question haratine : les étapes de Rosso et
Nouakchott en sont l’illustration.
A Rosso, il s’en est pris violemment à tous les
défenseurs des droits de l’homme et en particulier ceux qui luttent
contre l’esclavage et ses séquelles. Il n’a pas eu honte de nier
l’existence du phénomène et s’est posé comme défenseur des esclavagistes
en justifiant cette pratique ignoble par son existence dans toutes les
sociétés traditionnelles de la sous-région. Il est donc normal que les Beidan,
tout en faisant partie de cet environnement géo-culturel, pratiquent
l’esclavage. Selon lui, continuer à dénoncer l’esclavage en Mauritanie,
signifie contribuer davantage à ternir l’image du pays. C’est le même
discours que tenaient Ould Taya et ses laudateurs durant
la période de son règne.
Au meeting de Nouakchott le chantre de la « justice
» et de la « démocratie » a piqué une crise quand il s’est rendu
compte de la forte mobilisation du pu-blic composé majoritairement de
Haratine avec des banderoles dénonçant l’esclavage. Il les a attaqué
directement en les qualifient « d’électorat de Ghetto et de
périphérie» dont le vote n’aura aucune influence sur la stratégie
qu’il s’est déjà tracée pour traiter les problèmes dont ils sont
victimes. « Ecrivez tout ce que vous voulez, cela ne changera rien
» déclara-t-il en regardant les banderoles.
Ainsi, durant toute la période de transition aucune mesure visant à
prendre en compte les revendications des Haratines n’a été prise. Il
fallait attendre moins d’un mois avant la fin de la transition pour
qu’une coquille vide appelée « commission nationale des droits de
l’homme » soit mise en place, sans que ses objectifs, prérogatives
ou son mandat soient clairement précisés. Comme au temps où ils étaient
aux commandes de la sécurité du régime déchu, les principaux auteurs du
coup d’Etat du 3 août 2005 n’ont pas failli à la règle. Ils ont continué
la politique d’exclusion et de marginalisation des Haratines. Des
stratégies bien pensées seront d’ailleurs utilisées au cours de la
campagne électorale pour barrer la route à l’ascension du seul candidat
Har-tani, Monsieur Messaoud Ould Boulkheir.
C’est ainsi que ses principaux soutiens négro-africains ont été
neutralisés pour diminuer le score que le candidat pourrait obtenir au
premier tour. Malgré la force de mobilisation de ses adversaires et les
complots qu’ils fomentent contre lui, Messaoud a obtenu
un score honorable. L’appareil militaro-sécuritaire qui soutient le
candidat indépendant Sidoca est pris de panique. Des tractations sont
engagées pour barrer la route au candidat du RFD et
s’assurer la victoire de Sidoca.
Messaoud le «diable» d’hier devient un
saint dont on cherche la bénédiction aujourd’hui. On le courtise ; on
cherche son soutien par tous les moyens. Des négociations sont enga-gées
avec le camp de Sidoca qui a promis de prendre en compte
le programme de campagne de l’APP dans son projet de
société. Les questions des droits de l’homme et du passif humanitaire
(esclavage, retour des réfugiés, ouverture du dossier des victimes des
exactions de 1991-92) qui sont des projets chers à Messaoud
sont pris en compte par Sidoca.
Des engagements concernant des quotas réservés à l’APP
dans le cabinet ministériel et dans les administrations ont été pris.
Après la victoire de Sidoca les engagements pris ont-ils
été honorés? Le changement que Sidoca a promis dans le
style de gouverner, de promotion de la justice sociale, de partage
équitable des ressources a-t-il eu lieu ? Abstraction faite des
engagements pris avec l’APP, quelle place occupent les
Haratines dans la politique actuelle de Sidoca ?
Il n’est pas exagéré de dire que Sidoca a failli à la
majeure partie de ses engagements en vers ses partenaires. Pire, il donne
l’impression d’un « homme de paille » que des forces occultes et
réfractaires au changement manipulent à leur aise. Il suffit de revenir
sur la composition de son gouvernement et les nominations administratives
qui l’ont suivie, actes notoirement en contradiction flagrante avec ses
discours d’avant et d’après campagne. Les slogans de « l’homme qu’il
faut à la place qu’il faut », la prise en compte de l’ensemble des
composantes nationales dans les nominations et promotions
administratives, la compétence et les qualifications ne sont en réalité
que de la poudre aux yeux ; des slogans creux qui visent finalement à
tromper l’opinion publique.
Les Haratines sont les premières victimes de cette situation. Ils sont
marginalisés et exclus de la plupart des promotions. Les aberrations les
plus significatives viennent de Sidoca lui-même. Sur
plus d’une vingtaine de conseillers et chargés de missions à la
présidence, on ne compte aucun hartani. C’est le cas pour la diplomatie
où il n’y a qu’un seul hartani sur l’ensemble de la représentation
diplomatique du pays, sans oublier les secrétaires généraux des
ministères où on compte également un seul élément haratani.
Sur les treize walis on ne compte que deux, alors que pour les DREN
les Haratines n’ont pas droit de citer. Dans l’administration centrale et
territoriale l’exclusion est aussi de règle. Dans certains départements
ministériels, on ne trouve aucun directeur ou conseiller hartani. Ceux
qui étaient là durant la transition sont systématiquement renvoyés à la
rue alors que certains cadres haratines mieux formés et plus compétents
se sont retrouvés coiffés par des cadres beidans aux diplômes et
compétences douteux.
Sidoca peut se venter d’avoir promulgué (avec
beaucoup de difficultés au sé-nat) une loi incriminant les pratiques de
l’esclavage. Mais, s’agit-il là de la seule revendication des Haratines ?
D’ailleurs, quelle est la valeur d’une loi si elle n’est pas accompagnée
de mesures appropriées pour son application ré-elle ? On comprend
désormais que par cette loi Sidoca voudra réduire, voire
contenir la revendication des Haratines pour une vie digne dans ce pays.
Mais qu’il sache qu’il s’agit d’une duperie. La problématique Haratine
est plus complexe pour être dépassée par une simple loi dont
l’applicabilité n’est pas garantie. D’ailleurs l’acharnement d’une partie
écrasante des sénateurs contre cette loi prouve que Sidoca ne maîtrise
pas ses troupes.
Pour revenir sur le régime de Sidoca et la question
haratine, nous disons que tout ce qui se fait actuellement donne
l’impression qu’on est en présence d’un complot réel contre les Haratines
organisé par les forces rétrogrades qui ont investi et soutenu la
candidature de Sidoca. Ce sont d’ailleurs ces mêmes forces qui s’agitent
actuellement dans l’ombre pour pousser leurs laudateurs et leurs sbires à
s’organiser dans une formation politique dont l’objectif est de maintenir
le statut quo social, politique et économique.
Les Haratines ont trop subi d’injustice ; Assez c’est assez. Avant que ce
soit trop tard, Sidoca devra se ressaisir. A cet effet, il est important
que l’embargo imposé aux Haratines soit levé rapidement et qu’une
politique de discrimination po-sitive leur soit définie et mise en œuvre
en urgence. C’est la seule façon pour Sidoca de se
repentir et de se racheter ; si non, la patience à ses limites.
Nouakchott, le 20/09/07
auteur
: zeid1007
Source : www.cridem.org
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