Biram,
le subversif
Mauritanie,
septembre 2012 - Après quatre mois de prison, Biram Abeid et
neuf autres militants de l’IRA (Initiative de Résurgence du
Mouvement abolitionniste) ont été remis en liberté provisoire. Ils
étaient accusés de ‘ violation des valeurs islamiques du peuple
mauritanien’ pour avoir brûlé des livres de juristes sunnites
malakites qui légitimaient l’esclavage (photo, Biram Abeid)
Après
4 mois de prison, le militant anti-esclavagiste a été libéré Biram,
le subversif Nicola
Quatrano
Biram Abeid est un militant qui lutte
contre l’esclavage en Mauritanie. Les lecteurs d’OSSIN (
Osservatorio Internazionale) le connaissent. Ils savent également
que c’est un subversif dans l’ acception le plus noble du terme.
Ses initiatives ne sont jamais des rituelles. Elles agitent les eaux,
déstabilisent, obligeant tout le monde à prendre une position: être
avec ou contre lui. En ce qui me concerne, je pense qu’il a raison.
Sa manière d’agir est la seule en mesure de produire de vrais
résultats dans un contexte aussi fermé que celui mauritanien où
les classes dominantes n’aiment pas être contredites (comme
partout d’ailleurs). Et quand les rapports de force ne permettent
pas de recourir à une répression brutale, celles-ci tentent de
pratiquer la stratégie de l’adoucissement et de la cooptation qui
finit par rendre les opposants de faux opposants.
Biram ne
respecte pas les conventions, surtout celles dont le respect rend
aux yeux de l’adversaire acceptable un opposant. Ses
initiatives ne sont ni discrète, ni élégantes. Il fait irruption
sur la scène comme le proverbial éléphant enfermé dans une
cristallerie, qui casse tout.
Cela s’est passé ainsi quand
il a fondé l’IRA (Initiative de Résurgence du mouvement
abolitionniste), une provocation en soi, car l’idée était de
faire ‘resurgir’ le mouvement abolitionniste des marécages
des purs et simples témoignages et des rituelles dépourvues
d’actions dans lesquels les associations d’antan s’étaient
embourbées. Biram voulait faire plus. Il voulait rompre cet
engrenage et vraiment déranger.
Et bien sûr il a dérangé.
Cette nouvelle organisation ne se limite pas seulement à dénoncer
le phénomène de l’esclavage, mais elle dénonce des personnes
physiques, plus précisément les propriétaires des esclaves. Et
quand la police ne voulait pas donner de suite à leurs plaintes, il
a organisé des sit-in devant les commissariats ou devant les maisons
des personnes a qui ils ont porté plainte. Le nom de Biram est
devenu si célèbre dans tout le pays, qu’il suscite de l’espoir
(parmi les esclaves) et de la terreur (parmi les
maîtres).
Pour la première fois des Tribunaux mauritaniens
ont prononcé des condamnations contre les maîtres d’esclaves,
comme ce fut le cas des maîtres de Said et Yarg, deux enfants de 12
et 14, libérés plus précisément à cause de l’initiative de
l’IRA.
La pratique de l’esclavage en Mauritanie a ses
origines dans la tradition. Un des plus puissant outils qui en permet
la mise en œuvre est la religion. Une interprétation erronée du
Coran légitime l’asservissement des noirs aux arabo-berbères.
Et
ce n’est pas contre la religion mais plutôt contre ces
interprétations que s’en est pris Biram. Le vendredi 27 avril
2012, après la prière organisée par l’IRA au siège de la
municipalité de Riyadh ( quartier de Nouakchott où vit Biram ) ,
celui-ci a tenu une conférence de presse durant laquelle il a
dénoncé les déclarations de l’érudit mauritanien Cheikh
Mohamend El Hacen Ould Dedew, selon lequel il n’y aurait pas
d’esclaves en Mauritanie. En outre, Monsieur Ould Dedew a durement
critiqué les autorités mauritaniennes pour avoir permis à une
radio transmettant des lectures du Coran (Radio du Coran) de diffuser
une fatwa d’un imam saoudien de la ville de Medina – Saleh Ben
Awad Saleh Elmaghamsy – qui invitait les musulmans saoudiens et des
autres pays du Golf à acheter des esclaves en Mauritanie ( où il y
en a en abondance) dans le but de les libérer et ainsi expier leurs
péchés. Le prédicateur avait également fourni une liste de prix:
la tête d’un esclave vaut 10.000 riyals saoudiens; c’est à dire
800.000 ouguiyas mauritaniens et un peu plus de 2000 euros.
Et
puis, le grand scandale: Biram a brûlé certains livres de juristes
sunnites malakites qui ont réglementés les relations entre le
maître et l’esclave, légitimant ainsi l’esclavage. Il
s’agit des œuvres de El Khali, d’Ebn Acher, de Risalla,
d’Alakhdary, la Mudawwana Al Kubra (Encyclopédie) d’Al
Qassimi.
Le
scandale insupportable Brûler
des livres ne fait bon écho. Cela rappelle celui des nazistes. Mais
attention! Un geste n’a pas toujours la même signification. Son
sens se transforme si le contexte change. Cet acte provenant de la
part de milices d’un pouvoir formidable est un geste obscène dans
son arrogance méprisante: c’est le pouvoir qui ne tolère pas la
contestation, pas même celle de la liberté d’expression. C’est
le pouvoir qui qualifie la culture de camelote et prétend également
s’imposer aux esprits et consciences par la force.
Les
lois qui punissent ceux qui nient le massacre des juifs ou des
arméniens ressemble beaucoup plus à cela que la provocation de
Biram. Ces lois sont celles approuvées dans différents pays
européens, la France en tête, et nient toute possibilité
d’une recherche critique vis à vis de l’histoire écrite par le
vainqueur. La provocation de Biram, au contraire, est le geste
extrême de l’exploité qui se rebelle à un pouvoir qui utilise
même le savoir pour opprimer et qui dit : اa
suffit! à l’oppression et aux théories qui la justifient.
C’est
inutile de dire que ces nuances ont échappé aux détracteurs de
Biram, qui s’en sont pris à lui demandant (littéralement) sa
tête, invoquant son arrestation et même l’application de la peine
de mort.
Ainsi Biram Ould Dah Ould Abeid n’a été arrêté
que le jour successif , le samedi 28 avril, à la suite d’une vraie
et propre action de force, avec l’usage de gaz lacrymogènes et
l’irruption de la police dans son domicile. Lui et neuf de ses
compagnons seront incriminés pour ‘violations des valeurs
islamiques du peuple mauritanien’. Le Président de la République
Islamique Mauritanienne, Mohamed Ould Abdel Aziz, est même
intervenue pour condamner cet acte ‘contraire’ aux valeurs de
l’Islam, affirmant que la Mauritanie est un Etat islamique et non
laïc.
Biram et ses compagnons sont restés 4 mois en prison
avant que la mobilisation internationale n’obtienne leur libération
et la concession d’une liberté provisoire. Quatre mois durant
lesquels ses conditions de santé déjà précaires se sont
aggravées. Biram et ses compagnons sont restés 4 mois en prison
avant que la mobilisation internationale n’obtienne leur libération
et la concession d’une liberté provisoire.. Se référant aux
actes qu’il a posées à sortie, (voir‘Liberté
provisoire des activistes de l’IRA), la prison n’a ôté
ni son courage ni son goût pour le défi.
Nous devons nous
attendre d’autres provocations indigéstibles… nous les attendons
avec impatience.
(Traduit en français par Louis Benjamin
Ndong)
Source:
http://fr.ossin.org/mauritanie/bruler-livres-esclavage-biram-abeid-subversif.html
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