L’UFP
« parti d’intellectuels » : qu’est-ce qui se cache derrière
cette appellation ou ce qualificatif?
Suite
à une discussion instructive avec des cadres intellectuels de
l’Ufp agacés d’entendre souvent dire que leur parti est « un
parti d’intellectuels », il nous a semblé nécessaire de faire
ce mot, pour rétablir la réalité de ce parti pour ceux de bonne
foi, mais qui ont cru ou prêté l’oreille à cette
fausse rumeur sans fondement.
L’Union des Forces du
Progrès –UFP- est un parti qui a certes bénéficié de l’apport
de cadres intellectuels de premiers rangs issus de l’ex-MND
–Mouvement National Démocratique- un Mouvement unitaire qui
regroupait l’ensemble des composantes nationales et qui avait
joué un rôle de premier plan sur la scène politique
mauritanienne à partir des années 68 jusqu’à sa dissolution en
1998 –on peut cité entre autres acquis arrachés par cette
organisation de hautes luttes courageuses : la
nationalisation de MIFERMA - l’actuel SINIM -, la création d’une
Monnaie nationale et la révision des accords militaires avec la
France - Mais l’UFP a bénéficié aussi et continue de
bénéficier d’’apport d’intellectuels issus de sensibilités
diverses du pays.
Est-ce pour autant ces apports l’ont
converti ou l’ont transformé en un « parti
d’intellectuels » ? Pour mettre fin à cette assertion fausse
utilisée en fait par les adversaires dans leurs
propagandes, pour signifier que l’Ufp n’a pas de base ou
très peu, nous allons tenter de montrer le caractère infondé de
celle-ci, en vérifiant sur le terrain avec le lecteur la duplicité
de ce qualificatif. Le pire, est que comme toutes les rumeurs
celle-ci, persistante, a aussi fait son effet dans certaine
opinion, puisqu’il il arrive souvent que de simples gens le
disent et/ou y croient et de bonne foi.
N’est-ce pas le
seul paramètre ou critère valable pour juger de l’importance ou
non de la base d’un parti politique ce sont élections ? En
dehors du parti d’Etat qui a toujours utilisé les moyens de
l’Etat, la corruption et l’achat de voies et de votes à haute
échelle partout en particulier à l’intérieur du pays et plus
particulièrement encore dans les zones rurales, il est intéressant
examiner la situation des autres partis politiques après les
dernières élections municipales et législatives dites « libres
et démocratiques » et la fin de la période de retournement de
vestes plutôt de boubous - qui est un sport national pour certains
de nos « bolitititiens » - et qui se passent en général à
l’issue des élections présidentielles qui suivent celles des
municipales et les législatives, et de faire une comparaison.
On
pourra remarquer que L’Ufp est le seul parti qui dispose de plus
de sept mairies au jour d’aujourd’hui, et essentiellement en
zone rurale – dans le Gorgol, Guimakha, Brakna, Assaba, Adrar –
dont celle de Boghé et sans compter celle de Tidjikja où
l’ufp est accréditer de la majorité des conseillers mais aussi
des conseillers un peu partout en particulier dans les grandes
villes du pays. Au jour d’aujourd’hui aucun autre parti ne fait
mieux en dehors du « parti Etat » en zone rurale.
Dans le
parlement, les députés ou sénateurs de l’Ufp sont élus dans
le Guidimakha, dans Brakna, dans Lassaba, dans Gorgol, hormis deux
qui sont élus à Nouakchott. Et dans l’opposition seul le RFD
fait mieux que l’UFP en nombre de députés. Dés lors on
comprend mieux l’agacement à juste titre de ces militants face à
cette injuste assertion collée à leur parti -l’Ufp- et reprise
souvent par certains journaux de la place sans enquêtes
préalables ou simple vérification .
Certes L’UFP dispose
de cadres intellectuels très valables mais aussi beaucoup de
cadres issus de la classe ouvrière, du monde rural tous aussi
valables sinon plus. Il dispose d’une réelle base et
incontestable d’ouvriers et dans les zones rurales qui a toujours
résisté à toutes les formes de tentatives de corruption
utilisées par les pouvoirs successifs.
Maréga Baba/France
Qui
est mauritanien et qui ne l’est pas ? L’histoire de la
Mauritanie éclaire et met en mal toutes les idées reçues
chauvines et extrémistes.
Dans
la conjoncture particulièrement inquiétante et trouble que traverse
aujourd’hui notre pays, si on n’y garde, elle pourrait conduire
purement et simplement à l’implosion de Mauritanie. Le danger de
la « somalisation » peut ne pas être une vue de l’esprit.
Depuis quelques semaines, suite à l’ouverture du
recensement dont le but était de créer un état civil sécurisé,
qui est en soit est une décision louable, selon plusieurs
témoignages cette mesure se transforme aujourd’hui à un véritable
cauchemar pour les populations et plus particulièrement
négro-africaines, par l’ignorance et le chauvinisme des
commanditaires et de leurs recenseurs zélés, tout négro-africain
quelque soit son rang est considéré de fait comme de étranger en
puissance dans son propre pays. L’ignorance est le terreau du
chauvinisme et de tous les extrémismes.
Parmi ceux qui
s’adonnent à ce travail de sape contre l’unité nationale, on
distingue deux catégories : ceux qui appartiennent à des courants
idéologiques obscurantistes ou racistes. Pour ces groupuscules, il
serait vain de chercher à les convaincre, la solution est et demeure
le débat démocratique pour les isoler du reste de nos paisibles
concitoyens. Pour les autres il s’agit plutôt d’une
méconnaissance de l’histoire de la Mauritanie. C’est pourquoi,
il m’a semblé opportun de faire appel à l’histoire de notre
pays en reprenant un paragraphe d’un texte que le Mouvement
Nationale Démocratique (MND) avait publié en février 1979,
intitulé : BREF APERÇU HISTORIQUE SUR LA MAURITANIE AVANT LA
COLONISATION1.LE PROCESSUS DE PEUPLEMENT .
Ce texte en
d’autres temps je l’avais publié et dans cette période
particulièrement confuse et trouble de notre pays sa rediffusion me
semble encore utile pour rafraichir quelques mémoires et esprits
parfois égarés.
Du premier peuplement de la Mauritanie, on
sait peu de choses. La préhistoire, peut-on dire, dans notre pays,
descend jusqu’au XèS avant J.C. ! Cependant, de rares témoignages
(sites préhistoriques, gravures rupestres dans les grottes, etc..)
et les vagues indications conservées par la mémoire de notre peuple
sur les Bafours et les « diaogos », premiers habitants de la
Mauritanie, permettent de penser que le pays fut le foyer de
civilisations noires primitives, vivant de pêche, de chasse,
cueillette etc., dans une nature encore humide et verdoyante. Au XèS,
le nord de la Mauritanie et le Sahara occidental sont un centre de
peuplement des Berbères qui entretiennent des liens d’échange
intenses avec l’empire Soninké du Ghana. Du Tagant jusqu’au
fleuve vivent des peuples Sérères et Wolofs, tandis que l’empire
du Ghana étend sa domination sur l’est et le sud-est du pays. Mais
à partir du XIèS jusqu’au XVIIèS, le peuplement de la Mauritanie
allait changer radicalement de physionomie à la suite de trois
grandes invasions : celle des Berbères, celle des Peulhs et celle
des Arabes, tous, à l’époque, peuples de tribus nomades.
L’invasion berbère : Au XIèS, les Sanhajas deviennent le foyer du
puissant mouvement politico-religieux des almoravides qui balayèrent
l’empire du Ghana. Ce mouvement porta en conséquence
l’implantation berbère au Hodh et jusqu’aux rives du Sénégal.
Au cours des siècles suivants, le flux berbère en direction du sud
continuera à s’accentuer, poussant progressivement vers la vallée
les populations noires non soumises. L’invasion pulaar : les
premières vagues de Peulhs venant du Macina touchèrent le sud de la
Mauritanie à partir du XIIèS. Et, jusqu’au XVIèS, les Peulhs
poursuivront leur implantation dans les zones du sud Tagant, de
l’Aftout et de la Vallée. L’invasion capitale advint lorsque les
Peulhs deeniyankoobe, partant du Bakounou et du Fouladougou dans un
grand mouvement vers l’ouest, conquirent, sous la direction de Koli
Tengella, toute la zone de la moyenne vallée, chassèrent
définitivement les Wolofs et les Sérères et fondèrent le premier
royaume peulh du Fuuta. L’invasion Arabe : Arrivés du sud marocain
dès le XIVèS, les tribus Awlad Hassan amorcèrent dès lors un
mouvement vers le sud et s’imposèrent aux Berbères dès le XVèS
et XVIèS. Au XVIIIèS, les Arabes poussent leur conquête jusqu’au
royaume bambara du Kaarta et jusqu’aux rives du Sénégal,
refoulant définitivement vers le fleuve et même au-delà les Pulaar
du Fuuta et les Wolof du Waalo. Victorieuse, la confédération des
tribus Hassan éclate à partir de la fin du XVIIèS en principautés
rivales : Les EMIRATS. Hormis ces grandes invasions, le trafic des
esclaves, très florissant dans l’ouest africain surtout au XVII et
XVIIIèS sous l’impulsion des négriers européens, constitua un
facteur tragique du peuplement de la Mauritanie. Provenant
généralement du royaume du Khasso (zone du Mali actuel, -plaque
tournante de ce trafic- ces esclaves sont en réalité des captifs
faits lors des guerres intestines entre royaumes africains ou lors de
razzias arabes, et par conséquent sont d’origines ethniques
diverses. Mais dans le cas de la Mauritanie, ils sont souvent
d’origine bambara[1]. Rapidement assimilés par la communauté où
ils servent, ils ne se distinguent plus de leurs maîtres
essentiellement que par ce qui découle de leur place dans la
hiérarchie sociale. Quant aux anciennes populations autochtones,
elles n’ont pas été radicalement balayées par les invasions. Une
bonne partie soumise ou asservie fut progressivement assimilée par
les peuples conquérants. Là est l’origine -semble-t-il- d’une
grande partie des Haratines (affranchis) chez les Arabes et les
pêcheurs (cuballos) chez les Pulaar. Seuls les Soninkés du
Guidimakha ont apparemment pu résister durablement tant au
refoulement qu’au phénomène de l’assimilation.
2.
DES RELATIONS ENTRE LES DIFFÉRENTES COMPOSANTES ETHNIQUES
Durant les grandes
invasions (donc jusqu’au XVIIèS), les conflits opposaient
principalement les communautés, les peuples conquérants aux peuples
autochtones. La dernière guerre qui soit véritablement de ce type
remonte à 1662-1674, lorsque la confédération de tribus berbères
qui supportaient mal la domination Arabe engagea la guerre (appelée
guerre de Char-Boba ) contre les Awlad Hassan. La victoire de ces
derniers consacrera définitivement leur domination politique sur
l’ensemble du pays. Au terme d’une longue évolution, commencée
dès le XVèS, les berbères et les populations noires soumises ou
asservies, allaient être insensiblement assimilées ; la langue
Arabe (le hassaniya ou langue des Hassan) devenant la langue commune
d’une société Arabe progressivement hiérarchisée sur des bases
de classes : l’origine ethnique perdra de sa signification (des
tribus hassan, les Awlad Rizg , vaincues, sont ravalées au rang de
zénagas - des tribus berbères se soulèvent et conquièrent le rang
de guerriers hassan telles les Idowichs et le mechdoufs). Les
royaumes négro-africains avaient, quant à eux, des sociétés
autrement plus stables et plus anciennement organisées en castes
(dès le début du XVIèS). A la différence des arabes, l’unité
principale d’organisation sociale n’est pas la tribu mais la
communauté villageoise qui intègre les éléments de diverses
tribus sur la base de rapports fonciers. De types esclavagistes, ces
sociétés subirent des transformations féodales à partir du
XVIIIèS surtout au Fuuta avec la révolution musulmane des toorodbe
de Thierno Souleymane Bal (1774-1776) qui instaura l’état
théocratique de l’Almamiyat. Au XVII et XVIIIèS, régnaient sur
la rive droite du Sénégal les émirats du Trarza, du Brakna, des
Idowichs (après les Awlad M’Bareck), et en face sur la rive gauche
les royaumes du Walo (Wolofs), du Fuuta (Pulaar) et du Ngalam
(Soninké). Dans les émirats et royaumes aux sociétés patriarcales
esclavagistes ou féodales, intégrant souvent toutes ces
caractéristiques, dominaient des noblesses guerrières ou foncières
qui se servaient de leur pouvoir absolu à deux fins : - opprimer et
exproprier leurs sujets ; - pratiquer le pillage et la domination
contre les états voisins. Aurait-il été possible historiquement
que de tels pouvoirs aient d’autres missions ? les alliances et les
conflits entrepris par tel ou tel royaume eurent dès lors pour base
- non pas les intérêts de la communauté ethnique - mais uniquement
ceux de l’aristocratie, parfois même un clan de cette
aristocratie. Dans ce sens des guerres éclatèrent entre le Brakna
et le Fuuta, le Trarza et le Walo, les émirats arabes ayant toujours
eu des visées de vassalisation sur ces deux royaumes africains. Les
mêmes relations de pillage et de d’expansion envenimaient les
rapports entre les émirats arabes (Trarza/Brakna ; Brakna/Tagant ;
Tagant/Adrar etc...). C’était également le cas au sein de la
communauté Wolofs (Jolof/Walo ; Cayor/Jolof etc..) ou Pulaar
(Fuuta/Bunndu) etc..) et entre royaumes de différentes ethnies
noires (Fuuta/Waalo etc.) C’est le lieu de se demander si l’usage
du concept de nationalité ne serait pas prématuré, impropre à ce
stade de l’évolution sociale où chaque ethnie est encore
fractionnée en fiefs qui, sans égard pour une fictive « unité
nationale », se livrent une rivalité sanglante où l’on ne se
prive jamais d’une occasion pour faire intervenir des alliés
étrangers[2]. D’ailleurs durant tout le XVIII et XIXèS, en règle
générale, les conflits opposèrent, par dessus le fleuve, des
coalitions arabo-africaines contre d’autres coalitions souvent de
composition semblable. Les exemples à cet égard sont innombrables.
Citons en : L’intervention du royaume du Walo en 1722 aux côtés
de l’Emir du Trarza Ali Channdora, contre l’hégémonisme de
l’émir du Brakna, Heïba O. Nogmash. Seconde moitié du XIXèS :
Interventions successives du royaume du Walo dans les conflits de
successions émirales qui déchirent le Trarza. Pour sa part le
Trarza intervint en 1724 dans le conflit entre princes wolofs du
Walo. Plus tard, durant toute la première moitié du XIX siècle, le
Trarza se fera une règle d’être partie dans tous les conflits de
succession au Walo. Le Brakna intervint dans tous les conflits
internes du Fuuta (depuis 1718-1724 lors de la lutte de succession
entre Boubacar Ciré et Buubu Musaa jusqu’aux luttes entre
provinces du Fuuta au XIXèS) et dans les guerres du Fuuta contre les
royaumes de l’est (Soninké ou Bambara). En 1786, l’Almamy du
Fuuta, Abdoul Kader, intervint pour soutenir le Brakna dans sa guerre
contre le Trarza . Au XIXèS, le Fuuta participe dans les divers
conflits dynastiques du Brakna (Awlad Séyid contre Awlad Nogmash) et
dans ses guerres de successions (ex : 1841). Les masses populaires
des différentes ethnies (tribus Zewayas ou Zenagas, paysans de la
vallée) soufraient énormément de tous ces conflits qui n’avaient
en dernière analyse pour objet que leur oppression et leur
expropriation. Les seigneurs guerriers hassans avaient fait de leurs
tribus de véritables armées permanentes (en guerre permanente !) et
jouaient en conséquence le rôle principal dans les conflits de
rapine qui ensanglantaient les émirats et la vallée. Les émirats
du Brakna et du Trarza, qui pratiquaient l’expansionnisme contre le
Fuuta, le Waalo et même le Jolof, soumettaient à de rudes
redevances les paysans Pulaar ou Wolofs qui cultivaient leurs champs
sur la rive droite. Les villages soninkés du Guidimakha étaient
également contraints de payer tribut à l’Emir du Tagant
(Idowish). Pour l’essentiel, les relations entre peuples riverains
du Sénégal s’établissaient, à l’époque, non pas suivant des
clivages ethniques, mais sur la base des intérêts des aristocraties
régnantes qui tissèrent par dessus les frontières entre les
royaumes, des relations de toutes natures, allant de l’alliance à
la vassalité, en passant par la guerre. De ce fait, les rapports
existant entre les émirats étaient de même nature que ceux
entretenus par ces derniers avec les royaumes africains de la vallée.
Cela résulte du stade de l’évolution sociale des peuples à
l’époque. La théorie raciste simpliste, qui ne tient pas compte
des intérêts des classes et du contexte historique, apparaît dans
toute son absurdité lorsqu’on passe en revue l’histoire des
relations si complexes entre émirats et royaumes négro-africains.
La théorie de la contradiction principale (et innée) entre Arabes
et Négro-africains est impuissante à interpréter la complexité de
ces relations, et dissimule honteusement le fait que toutes les
castes moyennes et inférieures souffraient à l’époque dans une
mesure égale du règne rapace de l’aristocratie guerrière et
foncière. La théorie raciste ne permet, en définitive, de
comprendre que l’ignorance et l’aveuglement de ses apôtres !!
Pour ce qui est des rapports culturels, dès le XVIIèS - après les
croisades almoravides - la culture arabo islamique devenait
progressivement un important facteur de rapprochement entre les
peuples riverains de la vallée. C’est d’ailleurs à partir de ce
moment et de ce lieu que des tribus de Peulhs musulmans se lanceront
à l’assaut du Fuuta Jalon (Guinée) qu’ils islamisent et où ils
installent en 1725 le premier royaume peulh musulman : l’Almamyat
du Fuuta Jalon. Quelque temps après (1774), éclata la révolution
musulmane des toorodbés qui créa le premier Almamyat du Fuuta
Tooro. L’école musulmane de Piir (au Kayoor) fut la pépinière
des principales sommités religieuses de la vallée du Sénégal. Les
familles maraboutiques apparurent chez les Soninkés dès le XIèS
(les Dramés) et jouèrent un rôle de premier plan dans la diffusion
de l’Islam et de l’Arabe dans la région du Haut Sénégal et du
Haut Niger etc. Cependant, Ce sont les Berbères qui formèrent les
premiers marabouts de toutes ces communautés. Le succès de
l’adhésion de tous ces peuples non arabes à la culture
arabo-islamique résulte donc non seulement du caractère
historiquement plus avancé de celle-ci, mais également et surtout
du fait qu’elle ne s’est jamais identifiée à la conquête et au
règne des guerriers arabes. Les marabouts berbères, Soninké,
Wolofs et Pulaar furent les principaux apôtres de cette culture,
dont ils se servirent souvent comme arme politique contre le pouvoir
des guerriers hassans et des aristocraties païennes (guerre de
Char-Boba, Révolution Torobé) et plus tard contre la pénétration
coloniale (El Hadj Oumar, Cheikh Maa El Aynin). N’est-il pas, à ce
propos, suffisamment édifiant que l’existence chez toutes nos
communautés de la caste des marabouts ? L’influence de la culture
des peuples négro-africains sur les Arabes a également été
sensible. Ceux-ci s’en inspirèrent, non seulement au plan
artistique (musique, architecture etc..), mais adoptèrent aussi
nombre des us et coutumes des Africains et même certaines de leurs
croyances ou pratiques religieuses d’origine animiste (sorcellerie
etc.). On vit également se former dans les cours émirales la caste
des griots à l’instar des royaumes soudanais. Au total, notre pays
fut le centre par excellence des rencontres de civilisations berbère,
Arabe et africaine. Cette mission particulièrement féconde a marqué
notre peuple dans toutes ses composantes nationales et a créé des
liens historiques de portée véritablement inappréciable pour leur
unité et leur cohésion. D’ailleurs, ce formidable brassage de
civilisations s’est traduit jusqu’au travers de la jonction du
sang, de l’interpénétration des communautés. Nous en trouvons
aujourd’hui des témoignages vivants de ces Wolofs ou Soninkés
Pulaarisés ; ces Pulaars et Wolofs arabisés, ces Arabes pulaarisés
ou wolofisés etc.[3]
3 - LUTTE COMMUNE CONTRE LE
COLONIALISME FRANCAIS
Les puissances
commerciales de l’Europe, la France et la Grande Bretagne, se
livrèrent durant tout le XVIIè et le XVIIIèS une lutte acharnée
pour le contrôle du trafic de la gomme et des esclaves dont le
fleuve Sénégal était l’axe vital. Mais la révolution
industrielle, puis le passage au stade impérialiste, pousseront la
bourgeoisie Française à faire de ce fleuve, dans la seconde moitié
du XIXèS, l’axe principal de la conquête coloniale impérialiste.
La France commença d’abord par avaler tout le Sénégal et s’en
servit ensuite comme d’un marchepied pour occuper toute la
Mauritanie. Les rives du Sénégal étaient en conséquence, tout le
XIXèS, le théâtre d’une lutte de résistance héroïque livrée
en commun par les peuples riverains contre l’agresseur
colonialiste. Cette résistance fut le trait marquant de l’histoire
du XIXèS chez nous, et constitue une page glorieuse que chaque
patriote se doit d’étudier. Le contexte social de l’époque fit
que la féodalité, bien que réactionnaire et divisée, était la
seule classe à même d’organiser et de diriger la résistance.
Nous illustrerons cette unité arabo-africaine qui s’y forgea à
travers ces quelques exemples pris parmi mille : Vers 1820 : les
Français imposent au Fuuta la construction du fort de Bakel. En 1819
l’Almamy réagit en appelant à la guerre contre eux. Les armées
du Fuuta, avec en tête l’Almamy Ciré, Cerno Molly et l’Elimane
Boubacar, celle du Brakna conduite par l’Emir Ahmeddou 1er, et
celle de l’Emir du Trarza, Amar Ould Moctar, marchent ensemble
contre Saint-Louis et occupent le Walo. Le Cayor se joint à elles.
1830-1836 : Alliance des Trarza de l’Emir Mohamed Lehbib et des
Wolof de Fara Pennda et de la Linngeer Jemmbot, contre les Français
et leur protégé, le Brak Kherfi Xaro Daro. Cette alliance fut
consacrée par le mariage, en 1833, entre l’Emir Mohamed Lehbib et
la Lingeer Jemmbot. 1843 : Les Français appuient un prétendant
fantoche à la succession contre l’Emir du Brakna, Moctar Sidi. Ils
enlèvent celui-ci et l’exilent au Gabon. Soulèvement
anti-Français au Fuuta comme au Brakna contre les Français et leur
protégé[4]. Plus tard, le gouvernement de la Révolution Française
de 1848, pour calmer le Fuuta, recommandera même la libération de
Moctar Sidi. Cette lutte eut pour prolongement l’incendie de Podor
(concession Française) en 1849, par les Pulaar et les Trarza. Et
1851, les Trarza, les Wolofs et les Pulaar coalisés, réussissent à
destituer l’Emir fantoche et installent au pouvoir émiral du
Brakna le neveu de Moctar Sidi, l’exilé. De 1863 à 1890 : le chef
de la résistance du Fuuta, Abdoul Bocar Kane, eut toujours à ses
côtés, des chefs Brakna tel Mohamed Ould Haiba, chef Awlad Eli,
lors de toutes ses campagnes contre les Français et leur protégé
parmi les Almamy (Lao)[5] ex : la guerre de 1863, la lutte du
télégraphe des années 1880. Poursuivi par les Français et leurs
agents arabes et Pulaar, Abdoul Bocar, vaincu, trouvera refuge vers
1890 chez l’Emir du Tagant, Bakkar Ould Souwoyd Ahmed qui
hébergeait déjà d’autres chefs de la résistance anti Française
: Ali Bouri Njaay, Bourba du Jolof, et le marabout Ahmadou Cheikhou.
Face au front uni des peuples africains, le colonialisme Français ne
réussit à vaincre que grâce à la politique de « diviser pour
régner » dont il usa avec un cynisme qui n’a d’égal que la
cupidité qui l’animait. Les Français entreprirent avec un art
consommé de voiler la contradiction principale qui les opposait au
peuple, en alimentant les contradictions internes de ceux-ci, en les
projetant au premier plan. Avec le gouverneur Faidherbe, cette
politique atteignit son raffinement extrême, au moment où il
préparait la conquête coloniale, qu’il fut le premier à
déclencher en 1855 avec l’annexion du Waalo. Dissimuler la
contradiction principale par les contradictions secondaires, permit
aux Français de s’emparer d’abord du Waalo, ensuite d’avaler
une à une les provinces du Fuuta. C’est la même démarche
machiavélique qu’il adopta vis à vis du royaume du Haut Sénégal
(Ngalam, Boundou, Logo, Khasso etc.) et plus tard vis à vis des
émirats (Trarza, Brakna, Tagant, Adrar). Soudoyant les chefs féodaux
au moyen de sa politique « des coutumes » (ou cadeaux annuels), le
colonialisme Français put utiliser les uns contre les autres :
Brakna contre Trarza, Tooro contre Dimar, Brakna contre Halaybé, Lao
contre Bosséa etc. Sans parler de ses incessantes ingérences dans
les conflits de succession : au Brakna (1841), au Fuuta (1864), au
Trarza (1871 et 1891). Tous ces conflits avaient souvent pour cause
directe sinon pour catalyseur, les intrigues de St Louis. Durant la
période concernée, comme nous l’avons signalé, la féodalité
s’est donc scindée un peu partout, suivant la contradiction
principale, en deux camps : les partisans de la collaboration avec
les Français et les partisans de la résistance. Mais ceux-ci ne
surent pas toujours placer au premier plan cette contradiction et
furent de ce fait incapables de déjouer les intrigues du
colonialisme et d’unir toutes les forces anti Françaises. Là
résulte la cause politique fondamentale de leur perte. Les Français
eurent donc beau jeu d’exploiter les rivalités mesquines et leurs
exactions contre les populations, les pillages qui exaspèrent les
masses de paysans et les éleveurs Zouwayas ou Zenagas pour isoler
les féodaux résistants et se présenter en justiciers salutaires.
Les masses populaires ont pourtant consenti tous les sacrifices,
supporté tous le poids de la lutte. Que de villages et de campements
bombardés, incendiés, pillés ou massacrés lors des innombrables
représailles Françaises[6] ! Mais la direction de la féodalité,
lors de la résistance, déçut avant de trahir en grande partie. A
partir de 1902 commencera l’occupation coloniale de la Mauritanie.
Les clivages et les luttes de la vallée au XIXèS se reproduiront au
sein de la féodalité des différents émirats. La résistance dura
plus de trente ans. Parmi les grands résistants de cette période
mentionnons : l’Emir du Trarza Ould Deyd (pendant quelques années),
l’Emir Ahmeddou II du Brakna et son fils Ould Assas, l’Emir du
Tagant Bakkar, l’Emir de l’Adrar Ould Ayda. Mais pendant de
longues années, la résistance sera surtout l’œuvre de groupes de
guérilla (« Ehelh Kedya » ) et des chefs de guerre de Cheikh Maa
El Ayniin. Le support véritable de cette lutte était les masses
populaires qui ne trouvèrent pas cependant une direction juste, et
furent trahis par une grande partie de la féodalité maraboutique
(surtout celle du Trarza), et peu après par la féodalité guerrière
récupérée par les Français. La féodalité négro-africaine,
soumise depuis 1880, servit avec celle-ci d’appui principal aux
Français lors des campagnes de Mauritanie. Ainsi naquit, dans les
ténèbres de la nuit coloniale, et pour la première fois, l’entité
politique depuis lors appelée Mauritanie.
[1] Pour consolider l’unité
nationale, il est souhaitable que parlement mette en place des outils
juridiques plus adaptés pour combattre tout propos raciste et toutes
les formes de discriminations à l’image de celle adoptée
criminalisant l’esclavage.
Marega Baba/France
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