Esclavage
en milieu soninké : Des pratiques qui ont la peau dure
NOUAKCHOTT-INFO
Dans un document qui a fait beaucoup de
remous dans le milieu soninké des intellectuels emboîtent le pas aux
parlementaires qui avaient soulevé le problème récemment à l’assemblée et
passent au peigne fin la pratique de l’esclavage au sein de cette communauté.
Ce groupe de cadres se compose de : Dr Demba Marico, maître de conférences à
l’Université de Nouakchott, Ladji Traoré, Secrétaire Général de l’APP, Dr Wolo
Coulibali, Médecin au CHN, Adama Kanouté, Infirmier d’Etat, Boully Traoré,
Moniteur de l’économie rurale, Tombo Mamadou Aly, Ingénieur de l’économie
rurale et Adama Cissokho, Maître en chimie.
Le document souligne d’emblée que l’existence de l’esclavage et des pratiques
similaires en milieu négromauritanien n’est que très peu évoquée. Le sujet est
sensible et alors presque tabou. Pourtant, ces sociétés sont extrêmement
esclavagistes et profondément stratifiées. En milieu soninké du Guidimaka, les
pratiques esclavagistes sont manifestes et se rencontrent dans le domaine
social, économique, politique, religieux et même social.
Ce document n’est pas exhaustif mais se veut une contribution à la connaissance
de l’esclavage et des pratiques esclavagistes en milieu soninké. Dans la
société soninké, les noms de famille sont un premier indicateur du statut
social. Tous les noms de famille à consonance bambara comme Traoré, Diarra,
Coulibaly, etc. sont assimilés à des esclaves ou des descendants d’esclaves,
même si nombre de familles n’ont jamais connu la servitude.
Par ailleurs, si aucun maître n’ose faire travailler son esclave sans son
consentement au Fouta, ce dernier reste encore soumis, chez les Soninké, au
service de son maître. A Agoueïnit, par exemple, un maître continue à faire
travailler ses esclaves notamment dans les travaux agricoles en période
d’hivernage jusqu’à la fin des années 90. Ces esclaves aujourd’hui libres,
continuent pour certains d’entre eux à cultiver pour leurs anciens maîtres.
Ainsi, le type de relation qui se rétablit entre maître et esclave est
profondément enraciné et, très souvent, les personnes tenues en esclavage dans
le passé et leurs descendants continuent à être victimes de discrimination dans
tous les cas, l’esclave ou son descendant continue à vivre dans la marginalité
sociale et politique. Il y a une véritable discrimination fondée sur le statut
social.
Au niveau social, ils ne sont jamais associés aux décisions du village et se
contentent plutôt de les exécuter. Au niveau politique, les dernières élections
municipales et législatives ont mis à nu le système social au Guidimakha. Le
pouvoir politique se confond avec la chefferie traditionnelle. Ne peuvent être
maires ou députés que les candidats issus de familles régnantes. Les
descendants d’esclaves et les artisans sont exclus du jeu politique.
Cette logique a engendré des situations conflictuelles dans plusieurs localités
notamment à Sélibaby, Bouanze, Boully et Diadié Biné où des descendants
d’esclaves et des artisans ont brigué les différents postes électifs. Le
pouvoir politique, en l’occurrence celui de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, qui a
toujours nié l’existence de l’esclavage, s’est fortement appuyé sur cette
hiérarchie sociale esclavagiste pour promouvoir les cadres de la société
soninké.
Au niveau religieux, un descendant d’esclave ou un artisan ne peut prétendre
être imam ou simplement diriger une prière même s’il est un érudit. Par contre,
un descendant de marabout même s’il est analphabète a le droit de diriger la
prière. La ségrégation dans l’ espace villageois est flagrante. L’un des
goulots d’étranglement en milieu soninké est l’existence dans tous les villages
de quartiers pour nobles (au centre du village) et de quartiers pour esclaves
(à la périphérie), de mosquées pour nobles et de mosquées pour esclaves et
jusqu’à très récemment de cimetières pour nobles et cimetières pour esclaves.
Comme on le voit, cette organisation spatiale des villages soninké perpétue les
pratiques esclavagistes et permet le maintien de la structure sociale dans son
état. Néanmoins, dans les nouveaux quartiers, cette organisation spatiale
n’apparaît pas. En conclusion, les auteurs du document notent sans détour que
la société soninké est sans doute la plus esclavagiste de Mauritanie. De ce
fait, ils font des propositions en vue de l’éradication de l’esclavage et des
pratiques esclavagistes. Pour eux, il faut d’abord lever les obstacles
juridiques et religieux en ce sens que les ulémas soninkés maintiennent la confusion.
Dans le domaine politique, l’Etat doit donner le bon exemple en posant les
jalons de l’égalité de tous les citoyens devant la loi comme promulguée dans la
constitution. Il doit promouvoir les cadres en fonction de leurs compétences à
défaut d’une discrimination positive comme suggérée par certains.
Au plan économique, les mesures suivantes sont indispensables à savoir des
allocations financières pour les anciens esclaves, des activités génératrices
de revenus, des sessions de formation à des métiers valorisants et des terres
de culture pour les anciens esclaves. Au niveau spatial, la ségrégation a la
peau dure note le document. Malheureusement, tant qu’il y aura des quartiers,
des mosquées et des cimetières séparés, les pratiques esclavagistes vont perdurer
en milieu soninké. L’Etat se doit dans le cadre de la décentralisation, de la
modernisation de l’administration et de l’aménagement du territoire de trouver
la solution la plus adéquate.
Par exemple, attribuer des noms aux différents quartiers qui ne font pas
référence au statut de ceux qui les habitent. Enfin, la sensibilisation s’avère
nécessaire car elle demeure la cheville ouvrière de ce travail d’éradication.
Elle est la responsabilité de tous : Etat, partis politiques, société civile,
leaders locaux, ulémas, etc. car une loi fut-elle pertinente n’a de valeur que
si elle est vulgarisée et connue de tous, conclut le document.
Bakari Guèye
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