ARTICLE 497 :
Si certaines pratiques du FLAM étaient nuisibles à la lutte ?
J’ai longtemps hésité à écrire cet article pour éviter une polémique stérile. Mon but n’est pas de susciter une confrontation vaine mais d’être constructif. J’ai donc pensé prendre ma responsabilité. Depuis un certain nombre d’années, j’observe un phénomène curieux qui est que le FLAM (ou en tout cas certains de ses membres) combat des Noirs qui luttent et qui ne partagent pas toutes ses valeurs ou qu’il ne maintient pas sous sa coupe. Je dis souvent à des amis mauritaniens qu’ils font le travail du pouvoir à sa place. Certaines pratiques du mouvement ont participé à diviser, exclure, freiner l’efficacité de la lutte. Pourquoi le fait d’être noir impliquerait nécessairement un alignement sur la ligne politique du FLAM ? Ensuite, quel est l’intérêt qu’a le FLAM à s’en prendre à ses propres frères militants qui ne le combattent pas mais dont le seul tort est d’avoir une autonomie de pensée. Je pense qu’une société est riche de sa diversité, il en est de même pour des mouvements de lutte. Une pensée uniforme est toujours dangereuse et est signe de médiocrité collective. On peut ne pas être d’accord sur tout mais accepter que l’on partage certaines idées. A mon avis, le champ mauritanien se caractérise par sa banalité et son ignorance. Ainsi, ce sont surtout les sentiments qui prennent le dessus sur la rigueur intellectuelle. Cela se traduit au quotidien par le fait que chacun peut prétendre à tout quel que soit son niveau. La parole, le m’as-tu-vu prennent une place importante sans que des actes ne suivent. Aussi, le fonctionnement en groupe où l’individualité a très peu de place pose un réel problème. Il est difficile de faire avancer une société où l’individualité créatrice est étouffée : être différent est très mal compris dans le milieu mauritanien. Or, toutes les sociétés ont progressé grâce au courage et au génie de certaines personnes et l’acceptation de la différence. L’idée n’est acceptée dans cet environnement que lorsqu’elle émane de certaines personnes ou est l’objet de consensus souvent affectif et non critique. Le FLAM est le reflet de la société mauritanienne et particulièrement haalpulaar actuelle. La singularité y est mal perçue. On avance en troupeau. La rumeur, les idées préconçues, les jugements hâtifs de chaque individu se répandent vite et figent l’identité de la personne qui en est la victime. On n’a pas encore intégré que l’être, l’autre est une énigme. L’esprit d’Emmanuel Levinas[1] n’a pas encore gagné du terrain dans ce milieu. On n’a guère assimilé que « rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par une énigme. » Ainsi, les âmes singulières sont considérées comme des marginaux. Je pense qu’il est de l’intérêt d’un peuple d’avoir des pensées différentes. Le FLAM doit intégrer que ceux qui ne sont pas de sa ligne politique ne sont pas nécessairement ses ennemis et qu’au contraire ils partagent certaines idées avec certains d’entre eux. D’autre part, son ennemi ne doit pas être un militant harratine ou négro-mauritanien ou même maure progressiste mais le système politique mauritanien. Il a plus intérêt à rassembler qu’à dépenser son énergie à diviser, à écraser des individus. A mon avis, leur attitude dénote d’une faiblesse, car il est plus facile de chercher à abattre un militant, de s'acharner contre un acteur politique harratine ou négro-mauritanien que de lutter contre les pratiques du Général Aziz. Il est plus facile de trouver jouissance dans des attaques personnelles que de faire tomber la tour du Général. Il aussi plus aisé de diriger son énergie contre des personnes que des créer un mouvement ayant une véritable assise populaire capable de faire front aux pratiques du système. Un jour, j’ai entendu dire, de la part de Halpulaar, se prétendant militants, parlant de Birame, «Nous ne voulons pas d’un Harratine comme dirigeant ! ». Il s’agit là d’une bêtise. Un ami poète camerounais dit que les Africains sont dans une logique d’échec collectif. On ne doit pas combattre des gens qui font des choses, qui réussissent à poser des actes mais les soutenir. Malheureusement, de nombreux militants noirs croient exister dans l’abattage de l’autre. Il suffit de lire ce que les uns écrivent sur les autres pour voir la teneur de la violence des relations. Je crois qu’il est temps que l’on sache qui est vraiment l’ennemi du peuple. L’ennemi du peuple n’est pas les Harratine ou des Négro-mauritaniens indépendants d’esprit, des Maures victimes, mais un système politique. Une autre question mérite que l’on y prête attention. Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes ne veulent pas qu’il ait un rapprochement entre la lutte harratine, des dominés d’une manière générale, et la lutte négro-mauritanienne. Luttent-ils pour la justice ou pour autre chose ? A force de réfléchir, il me semble que la lutte négro-mauritanienne est une lutte pour l’accès au pouvoir et non un combat pour les droit civiques. Ce qui explique que les mouvements négro-mauritaniens n’aient jamais condamné avec véhémence l’esclavage. En fait, cette lutte est fortement marquée par la féodalité négro-mauritanienne. Les Négro-mauritaniens appartiennent à une société féodale. Ils veulent le pouvoir comme les Maures mais se soucient peu de l’égalité des citoyens. En réalité, la lutte négro-mauritanienne cible le racisme d'État. Les questions relatives à l’égalité des citoyens ne l’intéressent guère. Les sociétés négro-mauritaniennes sont inégalitaires, divisées en castes. La féodalité maure et négro-mauritanienne tient les rênes du pouvoir en Mauritanie. Ceux issus des basses couches en sont marginalisés. On peut donc comprendre que la question de l’égalité des citoyens ne soit pas prise en charge dans la lutte négro-mauritanienne. Il est peut-être temps de changer de registre, de saisir que la lutte doit être celle des droits civiques et de l’égalité des citoyens. Tant que l’on n’aura pas compris cette dimension de la question, les problèmes vont continuer à se poser. C’est une illusion que de fermer les yeux sur une réalité. La Mauritanie est un pays où la notion de l’égalité n’est pas intégrée. La lutte des Noirs, comme celle des Maures dominés, doit être celle de l’égalité et non de la défense de communauté inégalitaire. Le changement en Mauritanie ne peut se faire sans tenir compte des effets dévastateurs que l’esprit féodal fait peser sur le fonctionnement de l’Etat. « Au sein des sociétés maure, négro-africaine et harratine les êtres humains ne sont pas égaux. Et entre ces communautés, il existe une hiérarchisation dans le rapport au pouvoir. Les féodaux maures sont les premiers bénéficiaires du système, suivent les féodaux négro-mauritaniens et en bas de l’échelle les Harratine. En ce qui concerne cette hiérarchie, Maures et Négro-mauritaniens sont d’accord. Chez les Maures et les Négro-africains, la société repose sur des castes. Les deux féodalités se sont souvent alliées pour profiter du pouvoir. On voit donc aisément comment la féodalité négro-africaine a été complice de la domination des Maures. Un exemple : Pendant les événements de 1989. Pour être prudent, dans certains villages, pour ne pas dire dans de nombreux villages, le tri des déportés s’est fait en fonction de l’appartenance à des castes. Certains féodaux ont fait croire aux Maures qui déportaient que certains Négro-mauritaniens étaient des Sénégalais. De nombreuses personnes issues de la féodalité négro-mauritanienne se sont alliées avec Mawiya Ould Sid Ahmed Taya entrainant avec elles leurs vassaux. Ce sont aussi celles issues des classes supérieures négro-africaines qui se sont présentées comme candidats aux élections. Je peux multiplier les exemples. Un autre exemple me parait intéressant. Les luttes féodales traversent les mouvements politiques négro-mauritaniens. J’ai mis du temps pour le comprendre. Mais certains comportements qui ont empêché de faire progresser la lutte à Paris sont dus à la gestion féodale de ces mouvements. L’impact de l’esprit féodal sur le sort des Harratine est évident. Ce n’est pas pour rien que la question harratine n’a pas été prise en compte par les Négro-africains. Les sociétés négro-africaines sont elles-mêmes divisées en castes et les êtres ne sont pas reconnus comme égaux. Le statut d’esclave n’est pas une chose outrageante. On connaît même le mépris des Négro-africains à l’égard des Harratine. On peut donc comprendre pourquoi les Harratine n’ont pas bénéficié du soutien des Négro-mauritaniens. La féodalité doit être combattue pour plusieurs raisons : En Mauritanie, c’est elle qui a le pouvoir. Ce n’est pas le mérite de l’individu qui compte mais ses origines. Ainsi, c’est la féodalité qui est à la tête de l’Etat. L’esprit féodal est partagé par tous les esprits y compris ceux des dominés, ce qui empêche l’émergence d’une lutte pour une véritable démocratie en Mauritanie. Si l’esclavage se perpétue aujourd’hui en Mauritanie, c’est parce que l’esprit féodal anesthésie les dominés. »[2] Aujourd’hui, nous devons chercher à nous rassembler autour de valeurs, unifier des forces pour créer un Etat véritablement démocratique. Oumar Diagne Écrivain
[1] Philosophe français [2] Oumar Diagne, Et si la lutte contre la féodalité pouvait rassembler ?
Mauritanie, la démocratie est-elle compatible avec une société dominée par l’affect et un esprit féodal. ?
Parmi toutes les définitions de la démocratie, je retiendrai celle-ci car elle me permet de mieux illustrer ma pensée : « La démocratie est le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans qu'il y ait de distinctions dues la naissance, la richesse, la compétence... (principe d'égalité). En règle générale, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s'exerçant par l'intermédiaire de représentants désignés lors d'élections au suffrage universel. Il existe deux types de démocratie : la démocratie directe qui est un régime dans lequel le peuple adopte lui-même les lois et décisions importantes et choisit lui-même les agents d'exécution, et la démocratie indirecte qui est un régime dans lequel le rôle du peuple se borne à élire des représentants. Le terme démocratie désigne un corpus de principes philosophiques et politiques suivant lequel un groupe social donné organise son fonctionnement par des règles : élaborées, décidées, mises en application et surveillées par l'ensemble des membres de ce groupe, a priori sans privilèges ni exclusion ».1 Après des années de militantisme, je n’arrivais pas à comprendre le mode de fonctionnement des organisations mauritaniennes, ce qui les animait. J’avais le sentiment d’avoir en face de moi des forces obscures que je n’arrivais pas à pénétrer. Cela m’a valu des moments de découragement et d’intenses douleurs. Il n’y a pas plus insupportable que d’être en face de l’inexplicable quand on cherche à comprendre. Un exemple concret pour que l’on puisse mieux saisir ce que je voudrais exprimer. Au sein des mouvements mauritaniens, j’ai été frappé par l’esprit d’autodestruction. Souvent, je disais aux militants que Muawiya n’avait pas besoin d’agir pour contrecarrer leurs actions car ils le faisaient à sa place. Une autre chose m’a toujours intrigué. Dans les mouvements mauritaniens, ce n’est pas la pensée, l’action et l’efficacité qui comptent. Avec le temps et les rencontres, j’ai compris que derrière tout cela, il y avait la prégnance de l’affectif, l’ignorance, le féodalisme. A l’origine de la démocratie, il y a la raison. L’Egypte ancienne, puis la Grèce ont compris l’importance de la pensée dans le bon fonctionnement de la cité. En Grèce antique, « nous sommes au pays de la raison, du logos, mot qui signifie à la fois discours et raison »2. « Castoriadis analyse dans ses séminaires les conditions qui rendent possible la démocratie dans le cadre de la Grèce antique. Les Grecs sont les premiers à faire l'expérience du « non-sens ». Parce qu'ils ne croient pas vraiment à l'immortalité de l'âme, parce qu'ils pensent que même les dieux sont soumis à des lois plus hautes, se manifestent alors la décision et la volonté d'affronter l'abîme. Dans un monde où rien n'est assuré d'avance, il y a à faire, à penser et à dire, c'est-à-dire aussi bien à philosopher qu'à créer ses propres lois (la naissance de la philosophie et de la démocratie ont les mêmes racines selon Castoriadis) C'est parce qu'ils perçoivent le monde comme chaos que les Grecs édifient la Raison. » 3 En Mauritanie, l’affect occupe de plus en plus de place. Il ne s’agit pas d’une tradition africaine mais le résultat de la déstructuration des sociétés. Les sociétés africaines ont connu la démocratie bien avant la pénétration coloniale. En de nombreux lieux, la cité était gérée par le consensus et la raison. Nous rappelons que la démocratie a vu le jour en Afrique. Je ne reviendrais pas sur le débat sur le fait de savoir si ce qui se passait en Afrique était une démocratie ou pas. Je renvoie aux différents travaux qui existent déjà sur ce sujet. Et pour les esprits paresseux qui utilisent le Net, ils peuvent lire l’article relatif à l’Afrocentrisme sur Wikipédia que je trouve assez objectif. Ce qui s’est passé est une rupture d’historicité du fait des invasions successives sur le continent qui a fait que l’Africain n’est plus guidé par un sens que lui-même a élaboré. Dans ces conditions, un chaos s’est installé. Ce chaos est à l’origine de la confusion qui règne. Dans des phases de confusions et de manque de repères où la raison flache, les sentiments prennent souvent le dessus. Même dans les démocraties occidentales, ce phénomène se constate. Les mouvements d’extrêmes et populistes européens en sont le parfait exemple. Ainsi le champ social et politique mauritanien est plus dominé par l’affect, le relationnel que la raison, la loi, le mérite, le savoir et la compétence. Chacun peut prétendre à tout s’il a des connexions, faire de la politique sans avoir la moindre connaissance du fondement de l’Etat puisque ce sont l’affect et le relationnel qui dominent. Un Etat qui ne privilégie pas la rationalité et le mérite est voué à l’échec. On peut ainsi comprendre pourquoi le féodalisme empoisonne la sphère politique mauritanienne. En fait ce n’est pas la raison qui est la base du fondement de l’Etat mauritanien mais le relationnel. Or en Mauritanie, on sait que la société est structurée sur la base d’un système de castes. Ce système va influer sur la sphère politique. La réalité est que la Mauritanie est une République aristocratique. Le problème de ce pays dépasse l’opposition Noirs/ Arabo-berbères. Dans la gestion du pays, les deux féodalités s’allient. Montesquieu distinguait au sien de la République, deux systèmes de gouvernement, le régime démocratique et le régime aristocratique : lorsque, dans la République, le peuple en corps a la souveraine puissance, c’est la démocratie.4 En Mauritanie, du fait du système de castes, le peuple n’est pas « en corps ». Il y a les privilégiés héréditaires et les inférieurs héréditaires. L’esclavage était la limite de la démocratie grecque. « La démocratie se limitait seulement aux citoyens, en étaient exclus les étrangers, les femmes, les enfants et les esclaves. L’esclavage a joué un rôle essentiel dans l'épanouissement de la démocratie grecque. L'esclavage est une limite de la démocratie et nul ne semble jamais avoir eu l'idée de l'abolir. La plupart des Athéniens possédaient au moins un esclave, ce qui rendait leur participation politique plus facile mais il n'est pas possible de dire si c'était une condition nécessaire à l'établissement de la démocratie.5 La situation de la Mauritanie, à certains égards, est assimilable à celle de la Grèce antique par son mode de fonctionnement, car les esclavages et les castés sont exclus du système, non pas de manière légale, mais dans les faits. En effet, le système politique mauritanien fonctionne sur la base d’un féodalisme. On ne peut donc pas parler d’une vraie démocratie en Mauritanie. Hannah Arendt, dans son texte intitulé «Qu’est-ce que la politique ? », formule cette remarque édifiante : « Il est extrêmement difficile de prendre conscience qu’il existe un domaine où nous devons être libres, c'est-à-dire où nous ne nous sentions ni livrés à nos impulsions ni dépendants de quoi que ce soit de matériel. Il n’y a de liberté que dans l’espace intermédiaire propre à la politique. Pour échapper à cette liberté, nous nous précipitons dans la ‘‘nécessité’’ historique, ce qui est une absurdité épouvantable. » Il y a des individus en Mauritanie qui ne sont pas libres. Or, toute vraie démocratie fonctionne sur la base de l’égalité et de la liberté des citoyens. Les citoyens en Mauritanie ne sont pas égaux et certains d’entre-deux ne sont pas libres. L’esclavage persiste et le sytème des castes influence le champ politique. Il ne peut donc pas y avoir de réelle démocratie en Mauritanie J’ai mis du temps, par naïveté, à comprendre que même les mouvements d’opposition sont traversés par le sytème des castes qui domine la mentalité mauritanienne. Les lettrés comme les militants le reproduisent. Les mauritaniens souffrent beaucoup de leur ignorance. Il ne suffit pas d’aller à l’école pour ne pas être ignorant. Une bonne éducation est celle qui élève. On peut avoir un doctorat et être ignorant. Les Mauritaniens ont besoin d’une bonne éducation. On sait qu’il y a une corrélation entre bonne éducation et démocratie. « Car on crée en connaissant réflexivement ce qui nous détermine ou nous influence, me semble-t-il. »6 « La démocratie étant un système politique exigeant, la marche d’un monde souvent chaotique, le progrès pour être géré et digéré sans désarroi réclame des citoyens plus d’éducation, plus de maîtrise de leurs passions, plus de connaissances générales qu’un autre système puisque ces citoyens sont amenés à participer concrètement à l’évolution du pays. Ils sont à la base de décisions importantes et vous avez vous-même parlé d’utopie démocratique pour souligner à quel point la confiance en un homme éduqué était centrale. Or on a vu que la maîtrise des progrès techniques demande de la part des gens une réflexion plus nourrie, une culture plus solide. C’est le rôle de l’école d’assurer cette culture de base à tous les enfants. »7 Oumar Diagne Ecrivain Le 18 /12/ 2011
1 Sources : Livre d'option science politique ; http://www.toupie.org/Dictionnaire/Democratie.htm 2 La démocratie athénienne Miroir de la nôtre par Jacques Dufresne Bibliothèque de L'Agora, 1994 Hannah Arendt Qu'est-ce que la politique ? Poche, Hannah, p. 42-43) 3 (Castoriadis) http://sos.philosophie.free.fr/castoria.php 4 Sources : Livre d'option science politique ; http://www.toupie.org/Dictionnaire/Democratie.htm 5 La Grèce antique in http://membres.multimania.fr/jeanmoa/web/grece.htm. Qu’est-ce que la politique ? 6 A propos de Carl Schmitt et de Hannah Arendt. / Samedi, 12 avril 2003 Zarifian, Philippe in http://multitudes.samizdat.net / Qu’est-ce que la politique ? 7
Pascal
Couchepin. Je crois à l’action politique. Entretiens avec Jean
Romain
La lutte n’est pas un folklore
Nous avons là une occasion inouïe où l’unité doit prévaloir sur toute autre considération. Mais les frustrations commencent déjà à se faire sentir. Hier à la manifestation du 02.10.2011, nous avons entendu plusieurs voix qui se sont exprimées en ce sens. Il ne faut pas que les causes qui ont toujours fait échouer les mouvements mauritaniens prennent le dessus cette fois-ci. Sur ce recensement, il y a un consensus, entre noirs et démocrates, qui se dégage. En plus, nous avons le soutien de nos frères Harratine, tout au moins certains d’entre eux. Il ne faut pas que les mauvais génies qui traversent l’action politique noire enterrent une des plus belles occasions que nous avons pour faire preuve de maturité. Il est absolument, pour cela, nécessaire d’éviter toute récupération. Ce mouvement est celui de tous, au-delà des appartenances idéologiques. Notre espoir porte surtout sur les jeunes. Malheureusement, dans leur grande majorité, ils sont mal formés. Mais rien n’est jamais perdu. En tout cas, le conseil que nous leur donnons est qu’ils n’entrent pas dans les manipulations qui ont toujours fait échouer nos actions. La vieille génération, dans sa majorité, est ancrée dans idéologie, un égotisme et un féodalisme ruinant. Une lutte demande une grande intelligence, des stratégies. Elle est le contraire du voyeurisme, du moi-moi. On ne peut pas mener une lutte efficace sans un esprit de perspicacité. Il suffit de relire l’histoire pour comprendre comment les grandes causes ont gagné. Il faut donc s’éloigner de tout esprit de démonstration et de médiocrité. Nous avons été frappés par l’esprit qui a prédominé, hier, lors de la manifestation de Paris. Il est temps que le sérieux reprenne le dessus. On pense souvent au nombre mais pas souvent à la qualité. Nous avons toujours défendu que la qualité était essentielle, même si le nombre est significatif. Mais un nombre sans qualité n’a aucune chance d’aboutir. Il y a souvent, à travers les mouvements, des personnes qui ont envie d’exister qui, par leur verbe ou par leur félonie, arrivent à s’imposer mais le résultat, on l’a vu : il n’y pas grand chose qui a été réalisé par eux. Leur spécialité est la récupération des frustrations sans savoir-faire des autres. Nous savons aussi qu’il y a des personnes vertueuses et réfléchies, dépitées qui, dans l’ombre, font un excellent travail. Arrêtons donc le folklore et mettons la réflexion et la rigueur au centre de nos actions pour faire avancer les choses. Ce ne sont pas les manifestations de Paris, de Washington ou autres qui vont changer les choses. Sans nier leur importance, elles ne peuvent venir qu’en renfort à une action intérieure. La Diaspora a un rôle fondamental à jouer mais, elle ne peut que venir en appui à un mouvement intérieur. Aussi, si la Diaspora veut apporter quelque chose, elle doit sortir de ses clivages, de ses mensonges des uns sur les autres, de sa lâcheté, de son féodalisme. A Paris, les Mauritaniens noirs sont souvent plus féodaux que les gens de l’intérieur. Il ne faut pas se tromper, le fait de séjourner dans les pays démocratiques ou la possession d’un diplôme ne fait pas du Mauritanien un démocrate. D’un point de vue sociologique, cela s’explique. Le Mauritanien est issu d’une société féodale. Face à une société dans laquelle, on n’a pas sa place, on tente souvent de se raccrocher à des anciennes valeurs dépassées pour se sentir exister. D’autre part, les diplômés profitent de leur statut pour berner une société ignorante. En tout cas, rien ne doit compter en dehors de la cause défendue. Les personnes sincères et réfléchies arrivent toujours à comprendre que ce n’est pas leur personne qui compte mais la cause de leur combat. Il y a des individus, à Paris, sous la nuit des sorciers, qui tentent déjà d’exclure certains groupes ou personnes car ne les contrôlant pas, au nom de leur prétention de détenir la vérité. Cela montre que ce n’est pas la cause qui compte pour elles mais leur ego. La plupart des militants à Paris savent quelles sont les personnes à l’origine des divisions mais on continue à les suivre. Quel dommage ! Elle sait aussi qui travaille pour son nombril et qui travaille pour les idéaux. Aussi la différence d’idéaux n’empêche pas pour des gens honnêtes de travailler sur des causes justes. Il est temps que les Mauritaniens apprennent la rigueur, qu’ils sortent de leur médiocrité. Quand nous le disons nous parlons de tous les Mauritaniens. Ce qui caractérise les Mauritaniens est leur ignorance et leur manque d’ancrage aux valeurs démocratiques. Plus on est ignorant, plus on pense que l’on sait quelque chose. Le grand Socrate a fini un jour par dire tout ce que je sais est que je ne sais rien. Nous attendons des Socrate Mauritaniens. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, le pays continuera à sombrer dans le chaos. La Mauritanie ne s’en sortira que par une bonne éducation où les droits de l’Homme seront enseignés dès le primaire. Une Mauritanie viable ne sera construite que sur la base de valeurs justes. Il ne faut pas croire que les Noirs sont justes. Les Maures dominent, aujourd’hui le pays, mais ni les Négro-mauritaniens, ni les Harratine, ne sont dans leur majorité, des êtres qui tendent vers la justice. Une société ne fonctionne bien que, lorsqu’en son sein, il y a des Femmes et des Hommes qui sont attachés à la justice. Le temps du réveil a sonné. La Mauritanie plongera dans le chaos ou se relèvera. Pour qu’elle se relève, il faut des Femmes et Hommes de toutes ses communautés attachés à la justice. Si on continue dans la logique actuelle, on plongera dans un conflit ethnique. A supposer qu’un jour, un Négro-africain ou un Harratine arrive au pouvoir, les problèmes ne seront pas résolus pour autant. Très peu de personnes parlent de la condition des femmes en Mauritanie, des castes, etc. Cela montre que le Mauritanien est ancré dans un esprit d’injustice. Le consensus global, en Mauritanie, est celui d’un esprit féodal et de privilégiés, en général alphabétisés ou appartenant aux castes supérieures ou les deux à la fois. Il faut noter que chez les Maures, il y a des castes, il y a des privilégiés et des non privilégiés, mais les manipulateurs arrivent à construire des blocs fondés d’ailleurs sur l’inessentiel. L’essentiel étant la justice, l’égalité, le développement pour tous. Chez les Négro-mauritaniens, il y a des castes à tel point que dans les villages, il n y a que certaines personnes qui peuvent prétendre à des fonctions électives. Chez les Harratine, les choses ne sont pas si homogènes qu’on ne le croit. Il y a des harratine esclaves de harratine. Il est temps de sortir de l’hypocrisie pour construire une Mauritanie. Notre problème est celui d’une élite trans-ethnique. J’ai déjà défini ce que j’appelle une élite qui n’est pas une question de diplôme. Oumar Diagne Ecrivain
Où sont les frères arabo-berbères ?
Où sont les Omar Ould Dedde, les Beddy Ould Ibnou, les Ould Yessa, etc.? C’est avec consternation que nous constatons l’attitude des militants arabo-berbères à Paris. A différentes occasions, ils se sont mobilisés aux côtés des Noirs de Mauritanie pour défendre la démocratie, les droits de l’Homme ou des maures victimes d’injustice. Comment expliquer leur absence face à la question d’un recensement qui vise à exclure les Négro-mauritaniens ? Ce constat est, à nos yeux, grave. Il nous donne le sentiment qu’il n’y a pas une réelle volonté de la part de nos compatriotes arabo-berbères de défendre la Justice pour tous. C’est comme si, pour eux, la notion de justice ne s’appliquait point aux Négro- mauritaniens et aux Harratine. Aujourd’hui, nous avons la preuve de l'inexistence d’une conscience trans-ethnique, du mépris du Maure à l’égard du Noir, de la lâcheté des lettrés mauritaniens, particulièrement, dans ce cas, des lettrés maures. Il s’agit d’un vrai sujet sur lequel, il faudrait se pencher. Nous avons la confirmation que le Mauritanien, d’une manière générale, n’a pas intégré la notion de justice et d’égalité des Hommes. Nous pensons que l’on ne peut guère envisager de construire ainsi une Mauritanie d’avenir. Dans nos articles précédents, nous avons souvent parlé de l’absence d’une élite en Mauritanie. En ce qui concerne, les Arabo- berbères, nous croyons qu’il y a un consensus, au moins inconscient, qui vise à réduire le Noir à moins que rien. Cette attitude n’encourage pas à dépasser les frontières des appartenances. Les nations démocratiques se sont construites grâce à l’adhésion des individus à des valeurs au-delà de leur particularisme. Il est peut-être temps que Maures et Noirs, dépassent leur cadre étroit pour combattre toute forme d’injustice. C’est la condition pour la construction d’une Mauritanie moderne, démocratique et égalitaire. Si l’on continue la politique actuelle, il surgira, un jour ou l’autre, un conflit ethnique qui risque d’être sanglant. Le ras de bol commence à se faire sentir dans la communauté noire. Les extrêmes et la haine s’expriment de plus en plus. Il est temps d’agir avant que le chaos n’émerge. La politique d’exclusion des Noirs depuis 1960 et avant pèse sur les consciences noires et répand des aigreurs. Les manifestations actuelles en Mauritanie témoignent de l'agacement des Négro-mauritaniens. Ils marquent aussi un progrès : les dominés commencent à se prendre en charge au risque de leur vie. Cela est important car aucun peuple ne peut se libérer que par lui-même. Il faudra surtout éviter la récupération politique. Car certains mouvements, se réclamant détenteurs de la seule vérité, ont toujours empêché l’unité. Ce mouvement naissant doit se perpétuer. Il est impératif qu’il s’organise, organise les masses et s’inscrive dans la durée pour faire pression sur le pouvoir. Il serait illusoire qu'il se contente de petites concessions. Il est nécessaire qu'il se poursuive jusqu'à ce que la question noire soit définitivement réglée, car il est certain que l’objectif des Maures est de maintenir leur domination. La seule façon d’y mettre fin, c’est la lutte permanente. Aucun dominant ne lâche prise par conscience. Il y est contraint par un rapport de force. Le pouvoir maure est déterminé à arriver à ses fins. Il faut comprendre qu’il ne les atteindrait que grâce à la lâcheté des Noirs. Le mouvement « Ne touche pas à ma nationalité" doit impérativement aller le plus loin possible. Il doit être fédérateur, en dehors de toute idéologie. Il doit avoir comme ciment la reconnaissance des droits des Noirs. Il faudra aussi qu’il évite d’être exclusif, tout en bannissant la récupération. Il est utile aussi qu’il entre en contact avec la diaspora qui lutte. La cause harratine et toute autre cause injuste doit concerner les Négro-mauritaniens. Les Harratine sont des victimes comme eux. Une certaine maturité est indispensable, et il devra accepter le soutien de Harratine sincères. L’une des grandes erreurs des Négro-mauritaniens est de ne pas avoir soutenu la cause harratine. Cela s’explique par l’esprit féodal qui traverse la société négro-mauritanienne. On peut comprendre qu’un mouvement soit spécialisé mais il doit s’ouvrir à d’autres personnes victimes d’injustice. En fin, il faudra veiller à la corruption du mouvement ou des leaders. Nous devons prendre comme exemple Aimé Césaire qui était un « brasseur de souffrances et prenait sur lui tout ce sang, il s'affirme fondamentalement solidaire de tous les peuples piétinés " Il disait, « moi je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions niées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties ". Autant de paroles qui se conjuguent avec l’ébranlement d'un vaste mouvement émancipateur des peuples humiliés à la recherche d'un nom pour leur patrie comme le prophétisait son contemporain Jean Amrouche. »1 Ces remarquables mots de ce grand Nègre sont touchants et édifiants: « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir […] il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé en qui je ne sois assassiné et humilié. » Une grande lucidité et un courage s’imposent aux Noirs afin qu’ils trouvent leur place et leur dignité en Mauritanie. Il est indispensable d’éviter une politisation idéologique et sectaire du mouvement car sur le long terme, il le rendrait stérile. Ce qui doit rassembler c’est la lutte contre les injustices.
Je laisse, ceux qui prendront le temps de lire ce texte, méditer sur les paroles de ce géant noir qu’est Martin Luther King : « J'ai un rêve qu'un jour, sur les collines de terre rouge de la Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité. J'ai un rêve qu'un jour même l'Etat de Mississippi, un désert étouffant d'injustice et d'oppression, sera transformé en un oasis de liberté et de justice. » La lutte doit continuer sans mépris de l’autre, animée par un esprit de justice et dans l’unité.1 A.K, Ainsi parlait Césaire, in http://wwwjohablogspotcom kaouah.blogspot.com/2011/04/ainsi-parlait-cesaire.html. IOumar
Diagne
A quand la révolution en Mauritanie ?
Les événements qui secouent le monde arabe doivent nous amener à nous interroger sur ce qui pourrait se passer en Mauritanie. Certes, depuis août 2005 et la chute du dictateur Sidi Mohamed Ould Ahmed Taya, qui a régné vingt et un an, on ne peut comparer la situation de la Mauritanie à celle de la Tunisie de Ben Ali ou de l’Egypte de Hosni Moubarak et d’autres pays arabes où des dictateurs régnaient depuis de longues années. En Mars 2007, « des manifestants du mouvement libéral égyptien Kifaya se sont rassemblés dans un square du centre du Caire pour demander que Hosni Moubarak, le Président de la Grande République Egyptienne, messager de l’Arabisme et de la Révolution, rende son régime plus ressemblant à celui de la Mauritanie, un pays dont probablement beaucoup d’Egyptiens ne savent même pas qu’il fait partie de la Ligue Arabe. »1 En effet, en 2007, à travers le monde, la Mauritanie, dirigée par Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, était citée comme un exemple de démocratie dans la galaxie africaine et arabe, même si cette démocratie avait de nombreuses limites pour ceux qui l’observaient de l’intérieur avec une certaine distance. Le coup d’Etat mené par le Général Mohamed Ould Abdel Aziz, le 06 août 2008, a semé le doute dans les esprits. Il a montré la limite de la démocratie mauritanienne et le peu de respect qu’accordent les militaires du pays à la légalité. Dans la nuit du 15 au 16 avril, le chef des putschistes, le Général Ould Abdelaziz démissionnait de l’armée et de son poste de Président du Haut Conseil d’État (HCE), composé de onze membres qu’il avait mis sur pied après avoir chassé du pouvoir Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Ce qui a motivé ce départ était de répondre aux conditions exigées pour se présenter à la présidentielle du 6 juin 2009, les militaires ne pouvant, en Mauritanie, concourir au titre de Chef d’Etat. Etrangement, rares sont ceux, les membres de l’opposition mauritanienne compris, qui ont suffisamment souligné que sa démission ne suffisait pas à rendre sa candidature légale car la Mauritanie a signé et ratifié la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui, dans son article 25 aliéna 4, stipule : « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat. » En l’absence d’une opposition forte, le Général a fini par être candidat et a été élu comme Chef d’Etat et donc Président de la République aux termes de l’article 23 de la Constitution mauritanienne qui affirme que le Président de la République est le Chef de l’Etat. Ce qui fait différence entre ce qui s’est passé en Tunisie, en Egypte d’une part et la Mauritanie d’autre part, est que, dans les deux premiers pays, c’est le peuple qui s’est décidé à prendre son destin en main, à chasser ses dictateurs et s’est réuni autour d’un minimum d’objectifs : le départ de leurs présidents respectifs, et l’instauration de régime démocratique. Dans ces deux pays africains et arabes où les révolutions ont surgi, les armées se sont rangées du côté de leur peuple. Cette attitude de l’armée a moins complexifié la tâche des contestataires. Ainsi, en Tunisie et en Egypte, les masses savent maintenant que ce sont elles qui détiennent les clefs du pouvoir. Elles ont arraché leur liberté et se sont réapproprié la souveraineté nationale. L’histoire de l’Egypte et de la Tunisie ne sera plus la même. Un pas important a été franchi, celui de la conscience de son pouvoir par un peuple. Les vrais changements ne peuvent venir que des masses et souvent la classe politique mauritanienne n’a pas voulu prêter attention à cet axiome. La faiblesse du travail fait en vue de la conscientisation et la formation des masses en est la démonstration. Les acteurs politiques mauritaniens ont rarement un penchant pour une telle tâche. Chacun d’entre eux se croit être le début et la fin de toute chose. Il se donne souvent une importance qu’il n’a pas. Celui qui veut travailler avec lui doit composer avec ses sentiments, lui faire la cour, lui obéir. Il se croit souvent rusé ou intelligent alors qu’il est aveugle. Ce qu’il oublie est qu’aucune démocratie n’est possible sans une implication massive des populations En Mauritanie, ce sont des militaires qui ont chassé un des leurs, dictateur cruel qui a longtemps régné en maître sur le pays avec leur complicité. Le Général Abdel Aziz était le protecteur d’Ould Taya durant tout son funeste règne. Ainsi, la Mauritanie ne peut pas être démocratique. Car ce n’est pas à travers des coups d’Etat que la démocratie réelle s’instaure. Celle-ci s’obtient par une conquête populaire, par le réveil des masses unies autour de valeurs fondamentales, bases de toute démocratie. Aussi, une démocratie ne peut être pérenne que grâce à la vigilance collective. Il est important d’analyser comment on en est arrivé aux bouleversements en Tunisie et en Egypte. Un des facteurs clef de compréhension est celui de l’éducation. Nous avons toujours souligné dans nos précédents articles que le grand combat de l’Afrique pour sa libération est celui de l’éducation. Certes, à elle seule, l’éducation ne suffit pas. Il faudrait qu’elle s’accompagne progressivement d’une individuation de la société. Dans des sociétés comme celle de la Mauritanie, la pensée collective est encore très prégnante. Le poids de l’appartenance, la pensée commune, inhibent les esprits, étouffent l’aspiration à la liberté et à l’originalité, tuent les esprits créateurs, contrarient le rapprochement entre personnes d’origines différentes. Ainsi, le champ politique est miné par les appartenances, le féodalisme, la hiérarchisation sociale, la dévalorisation du mérite, les combines affectives, le manque d’importance de la pensée et de la rigueur. Les Mauritaniens de la génération actuelle ont rarement une opinion fondée sur une analyse personnelle approfondie sur quelqu’un, sur sa pensée. Leur perception d’un individu est fondée sur ce que l’on dit dans les salons sur celui-ci, sur la rumeur, sur des informations glanées à la légère par-ci et par-là, sur ce qu’on a capté en un instant sur un être en perpétuel mouvement. Rarement la complexité humaine est prise en compte. Il est difficile de se faire entendre en tant qu’individu pensant car, dans ce milieu, on entend très, très peu, les réflexions des personnes, surtout lorsqu’elles sont originales. On retient plus ce qu’on a entendu dire ou l’idée que les personnes à influence disent des personnes. On se cramponne à des codes de lecture très limités, à ses peurs, à son refus de voir ou entendre autre chose que ce que l’on veut voir ou entendre. « Un peuple n’affronte pas tous les aléas et les risques potentiellement terribles pour lui, d’une révolution, simplement parce que la société est injuste. Il faut qu’il soit parvenu au sentiment que cette injustice est illégitime, intolérable. Pour qu’un s’exprime un besoin de liberté individuelle, il faut d’abord que ce soit née la figure de l’individu. L’individu c’est qui ? C’est le fonctionnaire, l’universitaire, l’avocat, le médecin, l’ingénieur. C’est aussi peu à peu l’ouvrier industriel. Il s’agit d’un nouvel acteur social, né au forceps, sous pression colonial, à partir de l’éclatement des communautés traditionnelles, tribales, urbaines ou villageoises. Avant son émergence, le besoin de liberté personnelle n’a p as de sens, le chef traditionnel parle pour tous les siens et tout est dit. Avec son émergence des aspirations nouvelles commencent à s’exprimer. »2 En Tunisie et en Egypte, c’est une jeunesse branchée au monde moderne qui s’est saisie de son destin. Les caciques politiques ont été pris au dépourvu. Il s’agit de mouvements spontanés qui traduisent le ras-le-bol d’une jeunesse familière d’Internet et des chaînes de télévision mondiales. Une jeunesse qui aspire à vivre comme les jeunes qu’ils voient à la télé, sur Internet, ou qu’ils ont fréquentés lors de leurs études. Ces jeunes-là sont attachés à leur pays. On a vu à Paris des jeunes égyptiens, au bord des larmes, qui affirmaient : enfin nous pourrons renter chez nous, travailler et vivre normalement. Que ce cri du cœur soit un rêve ou une réalité, il témoigne, au moins, d’une aspiration. En Egypte et en Tunisie, c’est donc une catégorie de la population qui a compris l’importance de la place à accorder à la liberté, à la justice et à l’individu dans l’organisation des sociétés contemporaines et qui a initié le mouvement. Dans les pays africains, comme dans les pays arabes, l’absorption de la personne par le groupe est l’un des freins essentiels à la démocratie et au développement. J’ai déjà fait allusion à ce problème dans mes différents articles. Les deux révolutions témoignent d’une rupture générationnelle. En Mauritanie, le poids du groupe et de l’appartenance est encore très pesant. Par conséquent, la notion de liberté, souvent assimilée à la débauche, les notions de justice, d’égalité et d’individu ne sont pas encore ancrées dans les esprits. On le constate facilement en côtoyant ceux qui militent. La plupart des Mauritaniens, y compris les militants les plus en vue, ne conçoivent la politique qu’en termes d’appartenance, de relationnels et non d’idéaux ou de valeurs. Aussi, la plupart d’entre eux ne sont pas des démocrates dans leur quotidien. Dans leurs actions politiques, ils reproduisent les schémas archaïques qui laissent peu de place à l’individu, aux fondamentaux de la démocratie, aux idées. Globalement le niveau culturel, d’intégration des valeurs démocratiques et d’intelligence d’Etat des Mauritaniens est très faible. Cela a un impact certain sur l’avenir du pays et son évolution. Pour le moment, il est difficile de penser à une révolution à la tunisienne ou à l’égyptienne en Mauritanie. Mais il ne faut guère perdre espoir car l’histoire est imprédictible. Elle s’accélère parfois lorsque l’on s’y attend le moins. Les sursauts de conscience sont difficiles à prévoir et à comprendre. Oumar Diagne, Ecrivain
2 Mahmoud Hussein « Ces révolutions ont brisé une malédiction arabe » in libération du 2 février 2011, p. 6
Pourquoi les lettrés mauritaniens ne veulent-ils
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Mauritanie : Une arabité en question /Oumar DIAGNELa récente déclaration du Premier ministre mauritanien, Moulaye Ould Laghdaf, qui vise à faire de la langue arabe un instrument d’échange et de travail au sein de l’administration mauritanienne, a rouvert la boîte de Pandore en Mauritanie. Des propos de la ministre de la culture vont dans
le même sens. Selon elle, « les langues nationales font obstacle à l’émergence
de l’arabe.» Ce qui peut nous faire penser qu’il s’agit d’une stratégie de
communication visant à préparer l’opinion publique et à mesurer les rapports de
forces en jeu. |