FLAMNET-RÉTRO:
QUESTION
NATIONALE ET SOCIALE EN MAURITANIE
28 NOVEMBRE : UNE JOURNEE
DE DEUIL POUR LES WAALFUUGI
par
Ibrahima Abou Sall- Historien-chercheur
(FLAMNET-
texte publié en novembre 1999)
Depuis
1960, la journée du 28 novembre est fêtée en République Islamique
de Mauritanie, en souvenir de l’indépendance octroyée à ce pays
par l’ancienne puissance coloniale française.
Dans mes
souvenirs d’enfance, je revois encore toute cette population de
Bogge et des environs en liesse à la place de La Résidence
coloniale . En rangs serrés devant les drapeaux français et
mauritanien (une combinaison du tunisien et du turc), les élèves de
l’école primaire. En face d’eux, le chef de subdivision sortant,
le colonisateur Tuubaak, et le nouvel héritier, un Hammee . Les
maîtres dirent aux élèves de chanter (bredouiller plutôt) encore
pour la dernière fois La Marseillaise, cet hymne colonial de la
France dont la plupart ne comprenaient jamais d’ailleurs les
paroles. Puis ils enchaînèrent aussitôt , comme pour laver cette
souillure qu’on venait de mettre encore dans leurs bouches, en
pulaar saupoudré de mots français fulanisés, et pour toujours le «
wiiwe, independaas. Moritani hebii hoore mum ,En kebii koye men !»
(Vive l’indépendance. La Mauritanie est devenue indépendante.
Nous sommes désormais libres !).
En récompense, des élèves et
d’autres enfants qui n’étaient pas dans les rangs furent
désignés, au bénéfice des privilèges, pour grimper sur les mâts
de cocagne et choisir des cadeaux.
Une foule joueuse marquée par
l’insouciance des enfants et la non conscience des adultes, car
personne n’avait conscience du destin tragique vers lequel les
conduisaient cette indépendance et le nouveau Système qui héritait
du pouvoir colonial.
En effet, n’est-ce pas celui-là même à
qui le colonisateur venait de remettre le pouvoir et le destin du
pays, Me Mokhtar Ould Daddah, qui avait dit vingt cinq mois plus tôt,
alors qu’il occupait déjà les fonctions de Vice-président du
Conseil de la colonie de Mauritanie : « Si nous devions choisir
entre une fédération maghrébine et une fédération d’AOF, nos
préférences nous porteraient vers le Maghreb » (le quotidien
français, Le Monde du 29-30 juin 1958). L’option et le ton de la
couleur étaient donnés donc dès avant l’indépendance de la
Mauritanie : Ce pays est arabe et le restera. Advienne que pourra..
Des propos qui contredisent à l’évidence ceux qu’il avaient
tenus quelques mois auparavant, à l’ouverture du Congrès d’Aleg,
le 2 mars 1958 : « Si la Mauritanie veut jouer pleinement le rôle
de trait d’union auquel la vouent sa position géographique, ses
traditions, sa dualité ethnique, elle ne peut s’intégrer trop
intimement à l’un de ces deux pôles qu’elle est chargée de
mettre en contact (...) ». Un langage démagogique qu’il fallait
tenir dans un congrès où le devenir de la Mauritanie était
accroché à un fil. Il fallait donc rassurer la majorité modérée
de la classe politique originaire du Sud harcelée elle-même par des
radicaux opposés à toute association avec les Bidan et favorables
au rattachement de la rive droite du Sénégal à la république du
même nom .
La
gestion politique de la Mauritanie entre 1960 et juillet 1978 (date
de son renversement par les militaires) prouve que Mokhtar Ould
Daddah fut un homme politique à double visage :
-
un Démagogue qui faisait front à la nécessaire construction d’une
Mauritanie de partage et de respect des droits des peuples à vivre
leurs identités, pourtant indispensables à une stabilité
socio-politique du pays ;
-
un National-chauvin qui a toujours su composer intelligemment avec
les Baassistes et les Nasséristes pour atteindre leur idéal partagé
: arabiser la Mauritanie.
Lors du Congrès du Parti du Peuple
Mauritanien (PPM), le parti unique de Mokhtar Ould Daddah, tenu en
1971 à Nouakchott, ce principal artisan de l’arabisation
institutionnalisée et de l’ethinicisation de l’Etat mauritanien
confirmait bien cet objectif : « l’Arabisation est un objectif à
long terme (...). Après l’institution d’un bilinguisme qui n’est
qu’une simple transition, la réhabilitation de la langue et de la
culture arabes sera la renaissance de nos valeurs nationales ».
Jusqu'à sa chute, il ne renonça jamais à la réalisation de ce
programme de construction d’une Mauritanie arabe qui niait les
droits d’expression identitaires des Wolof, des Sooninko, des Fulbe
et des Bambara. Une Mauritanie arabe où l’esclavage était
pratiqué sans nullement gêner le démagogue qui se présentait à
l’extérieur comme un humaniste .
Aujourd’hui
une thèse réformiste veut nous imposer une autre vision de cette
réalité historique en présentant cette personne comme un Ange
politique par opposition à l’actuel président, le Colonel Maouya
Ould Sidi Ahmed Taya qui incarne,lui, le Diable en personne. On est
bien en droit de se poser la question de savoir la différence entre
le théoricien, l’idéologue et le praticien des idées du
théoricien dans la mesure où les deux visent le même objectif ?
Pour les communistes, les homosexuels, les juifs, les handicapés
mentaux et physiques qui furent persécutés puis exterminés entre
1933 et 1945 par le régime nazi y avait-il une différence entre les
théoriciens Adolf Hitler et Joseph Goebels et les praticiens
Heinrich Himmler et son lieutenant Heydrich ? Dans leurs soucis de
détruire les mécanismes sociaux qui rattachent les contemporains au
régime de Ould Taya à ceux du régime de Mokhtar Ould Daddah, les
tenants de cette thèse réformiste cherchent à installer les
premiers dans ce que Hobsbawm appelle fort justement « (...) une
sorte de présent permanent, sans lien organique avec le passé
public des temps dans lesquels ils vivent ».
Ould Taya est
un pur produit de la politique d’exclusion et d’intolérance
instaurée et pratiquée par Mokhtar Ould Daddah.
Ce dernier est à
la fois un théoricien du panarabisme romantique qui caractérise
tant la périphérie (considérons les extrémismes arabo-islamistes
en Mauritanie et au Soudan qui cherchent à détruire tout ce qui
n’est pas arabe et musulman dans ces deux pays) et un praticien
qui, pendant ses dix huit années de règne a oeuvré pour faire de
la Mauritanie le pays de la renaissance arabe par excellence, et pour
transformer l’homo mauritanicus (j’avoue mon ignorance sur la
signification anthropologique de ce concept tellement employé durant
les années soixante dix) en homo arabicus.
Au
Fuuta, on qualifie l’ancien régime de Ould Daddah de laamu fuunti,
de doomburu ngata wutta. Malgré les tensions raciales de 1965-1966,
et les débats sur la transcription des langues africaines (sooninke,
wolof, bambara, pulaar) durant les années soixante dix, celui-ci
avait réussi à avancer dans son programme d’arabisation et
d’ethnicisation de l’Etat mauritanien. Pour y arriver, il s’est
servi indiscutablement de la collaboration de cadres Fulbe et
Sooninko principalement qui étaient issus presque exclusivement des
aristocraties Toorobbe et Hooro. Celles-là même qui avaient
collaboré avec la France coloniale pendant sa conquête militaire de
nos pays, puis avec son administration jusqu'à l’indépendance .
Il ne faut pas que nous oublions que nous aussi, les Waalfuugi,
nous avons nos Maurice Papon. Après avoir collaboré avec le régime
de Mokhtar Ould Daddah ces petits Papon vivent calmement et
impunément leur retraite politique et administrative.
Le régime
des militaires, particulièrement celui de Maouya Ould Sid’Ahmed
Taya, est qualifié, quant à lui à cause de son passif humanitaire,
par les Fuuta Toorankoobe de laamu puuyngu. Pour accélérer le
processus d’arabisation et d’ethnicisation il a utilisé des
moyens expéditifs jusque là inconnus dans la pratique politique
mauritanienne : une épuration ethnique par des déportations
massives puis par des massacres. Pour réaliser son programme Ould
Taya a fait appel aux mêmes types d’instruments.
*
Les instruments de destruction.
Les Haratin-Abid qui jouèrent un rôle essentiel dans les massacres
(1987, 1989, 1990, 1991) et les tortures (toute la période comprise
entre 1986 et 1991). N’en déplaisent aux auteurs du document non
daté et intitulé « Les Haratines...Contribution à une
compréhension juste de leur problématique ». Les comportements des
Haratin-Abid ont renforcé la perception globalement négative que
les Waalfuugi ont toujours eue à leur égard. Perception qui trouve
ses causes dans le passé historique.
Dans le cadre tribal, les
Bidan ont toujours utilisé ces deux groupes sociaux comme bras armés
à l’occasion des pillages contre les populations de la vallée du
Sénégal, avec rapts de femmes et d’enfants pour alimenter le
commerce des esclaves et aussi pour fournir de la main d’œuvre
servile dans l’économie domestique. Dans l’inconscient collectif
de ces populations, le Haratin-Abid inspire un double sentiment
mélangé de crainte (à sa cause de « sa brutalité » et sa «
bestialité ») et de mépris. L’histoire de Mohamed Ould Mseyke et
celle de Abeydi illustrent bien la nature complexe de ces relations.
La perception que les Haratin-Abid et les Fuuta Toorankoobe ont
chacun de ces deux personnes atteste de l’état d’incompréhension
culturelle et psychologique dans laquelle se trouvent ces deux
parties. Et pourtant il y a des liens de mariage à tous les niveaux
des couches sociales, même si ce sont surtout les Haratin qui
donnent leurs femmes. L’inverse fait exception .
Depuis les
conflits raciaux de février 1966, l’intégration de cet instrument
de répression dans le Système a fini par installer les Haratin-Abid
au cœur de la crise ethnico-culturelle à l’état endémique. Mais
les initiatives démagogiques (abolition de l’esclavage par
l’ordonnance du 9 novembre 1981, «réforme foncière » en 1983,
promotions politiques et administratives de certains dirigeants
politiques et intellectuels, etc.) entreprises depuis 1979 servant à
utiliser cette communauté comme bouclier humain n’ont modifié en
rien l’état de servitude dans lequel ses membres sont
psychologiquement enfermés depuis des siècles.
Il est naïf de
croire que les Haratin-Abid peuvent jouer de nos jours un rôle de
tampon entre les Bambara, les Sooninko, les Fulbe et les Wolof d’une
part parce que leurs ancêtres sont issus principalement de ces
peuples noirs, et les Bidan d’autre part parce qu’ils partagent
la même culture que ces derniers. Ils ne pourraient jouer ce rôle
que s’ils ont une conscience positive et dynamique de cette double
appartenance. Or les Haratin-Abid intègrent difficilement leur
identité raciale et leurs origines dans la construction de leurs
personnalités. Ces deux identités sont refoulées dans leur
inconscient collectif qui n’a absorbé que le présent social et
culturel, et le rêve d’une reconnaissance de son humanité par son
maître, au lieu de la lui imposer. Ce passage ci-après du document
publié par des intellectuels haratin et cité plus haut illustre
bien cet état d’esprit : « Les Haratines du même coup,
rassuraient les uns (ils sont arabes et ne feront rien contre les
intérêts légitimes des arabes) et les autres (parce qu’ils leur
sont solidaires dans leurs justes revendications)» . Bien que
certains aient tenté naïvement dans les années soixante dix de se
rapprocher du mouvement revendicatif identitaire des Africains
Américains, il n’est pas possible de les identifier aux
descendants d’esclaves qui vivent dans les Amériques qui, eux, ont
toujours revendiqué fortement leurs origines africaines . Car cette
revendication des origines et l’assummation des cultures de la
diaspora donnent aux Africains-Américains, Afro-Brésiliens,
Afro-Caribéens, et autres des potentialités humaines pour
construire un meilleur équilibre psychologique de leurs
personnalités.
Le
second groupe est composé de collaborateurs waalfuugi.
Ce
sont d’abord et toujours des cadres politico-administratifs et
d’intellectuels. La vindicte populaire leur a attribués le nom
Zulu en rapprochement avec le hideux parti Inkata du collaborateur
Gatsha Butulezi sous l’Apartheid. Tous ne sont pas issus des
familles qui avaient collaboré avec le régime civil de Mokhtar Ould
Daddah. Car, on observe depuis l’avènement des militaires
l’arrivée importante d’une génération de cadres issus de
milieux sociaux qui avaient été écartés des espaces politiques
traditionnels fuuta tooranke, waalo waalo ou gidimaxanke. Ils doivent
leur position socio-administrative actuelle à leur compétence
technique et intellectuelle. La scolarisation, datant de l’époque
coloniale, avait commencé à remettre en cause, certes de manière
timide, les systèmes des privilèges fondés sur le droit de
naissance. Car il faut bien le rappeler, les nationalités wolof,
haal pulaar, sooninke et bambara sont au même titre que
l’arabo-berbere, des sociétés à statuts.
Le Système,
très conscient de ces compétitions dans le jeu de positionnement
des cadres Waalfuugi au sein de son Etat ethnicisé conditionne la
promotion politique ou administrative de ces derniers au ralliement à
la thèse sur l’hégémonie politique et les privilèges de la
nationalité arabo-berbère. C’est l’une des raisons de cette
prostitution politique que nous observons depuis septembre 1986, date
des arrestations des membres des FLAM (Forces de Libération
Africaines de Mauritanie) jusqu’aux déportations et
massacres de milliers de Waalfuugi entre avril 1989 et janvier
1991.
Si le nombre et la base sociologique des candidats à la
collaboration a augmenté au fil des années, c’est parce qu’il
n’y a jamais eu de la part des Waalfuugi de pratiques dissuasives
appropriées contre ses brebis galeuses. Depuis 1986, nous avons
remarqué que cette collaboration touchait aussi toutes les
catégories sociales.
Comment expliquer la confiscation d’une
partie des terrains de culture familiaux dans le Waalo par un homme
d’affaires bidan avec une autorisation préfectorale, si ce n’est
par une information donnée par un collaborateur qui a appris à
l’administration du Système que cette partie était mise en valeur
par la branche familiale installée sur la rive gauche ? Comment
expliquer les déportations depuis nos villages de la rive droite
d’épouses et de leurs enfants séparés de leurs maris (dans tous
les cas qui sont leurs cousins proches ou lointains, à cause de la
pratique endogamique), si ce n’est par une information donnée par
un indicateur qui a appris à l’administration du Système
d'Apartheid que les parents de ces épouses vivaient dans nos
villages situés sur la rive gauche ? Enfin, comment expliquer la
convocation en novembre 1987, après la prétendue tentative de coup
d’Etat militaire, de l’animateur des émissions en pulaar, Al
Hajji Sammba Sih, par le tortionnaire-directeur de la Sureté d’Etat
Deddahi Ould Abdallahi pour lui interdire de diffuser du Gummbala et
du Fantang ? Un collaborateur lui avait expliqué la symbolique de
cette musique chez les Haal pulaar’en.
Comme pour les
idéologues et les tortionnaires du Système d'Apartheid , je pense
qu’une liste portant les noms des anciens et actuels collaborateurs
doit être établie afin de fixer leurs noms dans notre mémoire
collective. Ils seront jugés un jour pour ce qu’ils ont fait
contre les intérêts de leurs propres nationalités. Nous sommes
tous d’accord pour reconnaître que ce Système n’aurait jamais
pu arriver à s’imposer sans une collaboration effective de
certains parmi nous qui piétinent impunément depuis 1960 les droits
et les intérêts des nationalités wolof, des Fulbe, bambara et
sooninke et qui cautionnent les massacres et les déportations de
leurs membres . Je comprends mal qu’on veuille juger les
organisateurs de cet Etat chauvin et raciste sans y associer leurs
collaborateurs fulbe, soninke, wolof.
Tayde endam. Que peut-on
faire de quelqu’un qui a coupé volontairement le lien du sein
(enndu en pulaar) pour que ce sein ne nourrisse plus la lignée,
qu’il n’y ait plus de procréations, donc que la lignée soit
détruite.
Les officiers waalfuugi actuellement dans l’armée ne
peuvent prétendre qu’ils n’étaient pas au courant de ces
horribles choses qu’on faisait à leurs frères. Jusqu'à ce jour,
aucun n’a ni démissionné ni protesté publiquement pour désavouer
ces massacres perpétrés au nom d’une épuration ethnico-raciale
au sein des Forces armées, de la gendarmerie et de la Garde
nationale et de la Police. Un silence coupable.
Il a fallu qu’il
soit réfugié en France après avoir échappé à un
piège-kidnapping tendu à partir d’Alger par Ould Taya et son chef
d’Etat Major, le Colonel-nassérien Ould Boukhress pour que le
Colonel Baby Housseyni menace de dévoiler ce qu’il prétend savoir
des massacres des militaires waalfuugi et donner les noms de ceux qui
ont initié cette campagne d’épuration ethnique. Ceci, neuf années
après ces massacres. Et pourtant il est resté quatre ans attaché
militaire à l’ambassade de Mauritanie à Paris. Je ne crois pas
que ce colonel veuille « dévoiler » ces informations par
convictions humanitaires, mais simplement par vengeance contre ses
anciens alliés qui ont cherché à se débarrasser de lui pour une
question de contradictions antagonistes internes. Un règlement de
compte au sein de la mafiosi prétorienne de Nouakchott. En
Mauritanie, il y a d’autres Baby, mais qui ne piperont mot pour ne
pas léser leurs intérêts bassement matériels.
Des
sanctions adaptées à la gravité de leur collaboration au Système
d`Apartheid doit être appliquée à tous ces individus qui
n’inspirent que mépris. En attendant que la justice fasse un jour
son travail, la sanction populaire peut sévir par le boycott
social.
Pourquoi doit-on parler à, rendre une visite de
courtoisie à, assister au mariage de, au baptême de, partager le
deuil de, admettre au sein d’une assemblée communautaire quelqu’un
qui a cautionné les massacres, les déportations de nos populations,
quelqu’un qui a ou qui collabore à la pérennisation du Système
d`Apartheid ?
Si
le procès du Nuremberg et ceux du Tribunal International du Rwanda
(TPR) ont une valeur pédagogique pour les peuples concernés et
aussi pour l’Humanité, j’ai l’habitude de dire de la
Commission de Réconciliation attribuée au Pasteur Desmond Tutu qu
‘elle n’est pas une pédagogie positive dissuasive et
constructive. Tout le monde sait maintenant qu’en Afrique du Sud
l’impunité déguisée en « pardon » a été imposée par le
Parti National et l’armée de l’Apartheid comme conditions pour
la remise du pouvoir et l’organisation d’élections sur la base
de one man one vote qui permit à l’ANC de prendre la direction
politique du pays. Les rapports de forces étaient pourtant très
défavorables aux populations africaines. Les Etats-Unis, la Grande
Bretagne et le Grand capital financier ne voulaient pas d’une
guerre civile aux conséquences incalculables pour leurs intérêts
économiques en Afrique australe. La minorité blanche extrémiste
sait bien que les rapports de forces vont inévitablement changer un
jour. Il faut donner du temps au temps comme disait l’autre. C’est
en ce moment que cette réconciliation imposée sera remise en cause
par la génération du Stones power. Rappelons que la majorité de
celle-ci a à peine 35 ans. On ne pourra pas épargner à l’Afrique
du Sud une guerre civile et raciale si les coupables ne sont pas
punis par la justice. Il faut exorciser le mal pour que les victimes
sentent que justice a été faite. Seul un contrat moral fondé sur
une punition exemplaire du coupable pourra créer des bases
objectives d’une paix politique et militaire durable (ou à l’idéal
définitive) entre les deux communautés « raciales ».
Ceux qui
préconisent une application en Mauritanie de la politique de
réconciliation par l’impunité se trompent lourdement.
La
journée du 28 novembre n’est plus pour les populations de Bogge
comme pour toutes les autres populations de la vallée du Sénégal,
qu’elles soient du Fuuta Tooro, du Waalo Barak et du Gidimaxa une
journée de joie, de fête. La notion de fête, de partage n’a plus
la même signification entre celles-ci d’une part, la population
arabo-berbère de l’autre qui avaient partagé pourtant cette joie
en 1960. Elles n’ont pas le même idéal de société.
Le 28
novembre 1990, les génocidaires du Système d'Apartheid , dans le
contexte de sa crise d´épuration ethnique au stade de son paroxysme
décidèrent que cette journée serait fêtée comme celle de l’id
al Adhâ (Juulde Taaske en pulaar, Tabaski en wolof, en sooninke, en
bamana, la fête du mouton) : sacrifier des moutons (hayawân) .
A
Wâlâta (20) (décembre 1987-novembre 1988) nos tortionnaires sous
les directions respectives des lieutenants de la Garde Ghaly Ould
Souvi dit le « flingueur »; Dahi et leurs adjoints, l’adjudant-chef
Mohamed Ould Bowbaly dit « Hoore puccu » , les brigadiers-chefs
Mohamed Ould Zeyn dit « Saa reedu » et El Veth nous appelaient
aussi des hayawân, car de leurs points de vue, nous n’étions pas
des êtres humains, mais des Nègres-juifs dont il fallait
débarrasser la Mauritanie comme l’Allemagne nazie s’était
débarrassée des Juifs d’Europe.
Dans
son numéro 129 d’avril 1969, le mensuel Watan Al Arabi développait
des théories raciales qui rappellent les thèses nazies sur la
pureté de la « race » germanique : des photos de Bidan (hommes «
blancs ») et de Bidaniya (femmes « blanches ») avec des légendes
précisant que ces hommes et ces femmes blancs représentaient la «
véritable » population de la Mauritanie. Toujours dans le même
journal, on montre des pirogues remplies de personnes traversant le
fleuve Sénégal. Ces traversées sont assimilées à une invasion de
la Mauritanie par des populations noires. On lance alors un appel
pour que ce morceau de la « Patrie arabe » (Watan al Arabi), la
Mauritanie, leur Lebensraum sauvegarde sa pureté arabe menacée par
ces Untermenschen (sous-hommes) qui l’envahissent « racialement »
et culturellement.
C’est vingt ans plus tard que le NBN
(National-bassisme-nassérisme) réussira à appliquer pour la
première fois sa politique d’épuration ethnique. En l’espace de
vingt mois (avril 1989-décembre 1990) deux pratiques furent
appliquées : les déportations massives de 1989, les exécutions
extrajudiciaires de civils dans la vallée du Sénégal et de
militaires dans tous les camps militaires du pays (novembre-décembre
1990). Une troisième pratique, certes peu appliquée, mais qui fut
quand même appliquée : la castration : « Comme cela, vous ne ferez
plus d’enfants. Vous êtes trop nombreux, sales chiens, sales juifs
». Paroles des bourreaux.
Avec
l’établissement des relations diplomatiques entre l’Etat
d’Israël et l’Etat du Système d'Apartheid Mauritaniens , je me
demande où seront rangées provisoirement ces sentiments. Je me
demande ce que pense désormais le commissaire tortionnaire Abdallahi
Ould Deddahi des Juifs. Quand il sera devant un de ses homologues
israéliens, il oubliera certainement qu’il déteste les juifs.
Comme disait ce vieux Waalo waalo : « Nyoom amunyu jom, amunyu
kerse, amunyu gacce »
Puisque aux yeux des idéologues et des
praticiens de thèses racistes du Système les Noirs sont des
moutons, le Colonel Sid’Ahmed Ould Boïlil n’a pas hésité à
exécuter 28 militaires waalfuugi le 28 novembre 1990. Sans état
d’âme. Les Noirs ne sont pas des êtres humains.
Les
événements tragiques qui se sont déroulés entre 1986 et 1990 en
Mauritanie ont révélé toutes la complexité des relations entre
Noirs et Bidan, et qui ne relèvent pas seulement d’un conflit
culturel.
Propositions
:
1-
Jusqu'à la restitution des restes de nos disparus, je propose que
les journées du 6 décembre et du 28 novembre soient des journées
de deuil pour les Waalfuugi.
Pendant celles-ci :
*une
lecture du Quran sera faite à la mémoire de chacune des victimes,
*des
condoléances seront présentées aux familles des disparus.
2-
Le jour où nous aurons les moyens de gérer notre destin, je propose
que les restes retrouvés des disparus soient enterrés à Kayhaydi,
avec ceux dont les tombes se trouvent à Walata (Alasan Umar Bah,
Abdul Khudduus Bah et Tafsiiru Jiggo) et à Néma (Teen Yuusuf Gey).
Leurs restes seront enterrés à la colline qui abrite de l’actuelle
gouvernance qui sera transformée en Mausolée qui portera le nom de
Haayre Leebtaabe (La Colline des Martyrs). Sur cette Colline sera
érigée une statue humaine géante en bronze qui symbolisera nos
souffrances qui ont fécondé notre Liberté. Aux pieds de cette
statue géante, seront gravés les noms de tous nos martyrs victimes
du Système d'Apartheid Mauritanien.
3- Que nos rues et places
portent désormais les noms de nos martyrs. Que le Sytème le veuille
ou non, appliquons nous-mêmes ces mots d’ordre dont je citerai
quelques exemples. Tout dépendra de notre détermination. Am fit
comme on dit en wolof.
Kayhaydi
:
-
que le lycée porte le nom de Teen Yuusuf Gey
- que l’axe
principal qui relie le fleuve à l’aéroport porte le nom Laawol
Teen Yuusuf Gey
- que le collège porte le nom du Lieutenant Aan
Daahiru etc. L’opinion fera le reste des propositions.
Bogge
:
-
que l’axe principale qui traverse Bogge Dow et Bogge Less porte le
nom Laawol Tafsiiru Jiggo,
- que le lycée porte le nom du
Lieutenant Bah Seydi,
- que la place de la Préfecture porte le
nom de Alasan Umar Bah etc. L’opinion fera le reste des
propositions.
Ceci
est valable pour tous les autres villes et villages de la vallée,
depuis le Waalo Barak jusqu’au Gidimaxa.
A
toutes les questions que suscitera la lecture de ce texte, je
répondrai par cette interrogation bien légitime du Lieutenant Boye
Alassane Harouna qui, dans la conclusion de son livre témoignage
écrit : « Près de quarante ans après l’indépendance, le bilan
de la gestion du pays, les différents conflits intercommunautaires
(1966, 1989, 1990 et 1991) qui l’ont dangereusement secoué,
rendent opportune et légitime la question suivante : l’Etat
unitaire en Mauritanie, constitue-t-il un cadre viable de coexistence
entre les communautés arabo-berbère et négro-africaine ? »
Si
on est incapable de trouver une solution pour une cohabitation viable
et digne entre ses différentes composantes, alors il faut éclater
la Mauritanie. Elle n’est pas indispensable. Ce sont les
aspirations des nationalités de vivre dans la paix et le progrès
qui sont indispensables. Chacun peut décider d’aller de son côté
sans nous détruire. Les Tchèques et les Slovènes nous ont donné
un exemple. Nos parents ont vécu sans la Mauritanie qui n’est
qu’une construction d’une puissance impérialiste, la France, qui
l’avait créée dans le but de gérer les territoires coloniaux
qu’elle avait occupés en toute illégitimité. Durant des siècles
les différents peuples qui la composent aujourd’hui (par la
volonté du colonisateur) sont restés voisins sans jamais avoir vu
la nécessité de construire quelque chose en commun. Ce qui était
d’ailleurs impossible vu la nature des relations. Le Waalo -Barak,
le Fuuta Tooro, le Gidimaxa, les Confédérations tribales et les
Emirats avaient chacun son individualité propre.