Transfert
d'argent : Qui veut la peau de Western Union et de MoneyGram ?
MoneyGram et Western Union contrôlent 50% du marché des
transferts d'argent du continent africain avec des commissions de
l'ordre de 12%. Bitcoin, Paypal, ou Afrimarket, grâce à des
solutions technologiques innovantes, contestent la suprématie de ces
géants.
Estimés
à 60 milliards de dollars (44,3 milliards d'euros) par an, les
transferts de la diaspora africaine sont bien plus importants pour le
continent que l'aide publique au développement ou les
investissements directs étrangers - respectivement de 56 et de 50
milliards de dollars chaque année. Longtemps dominé par l'américain
Western Union, le marché des envois internationaux d'argent vers
l'Afrique a été quelque peu bouleversé par l'arrivée de
MoneyGram, un autre opérateur venu des États-Unis, actif sur le
continent depuis le début des années 2000. Dix ans plus tard,
les tarifs sont encore jugés (beaucoup) trop élevés par bon nombre
d'institutions. La Banque mondiale évalue ainsi le coût des
transferts à 12,4 % de la somme envoyée, ce qu'elle explique par la
"faible concurrence" sur ce marché. Bien qu'Hervé Chomel,
vice-président pour l'Afrique de MoneyGram, affirme que ce chiffre
est "plus proche de 6 %", les deux sociétés contrôlent
en effet plus de 50 % du marché formel. Malgré cette
domination, la Banque mondiale s'est fixé pour objectif de ramener à
5 % le coût des envois de fonds dans le monde cette année. L'enjeu
est de taille : en cas de réussite, l'ensemble des migrants
africains et leurs familles économiseraient 4 milliards de dollars
par an, selon l'institution. Les nouvelles technologies,
notamment les monnaies virtuelles, pourraient contribuer à casser le
duopole Western Union-MoneyGram. Les sites d'information spécialisés
abondent ainsi en articles sur le potentiel du bitcoin sur le
continent. Plus récemment, la baisse du cours de Western Union à la
Bourse de New York a été reliée à la menace créée par ce
système. Les migrants perdent chaque année 4 milliards de
dollars en frais de commission Inventée en 2009 par un
informaticien caché derrière le pseudonyme de Satoshi Nakamoto,
cette monnaie électronique n'est soumise à aucune autorité de
contrôle. Comme l'explique Philippe Herlin, chargé de cours au
Conservatoire national des arts et métiers (Paris) et auteur d'un
livre sur la révolution du bitcoin, sa force réside dans la
quasi-gratuité des transferts (0,03 euro l'opération), même entre
deux pays dont les monnaies sont différentes : "C'est un
avantage concurrentiel fondamental par rapport aux autres moyens de
paiement et de virement." Pharmacie Le Kenya, connu pour
son avance en matière de banque mobile - M-Pesa, le service proposé
par l'opérateur Safaricom, est utilisé par 70 % des habitants -,
constitue un terrain d'expérimentation privilégié. Kipochi
("porte-monnaie" en swahili), une start-up britannique
fondée à Nairobi par le Danois Pelle Braendgaard en juin 2013,
propose à ses clients de transférer des bitcoins et de les créditer
sur un compte M-Pesa. Seuls problèmes : il faut accéder à internet
et savoir acheter des bitcoins, une opération qui reste complexe
pour le plus grand nombre. Pelle Braendgaard lui-même reconnaît que
"sa difficulté d'utilisation constitue une barrière à
l'entrée". D'autres services en ligne tentent de capter la
manne des migrants. Ainsi PayPal, le tout premier acteur du paiement
sur internet, a signé un partenariat avec Equity Bank : moyennant
une commission de 2,9 %, les bénéficiaires d'un virement via PayPal
peuvent retirer l'argent à un guichet de la banque kényane. Quant
aux britanniques Skrill ou Payza, s'ils permettent eux aussi de
transférer des fonds à des taux inférieurs à 5 %, ils requièrent
soit un compte en banque, soit un accès internet à l'arrivée.
Nouvelle approche Pour Rania Belkahia, l'Afrique nécessite
une approche différente. Avec Jérémy Stoss et François Sevaistre,
la Marocaine a cofondé Afrimarket l'année dernière, une solution
de transfert de type cash to goods, par opposition au traditionnel
cash to cash. Plutôt que de transférer un montant en liquide, cette
jeune pousse basée à Paris propose à ses clients, via son site,
d'employer la somme versée à un usage particulier : frais
scolaires, pharmacie, produits alimentaires... avec la garantie que
cet argent sera exclusivement réservé à cette affectation.
Présent pour l'instant en Côte d'Ivoire, au Sénégal et au
Bénin, Afrimarket compte déjà 10 000 clients et vient de signer un
partenariat avec la Compagnie de distribution de Côte d'Ivoire
(CDCI), qui compte 110 supermarchés dans le pays. Selon Rania
Belkahia, 70 % des migrants africains aimeraient avoir un droit de
regard sur les fonds envoyés, et, grâce à cette solution, l'argent
profite directement au secteur formel. Le développement fulgurant
d'Afrimarket suscite d'ailleurs les plus vives craintes chez
MoneyGram et Western Union. Alliance Ces nouvelles solutions
remettront-elles en question la domination des deux opérateurs
historiques ? D'après Hervé Chomel, ces dernières ne représentent
pas plus de 5 % des transferts internationaux. Malgré tout,
MoneyGram et Western Union ont entamé une riposte. Le premier a
lancé il y a un an un partenariat avec First National Bank (FNB),
l'une des principales banques d'Afrique du Sud, pour la réalisation
de transactions sur téléphone mobile. Il a également noué une
alliance avec PayPal et sous-entend qu'il pourrait bientôt annoncer
un accord avec l'un des principaux opérateurs de banque mobile en
Afrique. Western Union, qui n'a pas souhaité s'exprimer dans le
cadre de cet article, a quant à lui signé fin 2012 un partenariat
avec Ecobank au Kenya pour permettre aux clients de cette dernière
d'accéder à ses services, soit en ligne, soit depuis un guichet
automatique. Sur un continent encore très faiblement bancarisé et
peu connecté à internet, rien ne vaut un réseau physique étendu
pour inspirer confiance aux clients. Un point clé dans ce domaine -
pour l'instant.
Source:
www.Jeuneafrique.com
Mardi
4 février 2014
|