Mauritanie:
Un "esclave marron" cherche à récupérer sa famille
Il
s'appelle Mohamed Ould Salem. Il est né en 1958 à Bassiknou. Il est
esclave marron. Il cherche à retrouver sa famille qui travaille
encore chez ses maîtres. Il a adressé en ce sens une lettre au
Ministre de l'Intérieur, lui sollicitant d'intervenir. Une affaire
flagrante d'esclavage, dit-on. Toutes les informations révélées
dans cet article ont pour source ladite lettre.
Les parents
de Mohamed, Salem Ould Abdellahi et Lalla Fatma Mint Samba, étaient
asservis, comme esclaves, par le sieur El Mourtaja Ould Moulaye Ely,
de la tribu Aoulad Daoud (Eoulad Allouche Balla). Ils ont fui leurs
maîtres en l'abandonnant lui et sa sœur Fatma El Kheïr, au moment
où ceux-ci n'avaient pas encore atteint l'âge de la maturité. Lui,
Mohamed, servait alors chez le frère d'El Mourtaja, Selmane.
Sa
sœur servait chez le cousin du maître, Hbib Ould Haïdda. Mohamed
et fatma Lkheïr, comme leurs parents, ont goûté toutes les
amertumes de l'esclavage: élevage des animaux, cherche de l'eau aux
puits loin et profonds (par exemple les puits de Lekmeïza,
Boumedian, Outeïd Arkas… à Bassiknou sur les frontières avec le
Mali).
Un jour, la famille Ehl Moulaye Ely quitte la
Mauritanie pour loger près d'Ehl Daye Ould Youbba (de la tribu
Tourmouz) à Bougraïra au Mali. Là, Mohamed Ould Salem trouve son
âme-sœur en la personne de Tchicha Mint Maatalla, une des esclaves
d'Ehl Daye. Le couple aura dix fils: Lbechir, Lmahfoudh, Abdellahi,
Bel'id, Messaoud, Lalla Fatma, Oum Aïcha, Khdeïja, M'barka... Et
comme le veut la coutume, leurs fils sont divisés entre les deux
familles des maîtres pour y servir d'esclaves: Lbéchir chez Bouzeïn
Ould Daye, Lalla fatma chez Mahfoudh Ould Dik, Khdeïja chez Ikebbrou
Ould Moulaye Ely, Mbarka chez Moulaye Brahim Ould Mohamed, le reste
chez Daye Ould Youbba.
Mohamed n'a jamais connu le chemin de
l'école. Sa vie se limitait à suivre les troupes jour et nuit. Sans
aucune contrepartie. Il a subi toutes les sortes de violence,
notamment la violence corporelle. Il n'a jamais oublié ses parents,
bien qu'ils l'aient quitté très petit et l'aient laissé chez leurs
maîtres dans des conditions qu'eux-mêmes n'ont pas pu supporter. Il
regrette, surtout, le fait qu'il ait été privé de la tendresse de
ses parents.
Il y a trois ans, il est informé de la maladie
de sa mère à Bassiknou. Il demande à ses maîtres de le laisser
lui rendre visite. Mais, en vain. Une nuit, il décide de les fuir.
Il part à Bassiknou. Il amène sa mère pour la soigner à
Nouakchott où elle est décédée. Il retourne à Bassiknou pour
rester à côté de son père et ses frères. Pour un bon musulman
qu'il est, le reste de la vie d'un parent vaut mieux que ce bas-monde
et tout ce qu'il contient. Un mois après, deux de ses fils, Mbarka
et Bel'id, fuient leurs maîtres pour le joindre. Ensuite, c'est le
tour de leur oncle, Zeïda Ould Maatalla, qui laisse derrière lui sa
femme.
Un an et demi après, Mohamed décide de retourner à
Bougraïra pour récupérer sa famille. Avant d'exécuter, il passe
voir le hakem de Bassiknou pour l'informer de ses souffrances et
celle de sa famille. Le hakem lui dit qu'il n'y peut rien. Ensuite,
lui, son fils Bel'id et l'oncle de celui-ci, Zeïda, quittent
Bassiknou pour Bougraïra. En route, ils se disent utile de voir le
préfet de Léré au Mali. Mais, des cousins de leurs maîtres,
influents au Mali, les en empêchent. Ils continuent la marche à
pied vers Bougraïra. En route, une maladie au niveau de la jambe de
Mohamed l'empêche de continuer. Il reste chez une famille touareg.
Les autres continuent la marche. Arrivés à Bougraïra, ils prennent
la famille de Zeïda et disparaissent dans la nature. Leurs maîtres
suivent leurs traces.
Et par hasard, ils trouvent Mohamed
chez la famille touareg. Ils l'arrachent à la famille avec
l'assistance de leur fils Baba Ould Daye Ould Youbba qui est de
l'Armée nationale. Ils ligotent Mohamed et peu après, une voiture
arrive avec, à bord, son fils Bel'id et la famille Zeïda, tous
ligotés. Ils les bastonnent devant lui. Puis, une autre voiture
vient pour ramener la famille chez leurs maîtres à Bougraïra,
alors qu'une autre voiture passe pour les prendre, lui et Zeïda, et
les jeter près de Loukmeïza, fatigués, assoiffés, sans eau, et
après avoir arracher à Mohamed une somme de cent dix mille francs
CFA qu'il avait avec lui. Ils marchent à pied, jusqu'à Agour, où
ils trouvent une voiture qui les amène à Bassiknou.
Le jour
suivant, ils sont partis au commissariat de police qui a pris
connaissance de cette affaire et les renvoient au commandement de la
gendarmerie nationale à Bassiknou. Après les avoir auditionnés et
après avoir pris connaissance de la torture dont ils étaient
victimes et dont les cicatrices étaient encore sur les corps, la
Gendarmerie les renvoie au hakem. Le chef de la brigade de
Gendarmerie les accompagne chez le hakem qui, après avoir vu les
traces de violence dont ils étaient l'objet, il leur dit que si les
faits s'étaient déroulés sur le territoire mauritanien, il
trouverait rapidement une solution à ce problème.
C'est là
que Mohamed a décidé de venir à Nouakchott pour chercher l'aide en
vue de retrouver sa famille.
Synthèse
:
Mechri Ould Rabbany La Tribune N°510 du 19 juillet 2010
|