Esclavage : Une idée qui a
son emprise sur tous.
Depuis
quelques jours, l’esclavage en Mauritanie – ou ses séquelles, peu importe – est
au centre des débats. Une polémique autour d’une question dont les principaux
concernés sont plus victimes de la surenchère qui entoure l’esclavage que de la
pratique elle-même.
Car si parler de ce phénomène peut rapporter gros, en terme de notoriété et de
reconnaissance sur le plan international, comme le « champion » d’une
cause, nier son existence est aussi une autre manière de
l’exploiter.L’esclavage existe.
Mais attention, il ne s’agit pas de celui que l’on pratiquerait dans cette
Mauritanie profonde dont les secrets échappent à tout le monde, qui n’est
sollicitée, courtisée même, qu’en période électorale,
Mais de celui qui maintient toute une
communauté dans les fers de l’exploitation politique entre une arabité, non
assumée consciemment par la plupart de ses membres et une « négrité »
qui est l’essence même de sa différence et qui pèse de tout son poids dans
l’impossibilité de trancher.
L’esclavage n’existerait plus en Mauritanie ! Soit ! Mais si la pratique n’est
pas visible à l’œil nu, n’est plus systématique (systémique), la théorie
sociale qui la fonde – pèse plus que les chaînes et les marchés où les esclaves
pourraient être exposés à la vente. Encore esclaves ou hommes libres
(Harratines), les membres d’une très forte communauté nationale n’arrivent pas
encore à forcer les autres à les considérer comme de simples citoyens. Certes,
aucun idéalisme ne peut être « réélisé » dans l’absolu mais c’est cela
la fin de l’esclavage.
L’ambiguïté autour de la question harratine vient du fait qu’ils « ont
quitté l’Orient et l’Occident les refuse », pour paraphraser Albert Memmi.
Alors que la Mauritanie « moderne » raisonne toujours en terme de
tribus, de partage du pouvoir entre Arabes (?!) et Négro-mauritaniens, les
Harratines sont maintenus dans une sorte de no man’s land, parfois Arabes,
quand la politique le commande, parfois noirs (et quels noirs), quand on
cherche à leur rappeler leur statut, presque irrévocable, d’anciens esclaves.
On hésiterait même à utiliser l’adjectif « anciens » tant le statut «
nouveau » de l’écrasante majorité des Harratines n’est différents en rien
de celui de leurs ancêtres. Plus infamant, l’esclavage moderne existe même en
France. C’est cette tendance à ne pas traiter les citoyens avec les mêmes
égards, et là, personne ne pourra convaincre que la Mauritanie ne fait pas de
distinction entre un Arabe (bon teint) et un Arabe (de culture).
Expliquerait-on autrement le fait que dans cette Mauritanie « profonde
», dans laquelle les tribus sont des fois plus forte que l’Etat central, le
premier mot – et le dernier – reviennent toujours à celui que la tradition a
consacré comme le Maître des lieux ?
Si les Harratines sont devenus une tribu, c’est seulement dans les grandes
villes où du point de vue politique, non sociologique, ils arrivent à se tailler
des terroirs à leur mesure, quelquefois avec la complicité agissante de l’aile
progressiste (ou propagandiste) arabe. La promotion de Harratines à des postes
de responsabilité (Premier ministre, président de l’Assemblée nationale,
ministre de la Justice, de l’Intérieur, entre autres) n’est pas une mesure
anti-esclavagiste évidente.
Qu’on nous dise que c’est un tort, à la limite du blasphème, fait aux anciens
maîtres, pour consacrer le principe d’égalité relève d’un instinct
ségrégationniste pire que toute pratique esclavagiste. Tant qu’on verra
derrière le président de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur, un
Messaoud et un Ould Boïlil, non UN Mauritanien, le problème persiste. Mais il
est vrai qu’un tel combat engage toute l’élite du pays, ceux qui nient
l’existence de l’esclavage et ceux qui s’entêtent à diaboliser l’Arabe, en le
traitant d’incorrigible négrier.
Ce n’est peut-être qu’un rêve, mais la Mauritanie pourrait bien franchir
rapidement le temps mis par l’Amérique pour que 87% de Blancs acceptent qu’un
Citoyen noir accède à la magistrature suprême.
Sneiba Mohamed
L'Authentique (Mauritanie)
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