MEMRI
Middle East Media
Research Institute
Dépêche spéciale
n° 3483
Dénonciation
des préjuges, de la mauvaise foi et du laxisme dont sont victimes
les coptes en Egypte
Suite au massacre perpétré le 1er
janvier 2011 dans une église copte d´Alexandrie, Hani Shukrallah,
journaliste égyptien d´origine copte et rédacteur en chef de
l´hebdomadaire égyptien Al-Ahram, publie sur le site en anglais
d´Al-Ahram un cinglant article d´opinion intitulé
"J´accuse".+ Hani Shukrallah accuse le régime
égyptien de laxisme face à l´extrémisme islamiste, et même
d´alimenter l´islam salafiste dans l´espoir d´affaiblir les
Frères musulmans. Il fustige également les "musulmans
prétendument modérés" d´Egypte qui se montrent, selon lui,
de plus en plus sectaires et hostiles envers la communauté
chrétienne et usent de deux poids, deux mesures : ils condamnent
haut et fort toute mesure occidentale perçue comme anti-musulmane
tout en ignorant délibérément la persécution des chrétiens chez
eux. Il condamne enfin les progressistes et les intellectuels,
musulmans et chrétiens, qui gardent le silence face à la violence
subie par les chrétiens. Ci-dessous des extraits de
l´article, traduits de l´original en anglais : [1]
"…les
massacres continuent, de plus en plus horribles, tandis que le
sectarisme et l´intolérance s´enracinent et se propagent…"
"Nous allons rejoindre le concert des
condamnations, venant de musulmans et de chrétiens, du gouvernement
et de l´opposition, de l´Eglise et de la Mosquée, des religieux et
des laïcs. Nous allons tous nous lever comme un seul homme et
affirmer notre dénonciation sans équivoque d´Al-Qaïda, des
activistes islamistes et des intégristes musulmans de toutes
nuances, teintes et couleurs ; certains d´entre nous iront encore
plus loin et dénonceront l´islam salafiste, l´intégrisme
islamique dans son ensemble, et l´islam wahhabite qui, paraît-il,
est une importation d´Arabie saoudite totalement étrangère à
notre culture nationale égyptienne.
Et une fois de plus, nous
allons déclarer l´unité éternelle des "éléments jumeaux de
la nation", nous rappeler la Révolution de 1919, avec sa
bannière hissée où le croissant embrasse la croix, symbole de
notre lien indissoluble.
Cette [démonstration] sera
essentiellement hypocrite ; une grande partie en sera nuancée afin
d´épargner, juste en dessous de la surface, les innombrables
préjugés et l´étroitesse d´esprit, un traitement différentié
évident et, en fait, le sectarisme qui tient sous son emprise un si
grand nombre de personnes participant à ces condamnations.
Tout
cela sera vain. Nous sommes déjà passés par là. Par là très
exactement. Et les massacres continuent, de plus en plus horribles,
tandis que le sectarisme et l´intolérance s´enracinent et se
propagent dans tous les coins et recoins de notre société. Il n´est
pas facile de vider l´Egypte de ses chrétiens ; ils sont ici depuis
aussi longtemps que le christianisme dans le monde. Près d´un
millénaire, dont la moitié de domination musulmane, n´ont pas eu
raison de la communauté chrétienne de la nation, mais l´ont
maintenue suffisamment stable et vigoureuse pour jouer un rôle
crucial dans le façonnement de l´identité nationale, politique et
culturelle de l´Egypte moderne."
"….ce qui
paraissait inouï ne semble plus inimaginable : une Egypte sans
chrétiens, où la croix aura glissé hors de l´étreinte du
croissant…" "Pourtant, aujourd´hui, deux
siècles après la naissance de l´Etat-nation égyptien moderne, et
alors que nous entrons dans la deuxième décennie du 21ème siècle,
ce qui paraissait impossible n´est plus inimaginable : une Egypte
sans chrétiens, où la croix aura glissé hors de l´étreinte du
croissant et du drapeau symbolisant notre identité nationale
moderne. J´espère que si ou quand ce jour viendra, je serai mort
depuis longtemps, mais que je sois mort ou vivant, ce sera une Egypte
que je ne reconnaîtrai pas et à laquelle je n´ai pas envie
d´appartenir.
Je
ne suis pas Zola, mais moi aussi je peux accuser. Et ce ne sont pas
les criminels sanguinaires d´Al-Qaïda ou tout autre gang de truands
impliqués dans l´horreur d´Alexandrie qui m´inquiètent.
J´accuse
un gouvernement qui semble croire qu´en offrant trop aux islamistes,
il saura les circonvenir.
J´accuse l´hôte des députés et
des représentants du gouvernement qui ne peuvent s´empêcher
d´importer leur propre sectarisme au parlement ou dans les
innombrables institutions gouvernementales nationales et locales,
d´où ils exercent une autorité brutale sans avoir de comptes à
rendre, une autorité désespérément inepte.
"J´accuse
les institutions étatiques qui croient qu´en renforçant la
tendance salafiste, elles affaibliront les Frères
musulmans" J´accuse les institutions étatiques
qui croient qu´en renforçant la tendance salafiste, elles
affaibliront les Frères musulmans, et qui aiment par moments flirter
avec le sentiment communautaire anti-copte, sans doute pour se
distraire de problèmes gouvernementaux plus sérieux.
Mais
par-dessus tout, j´accuse les millions de prétendus musulmans
modérés parmi nous, ceux dont les préjugés n´ont fait que se
renforcer, qui n´ont fait que se refermer sur eux-mêmes et devenir
un peu plus étroits d´esprit avec les ans." "J´accuse
ceux qui se sont dressés contre la décision d´arrêter la
construction d´un centre musulman près de Ground Zero, et qui
applaudissent quand la police égyptienne interrompt la construction
d´un escalier dans une église copte" "J´accuse
ceux d´entre nous qui se sont furieusement dressés contre la
décision d´arrêter la construction d´un centre musulman près de
Ground Zero à New York, mais qui applaudissent quand la police
égyptienne interrompt la construction d´un escalier dans une église
copte du quartier Omranya du Grand Caire.
J´ai été parmi
vous, et je vous ai entendu parler, dans vos bureaux, dans vos clubs,
à vos soirées : "Il faut donner une leçon aux coptes" ;
"les coptes sont de plus en plus arrogants", "les
coptes convertissent en cachette les musulmans" et dans le même
souffle : "les coptes empêchent les chrétiennes de se
convertir à l´islam, les enlèvent et les enferment dans des
monastères".
Je vous accuse tous, parce que, dans votre
aveuglement fanatique, vous ne vous rendez même pas compte que vous
maltraitez la logique et le simple bon sens ; vous accusez le monde
entier de parti pris contre vous tout en vous montrant complètement
incapables de constater votre propre parti pris, [pourtant]
flagrant.
"…j´accuse les intellectuels libéraux…
d´être restés bras croisés" Et finalement,
j´accuse les intellectuels libéraux, aussi bien musulmans que
chrétiens, qu´ils soient complices, apeurés, ou tout simplement
peu désireux de faire ou dire quoi que ce soit qui déplaise aux
"masses", d´être restés bras croisés, jugeant suffisant
de se joindre à un futile concert de dénonciations... alors même
que les massacres s´étendaient et gagnaient en horreur.
Il y
a quelques années, j´ai écrit dans le quotidien arabe Al-Hayat,
pour répondre à [l´article d´un] chroniqueur paru dans l´un des
journaux égyptiens. Le chroniqueur, dont j´ai depuis oublié le
nom, louait le patriotisme d´un copte égyptien qui avait écrit
qu´il préférerait se faire tuer par ses frères musulmans que de
recourir à une intervention américaine pour le sauver.
M´adressant
à ce copte patriotique, je lui ai posé une question simple : où
prend fin sa volonté de se sacrifier pour la nation ? Donner sa vie
peut être tout à fait noble, même louable, mais serait-il
également disposé à renoncer à la vie de ses enfants, de son
épouse et de sa mère ? Combien de chrétiens d´Egypte, lui ai-je
demandé, êtes-vous prêt à sacrifier avant de solliciter une
intervention extérieure ? Un million, deux, trois, tous ?
Les
possibilités qui s´offrent à nous, ai-je alors et continuerai-je à
dire, ne sont pas [peu nombreuses] au point que nous dussions choisir
entre laisser les coptes égyptiens se faire tuer, individuellement
ou en masse, et courir solliciter l´Oncle Sam. Est-il vraiment si
difficile pour nous de nous concevoir comme des êtres humains
rationnels dotés d´un minimum d´assurance, et de décider
nous-mêmes de notre destin, du destin de notre nation ?
C´est,
en effet, la seule solution qui nous reste, et nous ferions mieux de
la saisir, avant qu´il ne soit trop tard."
Notes: [1]
English.ahram.org, 1er janvier 2011.
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