ARTICLE 396:
Esclavage : Le monstre refuse de mourirLE CALAME
«Des cas lourds d’esclavage, à la fois dans leur forme traditionnelle
et moderne, persistent, en Mauritanie», selon madame Gulnara Shahinian,
rapporteur spécial de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) sur les
formes contemporaines d’esclavage. Au cours de ce voyage, madame Shahinian a rencontré les autorités
gouvernementales, la classe politique, la société civile, des universitaires,
etc. Elle s’est, également, rendue à l’intérieur du pays, bouclant son activité
par une conférence de presse, organisée le mardi 3 novembre, à la
représentation du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD),
histoire de partager les conclusions d’une mission qui risquent de tomber comme
cheveux dans la soupe d’une «nouvelle» Mauritanie prônant la rupture avec
toutes les pratiques honteuses du passé.
Dans le rapport de l’expert indépendant, de nombreux
passages argumentés, véritables interpellations à la conscience de tous,
viennent attester de l’ampleur et de la persistance du phénomène, 28 ans après
son abolition formelle et plus de 2 ans après l’adoption d’une loi stigmatisant
et criminalisant la pratique. Un entêtement social dont les résultats,
désastreux, font que des hommes et des femmes continuent à vivre une condition
humaine et une situation de «marginalisation, inchangée depuis des
centaines d’années»: travailleurs domestiques sans salaire, privés de tous les
droits, bergers, garçons et filles à tout faire, parfois victimes de sévices
physiques, descendance privée d’héritage, etc. Une manière de dire que, même si
«les chaînes du Moyen-âge ont disparu, la pression subie, actuellement, produit
les mêmes conséquences». Au-delà d’un désolant tableau, une petite lueur d’espoir. Madame Gulnara Shahinian note, avec satisfaction, la volonté des autorités gouvernementales d’aller dans le sens d’une éradication définitive du phénomène. Ce qui expliquerait le séjour de la mission en Mauritanie. Une thèse à laquelle ne semblent pas adhérer les ONGs de lutte contre l’esclavage, SOS Esclaves et IRA. Celles-ci relèvent, notamment, que, depuis l’adoption de la loi de 2007 et en dépit de nombreuses dénonciations de cas d’esclavage, «aucune jurisprudence condamnant les contrevenants n’existe, encore, au niveau des tribunaux». Ce qui pose le problème de l’impunité pour les présumés auteurs de ces pratiques. Estimant que les victimes sont «faibles et incapables de défendre leurs droits», ces associations réclament, en vain depuis plusieurs années – on se demande bien pourquoi ne leur reconnait-on pas ce droit d’assistance – une législation leur ouvrant la voix d’une constitution de partie civile, à chaque fois qu’une présomption d’esclavage est portée devant les juridictions. En fait, la divergence fondamentale entre les autorités et les ONGs est
d’ordre sémantique: pendant que le gouvernement parle d’éradication des
séquelles, les associations exigent la fin de l’esclavage. Reste, alors, à
savoir si les séquelles et la pratique encore actuelle, telles que développées
dans les deux thèses, donnent des résultats similaires, dans le quotidien des
victimes… En tout cas, l’argutie sémantique ne peut justifier la carence des
tribunaux. La loi existe et c’est bien sa stricte application, fût-elle
occasionnelle, qui prouvera la volonté politique. Pas les discours.
|
|