Des descendants d'esclaves et des Négro-Mauritaniens présidents de
l'Assemblée nationale et du Sénat ou encore ministres ! Une promotion
impensable il y a encore quelques années en Mauritanie, qui résulte d'accords
conclus lors de la présidentielle de mars dernier.
SYFIA - Pour la première fois en Mauritanie, des Haratines, descendants
d'esclaves, et des Négro-Mauritaniens accèdent à des postes politiques de
premier plan. Le 26 avril dernier, l'ex-opposant et candidat malheureux à
l'élection présidentielle, Messaoud Ould Boulkheir a été élu président de
l'Assemblée nationale. Ce Haratine, après être arrivé en quatrième position
lors du premier tour de la présidentielle avec près de 10 % des suffrages,
avait soutenu lors du second tour du 25 mars dernier celui qui allait devenir
le premier président démocratiquement élu depuis l'indépendance de la
Mauritanie en 1960 : Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Grâce à cet accord, son
parti, l'Alliance populaire progressiste (App), obtient également trois
portefeuilles ministériels. Yall Zakarya, ancien gouverneur de région,
devient ainsi ministre de l'Intérieur. Ce Négro-Mauritanien devra régler le
problème du retour dans leur pays de milliers de personnes de sa communauté
réfugiées au Sénégal et au Mali depuis 1989, à la suite de violences
interethniques.
Avant sa victoire, le
futur président avait promis de trouver une solution dans un délai de six
mois à un an.
Un autre
Négro-Mauritanien, Ba Mbaré, ancien ministre sous l'ex-président Maaouiya
Ould Taya (1984-2005), renversé par un coup d'Etat militaire en août 2005, a
par ailleurs été élu fin avril président du Sénat. Il devient le deuxième
personnage de l'Etat, chargé, entre autres, de suppléer le président en cas
de vacance du pouvoir. Ces promotions représentent une réelle avancée dans un
pays où l'esclavage a été officiellement aboli en 1981 par une loi qui n'a,
depuis lors, été suivie d'aucun décret d'application. Cette pratique est
d'ailleurs encore régulièrement dénoncée par les Ong.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi
s'est dernièrement engagé à ‘criminaliser’ le délit d'esclavage. Une
législation spéciale devrait en principe bientôt voir le jour. ‘Des
dispositions contraignantes seront prises contre ceux qui le pratiquent (autorités
administratives, municipales, notables, chefs de tribu, etc.) et leurs
complices’, a promis le nouveau président. Egalement en discussion,
l'adoption d'une politique de ‘discrimination positive’ avec des programmes
sociaux et économiques ciblés en faveur des anciens esclaves qui vivent
jusqu'à aujourd'hui dans une extrême pauvreté. Maures noirs, les Haratines,
descendants d’esclaves, sont pour la plupart analphabètes et pauvres. Ils ne
bénéficient que d'un accès réduit à la terre et à des fonctions de
responsabilité. Seul le secteur informel leur était, il n'y pas si longtemps
encore, ouvert.
L’esclavage fait partie
des dossiers sensibles que les militaires, au pouvoir entre 2005 et 2007, ont
laissés au gouvernement civil. Lors d’un meeting tenu l'an passé à Atâr, à
près de 500 km au nord-est de Nouakchott, l’ex-président du conseil
militaire, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, avait cependant déclaré sans
ambiguïté : ‘Je suis pour l’abolition de l’esclavage sous toutes ses formes,
dans les idées et dans les comportements’. Les civils semblent décidés à
saisir à bras le corps ce problème. Début mai, un Haratine, Samory Ould Bey,
Secrétaire général de la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie
(Cltm), l’une des plus grandes centrales syndicales du pays, prenait
publiquement position quasiment dans les mêmes termes : ‘Nous souhaitons que
les autorités prennent des mesures importantes pour bannir définitivement
l’esclavage sous toutes ses formes’. De son côté, le nouveau président de
l’Assemblée nationale, soucieux de l’émancipation de ses frères, se montrera
vigilant : ‘Le jour où je sentirai une volonté de blocage, rien ne
m’empêchera de claquer la porte’, a-t-il prévenu.