Réaction Suite à l'appel de Biram Ould Dah Ould
Abeid
Le temps de la quête du siècle africain des lumières
La dernière fois que nous avons entendu parler
d’esclavage en Mauritanie, c’était il y a une vingtaine d’années, lorsque le
chef d’Etat mauritanien de l’époque en avait annoncé l’abolition.
Décidément non informés, nous nous étions étonnés d’apprendre que
l’esclavage, au sens premier du terme, existait encore quelque par en Afrique
au vingtième siècle finissant. Toujours mal ou non informés, nous venons
seulement d’apprendre l’existence, dans cette même Mauritanie, d’une
‘‘Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste’’ (IRA), dont le
président, Biram Ould Dah, s’est adressé en août 2009 aux esclaves mauritaniens
en des termes, qui recèlent comme un désespoir : ‘‘L’unique choix en votre
possession est la résistance physique jusqu’à l’extrême sacrifice.’’ Stoïcisme
radical et dernier devant la culture persistante du déni et devant sa durée
infinie, puisque ‘‘tous les régimes qui se sont succédé en Mauritanie depuis
son indépendance ont perpétué le système esclavagiste dans le pays.’’
Rien n’a donc changé, et l’abolition d’il y a une vingtaine d’années
n’était que de la poudre aux yeux, un simple communiqué destiné à berner la
communauté internationale. Rien n’a changé et ce n’est, hélas, pas nouveau, car
après l’abolition officielle de l’esclavage par les Anglais et les Français au XIXème
siècle, le roi Béhanzin du Dahomey avait continué à négocier allègrement le
bois d’ébène avec les mêmes abolitionnistes, dans le cadre notamment d’un
certain projet (déjà !) dénommé ‘‘chemin de fer Congo-Océan’’, dont Aimé
Césaire se souvient amèrement : ‘‘Moi, je parle de milliers d’hommes
sacrifiés au Congo-Océan.’’ Sacrifiés avec notre collaboration. Comme
toujours et encore de nos jours. Rien de nouveau sous le soleil du bon Dieu.
‘‘Les bagnes toujours et la chair sous la roue’’ (Louis Aragon).
Rien de nouveau sous le soleil, et c’est précisément là le drame, là
que le bât blesse, et que l’homme s’écrie, un rien désespéré, ‘‘Ne
pourrons-nous jamais sur l’océan des âges / Jeter l’ancre un seul jour ?’’ (Lamartine).
Le bât blesse, car nous ne sommes plus au temps des Anglais et des Français
abolitionnistes pour la façade, mais au temps des Mauritaniens et des Béninois,
tous indépendants et souverains, au temps de l’Union Africaine, au temps du
Colonel-Guide, Roi des rois d’Afrique.
Et sous leurs yeux et sous leur souveraineté et au milieu du flot
roulant de leurs discours, ‘‘le système esclavagiste dans le pays’’ Mauritanie
se perpétue de même que dans le pays Bénin, où le système ‘‘vidomêgon’’ (à
déchiffrer comme ‘‘enfant martyrisé’’), s’est incrusté dans les coutumes. Et
les Béninois, aujourd’hui encore, vendent leurs enfants aux Gabonais par
cargaisons entières.
Rien de nouveau sous le soleil du bon Dieu, et les Africains aussi sont
abolitionnistes pour la façade. ‘‘Aux cadavres jeté ce manteau de paroles /
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou’’ (L. Aragon).
Il est donc une conscience à prendre. Mais où la trouver pour la
prendre ? Les Africains très musulmans, très chrétiens, très animistes, très
rosicruciens et patati et patata, perpétuent tous le martyre du prochain,
adulte ou enfant. D’où l’appel de Biram Ould Dah au stoïcisme : ‘‘Résistance
physique jusqu’à l’extrême sacrifice’’, un appel désespéré, religions et tutti
quanti ne semblant d’aucun secours pour le progrès de l’homme, pour l’espoir de
l’homme en un avenir de grâce et de bonheur. Il est donc un siècle africain des
lumières à quêter, à cultiver, à faire surgir par-delà religions, cultes et
coutumes, pour rejoindre l’homme et le libérer.
Le siècle européen des lumières n’a pas empêché le déni de l’homme, le
déni de l’autre. Voltaire avait des actions dans le commerce des esclaves. Le
siècle africain des lumières se caractérisera par son humanisme sans frontière.
Pour reprendre les mots de Biram Ould Dah, le siècle africain des lumières sera
un appel libérateur ‘‘aux victimes d’esclavage, d’expropriation des terres, de
procès inéquitables et autres formes de déni de justice…’’
C’est à cette conversion que nous invite Aimé Césaire depuis toujours :
‘‘Et maintenant pourrissent nos flocs d’ignominie.’’ C’est à cette grandeur que
nous invite Senghor depuis toujours : ‘‘Notre noblesse nouvelle est non de
dominer notre peuple, mais d’être son rythme et son cœur.’’ Voici le temps
de la quête du siècle africain des lumières.
Roger Gbégnonvi
Source :chroniqueblessh
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