Crise de l’AJD/MR :
Comment Sarr a perdu 4 ministères et 10 députés
TAQADOUMY
Le président de l’Alliance pour la
justice et la démocratie /mouvement pour la rénovation (AJD/MR) a été l’un
des premiers hommes politiques mauritaniens à soutenir le putsch mené, le 6
août 2008, par le Général Ould Abdel Aziz. Ibrahima Moktar Sarr rêvait de
devenir le premier vice-président de la Mauritanie mais l’illusion s’éloigne,
à mesure que le pouvoir de Ould Abdel Aziz se consolide.
Tout a commencé par l’idée, selon l'AJD/MR, de
créer le poste de vice-président qui échoit à une ethnie différente de celle
dont un membre a remporté la présidentielle. Ainsi, une fois la
magistrature suprême remportée par un arabo-berbère, le second personnage de
l’Etat serait, de facto, un négro-mauritanien.
Fin tacticien, Aziz laissera Sarr y croire, sans rien lui promettre.
De plus, la majorité favorable au putsch fera miroiter, aux partisans de
Sarr, un probable désistement mutuel, dans les circonscriptions qu’il est
susceptible de gagner.
A Nouakchott l'AJD/MR possède deux places fortes (Sebkha et El Mina)
ainsi que la Mouqataa de Riadh où elle peut obtenir un ballottage favorable.
Dans la Wilaya du Guidimakha, Seïlibaby figure parmi les places fortes,
tout comme M'bagne, Bababé et Boghé dans le Brakna. Au Gorgol, le Parti peut
compter sur Maghama. S'ajoutent à cela deux capitales régionales, Kaédi et
Nouadhibou où Sarr escompte faire au moins jeu égal avec la majorité.
Dès lors, le calcul de l’AJD/MR se simplifiait : améliorer le score
de 2007, l’objectif étant de dépasser la barre psychologique des 10%, si
possible arriver 4ème, c'est-à-dire après Aziz, Messaoud et Ahmed, mais
devant Ely (que tout le monde à l’époque voyait parmi le quatuor de tête) et
Jemil.
Fort d’un tel score, Sarr imposerait alors le poste de vice-président
à Aziz et lui arracherait au moins 4 portefeuilles ministériels. Après tout,
avec ses 8% en 2007, Messaoud obtenait 4 maroquins et la présidence de
l’assemblée nationale. Si l’on ajoute au profit le désistement mutuel, Sarr
eût obtenu, en sus, 10 députés, dans le meilleur des cas. Dans le pire,
l’AJD/MR comptait négocier, proportionnellement à son score.
Même au fil de ses pires cauchemars, le président de l’AJD/MR ne
prévoyait la possibilité d’une victoire d’Aziz au premier tour, victoire
d’autant plus précieuse pour ce dernier qu’il ne la doit à personne.
Or, avant cet évènement surprenant, Sarr a été contraint d’avaler
couleuvre sur couleuvre, de passer pour un soutien des putschistes,
d’accepter de jouer le rôle de lièvre dans la présidentielle différée du 6
juin 2009 ; ensuite, il se retrouve obligé de porter plainte contre le
journaliste Hanevi Ould Dehah, afin de permettre, à Aziz, de frapper, en
pleine campagne, l’un des organes de presse les plus hostiles au putsch.
Une fois qu’il a tout sacrifié afin de garantir le succès d’Aziz, il
récolte une série de revers : d’abord son score à la présidentielle diminue
de moitié, par rapport à celui de 2007, ensuite le deuxième tour n’aura pas
lieu ; donc la négociation pour la vice-présidence de la République s’annule
dans une caducité sans appel.
Puis arrive la formation du gouvernement. Pas le moindre coup de fil,
ni la moindre invitation pour une audience présidentielle et ce alors que
Sarr (énième couleuvre) s’empressait de reconnaître l’élection d’Aziz, avant
même que le Conseil Constitutionnel – pourtant auteur d’une célérité suspecte
– ne se prononçât.
Et à la fin, tombe le jugement
: alors que Sarr réclamait 5 ans de prison et 30 millions d’UM d’amende à
l’encontre de Hanevi, le voilà débouté par la justice qui relaxe le Directeur
de publication de Taqadoumy, des chefs d’accusation de diffamation et le
condamne, à 6 mois de prison et 30.000 UM pour "atteinte aux bonnes
mœurs" ; la justice sanctionne ainsi un l’article d’une jeune anonyme,
sur le forum de Taqadoumy et intitulé "je suis libre, alors
laissez-moi faire l’amour".
Hanevi appartient à un courant de pensée qui a toujours partagé et
défendu les préoccupations de Sarr. De plus, comme Sarr, Hanevi est
journaliste et poète de talent ; les deux sont liés par le souvenir partagé
de l’amitié de feu Saïdou Kane, président de Conscience et Résistance à
laquelle Hanevi appartient, mais aussi l’un des fondateurs des FLAM, dont
Sarr était membre. Et enfin, Sarr lui-même est ancien détenu politique, donc,
toutes proportions gardées, comme Hanevi aujourd’hui.
Après avoir rêvé du poste de vice-présidence pour lui, de 10% à la
présidentielle, de 4 ministères et 10 sièges de député, Sarr se retrouve avec
un peu plus de 4% des votes, et toujours le même nombre d’élu, c'est-à-dire
pas un conseiller municipal. Il s’agit d’une régression à la fois arithmétique
et morale, d’ailleurs non dénuée d’injustice tant l’homme, par sa stature et
son engagement, méritait peut-être plus que son ambition du moment.
Ould Abdel Aziz est élu président. Après avoir réussi à brouiller les
raisons de la détention de Hanevi, grâce au concours précieux de Sarr, Aziz
laisse faire la justice et celle-ci condamne Hanevi pour une raison
idéologique, sans lien avec Sarr et sa plainte. Hanevi est aujourd’hui un
détenu politique et l’histoire retiendra qu’il aura été le premier, sous Ould
Abdel Aziz.
Considéré comme membre de la majorité ayant soutenu le putsch, Sarr,
ultime couleuvre, ne sera pas non plus invité à la réunion de l'Institution
de l'opposition démocratique qui se tiendra aujourd'hui, pour la première
fois avec la participation des leaders du Front national pour la défense de
la démocratie (FNDD).
Même si chaque jour la presse rapporte la démission d’un cadre de
l’AJD/MR, Sarr rebondira peut être ; il réussira probablement à dépasser la
crise car, au fond, la vie d’un homme politique se forge par la succession
des épreuves et des revers mais les chroniqueurs retiendront, à jamais, son
inclination lucide à accepter de servir de bâton avec quoi un
Général-putschiste a pu frapper la presse qui lui résistait.
Sarr a été l’instrument consentant du musèlement de la presse, sans
la moindre contrepartie, ni pour lui, ni pour son parti. Dès lors, après ce
chapelet d’échec, sa colère, ainsi que celle des cadres de son parti, son
parfaitement compréhensibles : alors que chacun d’eux se voyait ministre ou
député, les voilà qui se réveillent, au même point de départ.
La lutte est longue et sans aucune garantie de résultat. Les plus
sincères continuent malgré les échecs. Les autres se cherchent des excuses
puis finissent par abandonner, ou aller à la soupe, c’est selon le degré de
patience et cupidité.
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