Quoi après les élections du 18
juillet: sortie de crise républicaine ou
poursuite du Coup d’Etat ?
Par Lô Gourmo Abdoul
L a part la plus dure du règlement de
notre invraisemblable crise
politique a porté sur le sort du HCE,
l’instance militaire qui s’était
emparée de la souveraineté du peuple,
sous la direction du Général Aziz
le 6 Août 2008. En vérité, tout,
depuis le début, c'est-à-dire la «
fronde militaro-parlementa ire»,
prenait appui sur cette question
centrale du rôle à donner dans nos
institutions démocratiques, à
l’Armée, plus précisément à ses cadres
les plus « politiques », les
plus décidés à conserver un pouvoir
conquis et exercé sans
discontinuité depuis 1978.
L’expérience de la plupart des Etats
qui vécurent la situation de
l’ingérence militaire en politique
montre clairement que la tâche la
plus ardue pour jeter les bases d’une
saine et sereine démocratie
pluraliste et l’enraciner durablement
est d’abord et avant tout de
faire accepter et respecter le
principe élémentaire de la soumission de
l’institution militaire à la volonté
et aux choix du peuple, de faire
accepter et respecter le principe que
la politique commande les fusils,
de faire accepter et respecter le
principe que les militaires qui se
destinent à la carrière politique
doivent quitter l’uniforme et non en
faire un argument d’autorité pour la
spoliation de la volonté du seul
souverain légitime : le peuple. C’est
le sens même de l’esprit
républicain, universellement partagé,
indépendamment de toutes autres
considérations idéologiques ou
politiques.
Surtout depuis la transition de 2005,
cette question très sensible de
l’armée et de la démocratie est posée,
notamment au gré des principales
crises qui l’émaillèrent : celles
dites des « Indépendants », du « vote
blanc » et de la « fronde ». M. Ahmed
Baba Miské, doctrinalement acquis
au putschisme, avait clairement jeté
un pavé dans la mare en appelant
de ses vœux une mise sous tutelle
constitutionnelle par l’armée, des
institutions politiques démocratiques,
un peu à l’exemple de certains
pays comme la Turquie.. Il ne lui fut
répondu, à ma connaissance, que
par le silence désinvolte d’une classe
politique qui néglige souvent,
sous nos cieux, l’importance des
débats publics, fussent-ils non
polémiques et préfère se concentrer
sur les contradictions politiques
du moment et les urgences tactiques de
l’instant.
Au plus fort de la fronde, et à la
veille du coup d’Etat du 6 août, un
autre partisan des autorités
putschistes, M. Moustapha Ould
Abeidarahmane, reconnaîtra ouvertement
l’existence d’un « camp »
politique formé par les parlementaires
frondeurs et les « militaires »
des FAS (Forces Armées et de Sécurité
comme il l’écrit), suggérant que
fût entériné le principe d’une
supervision « molle » de la vie
politique par ces FAS : « Dans le
contexte du mandat présent du
Président de la République (SIDIOCA),
il est d’une nécessité absolue
que les deux pôles institutionnels de
la majorité (l’exécutif et le
parlementaire) consultent et écoutent
les dirigeants des FAS avec
lesquels une concertation sérieuse
doit être assurée de manière
permanente sur toutes les questions
d’intérêt national et sur toutes
les évolutions souhaitées ou
souhaitables du système démocratique pour
son assise permanente et consensuelle dans
notre pays » écrira t-il
benoîtement, dans le Quotidien de
Nouakchott, immédiatement avant le
Coup d’Etat d’Août 2008…
Ex post facto, il apparaît clairement
que de telles prises de position
d’intellectuels et hommes politiques
éminents du clan des putschistes
étaient surtout destinées à agiter les
esprits et à les préparer à
accepter l’inacceptable : une prise de
pouvoir plus franche, moins
invisible d’une fraction de l’armée au
détriment des civils, même élus,
voués à la soumission et à l’obéissance
aux hommes en armes.
Aussi, dès le départ, la lutte contre
le coup d’Etat en Mauritanie
avait-elle eu pour enjeu et finalité
de ramener définitivement et pour
de bon, l’armée dans les casernes en
mettant fin au mélange des genres
qui, depuis une trentaine d’années
avait fini par rendre impossible
toute vie politique et
institutionnelle normale, et même toute vie
économique et sociale cohérente,
c'est-à-dire libre et démocratique
suivant les nouvelles exigences de ce
bas monde.
Cette échéance seule pouvait et devait
valoir le geste proprement
historique de l’unique Président de la
république démocratiquement élu
en Mauritanie depuis 1960 : la
renonciation volontaire à son mandat en
contrepartie du retour à la
constitution, y compris pour les officiers
supérieurs qui l’avaient bafoué.
Le pôle militariste avait voulu, à
Dakar, que fût passée sous silence
cette donne fondamentale dans
l’architecture de la solution globale
consensuelle de sortie de crise que la
communauté internationale avait
parrainée. D’abord par des manœuvres
filandreuses puis par le forcing.
Ce fut peine perdue : tout compromis
véritable supposait que, par
définition, le coup d’Etat soit
enterré et que l’esprit et la lettre de
la constitution soient respectés. Ce
fut chose faite, clairement, à
Dakar II.
Mais tout le monde a vu comment, après
avoir pris auprès des médiateurs
du Sénégal et du Groupe de contact
international (GCI) des engagements
fermes d’inscrire l’ACD
(l’Accord-cadre) dans le socle de la
constitution nationale et, en
conséquence, de mettre fin à la diversité
surréaliste des pouvoirs à Nouakchott
( celui du HCE, de « plein
exercice » malgré le faux semblant de
la démission de son président
effectif, celui du président «
intérimaire » qui n’avait même pas de
chrysanthèmes à inaugurer et, enfin,
celui du Président légitime
entravé et reclus à Lemden), le pôle
putschiste a voulu faire
légaliser, par force, sa mainmise sur
l’ensemble du processus de sortie
de crise, en consacrant le HCE comme
structure indépendante, hors
constitution et hors contrôle du
Gouvernement d’union nationale en
charge de la transition et des
élections prévues. Et en opérant de
facto, comme réserve stratégique du
candidat Aziz aussi pesant et
invisible dans le jeu politique que
l’anti-matière dans la balance
générale des forces de l’Univers.
Ce camp putschiste, il est vrai, n’a
cessé depuis de longs mois, de
profiter de l’opportunisme sécuritaire
de certains de nos plus proches
partenaires européens, davantage
préoccupés de disposer à Nouakchott
d’une machine de guerre «
anti-terroriste » et anti immigration
clandestine que d’aider notre pays à
rétablir son ordre constitutionnel
bafoué. N’eût-été la détermination des
africains, et sûrement aussi des
américains, à soumettre les parties à
une forte pression pour respecter
l’ensemble des engagements contractés
à Dakar I (y compris le principe
de dissolution du HCE ou, pour le
moins, sa soumission à la direction
politique consensuelle du pays (le
GUN), il est clair que la crise
aurait continué, voir revêtu sa forme
ultime, antagonique : la
confrontation pure et simple.
Le Président Wade et le GCI ont fait
accepter, cette fois à Nouakchott
même, comme solution de compromis, non
la dissolution mais
l’acceptation de soumission du HCE au
GUN, se conformant ainsi à la
constitution légitime, comme
l’exigeait le Président Sidi Mohamed Ould
Cheikh Abdallahi, avant de signer
l’acte de sa propre démission comme
Président de la République et
permettre une vraie transition consensuelle.
La question qui se pose maintenant est
celle de savoir ce que signifie
cet « engagement » du pôle putchiste
par rapport à l’évolution que
pourrait connaître le pays au terme de
cette présidentielle réellement
historique.
Pour ce camp, seule une victoire du
général Aziz pourrait permettre de
faire l’impasse sur la question. Les
choses reprendraient alors le
cours qu’elles empruntaient depuis
août et que juin n’a pu permettre de
conforter définitivement. Ce serait
alors la pire régression politique
que le pays connaîtrait dans son
histoire depuis la fin de la
colonisation. Toutes les forces
rétrogrades se déchaîneraient pour
mener à son terme, à visage découvert
et en toute légalité, la
révolution conservatrice
antidémocratique qui a été, au fond, à
l’origine du Coup d’Etat d’août, sous
l’œil vigilant d’un commandement
militaire suprême ouvertement confirmé
(probablement par reforme
constitutionnelle) dans son rôle de
parrainage de la république.
Cette aspiration transparaît
clairement dans le dernier communiqué de
l’ex HCE, transformé en Conseil
National de défense, prenant acte des
conclusions de la dernière médiation
du Président Wade à Nouakchott.
Si cette instance y déclare vouloir
agir conformément à la constitution
(sans jamais faire réellement acte
d’allégeance aux autorités civiles
seules légitimes désormais, à savoir
le président de la république par
intérim et, surtout, le Gouvernement
d´union nationale représentatif
des trois pôles politiques ), elle
tente en même temps de justifier
l’injustifiable à savoir sa prise de
pouvoir et la destitution du
Président légitime pour « sauver le
pays et défendre les acquis
démocratiques », par sa seule volonté
unilatérale et subjective. Il n’y
a nul engagement de la part de ces
officiers supérieurs de renoncer,
dans le présent autant qu’au futur, à
toute intrusion dans la vie
politique, pour quelque motif que ce
soit et suivant leur seule
appréciation personnelle. Nulle part,
ils ne proclament leur soumission
pure et simple aux seules autorités
légitimes, élues par le peuple et
leur détermination à agir selon les
règles qui découlent de leur
serment de fidélité à la constitution
et à la nation. En fait, comme le
montre clairement la réalité tangible
depuis la démission du Général
Aziz du HCE et de l’armée, cette
institution a continué à lui obéir, à
n’agir que suivant ses instructions,
certains de ses membres se
comportant comme des militants
politiques armés, battant campagne pour
le Généralissime, jusqu’au dernier
jour de l’ultime négociation de
Nouakchott et l’adoption de ce fameux
communiqué de mutation en Conseil
national de Défense, de l’institution
putschiste.
Si la nouvelle mouture de
l’institution militaire se dit «
conscient(e) de ses responsabilité s
envers la nation (et) entend
accomplir ses tâches conformément à la
constitution et aux lois de la
République », elle n’en semble pas
moins persister dans la voie
inquiétante de l’interprétation
unilatérale et politique des conditions
d’exercice de sa mission lorsqu’elle
proclame sans ambages qu’elle «
restera toutefois vigilant(e)vis-à
-vis de toute action tendant à porter
préjudice au climat de paix et de
sécurité dans le pays » comme si
cette vigilance pouvait se faire en
dehors des directives et
instructions formelles des autorités
civiles légitimes …
Au vu de ce qui précède, on peut
sérieusement s’interroger sur ce que
sera l’attitude collective de ce haut
commandement militaire en cas de
défaite électorale de leur ancien
compagnon d’armes démissionnaire,
comme on peut s’y attendre
raisonnablement.
Si, comme on peut l’espérer, ces
officiers supérieurs -dont nul ne
conteste la compétence technique et la
valeur personnelle, respectent
leur statut formel et s’en tiennent au
consensus entre les pôles
accrédité par la communauté
internationale dans son ensemble, alors
l’honneur de l’Armée sera sauf et
notre pays se sera engagé réellement
dans la voie de la réconciliation
nationale « gagnant-gagnant » pour
les acteurs.
Le futur Président de la république, issu
du pôle démocratique élargi (
Messaoud Ould Boulkheir , Ahmed Ould
Daddah ou Ely ould Mohamed Vall)
tiendra forcément compte de cette
donne dans l’ attribution de
fonctions des membres du Haut
commandement de l’armée et de la
sécurité, sans règlement de comptes ni
favoritisme, chacun suivant sa
seule expérience, son grade et ses
mérites personnels, en tenant compte
des besoins de cohésion des rangs de
nos forces de défense et de
sécurité. Il n’y aura à coup sûr, ni
disgrâce ni promotion de faveur,
motivés par des considérations
politiciennes. Les choses rentreraient
dans l’ordre et notre pays aura alors
définitivement tourné la page de
l’interventionnisme militaire dans la
paix et la concorde et chacun y
trouvera en définitive son compte avec
la bénédiction et la
reconnaissance jubilatoire du reste du
monde.
Dans le cas contraire, si le verdict
des urnes n’était pas respecté ou
si l’élection devait être interrompu
par des actes de provocation
télécommandés, les auteurs prendraient
un risque immense de mettre
notre pays dans un état de crise
ouverte sans précédent, aux
conséquences incalculables qu’aucun
démocrate de quelque bord que ce
soit ne pourrait accepter et que la
communauté internationale dans son
ensemble condamnera et combattra avec
plus de vigueur et de lucidité
encore qu’elle ne l’avait fait après
le coup d’Etat d’août. Nous
vivrions alors le scenario catastrophe
que tout le monde redoute et
dont il ne sera pas facile de sortir.
Dans l’hypothèse d’une victoire du
candidat Ould Abdel Aziz, le pôle
démocratique dans son ensemble n ’aura
de choix que d’en prendre acte,
de féliciter le vainqueur et de se
préparer à engager sur le terrain
exclusivement politique, et dans le
respect de la légalité, une
opposition ferme et déterminée, le
temps qu’il faudra, pour extirper le
militarisme de nos mœurs politiques et
ancrer la démocratie véritable
dans notre pays. Dans la paix civile
et l’unité nationale.
Telles sont les deux options possibles
du scrutin du 18 juillet et son
enjeu véritable.
Puisse notre démocratie en sortir
vainqueur et s’ouvrir toute grande,
dans tous les cas de figure, la voie
de la réconciliation nationale et
de la concorde républicaine.
Lô Gourmo Abdoul