A.H.M.E.
ARTICLE 316:
L’identité haratine comme enjeux
Pour introduire cette partie je tiens à soutenir avec Pierre André Tagguieff que « l’identité (...) est un cadre vide que l’on remplit de façon plus ou moins arbitraire avec des représentations, des valeurs, des croyances, des intérêts, des formes d’attachement ou de loyauté qui sont des faits culturels ». Une définition parmi tant d’autres ? Mais elle semble, à mon sens, refléter l’idée qu’on peut se faire de l’identité. L’essentiel étant ici de saisir comment l’identité peut faire l’objet de manipulations. L’identité haratine pose de réels problèmes en Mauritanie. Il est impossible de contourner cette question cruciale. Elle occupe, aujourd’hui, la scène publique et demande un traitement judicieux de la part des acteurs politiques. Elle est, pour tous, un élément fondamental dans l’expression de l’identité contestée de la Mauritanie. Il y a quelques mois un débat passionnant et passionné a été ouvert dans le forum de discussion en ligne des FLAM. Je soutenais dans une intervention à la discussion que « le débat ouvert sur l’identité de l’une des composantes de la nation mauritanienne touche l’un des aspects les plus fondamentaux de la crise sociale dans ce pays ». J’espérais tout simplement que le débat allait être une occasion d’échanges fructueux, contradictoires et enrichissants pour que l’ensemble des acteurs socio-politiques impliqués dans la marche vers une modernisation de la société mauritanienne puissent en profiter. Mais les réactions m’ont conforté dans mes convictions que ce thème reste extrêmement sensible car il concentre en lui toutes les contradictions qui traversent de manière horizontale et verticale la société mauritanienne. Chacun y est allé selon ses convictions, ses émotions, son affectif voire son intérêt politique et/ou social. J’étais et reste encore persuadé que, pour rendre compte de la complexité de cette architecture sociale qui institue les ordres et les rapports statutaires internes qui la caractérisent, il faut se garder de tomber dans les travers des analogies et des associations hâtives. Aujourd’hui le vocabulaire mauritanien est « infesté » de termes puisés dans le vocabulaire néo-nazi et ceci perturbe de manière univoque les approches et les observations. Il y a quelques années encore le terme de négro-africain englobait, dans le corpus du langage identitaire mauritanien, les Haalpulaar, les Soninke et les Wolof, les Bambara étaient seulement considérés comme une autre ‘’variété’’ des Haratin. Aujourd’hui le concept est élargi à d’autres, qui, par la couleur de leur peau, sont nécessairement (je dis bien nécessairement) intégrés à ce groupe dont l’hétérogénéité institue l’identité. Le concept s’est enrichi démographiquement et s’est dévalué symboliquement car il s’est racisé. Tout ceci relève bien sûr de ce jeu de tiraillement qui prend sa source dans le flou arithmétique qui caractérise les recensements de la population mauritanienne. Pendant que les Noirs prétendent que les Haratin sont négro-africains ou négro-mauritaniens, les Arabo-berbères les classent comme arabe. Et les Haratin dans tout cela ? Culture, identité, race (dans le sens de la pigmentation) se mêlent dans les discours des uns et des autres sans qu’on puisse déterminer à quel moment et en quelles circonstances l’un prime sur l’autre. Chacun y va donc avec sa conviction historique, anthropologique, sociologique et/ou politique et les thèses s’enchevêtrent dans un imbroglio indescriptible. Cette toile d’araignée tissée autour des Haratin alimente les supputations. Les Haratin eux-mêmes se rendent de plus en plus compte qu’ils sont l’objet de convoitises, de tentatives de récupération et de manipulations de la part des entités. En tout état de cause ils constituent une sorte de tampon social entre négro-mauritaniens et arabes. Ils sont « culturellement arabes mais racialement noirs » (Brhane 2000 : 197). Même si, par ailleurs beaucoup de Haratin ont, par adoption intégré la société toucouleur, ils restent la plupart du temps stigmatisés et indexés comme hardaane qui recouvre une connotation insultante. Les rapides raccourcis et les multiples analogies ne doivent pas primer sur le poids irremplaçable d’une réelle réflexion sur cette question qui est restée longtemps taboue et qui aujourd’hui encore alimente les fantasmes identitaires en Mauritanie. Un minimum de précaution est nécessaire pour appréhender les questions qui innervent la société mauritanienne et qui fondent les frustrations/récupérations qui animent les uns et les autres. La discussion et les trajectoires des débats politiques et sociaux tournent autour de la pigmentation, des phénotypes et des statistiques démographiques. Mais les fantasmes de la mélanine et des « vérités » statistiques se heurtent contre les réalités imposantes d’une communauté dont les membres sont restés tributaires plusieurs siècles durant de l’invective de leurs maîtres et du mépris de leurs prétendus « frères » de couleur. Cette polémique nationale qui prend ces raccourcis est divertissante et détourne du débat réel en Mauritanie postcoloniale : l’émergence d’une nouvelle classe sociale et politique dont le poids ne cesse de grandir au point de devenir un point nodal de l’évolution générale de la société. Malgré l’abolition de l’esclavage proclamée en 1981, les conditions et la place des Haratin restent encore indéfinies car aucun décret d’application n’a été voté à ce jour. Le problème reste entier et cela alimente, à mon avis, toutes les récupérations qui se font jour au sein de la société mauritanienne. Le discours en Mauritanie postcoloniale reste investit par cette discussion permanente autour des identités et de leur affiliation possible. La culture d’un groupe social ne peut être saisi à la simple couleur des yeux, à l’état des cheveux, à la forme du nez et/ou à la stratégie du moment des individus qui le composent. Cette vision relève d’une ethnologie puérile qui s’alimente au sarcasme et à l’hilarité qu’elle produit. Elle limite la compréhension et informe sur les inquiétudes et surtout sur l’incapacité présente de reconnaître (plutôt de saisir) les contours, les frontières et les passerelles qui rendent compte de la complexité « cartographique » de l’identité mauritanienne. Car elles se dilatent, se compriment, se combinent et se concurrencent selon les enjeux du moment et les rapports de force voire simplement des fantasmes de la ressemblance pigmentaire et de la proximité culturelle. L’identité est fugace et n’accepte pas d’être saisie de manière aussi concluante qu’on a tendance à le faire croire et valoir. Dans sa prétendue « modernité » l’Etat mauritanien reste prisonnier de ce discours dont la portée didactique ne fait qu’alimenter des conflits qui instaure la désolation et l’amertume au milieu de la République. Les antiquaires des identités se perdent dans le Musée labyrinthique de la mémoire. Que serait la centralité d’être hartani, maure, soninke ou wolof, si rien n’est garanti, dans un cadre démocratique et épanoui, pour leur émancipation en tant qu’individus jouissant de droits inaliénables ? Les acteurs politiques et sociaux de la Mauritanie ne promeuvent pas l’émergence du citoyen responsable et capable de choisir, sans aucune contrainte, ceux qui prétendent travailler pour l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la société. Ces considérations empiriques permettent, à ceux qui les manipulent, de réactiver la notion du « degré de mélanine » comme seule et unique échelle de valeur et comme seule forme d’observation qui permettent de définir et de tracer les contours des appartenances culturelles des uns et des autres en Mauritanie. Le versant racisant de ces affirmations leur ôte toute validité scientifique intelligible. Il essaie de vider la gravité des jeux et enjeux qui l’entourent. Nous assistons depuis toujours à des formes de réécritures permanentes des identités, à leur récupération et surtout à leurs manipulations. L’interpénétration des cultures est une chose incontestable et chaque peuple adopte, selon ses besoins les plus immédiats, les pratiques de la communauté humaine qui lui est la plus proche. La communauté haratine, en Mauritanie, a vu son identité « confisquée ». Suivre ce lien pour lire l’intégralité du texte : http://www.codesria.org/Archives/ga10/papers_ga10_12/Urban_%20Ngaide.htm
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