Nouvelle
feuille de route pour l‘éradication ou pirouette ?
RMI
Biladi - Le gouvernement mauritanien a entendu et adopté une feuille
de route en 29 points en vue de l‘éradication de l‘esclavage, ou
de ses séquelles, à l‘occasion de sa réunion hebdomadaire du
jeudi 06 mars dernier.
La mesure gouvernementale fait suite à
une mission dans notre pays de la rapporteuse spéciale de
l‘Organisation des Nations Unies (ONU) sur les formes
contemporaines de l‘esclavage, qui s‘est déroulée du 24 au27
février dernier.
La feuille de route gouvernementale,
élaborée suivant une démarche participative associant autorités
et société civile, avec le soutien des partenaires techniques et
financiers de la Mauritanie, comporte une dimension juridique,
économique et sociale en vue de combler les lacunes constatées dans
la mise des lois précédentes relatives à l‘éradication de ce
fléau.
Elle a trait « au corpus juridique, aux domaines
économique et social, et la sensibilisation indispensable pour
éradiquer les séquelles de l‘esclavage ». Ainsi, la première
recommandation du nouveau bréviaire porte sur la nécessité «
d‘amender la loi 2007-048 en vue d‘y intégrer une définition de
l‘esclavage en référence à la convention sur l‘esclavage de
1956 et y ajouter d‘autres formes d‘esclavage héréditaires
comme le servage, la servitude pour des dettes, le travail forcé,
les mariages précoces, ou se limiter à la définition contenue dans
la loi actuellement en vigueur ».
Cela devrait déboucher
également sur la prise en compte judiciaire et juridique des
nouvelles formes d‘esclavage et des mesures en faveur d‘une
discrimination positive. Au plan économique, il est prévu la
création d‘une haute instance de lutte contre les séquelles de
l‘esclavage et la prise en charge des victimes, leur dédommagement,
et l‘application rigoureuse de la loi pour que les individus
reconnus coupables de pratiques esclavagistes répondent de leurs
actes devant la justice.
Par ailleurs, le document communiqué
au gouvernement le 06 mars dernier comporte « une interdiction faite
aux entreprises de pratiquer le travail forcé, le travail des
enfants et dégage comme priorité le partenariat avec la société
civile dans le processus de lutte contre les séquelles de
l‘esclavage, ainsi que la mise en place d‘un comité de suivi des
programmes et activités ».
Tournant historique ou nouvelle
pirouette ?
Réagissant à l‘annonce de la décision du
gouvernement mauritanien, Mme Gulnara Shahinian, rapporteuse spéciale
des Nations Unies (ONU) sur les formes contemporaines d‘esclavage,
qui a effectué plusieurs missions dans le pays depuis 2009, estime
que « le 06 mars est un tournant dans la lutte contre » le
phénomène.
Au-delà de la symbolique, l‘adoption formelle
de la nouvelle feuille de route est « une étape essentielle dans le
cadre des efforts pour l‘éradication de l‘esclavage en
Mauritanie. Je suis confiante que le gouvernement, en étroite
collaboration avec la société civile, va déployer tous les efforts
nécessaires pour mettre pleinement en œuvre mes recommandations de
l‘année 2010 ».
Cependant, passé les effets d‘annonce,
plusieurs questions restent pendantes, car la pratique de l‘esclavage
ou ses séquelles (en référence à la querelle sémantique des 20
dernières années) est d‘abord une affaire de mentalité et
d‘appropriation des valeurs républicaines relatives à l‘égalité
de tous les citoyens.
Par ailleurs, au cours des dernières
années, l‘opinion mauritanienne a été témoin d‘une véritable
inflation de lois (constitution et Code Pénale) en vu de
l‘éradication « des séquelles de l‘esclavage ». Mais ces
différents textes rencontrent d‘énormes difficultés dans la mise
en œuvre, car depuis août 2007 et la criminalisation du phénomène,
rare sont les présumés esclavagistes qui ont été condamnés pour
cette infraction, alors que les militants des ONG en pointe dans le
combat anti-esclavagistes, qui dénoncent régulièrement des cas ont
été plusieurs fois emprisonnés.
Pour la première fois, le
gouvernement et la communauté internationale nous annoncent un
chemin pour l‘éradication dans le pays de l‘esclavage ou de ses
séquelles. Pourtant la démarche devant conduire à cet objectif n‘a
pas fait l‘objet d‘un véritable débat national pour une
appropriation par tous. A l‘image de la question spécifique des
réfugiés et du passif humanitaire en général, tout se passe comme
si le pouvoir est encore engagé dans une manœuvre destinée à la
consommation extérieure, laissant entier le problème de fond.
Justement, la principale lacune de la feuille de route est d‘avoir
oublié les esclaves.
Ould Bladi
14-03-2014
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